Silence mortel (Mission inscrits Shadowpact)

Alan ouvrit l'une des nombreuses portes du club Oblivion, qui donnait sur une immense bibliothèque. Un lieu d'un grand mysticisme, à en croire les grimoires et les reliques de tous genres qui y siégeaient, pourtant recouverts de poussière et de toiles d'araignée - cependant, vu la longévité de nombre d'experts en mysticisme, parfois leurs sanctuaires du savoirs pouvaient demeurer plusieurs décennies sans qu'une seule visite y soit effectuée, tout autant que d'y passer quinze ans sans interruption pour parfaire son savoir encyclopédique. Alan ne se formalisa donc pas, cependant, il constata que les portes d'accès en étaient emmurées.

"Gunn ? Euh, pardon. Side-arm, ici Head-light, vous pourriez nous indiquer notre emplacement et dimension d'arrivée, s'il-vous-plaît."

La porte de l'Oblivion avait disparu, avec à la place un immense miroir doré qui semblait montrer une image aux rayons-x entourée de runes et de cryptogrammes étranges. Alan grimaça, il avait beau avoir été le pasteur des peuples de la magie, une Sentinelle garant de la sécurité de ces êtres, il en était toujours autant ignare après les années. Un rictus vint déformer davantage son visage, qui fut d'un seul coup dans le reflet entouré de gros caractères luminescents, quand une voix profonde lui signifia dans l'oreillette :

"Passez les formules de politesse, Head-Light, ça n'est pas très opérationnel. D'après la puce GPS technomantique de votre oreillette, vous êtes sur Earth-Prime, dans une école de jeunes filles à Gateway City. C'est Saint-..."

Les souvenirs cahoteux de l'ancien Green-Lantern ne lui laissaient guère de quoi supposer sur les raisons de sa présence. A tous les coups, le nouveau barman avait encore confondu les cocktails, et lui avait servi l'éponyme Oblivion, qui bien entendu effaçait la majeure partie des souvenirs récents. Une sorte d'alzheimer accéléré, et après tout vu l'âge d'Alan et le souhait de faire table-rase lors de son passage en hadès ce n'était que justice. Cela devenait un peu trop fréquent tout de même, il se demanda si ce n'était pas une blague de Detective Chimp, ou carrément un contrecoup de la sénilité. Il fit claquer sa langue dans son palais, et ressentit l'arrière-goût du cocktail titre du bistrot de la magie. Bon. Le souvenir de l'école dont parlait l'ex-agent Dale Gunn cependant, lui était apparu aussi clairement que ce qu'il voyait de ses yeux.

"Saint-Elias, oui, je connais. Cela explique la caverne d'ali-baba de l'occultisme condamnée. Nul proviseur sain d'esprit ne laisserait un tel réservoir de sorcellerie accessible à proximité de ses élèves."

Scott se souvenait de ce qu'il faisait là, ou plutôt pas vraiment. On lui avait parlé de dérèglements sur l'axe mystique et d'un contingent de civils affectés par une affliction ésotérique à déterminer. Il se tourna vers son collègue du Shadowpact, et énonça l'évidence :

"D'abord, sortir du pire fantasme d'un mage claustrophobe."

Pointant son anneau vers l'une des deux portes emmurées choisie au hasard, une aura de flamme émeraude l'enveloppa avant de se focaliser autour de la bague. Une déflagration localisée se chargea de démolir l'emplâtre posé sur le chambranle de bois. Remuant de ses deux mains la fumée et la poussière, Alan se mit à tousser, se rappelant le goût suave de la boisson qui en était son seul souvenir. Voilà, ils étaient probablement au sein de l'établissement scolaire Saint-Elias, un lieu où étaient formées plusieurs jeunes justicières comme Wonder Girl et Arrowette. En dépit du fracas, personne ne sembla s'alarmer et aucun signal sonore ne se mit à retentir. Pourtant, c'est vrai qu'il y était allé un peu fort.

