Clairement le volume V opère une transition entre la conclusion tragique du volume IV (la mort d'Orphée de la main de son père) et l'enchaînement de circonstances fâcheuses que va être le volume VI - et avant-dernier - de cette intégrale. A ce titre, il pourra plaire au lecteur pour la grande qualité des histoires qui y sont contenues (de véritables pépites !) ou le désoler car il ne fait pas avancer plus que ça l'histoire (
cf. le volume III qui s'est pris dans les dents le même reproche ^^).
Ce tome est divisé en trois parties : tout d'abord l'épisode #50 de la série régulière - "Ramadan" - illustré par P. Craig Russell et qui est particulièrement réussi, le story-arc "World's End" (#51-56) qui constitue le gros morceau de l'ouvrage et enfin une mini-série en 4 épisodes, "The Dream Hunters" (2008), que je n'ai pas lu, qui est également dessinée par P. Craig Russell et qui serait une adaptation de la
nouvelle-éponyme-illustrée de Gaiman (sortie en 1999, illustrée par Yoshitaka Amano, pour la petite histoire). Mais là encore, comme je n'ai pas lu, je peux rien dire de plus...
Sandman #50 (S#50) : RamadanCe numéro spécial de 48 pages, signé de l'illustrateur de talent P. Craig Russell (avec qui Neil Gaiman travaillera par la suite sur Coraline mais qui est également l'auteur de pas mal d'adaptations en comics de chefs d’œuvres de la littérature mondiale [dont les Contes d'Oscar Wilde]), se déroule à Bagdad sous le Califat d'Haroun-al-Raschid (qui a régné de 786 à 809).
Ce dernier est préoccupé : il a la plus belle ville qu'il soit, une véritable ville de rêve... Il a à sa cour les plus grands savants, les plus belles femmes et les plus beaux hommes, les créatures les plus curieuses... et même dans la ville les miracles et les splendeurs s'accumulent sous le regard émerveillé des visiteurs !
Mais al-Raschid est préoccupé... Alors il descend dans les sous-sol de son Palais (dans une séquence, graphiquement, superbe), passant devant son Harem, devant les Oubliettes, franchissant des portes étranges et traversant de nombreuses pièces contenant d'incroyables trésors... le tout pour aller chercher un globe contenant 9009 démons, djinns et mauvais esprits...
... et il menace de détruire ce globe, libérant le mal absolu sur Terre, si le Dieu des Rêves ne lui apparaît pas !
Et Dream apparaît et al-Raschid va lui faire visiter sa ville avant de lui proposer un étrange marché... pour que Bagdad ne disparaisse jamais !
Poétique et somptueux, cet épisode célèbre les splendeurs de la civilisation arabe et se désole... du champ de ruines qu'est devenu Bagdad en guerre ! A ce titre, la séquence finale a pu me rappeler la dernière partie d'Habibi de Craig Thompson (dont je ne peux que vivement conseiller la lecture), où on se prend une claque similaire ^^
P. Craig Russell offre tout son talent à cet épisode qui est demeuré un grand classique de la série.
S#51-56 : World's EndDernier arrêt avant l'apocalypse ! Cet arc, composé d'histoires courtes liées entre elles par un léger fil conducteur, est sympathique et célèbre l'art des contes et des légendes. Il s'agit, là encore, d'une légère pause dans l'histoire globale de la série, pause qui n'est pas inutile vu ce qu'on va se prendre dans la gueule au volume suivant !
Graphiquement, ces épisodes se décomposent en deux séquences : les séquences se déroulant à la Taverne du Bout du Monde, dessinées par l'excellent Bryan Talbot (donc sur S#51 à 56) et des séquences correspondant aux histoires racontées par les clients de la taverne (ou aux funérailles marquant la fin du story-arc dans l'épisode #56) : ces dernières sont respectivement dessinées par Alec Stevens (#51), John Watkiss (#52), Michael Zulli (#53), Mike Allred (#54, Madman !), Shea Anton Pensa (#55) et Gary Amaro (#56) !
Grâce aux séquences dessinées par Talbot, l'ensemble a une grande cohérence artistique ! Et les dessinateurs de chacun des épisodes - même si j'ai mes préférés (Zulli, Allred) - sont tous très talentueux.
