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Comme un gant de velours pris dans la fonte (1989-1993)

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Comme un gant de velours pris dans la fonte (1989-1993) Jeu 28 Avr 2016 - 12:55

Derrière ce titre énigmatique (une citation du film de Russ Meyer, "Faster Pussycat ! Kill ! Kill !", d'ailleurs) se cache une oeuvre personnelle, dérangée et dérangeante, signée Daniel Clowes (Ghost World) et publiée pour la première fois dans les 10 premiers numéros de son anthologie Eightball (qui a fait l'objet d'une publication complète en langue française, chez divers éditeurs).

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Ce bel objet de 140 pages (en n&b) narre la dérive de Clay Loudermilk dans une Amérique hallucinée et légèrement décalée par rapport à la réalité.

L'action démarre dans un cinéma (porno ? miteux ?) où Clay voit un film expérimental, "Comme un gant de velours pris dans la fonte", dont on ne comprend pas bien l'histoire (et visiblement lui non plus ^^), mais dans lequel a joué une femme...

... qui était la sienne avant qu'elle ne le quitte sans explication et qu'il ne perde sa trace !

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Du coup, Clay veut en savoir plus sur le film et sur les gens qui l'ont tourné. Il obtient des informations d'un mage qui consulte dans les toilettes du cinéma (!!!).

Il décide de se rendre à l'adresse indiquée mais est arrêté par des Highway Patrolmen (des flics des grands chemins ? Enfin, l'équivalent de notre CRS autoroutière en France...) qui passent Clay à tabac et lui marque le pied avec le dessin d'un petit bonhomme stylisé portant un chapeau (on apprendra plus tard que ce dessin a pour nom "Mr. Jones").

A son réveil, Clay est recueilli par une secte millénariste qui prône l'extermination des hommes (à l'exception de leur gourou) au profit des femmes (un seul homme pour toutes les femmes de la Terre). Clay est embarqué dans un assassinat destiné à rendre l'opinion publique encore un peu plus à cran et à précipiter le pays vers le combat final hommes / femmes (ça fait furieusement penser à Charles Manson et ses potes et le massacre de Sharon Tate).

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Clay arrivera à leur fausser compagnie et sera recueilli par Tina, une serveuse qui est en fait... un monstre (une sorte de limace géante et verte avec des yeux ?) mais qui est follement amoureuse de Clay.

Il poursuivra son enquête dans les parages : il tombera sur des fous furieux qui enquêtent sur les manifestations de "Mr Jones" (le petit bonhomme que les flics ont tatoué sur son pied), croyant que celles-ci sont la marque des membres d'une conspiration planétaire (et ils expliquent qu'Hitler en faisait partie, comme tous les gens qui ont eu ou qui ont du pouvoir) ; la mère de Tina expliquera à Clay à quoi ressemblait le père de sa fille (et il vit au fond d'un lac !) ; Clay recueillera un chien sans orifice nommé Laura ; Clay visitera les locaux de la société ayant produit le film qu'il cherche et en verra un autre, un snuff movie, dans lequel sa femme est réellement tuée ; ...

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Tout cela est très décousu et induit chez le lecteur une sensation d'étrangeté, du même genre de celle que l'on peut ressentir en regardant les films de David Lynch ou en lisant les comics de Jaime & Gilbert Hernandez ou de Charles Burns. De même, l'esthétique générale de l'oeuvre est placée sous le signe de l'altérité : la chambre d'hôtel que loue Clay est anormalement grande (elle est même immense et toute vide) ; les voitures que les protagonistes conduisent n'ont pas l'air d'être de notre planète ; les personnages mêmes, pour un certain nombre, ont des traits physiques relevant de la caricature ou de la difformité...

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C'est donc une excursion en plein rêve (ou délire au choix) que Clowes nous propose. Une plongée où le héros lui même est déconnecté de la réalité (la secte Harum Scarum, qui veut tuer tous les hommes, attaque la Maison Blanche et prend en otage Bill Clinton, sans que Clay ne le remarque... On s'aperçoit qu'en toile de fond l'actualité du monde de "Comme un gant..." est riche MAIS ne touche nullement la situation de Clay).

Alors tout cela a-t-il une  signification ?

J'aurai éventuellement deux hypothèses :

1) Clowes a composé une oeuvre sur l'aliénation que l'on peut ressentir face à un amour étouffant. La femme de Clay le quitte pour cette raison (mais Clay ne peut même pas envisager cette hypothèse) et Clay en devient littéralement obsédé et se lance dans une enquête sans queue ni tête (qui lui fait oublier, tout le reste, notamment les attaques terroristes d'Harum Scarum)... D'ailleurs, à la fin, Clay est démembré par un gros bras et se retrouve materné par Tina qui, elle, a un amour inconditionnel pour Clay : se rend-il compte qu'il se retrouve littéralement dans la situation métaphorique dans laquelle se trouvait sa femme quand elle était avec lui ? Qu'il est vraiment captif de Tina, comme son ex se sentait captive de Clay ?

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2) Il n'y a rien a interpréter et toute tentative pour donner un sens à l'oeuvre, à la vie ou à quoi que ce soit relève de l'illusion la plus totale. C'est ce que semble vouloir dire la quête du sens du "Mr. Jones" qui occupe, un peu malgré lui, Clay mais aussi deux autres chercheurs fous... Et quand cette quête aboutit... il s'avère que tout cela est un canular ! Bien que Clowes laisse entendre que l'hypothèse inverse pourrait également être exacte (Mr. Jones serait la créature vivant au fond du lac, le père de Tina ?).

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Après chez Clowes, de même comme dans les films de Lynch, les œuvres n'ont pas besoin d'avoir une interprétation unique : pour Lynch l'interprétation personnelle que l'on peut se faire de ses œuvres est toujours la bonne et il y a autant d'interprétations possibles qu'il y a de spectateurs... Chez Clowes, nous sommes dans la même configuration. C'est un comics qui ne s'adresse pas tant à l'intellect qu'à nos sensations et sentiments...

Bref, vous comprendrez que "Comme un gant..." est un coup de maître que Clowes réitérera à plusieurs reprises par la suite ("Ghost World", "David Boring", notamment)...

... et une édition française existe aux éditions Cornelius.
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