Apparemment, sa co-équipière ne fut pas choquée d'arriver dans une salle scellée remplie d'accessoires de magie, mais elle avait l'air vraiment dans sa tête. Après que Sentinel ait ouvert le chemin, la pression qu'elle se mettait explosa, et elle lui dit assez sèchement qu'elle était juste là pour l'action, pas les circonvolutions ésotériques ou les remarques impertinentes. Ce qui évidemment, visait davantage le commanditaire et guide spirituel de ce groupement d'êtres ombrageux.

"Nous sommes dans une école, orchidée. Je doute que les démonstrations de force soient suffisantes. Quant au Phantom Stranger, c'est un allié de longue date et une incomparable face de carême. A croire que chaque indication qu'il donne à des héros, il doit la payer dans la monnaie de l'âme. Dans les cercles que nous fréquentons toi et moi, depuis ton induction au groupe, chaque chose a un coût, et la connaissance vient au prix des responsabilités."

Il avait trouvé Black Orchid assez immature, mais elle avait subi beaucoup de pression et n'était apparemment pas habituée à évoluer dans le monde de la magie. La prison, l'enfer, la perte de son identité, il comprenait que pour une fois, elle voulait avoir quelque chose à frapper en plein dans la face. Alan n'avait pas connu de situation simple depuis longtemps, lui qui avait commencé sa carrière de super-héros en utilisant presque exclusivement ses poings... Il avait fait du chemin, depuis, et était devenu presque ami avec son anneau malgré les forces qui gouvernaient la puissance de celui-ci.

Il s'avancèrent dans la salle poussiéreuse et vide. Des livres - des livres normaux, pas des grimoires ou des choses mystiques - étaient rassemblés en un tas comme pour un autodafé. Mais ils n'étaient pas là pour être brûlés, non, à y regarder de plus près il y avait un rangement très méticuleux et respectueux, dont l'organisation pour l'instant lui échappait. C'étaient des ouvrages de philosophie, de politique, d'Histoire et toutes sortes de sujets scientifiques ou de pensée sur la vie sur Terre. Après un long silence, sa partenaire reprit un sujet fort à-propos, sans doute pour se faire pardonner de sa vivacité un peu avant. Alan était intéressé car souvent les gens n'osaient pas lui parler de son autre carrière, d'autant qu'il était réputé comme un homme têtu.

"Sans vouloir trahir un secret, redonner la foi d'agir à Clark Kent le journaliste, c'est ma plus grande fierté et j'espère que nous en sortirons tous les marrons du feu. Faire que chaque citoyen soit une sentinelle, c'est ce qu'on voudrait faire. La vérité n'est pas l'apanage des détecteurs de mensonge, qu'il s'agissent d'épées ou de lassos magiques, d'un sixième sens ou de sérum des services secrets. Mais c'est mon travail qui veut ça, j'imagine. J'ai presque toujours été dans le journalisme d'enquête."

Un piano était là, mais quelqu'un paraissait en avoir arraché toutes les cordes, et la caisse en bois était défoncée. Il y avait des traces de doigts et de poussière fraîche sur le meuble-instrument, donc Alan en déduisit que c'était un agissement récent. Il regarda en direction d'une horloge murale, la nuit était bien avancée, mais autre chose le dérangeait. La trotteuse ne faisait aucun bruit. Ce n'est pas forcé qu'elle soit bruyante, mais ça instillait en lui une petite sensation supplémentaire que les choses n'allaient pas normalement. Il eut un court geste de recul, et ses doigts s'appuyèrent sur les touches à piano. Le son résonna dans la pièce, puis en écho diffus à travers un couloir voisin. Pourtant, les cordes avaient été sauvagement et méthodiquement arrachées.

"Il y a quelque chose qui cloche... Désolé l'humour aide à diffuser la tension."

