Judenhass est un graphic-novel de 49 pages réalisé par le génial auteur de Cerebus (une série de 300 numéros, complètement incroyable, auto-publiée pendant 27 ans), Dave Sim.
Sim explique, dans sa préface, qu'un patron de comics-shop lui avait demandé s'il pouvait faire un comics qui donnerait envie aux gens qui n'en ont jamais lu de s'y intéresser. Une bédé qui pourrait se lire sans avoir besoin d'en lire d'autres. Bref, une bédé pour les gens qui n'en lisent pas.
Sim après les 6.000 pages de Cerebus (dont la publication s'est terminée en 2004) avait besoin de passer à autre chose.
Il se lancera tout d'abord dans le projet Glamourpuss, consacré à la mode et à l'histoire des dessinateurs photo-réalistes (comme Alex Raymond), puis la même année dans ce Judenhass.
Sim l'explique lui-même : il pense que tout artiste, à un moment de sa vie, doit consacrer une oeuvre à la Shoah. Il pense de même qu'en tant que non juif, il a le devoir de poser la question (et de tenter de trouver une réponse) de savoir "comment tout cela a-t-il pu se produire ?".
Une courte introduction nous explique que, si ce n'avait pas été du fait du hasard de leur lieu de naissance, bon nombre de créateurs de comics (Jack Kirby, Stan Lee, Jerry Siegel, Will Eisner...) auraient pu finir dans les chambres à gaz nazie.
Puis, la question de savoir comme cela a pu être possible est traitée par Sim sous l'angle de la haine des juifs à travers les siècles (le Judenhass) et ce par l'emploi de citations haineuses : de HG Wells, de Martin Luther, de Voltaire, de Mark Twain... mais aussi de proverbes anti-juifs, du rappel des fantasmes courant autour des juifs...
Il tire la conséquence de cette haine ancestrale que la Shoah n'est que l'aboutissement de cette haine : que sans cette haine, les atrocités commises ne l'auraient pas été.
Sim, ensuite, fait un rappel historique s'agissant de l'absence de réaction de la communauté internationale face aux premières persécutions nazies contre les juifs : il rappelle que l'accès au territoire de certains pays (dont les USA) a été refusé à des réfugiés juifs qui ont été renvoyés en Allemagne... et que l'Allemagne n'avait pas le monopole de cette même haine !
Judenhass enchaîne sur un témoignage relatif au Président Truman (qui a œuvré pour la reconnaissance d'Israël) et sur un discours du Pape Jean-Paul II.
Et ce comics se termine, malheureusement, sur de nouvelles citations antisémites prononcées de nos jours, comme si
"The Past is never dead. It is not even Past" (William Faulkner, cité dans Judenhass)...
Pour illustrer Judenhass, Dave Sim a utilisé des témoignages photographiques des camps de concentration et les a reproduits suivant le style photoréaliste qu'il a commencé à développer dans le courant de l'année 2008 : ce dispositif permet de faire un lien didactique entre les citations et propos dénoncés et les atrocités commises dans les camps. Pour Sim, le racisme ou l'antisémitisme n'est jamais anodin ou bénin. Ce ne sont jamais "que" des mots : le racisme porte en lui les germes de la violence et de l'extermination de l'autre.
En conclusion, autant Maus racontait une histoire et avait une structure narrative, certes audacieuse, mais qui était très présente, autant Judenhass ne raconte aucune autre histoire que celle de l'antisémitisme. Il n'y a, dès lors, pas d'action ou de dialogue. On nous raconte l'histoire du point de vue non pas des hommes (Dave Sim ne veut pas s'y escrimer, ne s'en sentant pas - du haut de toute son humilité - capable) mais de celui des idées : des idées qui finiront par massacrer des hommes...
Judenhass est une oeuvre peu aimable, sans fioritures ni chichis, mais qui fait réfléchir. La construction est intelligente, l'oeuvre documentée (montrant par là l'immense sincérité de Dave Sim), le graphisme précis et sans compromis : il s'agit de reproduire un cliché, pas de le styliser...
Ça se lit en 25 minutes, grosso modo, et ça coûtait 4 dollars à l'époque. C'est même dans le domaine public (suite à la demande de Sim) et vous pouvez donc le télécharger légalement (ICI ! En format .pdf).
C'est en VO en revanche.
Et c'est une lecture qui ne peut laisser indifférent.
Accueil
