Attention chef d'oeuvre absolu ! Chef d'oeuvre de l'absurde mais chef d'oeuvre quand même !
Ce Krazy Kat, quelque peu méconnu en France mais désormais vénéré Outre-Atlantique, est né de l'imagination de George Herriman, un auteur américain de comic-strips, et a été publié de 1913 à la mort d'Herriman en 1944.
L'action (c'est un bien grand mot ^^) se déroule dans le Comté de Coconino en Arizona (du moins sa version onirique et décalée) et implique principalement trois personnages.
Krazy Kat, tout d'abord, est un chat d'un sexe pas réellement déterminé (et Herriman laissera toujours planer le mystère quant au sexe de son héros ^^), parlant une langue pour le moins étrange (synthèse semble-t-il d'un certain nombre de langues dont l'anglais, le français, l'espagnol et le yiddish), nonchalant, joyeux et quelque peu simple d'esprit... Il chante ou il danse mais surtout se meurt d'amour pour Ignatz...
... qui est le deuxième protagoniste principal : il s'agit d'une souris, a priori de sexe mâle (mais là encore ce n'est guère défini), qui déteste Krazy Kat (on ne sait pas trop bien pourquoi) au moins à la hauteur de ce que Krazy aime Ignatz. Cette dernière, pour exprimer cette haine, jette en principe une fois par page une brique sur la tête du pauvre Krazy qui ne comprend décidément jamais rien...
... chose qui déplaît fortement au Sergent Pupp, le seul policier du coin, un chien, qui passe son temps à essayer d'éviter qu'Ignatz ne commette d'autres méfaits sur le pauvre Krazy : Ignatz, d'ailleurs, finira le strip assez souvent en prison...
Il y a également d'autres personnages (comme Madame Kwakk Wakk, une cane veuve un peu commère, Mock Duck un canard chinois s'occupant de la blanchisserie, Kolin Kelly, un chien tenant le magasin de briques [^^]) mais quasiment tous les strips tournent autour du triangle Krazy / Ignatz / Pupp : Ignatz redouble d'ingéniosité pour éviter de se faire attraper par Pupp, tandis que Krazy ne comprend rien à rien...
... les cartoons de Bip-Bip et le Coyote n'ont-ils pas été légèrement inspirés de tout ça ?
On pourrait penser à la lecture de ces lignes que Krazy Kat est une oeuvre simpliste et répétitive. Je trouve, au contraire, que le caractère répétitif de ces pages contribue énormément à la richesse de l'oeuvre. On a un dispositif assez simple que le génie d'Herriman va décliner à toutes les sauces, en faisant montre d'un talent graphique impressionnant, alimentant directement l'imaginaire du lecteur...
... en fait, en lisant Kat, je n'ai pu m'empêcher de penser aux délires artistiques et visuels des frères Hernandez de Love & Rockets ou aux œuvres de Jim Woodring (et notamment Frank). C'est de la BD mais c'est bien plus que de la BD. C'est un véritable voyage onirique dans un monde totalement absurde mais terriblement évocateur. De l'art en tant que tel.
Krazy Kat n'était pas tant apprécié que ça du public : heureusement pour Herriman, son premier fan était le patron de King Features Syndicate (assurant la publication de, notamment et excusez du peu, Mandrake ou The Phantom !), R.W. Hearst (qui a inspiré le personnage de Citizen Kane d'Orson Welles), ce qui explique que Kat a continué pendant 30 ans à paraître - au moins - dans les journaux appartenant à Hearst !
Cette édition (Futuropolis) regroupe les planches du dimanche des années 1935 et 1936, qui sont les premières de la série à avoir été publiées en couleurs ! Elle correspond au premier volume de "l'intégrale" publiée chez Kitchen Sink Press dans les années 90. Préfacée par Bill Watterson, elle comprend en outre des éléments biographiques relatifs à Herriman et à Kat où l'on apprend, notamment, que la poétesse américaine Gertrude Stein "lisait" au téléphone les planches de Kat à Pablo Picasso !
Les éditions Futuropolis ayant mis la clé sous la porte, ce premier volume d'une intégrale couleur de Krazy Kat n'aura pas de postérité... jusqu'à ce que les Editions "Les Rêveurs" reprennent le flambeau au début des années 2010 et sortent une intégrale des planches du Dimanche de Krazy Kat en 4 volumes allant de 1925 à 1944 !
Néanmoins, cette minuscule édition de chez Futuropolis (96 pages, donc grosso modo 80 histoires différentes) constitue une intéressante introduction à l'univers barré de Krazy Kat... et a l'avantage de pouvoir se trouve à un prix raisonnable (moins de 8 €).
Un must-read !
Accueil