Le silence reprit sa place, mais Alan crut voir quelque chose à travers la porte ouverte du couloir. C'était un mouvement capté dans le coin de son œil, on n'était jamais sûr de rien avec ces choses-là, mais c'était aussi le meilleur instinct des chasseurs et des proies. D'une pensée, il demanda à son anneau d'enlever l'apparence de Sentinel pour quelque chose de plus normal. Une veste en tweed avec un pull à motif jacquard, une chemisette en lin et un pantalon à pinces recouvrant des souliers vernis bruns. Il aurait peut-être l'air ennuyeux, mais si c'était possible, éviter l'escalade des super-pouvoirs, quelle que soit la puissance en place.

Sentinel n'avait pas vu sa partenaire disparaître dans l'étendue du corridor. Il s'approcha lentement, pour ne pas déranger la scène, car manifestement elle avait réussi à établir le contact avec une civile. Mais rapidement, il constata que c'était vain et que la jeune personne n'était pas réactive, comme enfermée dans une transe ou un état de choc. Elle reprenait déjà son chemin, et l'orchidée intima que les deux la suivent. Elle fut assez sèche envers Alan concernant son changement de tenue. La réponse en fut tout aussi cinglante.

"Il n'y a pas d'insigne qui tienne, ici, Garcia. C'est une école, je te le rappelle, et on ne voudrait pas déclencher une poudrière. Nous sommes là pour elles, pas pour nous."

Alan comprenait à quel point Black Orchid était affectée et en-dehors de son élément depuis quelques temps. Elle paraissait avoir un sentiment conflictuel vis-à-vis de ce qu'il se passait, ou bien n'en avoir rien à fiche. C'était vraiment une personne tenue debout par le combat, elle avait besoin d'une guerre et le Phantom Stranger ne leur donnait que des frustrations sporadiques et davantage de souffrance incompréhensible. C'était pire que les services secrets ou la prison, sauf qu'Alan était convaincu qu'ils servaient le plus grand bien. Evidemment, il y a le fait que les Shadowpacts à travers les âges avaient tous à l'exception d'un seul, misérablement échoué et probablement perdu le droit au salut de leur âme. Progressant à la suite de la demoiselle aux côtés de Black Orchid, Alan lui fit du doigt un signe de parler le plus bas possible.

"Les élèves et leurs éducatrices sont sûrement toutes là quelque part, et je doute que ce soit elles après quoi en a l'ennemi. On veut juste les faire sortir de là, et après peut-être tu pourras cogner quelque chose."

Ses pas résonnaient dans le couloir, il regarda en avant, en arrière, personne n'arrivait. Aucune autre enfant ou adulte. Il n'entendait pas non plus d'autre paire de pas s'approcher. Seuls ceux d'Orchid et lui-même se faisaient écho dans les corridors. Ils suivirent la jeune collégienne, qui ne paraissait même pas donner une pensée au fait que leurs démarches résonnaient de toute évidence dans son sillage. Elle tourna à un angle du bâtiment, apparemment en direction de l'auditorium.

Mais au tournant, une image résonna dans l'esprit de Sentinel, comme un flash, silencieux mais assourdissant.

Il ignorait si Orchid avait vu cette image, cette vision fugace. A l'intérieur de laquelle nulle autre que leur propre commanditaire et meneur sans peur animé par The Presence, se prenait une déculottée par des créatures ailées plutôt étranges, et un autre être se trouvait déjà à terre.

"Non !"

