[Forteresse de Solitude] House of El : Bug in the System (Ambush Bug)

La voix de l'homme d'acier résonna dans sa Forteresse. Une voix dure, cinglante, un peu fêlée comme la Cloche de la Liberté. Il va sans dire qu'il ne rigolait pas.

"Fini de jouer, Mxyzptlk. Je ne veux pas de tes sottises dans la Forteresse. J'ai un fils, maintenant, et je détesterais qu'il tombe sur une de tes farces. Si tu ne veux pas retourner dans la cinquième dimension être un père pour tes enfants, je t'enfermerai ici où tu ne causeras plus de mal à personne. J'ai justement une place dans mon zoo."



Clark avait passé la matinée au Planet, mais comme toujours il entendait en bruit de fond n'importe quel son produit à tout moment à la surface de notre planète. Aussi, lorsque Mxyzptlk commença à manifester sa présence dans la Forteresse de Solitude, il ne fallut que quelques seconds à Superman pour voler de son bureau de la Côte Est des Etats-Unis jusqu'au Cercle Polaire Arctique et à son sanctuaire de glace. Aussitôt, l'homme d'acier déclencha une série d'événements prévus pour toute intrusion d'un imp de la cinquième dimension. Des chaînes forgées dans le cœur d'une étoile et un combustible alien capable de consumer l'imagination, cela ne retiendrait pas le lutin farceur bien longtemps, mais assez pour lui faire entendre par la menace qu'il allait devoir déguerpir et vite.

L'imp déglutit difficilement. Superman avait changé, pour les autres ce n'était pas évident mais lui comprit que ses farces n'étaient vraiment plus pour l'homme d'acier. Il avait retrouvé ses responsabilités de parent maintenant, ils ne joueraient plus. Jusque-là, l'ange de Métropolis pouvait feindre l'agacement mais maintenant, c'était concret, réel. Il était clair, ne laissant aucune place à l'imagination. Néanmoins après avoir dégluti, ce qui dans la durée d'un imp de la cinquième dimension, pouvait paraître même pour un surhomme aux sens exacerbés, parfaitement simultané, il se défendit d'une voix nasillarde et haut perchée :

"Tu me maltraites, sans me demander l'objet de ma visite. Soit ! Je venais t'avertir d'un danger imminent concernant ta double identité, mais puisque c'est ainsi, tu devras t'en débrouiller tout seul ! Kltpzyxm !!"

Le lutin blagueur, blessé et furieux, disparut aussitôt qu'il eut prononcé son nom à l'envers, faisant disparaître toute éventuelle farce qu'il aurait préparée ou dissimulée dans la Forteresse ou ailleurs, comme il était de rigueur lorsqu'il était renvoyé dans sa dimension d'origine.

Clark, le coeur encore vif et le regard fixé sur les chaînes et les flammes extra-terrestres à l'endroit où s'était trouvé son visiteur importun, fut traversé de remords pour l'individu magique extra-dimensionnel. Peut-être que retrouver Chris l'avait rendu un peu trop protecteur, peut-être qu'il compensait son incapacité à l'avoir protégé en premier lieu, incapacité à protéger son pays de Luthor, à protéger Lois des doutes et du deuil, alors maintenant il avait un petit être kryptonien pour qui se battre et rendre le monde plus sûr. Quels que soient les sentiments contrariés de Mxyzptlk, Kal-El sentit son rythme cardiaque se rasséréner dans le sentiment profond qu'il avait bien fait, et qu'il aurait dû faire ça depuis longtemps. Perdre le temps du protecteur de l'humanité avec de telles sottises était au mieux une complaisance, au pire une complicité envers tout fait grave qui se déroulait pendant de telles pitreries et pour lesquelles l'homme d'acier ne pouvait pas intervenir pendant ce temps-là.

Il décida néanmoins de ne pas prendre l'avertissement de Mr. Mxyzptlk à la légère, et laissa un message sur le répondeur de Cat Grant pour la prévenir qu'il prenait sa journée de congé. Mieux valait rester au secret de sa retraite gelée si un quelconque événement menaçait la sécurité de son identité. Chris était à la ferme avec Ma pour le week-end, et jusqu'à preuve du contraire il ne risquait rien, et Clark ne voulait pas inquiéter la femme qui l'a élevé. Du reste, il envoya des robots Superman patrouiller à travers le monde, en espérant que leur talent en deçà du sien ne serait même pas nécessaire ; le monde restait sa croix à porter, et s'en cacher à cause d'un tuyau donné par un super-vilain lui était relativement pesant.

Malgré tout, l'oisiveté n'est pas sa tasse de thé, il devrait bien se trouver quelque chose à faire, et il avait déjà sa petite idée. Dans les halls de la Forteresse de Solitude, il ôta son costume pour quelque chose de plus seyant et confortable, une chemise, un gilet et un pantalon en denim. Puis, Clark se rendit au fond d'une coursive de glace, dans un petit bureau où il alluma son ordinateur typiquement terrien pour y taper quelques-unes de ses réflexions et soupçons au sujet du gotha de Métropolis pour de futures références sur le site de web-journalisme qu'il partageait avec Cat.

