Ce bel objet de plus de 400 pages réédite en France les premières aventures de John Constantine, scénarisées par l'immense Garth Ennis (Preacher, The Boys), à savoir les épisodes de Hellblazer 41 à 50 et 52 à 55.
J'imagine qu'il est inutile de présenter John Constantine, compte-tenu du fait que nous avons la chance - sur ce forum - d'avoir quelqu'un qui le joue très bien (tout en y apportant sa touche personnelle ^^) !
Néanmoins, pour les retardataires, John Constantine est ce détective prolétaire de l'étrange (Dylan Dog ?) qui cache de sérieux talents de magicien derrière des abords cyniques, rebelles et un poil vulgaires...
Ah ! Et la gueule de Constantine a été façonnée à partir de celle du chanteur Sting ^^ Et il a un trenchcoat pourri et passe son temps à fumer des clopes...
... et c'est là où Ennis prend en main la série, par le story-arc "Dangerous Habits" (Hellblazer #41 à 46) : Constantine qui semble avoir déjà survécu à pas mal de choses horribles, magiques ou maléfiques apprend de la part de son toubib... qu'il est en train de mourir d'un cancer des poumons qui ne lui laisse que quelques mois encore à vivre...
Le premier épisode (#41) est super plombant : on se met bien à la place de John qui vient d'apprendre, tout simplement, la pire nouvelle qu'il soit. L'absence de perspective qui s'offre à lui. La visite dans le service d'oncologie de l'Hôpital le plus proche. Et sa rencontre avec Matt, un type également en phase terminale que l'on va revoir plusieurs fois dans cet arc. Bref, rien de bien magique, ni de mystérieux dans cet épisode ! Juste un Constantine, confronté aux failles de sa propre humanité ! Et franchement pour un comics, c'est quelque chose d'assez inhabituel (à part dans Strangers in Paradise où dans deux épisodes les sujets du SIDA et du Cancer sont réellement abordés, mais il s'agit d'une série non-fantastique et non-héroïque).
Dans l'épisode #42, John va faire un tour en Irlande (je crois qu'Ennis est un peu du coin en vrai ^^), vu qu'il s'est souvenu qu'il avait un pote magicien là bas... Ça boit. Ça rigole. Son pote, Brendan, change l'eau en Guinness (ouais car l'eau en vin, Jésus l'avait déjà fait ^^). Ça parle du passé et des copines qui n'en sont plus. Et... Brendan est aussi en train de crever d'autre chose (lui c'est le foie) et ne peux dès lors rien, non plus, pour John. Plus, dans cet épisode, la première rencontre de John avec le Premier des Déchus (ouais, bon, Satan quoi !). Un épisode sous le signe de l'amitié !
Le #43 voit notre John toquer à d'autres portes : en Haut avec un ange carrément imbuvable (le Snob), en Bas avec une démone sympathique qui ne peut rien, non plus, pour John...
Le #44 est le numéro des adieux : John fait la tournée de la famille et des amis. Matt à nouveau. Il va même jusqu'à dire tout le mal qu'il pense des gouvernants anglais en faisant ses adieux à Buckingham Palace...
Je ne révélerai pas le contenu du #45 qui solutionne le problème de John d'une manière inattendue.
Quant au #46, l'épilogue de cet arc, il est tout simplement bouleversant je trouve : car si John n'est pas mort (ben oui, la série fait 300 épisodes au total ^^), qu'il a renoué contact avec Kit, l'ex de Brendan, et que tout roule pour lui... tel n'est pas le cas de son ami Matt. C'est d'ailleurs, la magie de ce comics qui, s'il comporte de nombreux éléments fantastiques, s'intéresse d'abord & avant tout aux gens normaux (mais ça, c'est la patte Ennis on dirait).
Les #47 et #48 constituent une histoire en deux parties autour d'un pub où John aime bien aller boire avec ses copains et qui est tenu par Laura, une dame qui a travaillé toute sa vie dans ce bar, avec son mari Freddie et ce même après la mort de ce dernier...
... bon le bistrot va faire l'objet d'un incendie criminel (pour arnaquer l'assurance) et Laura va mourir dans cet incendie. Sauf que son esprit et celui de Freddie vont prendre leur revanche... et ce sera à Constantine de faire en sorte que nos deux braves fantômes ne se condamnent pas eux-mêmes à l'Enfer ! Un épisode sous le signe de l'amour ^^ (d'ailleurs les bistrots ont toujours inspiré Ennis qui nous fera une bonne partie de l'histoire de Cassidy le vampire dans un bistrot, ou un épisode spécial fête de la Saint-Patrick de The Boys...)
Le #49 est un épisode de Noël (enfin plutôt de Yule, vu qu'on est chez Hellblazer) et John croise le chemin du - grosso modo - Fantôme des Noëls passés (le Seigneur de la Danse), qui est totalement blasé parce que tout le monde l'a oublié et que plus personne ne sait réellement s'amuser comme dans le temps d'avant les curés et les religieux... Un épisode dans lequel John va réapprendre à un Dieu ancien à reprendre goût et foi en l'humanité ! Un épisode qui me rappelle un peu la rencontre entre Cassidy et le Vampire, chef des enfants du sang, dans Preacher. Sauf que le Seigneur de la Danse n'est pas un méchant ^^
Le #50, épisode double, confronte John avec le Roi des Vampires qui veut que notre enquêteur lui rende un service. On suit en parallèle les évolutions des deux personnages et, en bonus, on a la démonstration par A+B que le Roi des Vampires, en dépit de sa puissance et de son immortalité, a une vie naze par rapport à celle de John ^^
Après ces 4 épisodes de transition (et après avoir abandonné le titre pour le #51, non compris dans ce volume), Garth Ennis se lance à nouveau dans une saga - "Bloodlines" - dans les numéros #52 à 55.