Mais ce n'était qu'un flash, alors quoi, une précognition, de la mediumnie, un flashback... Impossible d'interroger ce moment flottant du temps. Seulement la réalité, à l'angle des corridors, les attendait un seul de ces anges dorés aux ailes obscures. La créature ailée, qui marchait au sol sur ses pieds nus, plongea son regard dans celui d'Alan, puis de Black Orchid, avant d'esquisser avec son pouce griffu le geste signifiant l'égorgement ou la décapitation. Ses yeux étaient aussi abyssaux que le vide de l'espace. Ses dents bien alignées laissèrent passer un sifflement étouffé, presque imperceptible, il s'arc-bouta sur ses membres inférieurs, avant de s'envoler dans le vaste corridor, dans une tactique qui consistait à survoler en salto les deux partenaires avant de venir les faucher par derrière. Alan fut marqué par un détail, à l'endroit où s'étaient trouvés les pieds posés de l'être ailé, deux petites colonnes de fumées s'échappaient tandis que ses traces de pas ressemblaient à du brûlé.

Il n'eut pas le temps d'éviter le coup, mais instinctivement la Starheart créa un col en énergie lumineuse pour éviter que sa nuque ne se brise lorsque l'ange, un de ceux dont il avait eu la vision à l'instant, alla le percuter par l'arrière. Il tomba, plaqué au sol par la manoeuvre et le vent, son nez quasiment écrabouillé dans l'odeur de cendre où était précédemment posé le combattant aérien.

Alan réalisa la peine que sa partenaire eut à déchiffrer les simples mots qu'il avait illuminés dans les airs, et il fut dans la difficulté pendant un temps. Même si la vision de l'orchidée parut lui revenir doucement, elle avait toujours de la ténèbre dans les yeux, comme si ceux-ci avaient été affectés durablement, et en même temps cette obscurité avait quelque chose d'éblouissant. L'ancien grand reporter ne savait pas bien comment réagir, ni ce qui serait le plus adapté pour le bien de la jeune femme ; dans le doute, éviter d'aggraver et donc il ne tenta rien sur ses yeux. Celle-ci néanmoins, dans une attitude qui était loin de lui être caractéristique - du moins pour le peu qu'il avait observé, et après tout c'était un manager il était censé savoir cerner ses équipes - se mit à lui attraper la main, le corps tremblant. Elle semblait froide comme un linge.

Sentinel se concentra malgré l'absence de lumière solaire directe dans la zone, pour émettre une aura de chaleur rassérénant. Il observa avec étonnement que l'épiderme de l'agent Garcia, qui était aussi son costume, se raviva de couleurs prune et obsidienne plus profondes. C'était son lien avec le Green, pensa-t-il. Il avait déjà tenté de la booster en Enfers, et cela pouvait toujours fonctionner. Il tâcha d'utiliser ce lien à travers la conscience végétale afin de communiquer :

* Je suis désolé Orchidée, je sais que tout ça est bien trop ésotérique pour toi. Il va falloir trouver les tripes de survivre à ce scénario de fin du monde, car ce n'est que cela. Une histoire que quelqu'un ou quelque chose essaie de nous raconter. Nous devons juste demeurer assez forts pour survivre à la chute de ce récit entremêlé. *

C'était évident. Ce qui était évident également, c'est qu'ils étaient des témoins non désirés de cette histoire, ce qui en ferait les récipiendaires les plus appréciés et les plus détestés. Les yeux de l'agent de reconnaissance, la voix du journaliste d'investigation, mais ils pouvaient essayer de se fier l'un à l'autre, si leurs natures méfiantes et la terreur ne les contraignait pas à se détester comme c'est dans la nature des choses.

* J'ai vu des anges aux ailes noires pugiler le Phantom Stranger et un autre ange. Il y a quelque chose qui nous dépasse. La lumière et la perdue, comme il dit si bien. Nous devons nous guider et nous encourager à lâcher-prise, tout à la fois. Pour une fois mon expérience ne m'est de strictement aucun secours. *