Il crut voir quelque chose de vert apparaître à l'extrémité de son champ de vision, mais finalement rien. Il se frotta les yeux, chercha machinalement sa paire de lunettes.

"Mon vieux Clark, je crains que tu ne sois en train de perdre l'esprit, ou alors ta vue finit par te jouer des tours."

Il soupira et reprit son travail, le métier de blogueur ne se limitait pas à poster ce que l'on pense ou ce que l'on voit sur Internet, c'est un travail de fond qu'il convient de documenter et qui demande beaucoup de recherches, d'hypothèses et de validation ou non des pistes d'opinion. C'était beaucoup moins relax qu'il s'y était attendu, et il soupçonnait Cat Grant de l'avoir embarqué dans cette affaire uniquement pour qu'il fasse tout le boulot. Le bureau, hormis les murs constitués de cristaux lisses et translucides, était organisé comme une salle de travail qu'on trouverait dans l'Amérique lambda, avec une horloge, un fauteuil, une chaise et un bureau, un ordi qui rame un peu et un photocopieur couleur, ainsi qu'une petite bibliothèque couverte d'ouvrages et de cahiers à spirales.

Soudainement, un drap blanc recouvrant un être plus vert que la Kryptonite se fit jour effectivement à l'angle extrême de son champ de vision. Oui, à peine besoin de plisser les yeux pour discerner le spectre chromatique qui se dissimule derrière la pâleur fantomatique mal dégrossie. Un instant, Clark est rassuré sur son esprit qui donc, ne lui jouait pas de tour. Quelqu'un lui en jouait un.

"Alors je ne suis pas fou. Mais quelqu'un ici l'est manifestement !"

Il se leva, et parcourut à toute vitesse les volumes reliés de spirales se trouvant sur ses étagères. Des chroniques des diverses aventures de l'homme d'acier, rédigées dans une écriture microscopique et codifiée pour en retenir l'essentiel en un seul coup d’œil. Superman avait bonne mémoire pour ce qui concerne les dangers urbains, les civils qu'il sauve ou qui lui portent leur aide. Mais certains êtres ne sont qu'irritation et même la mémoire d'un Kryptonien préfère les laisser glisser vers l'oubli de la pensée.

Sa voix, en réponse à la farce inspirée de Dickens, est sèche et guère avenante.

"Ambush Bug. Pillard de la culture et des apparences d'un extra-terrestre mourant, sans jamais comprendre ce que cela signifie. Un Green Lantern de série Z, ou pour lui rendre justice, un Animal Man de série B."

Apparemment d'après les registres, Ambush Bug connaît l'identité de Clark Kent. Donc pas besoin d'un plan élaboré pour se justifier de sa présence en ces lieux. En revanche, son histoire d'origine pour le moins sordide paraît une maigre justification des aventures subséquentes sans raison ni sens de l'être sauteur. Les bras croisés contre la poitrine, il lui fait face, confrontant brutalement celui qui n'était autre qu'un farceur parfois bien-intentionné. Une créature immature et dangereuse, qui pas plus que l'Imp de la Cinquième Dimension, n'avait sa place dans la vie de Kal-El et de son enfant lequel avait besoin de rôles modèles équilibrés, comme Kara et Kara, comme... Eh bien il y en avait sûrement, et sinon il serait comme Superman un point c'est tout. Là n'était pas la question. Le problème, c'était d'être sans cesse associé à des êtres pour qui la vision du sérieux consistait à mettre leur caleçon au-dessus de leur pantalon.

"Qu'est-ce qui te fascine chez moi, Irwin ? N'en as-tu pas assez de bondir à travers le monde sans savoir ce que tu cherches ? Je suis l'alien qui a survécu, qui s'en est sorti pour adopter la culture terrienne. Tu vois en moi une image miroir peut-être, une réconciliation avec le pillage d'une dépouille au début de ta vie de Bug. Tu veux du morbide, mon monde est mort, je vis ici dans un tombeau. Quels sont les Noëls passés que tu as besoin de confronter, insecte ?"

Ses dents claquaient de fureur. Evidemment il voyait dans Ambush Bug un peu de Superboy, celui qu'il avait été. Mais il avait grandi et celui qu'il avait en face de lui n'était que l'exagération de toute l'insouciance et le déni que l'on pouvait avoir un tout petit peu en soi. C'était soit un idiot notoire, soit un être bien plus torturé qui avait besoin d'une leçon pour enfin guérir de sa propre stupidité.

Clark avança dans la galerie miroitante, faisant d'un signe rageur à l'homme-insecte le message de le suivre. Des ruines et symboles du passé, des civilisations et d'espèces révolues, de l'Histoire de la vie et de la mort dans le cosmos, du bonheur et du déclin, de la nature et de la culture, il n'en manquait pas.