Dans le #52 des crimes atroces sont commis par un psychopathe amnésique (qui écorche vif puis désosse ses victimes, pour faire bref). Un type de la haute - Sir Peter Marston - est vivement intéressé par ces crimes et décide d'engager John Constantine pour appréhender le tueur. Désireux d'en savoir plus, John est emmené au Club Caligula - un club privé pour les gens puissants, riches et très détraqués (ça fait penser aux fines parties de Jésus de Sade dans Preacher) - où il apprend qu'un membre de la famille royale aux grandes oreilles (Charles ^^) a effectué un rituel d'invocation d'un Démon et s'en est trouvé possédé ^^
L'épisode suivant, le #53, adjoindra à Constantine, Nige, un médium communiste qui a envie de faire tomber des têtes couronnées et qui organise une "séance" pour forcer le démon à se dévoiler et à révéler son nom ! Il s'avère que ledit démon a déjà sévi par le passé, quelque part dans le quartier de Whitechapel à Londres... Un certain Jack l’Éventreur !
Dans le #54, Ennis révèle, entre autre, "son" hypothèse quant à l'identité de Jack l’Éventreur (qui est la même que celle d'Alan Moore dans son exceptionnel "From Hell").
Enfin, le #55 apporte un épilogue quasi-moral à cet arc.
Le présent volume se termine sur le #56, illustré par l'extraordinaire David Lloyd (V for Vendetta, Night Raven, The Horrorist [avec John Constantine]). Dans ce merveilleux épisode, John tente de venir en aide à un type qui a fait un marché avec un démon. Un épisode avec un beau suspense et surtout terriblement efficace !
En résumé, ce premier volume se
lit dévore tout seul... Paradoxalement, c'est même une bouffée d'air frais (enfin mâtinée de l'horrible fumée de clope de Constantine) ! L'écriture de Garth Ennis était déjà à l'époque d'une efficacité incroyable, pouvant mêler une certaine tendresse pour les pauvres humains que nous sommes à un mépris quasi-cosmique pour tout ceux qui se prennent pour Dieu le Père ou qui ont des velléités d'écraser le pékin de base et à un humour qui ne fait pas (de très très loin) dans la finesse.
John est un héros d'une profonde humanité. Comme souvent chez Ennis ce sont les petites qualités humaines qui sont célébrées : l'amour, l'amitié, l'humour... Et non pas les GRANDS sentiments super-héroïques. John est un héros qui doute et c'est ce qui en fait la grandeur. Même en guérissant de façon quasi-héroïque de son cancer, il ne peut oublier - lui le héros de papier - que le pékin de base, lui, il en claque.
C'est toujours ça chez Ennis : on a le héros cool et / ou cynique (Jesse Custer, John Constantine, Billy Butcher) qui a envie de foutre des gros coups de lattes dans la tronche de ceux qui prennent l'humanité pour leur terrain de jeu ou leurs latrines (Dieu, la famille royale anglaise, les Démons, les Superslips... Tout dépend de la série de Garth Ennis dans laquelle on se trouve). Et qui s'éclate plus avec sa copine (Tulip, Kit, la femme de Butcher dont j'ai oublié le nom) ou avec ses potes (Cassidy, Chas & Brendan & Cie, P'tit Boudin d'Amour, la Crème et les autres) qu'à faire des trucs de magie / de super-héros.
En gros une oeuvre avec une vraie morale (Si, si !) et profondément humaine.
J'ai adoré. Vraiment.
En revanche, ça m'évoque plein d'autres souvenirs de comics. Déjà le Premier des déchus et le deuxième et le troisième me font furieusement penser au Triumvirat qui dirige l'Enfer dans Sandman (Lucifer, Beelzebuth, Azazel). Ensuite, dans l'arc des têtes couronnées, on retrouve Sir Peter Marston qui - même sur le plan physique - rappelle le Sir Miles Delacourt des Invisibles, lui aussi au cœur d'un complot (du même genre d'ailleurs) impliquant la famille royale.
D'ailleurs, notre ami, le gentil Constantine représente le chaos (l'anarchie) contre l'ordre qui, lui, est représenté par les Pouvoirs en place mais aussi par les démons (qui répondent à des règles très précises qu'ils sont tenus de respecter). C'est un thème que l'on retrouve également dans le Invisibles de Morrison.
Mais je m'égare...
... lisez Hellblazer par Garth Ennis ! D'ailleurs lisez tout Garth Ennis ! Preacher & The Boys !
Bon pour la petite histoire, les dessins n'ont - à mon sens - pas grand chose de renversant (à l'exception de l'épisode de Lloyd, même le numéro illustré par Steve Dillon [Preacher] n'est pas renversant graphiquement).
Mais franchement, ça vaut vraiment le coup d'être lu !