Ils s'avancèrent et pénétrèrent dans une salle qui était apparemment éclairée. Mais ce que vit Alan lui redonna la voix. En fait, il se mit à chanter en mélisme et en vocalises comme s'il n'était qu'un avec un chœur, un ensemble grégorien tel qu'on les entendait dans les abbayes. Il n'était plus maître de ses actes, il se contenta de marcher jusqu'à l'ensemble choral, un ensemble qu'il voyait à travers une brume chaude et accueillante, qu'il choisit de traverser à un pas cadencé. Il était, après tout, un converti. Un membre du peuple des rachetés qui croyait dans l'Eternel. Mais ce que lui disait son âme et ses sens, n'était pas la réalité perceptible. Il le savait, et Black Orchid devait percevoir la situation d'une manière très différente. Lui ne se posait plus de questions, il se contentait d'apporter sa voix au cortège des célébrants. Il ne voyait rien, n'entendait rien qui ne relevât de la grâce divine et angélique.

Le Green, une présence primordiale sur le globe terrestre, plus ancien encore que l'humanité. Véritablement antérieur à toute religion établie, bien que certaines aient dans leur mythologie quelques points communs avec les hauts lieux du Green : le Jardin Originel, l'arbre des mondes Yggdrasil, l'arbre de la connaissance, l'arbre d'éternelle jeunesse. Le refuge et le vaisseau de la conscience végétal, outre-tombe de nombre de plantes, d'hommes et d'êtres qui en ont servi la cause, ne voit guère d'un bon œil les interventions divines, en particulier celle des hérauts célestes tels que les anges. La promesse d'un au-delà éternel avec un nombre limité d'alternative ne disait rien sur la pérennité de la sève. La survie dans le Green était l'un des derniers privilèges, sinon terrestres, au moins spirituels, des membres qui en composent le Parlement. Les esprits guides, ou arbres, qui en composent la forêt de pensées qui font le maillage du Green, réagissent très vivement, avec hostilité, à la présence des créature angéliques. La survie faite fibre végétale n'est guère en accord avec les trompettes d'annonce de la fin des temps.

Malgré ses convictions religieuses judéo-chrétiennes ancrées comme le pli de ses pantalons, Alan se retrouve être le théâtre d'un tel affrontement. En tant que champion élu par la conscience collective de la sève, il est doté du pouvoir de génération d'énergie lié à la photosynthèse grâce à la magie prêtée par la Starheart. Il a beau ne pas être homo magus, il dispose d'un canal continu de communication avec les forces vives de la nature et peut la manier avec plus d'acuité et de férocité que la plupart des magiciens. La Starheart, reliquat des magies cosmiques éliminées par les Gardiens d'Oa, une horreur pour nombre de fondamentalistes religieux s'ils avaient la moindre idée de son existence. Une force à ne pas négliger, heureusement chevillée à la volonté du Green grâce à l'anneau qui a fait autrefois d'Alan la sentinelle. Une puissance chaotique et capricieuse bel et bien capable de trancher la Terre en deux. Mais la Volonté d'Alan gardait amorphe l'entité de magie, en cage là où elle pouvait encore faire le bien, à travers le corps d'athlète du vieux reporter. Un corps qui chantait en même temps que les autres, baigné dans la lueur divine. Cette lueur, absorbée par son pouvoir passif, était bien plus puissante que les rayons ultra-violets du Soleil.

A mesure qu'il accumulait des niveaux d'énergie improbable par son pouvoir de photosynthèse, l'énergie bouillonnait mais surtout les molécules créées par le processus venaient nourrir toute sa vitalité, comme de véritables nutriments de séraphin. Ses muscles, ses os, sa circulation sanguine s'en trouvait sur-alimentée. Alan eut également sa capacité cérébrale nourrie par la capacité qui libère des quantités considérables d'énergie contrôlable. Cela lui donna la possibilité de penser en arrière-plan de sa dévotion parfaite, au sort que l'ange devant lui imposait à sa partenaire du Shadowpact. Elle était entièrement transie, mais son corps n'y survivrait pas. Alors, le regard fasciné d'Alan vira à l'écarlate durant un instant, puis il reprit le contrôle et ses yeux prirent une lueur verte phosphorescente tandis qu'il bondit sur la présence ailée qui portait une clé en pendantif. De ses poings puissants de combattant, il asséna de multiples coups à la créature angélique, mais c'était nécessaire, et le Green, le Starheart aussi, intensifiaient ce raisonnement, suivant lequel la survie, la vie, devaient prévaloir sur l'ascension des âmes ou son alternative. Alan n'était pas prêt, son âme aura été jugée impure puisqu'elle est promise à Hadès. Il n'a donc d'autre choix que de se soustraire à son culte transcendant. Il frappe et cogne, avec toute l'énergie empruntée à la force divine en présence. Il est prêt à battre l'ange jusqu'à en faire de la pulpe, pour sauver son âme et sa partenaire.

"Tu... Ne... Nous convertira... Pas !!"

Il jetta sa crinière blonde en arrière, et ajoute, d'un ton souverain :

"La moisson des âmes attendra. J'en ai DÉCIDÉ."

L'orgueil. La peur et l'orgueil, voilà donc tout ce qui fait l'instinct de survie et de combattivité de la sentinelle en ce jour. Mais il n'a pas honte. Il est imparfait, il est indigne, mais il a le pouvoir de dire non. Alors il en use. Il n'y a plus d'abus si ton sort a déjà été décidé. Il n'y a que la liberté d'action sans conséquences sur le rachat des âmes. Seulement, ce pouvoir de repousser l'inévitable, car il a le culot de croire que ça peut l'être, aujourd'hui.

Pourtant, il sent encore sa lèvre inférieure trembler et vibrer au son du chœur, accompagné en sourdine par ses cordes vocales. Il ne peut s'empêcher d'être un croyant. Une coupure sur les lèvres lui donne le goût métallique de son propre sang, mais souffrir ne changera pas sa soif de survivre tant qu'il le veut, tant qu'il peut y mettre l'effort.

Dans sa furie aveugle, Alan ne remarqua pas que l'ange porteur de la clef fit apparaître dans sa main la garde d'une épée nimbée de puissance mystique. Heureusement, une intervention à point nommé de sa coéquipière lui acheta juste le temps nécessaire pour constater le fait. Alan essuya le sang au bord de ses lèvres, et d'une simple pensée matérialisa l'énergie nécessaire pour créer une construction d'émeraude en forme de glaive. Celui-ci tourna rapidement dans sa main puis il en resserra l'emprise, les jointures de la main blanchies par la force de sa poigne. Il regarda en bandant tous ses muscles la manière dont l'ange guerrier envoya valser la pauvre Black Orchid. Puis, d'un coup de tranchant en travers du flanc de son adversaire, il marqua le début d'un duel de bretteurs. Tant que l'ange garderait son halo divin, son adversaire gagnerait toujours plus de puissance. Autant dire qu'ils étaient partis pour un combat qui pourrait résonner longtemps dans les halls de la renommée. A chaque percussion entre les deux armes, une lumière intense jaillissait comme lorsque l'on scie à travers du métal surchauffé.

Les membres du choeur s'élevèrent à tire d'ailes, et avec eux il sembla que Black Orchid elle aussi disparaisse du paysage tandis que la volée d'angelots se réfugiait dans des positions plus en hauteur à l'extérieur du bâtiment.

"Renonce à tes projets quels qu'ils soient, ange de mauvais augure !"

Derrière la voix d'Alan, grondaient le bruissement et le sifflement des esprits du Green qui avaient hérité de lui comme champion. Il n'avait pas le droit de renoncer. Le livre des révélations ne laissait aucune place au shamanisme et au royaumes de la nature mortelle et pourtant pérenne. L'évolution n'avait pas sa place si l'on suivait les règles de la création, et le Green n'était qu'évolutif, grimpant sans cesse de nouvelles manières sur le mur de la vie sur Terre.

Malheureusement, au sein du Green, des esprits pieux comme celui de Frère Jonah, le moine ancien avatar ou Monk Thing, se tournaient à l'inverse de leurs esprits frères dans le sens de la conversion dictée par le chœur des anges. A l'instar de Sentinel lui-même, une petite part du domaine de la sève était déchirée, fissurée non par le doute mais par la croyance. Quels choix fallait-il faire ? Alan entendait presque leurs voix murmurer des exhortations à son oreille, dans un sens ou dans l'autre de la balance. Il souffrait et entrait en pénitence, lui dont l'âme n'appartenait plus aux cieux mais à un vieux dieu des profondeurs.

Alors il songea à son anneau. Non pas celui qu'il portait au doigt, mais celui qu'il avait abandonné au passeur Charon, un véritable fragment de son être laissé aux soins d'un des sujets de l'au-delà infernal. Il concentra son énergie, sa force, son courage et sa terreur aussi, à ce que la babiole sans vie laissée au conducteur de la barque, vienne puiser dans les flammes même de Hadès, le dieu à la couronne de chandelles mortifères. Lorsqu'il y eut pensé suffisamment fort, il fit la seule action qui lui venait à l'esprit. Il canalisa l'énergie qu'il croyait avec puisé dans les Enfers au sein de sa main gauche, laquelle était désarmée. Puis il se saisit à pleine paume de la lame de son adversaire dans toute sa largeur, espérant que le toucher d'une énergie puisée en Hadès puisse effacer la puissance céleste.

"Goûte la lumière qui obscurcit la noirceur, légionnaire céleste."

Puis au contact de la lame du chérubin, il se tordit de douleur. Son regard s'emplit de larmes de sang, ses dents claquèrent compulsivement comme si le froid le plus absolu s'emparait de son corps.

Alan se tordit de douleur. Canaliser la lumière d'Hadès était une souffrance trop importante, même s'il fallait la communiquer à un ange envahisseur. Ce dernier en souffrait, mais Alan eut la main brûlée et ouverte en une plaie fumante au contact de la lame céleste. Heureusement, une nouvelle fois, l'orchidée noire lui acheta un moment de répit en fondant sur leur ennemi commun, lequel se défendit contre les assauts de la femme fatale. Il avait refermé ses ailes en signe de défense, mais aussi de régénération, puisqu'il revint vers Sentinel avec un air plus en forme que jamais, incandescent de la lumière des anges. Les yeux d'Alan, même préparés pour vivre la guerre des lumières cosmiques, n'étaient pas préparés pour une telle clarté.

Ebloui, il se jeta sur l'ange toujours son épée de jade en main, qu'il abattit sur l'omoplate de son opposant, avant de se saisir comme il le pouvait de la première partie du corps ennemi qu'il pourrait attraper. Il força alors le chemin vers le sol avec toujours en main ce qu'il reconnut comme le genou de son ennemi. En aveugle, il plaqua l'articulation adverse au sol, ce qui produisit un son de combustion au contact.

"Un ange damné... Vous êtes des déchus, vos pieds brûlent le sol car vous n'êtes pas bienvenus au-dessus des profondeurs infernales."

Un cri strident retentit dans ses oreilles, celui du général avec qui il luttait, mais la sonorité était tellement riche, et en même temps effroyable, qu'Alan n'eut d'autre choix que de presser vainement ses propres paumes contre les pavillons de ses oreilles. Rien n'y faisait. Le hurlement résonnait à travers son crâne, il sentait presque son âme vaciller au son de la fréquence sonore inédite.

"AIEEEEEEE"

Scott eut beau crier de douleur, sa voix ne pouvait pas couvrir la stridulation morbide. Il s'évanouit, victime d'une surexposition des sens à laquelle il était incapable de se parer. C'était fini, face aux forces célestes, même les plus vicieuses, il ne pouvait opposer sa lumière, qui n'était qu'une ombre pâle en comparaison. Il avait trouvé corruption supérieure à son pouvoir de rédemption.