S#51 : Alors que Brant Tucker et sa collègue de travail, Charlene Mooney, conduisent de nuit, ils ont un accident de voiture et sont pris dans une drôle de tempête de neige. Sortant de l'épave indemne, avec une Charlene inconsciente sur les bras, Brant se dirige, sur les conseils d'un hérisson (Brant pense qu'il devient fou ^^) vers une drôle d'Auberge... La Taverne de la Fin du Monde (ou du Bout du Monde) ^^
Et là, de nombreux clients sont présents et racontent des histoires pour passer le temps... Il y a Cluracan, l'émissaire elfique de la Reine Titania que l'on connait déjà (
cf. "Season of Mists"
in volume II) mais également Chiron, un chirurgien qui est également... un centaure !
On l'aura compris cette Taverne regroupe des voyageurs égarés provenant de nombreux lieux, de nombreuses époques et de nombreuses dimensions... Brant, notre héros, sera un peu surpris mais pour le moment il ira se reposer !
A son réveil, il retrouve Charlene, attablée avec d'autres voyageurs, écoutant les histoires qui se racontent pour passer le temps...
La première de ces histoires est celle de la ville qui rêve. Dessinée par Alec Stevens (et le dessin est superbe et colle parfaitement à l'ambiance... En revanche, l'auteur est quasi-inconnu ^^ D'après Wikipedia, il se consacrerait dorénavant à illustrer des bandes-dessinées catholiques), cette histoire est celle d'un homme qui aimait explorer sa ville (qui n'est jamais nommée, c'est juste...
La Ville ! Mais Gaiman est un récidiviste, il avait déjà fait un coup similaire [pour insister sur le fait que ça pourrait être en n'importe quel endroit, n'importe quel pays] dans l'un des épisodes de son Golden Age de Miracleman [celui des espions]) sur son temps libre, rêvant de ce qu'il pourrait voir ou apercevoir, bref dévoilant la poésie des rues, des pavés et des allées...
... jusqu'au jour où - en retard pour rentrer chez lui - il prend un drôle de train (dans lequel voyage Dream également) qui l'emmène à un endroit de la Ville qu'il ne connait pas. Et pendant des années, il déambulera - prisonnier de ce qui est le rêve de la Ville (ou de la Ville qui rêve) - à la recherche d'un moyen pour regagner son monde...
Wow ! "World's End" envoie du très très lourd avec cette histoire, aux relents Lovecraftiens (une nouvelle de Lovecraft - ou de l'un de ses continuateurs - m'est furieusement rappelée par cet épisode : il s'agit de celle où un amoureux de la ville [de Providence on imagine] et des anciennes choses se fait conduire en de drôles d'endroits de la cité par un érudit, qui s'avère être un mage noir bien au fait des choses de l'ancien temps... pour les avoir vécu ^^).
S#52 : C'est au tour de Cluracan de raconter
"une histoire sans saveur" (en fait, il a envie de se faire mousser), en l'espèce celle d'une mission diplomatique (^^) qu'il a mené dans les cités de la plaine, groupe de villes dominées par une sorte de Pape qui est en fait un tyran grossier et assassin. Cluracan lui prophétisera son avenir (pas très joyeux) et se retrouvera mis aux fers pour cette raison (car les habitants des cités de la plaine se souviennent que dans les annales on parle d'un elfe particulièrement pénible qui avait sévi voilà de ça des centaines d'années... Il s'agissait déjà de Cluracan ^^).
Nuala, la sœur de Cluracan, lui apparaîtra en rêve et intercédera auprès de Dream pour qu'il aide l'elfe à s'échapper. Là, la prophétie s'accomplira et Cluracan reprendra son chemin pour regagner le pays des fées et rendre compte de ce qu'il a vu et fait à Titania quand... il a été pris dans la présente tempête et s'est réfugié à la Taverne !
L'épisode est plaisant mais presque anecdotique. C'est bien dessiné, Cluracan est amusant, on est content de voir une petite apparition de Nuala mais... c'est un peu en dessous du reste du volume ^^ Graphiquement le dessin de John Watkiss (
cf. S#39 et l'épisode avec Marco Polo, déjà de Watkiss...) est quand même bien fichu !
S#53 : Cet épisode illustré par Michael Zulli nous narre les aventures marines de Jim, un moussaillon adolescent qui s'est engagé sur des bateaux de la marine marchande pour mener une vie trépidante !
Le navire où il travaille accueillera à son bord un anglais qui souhaite revenir en terre britannique : il s'agit d'Hob Gadling (l'immortel dont l'histoire a été narrée dans le très bon S#13, déjà dessiné par Zulli) et le bateau lui appartient. Il se liera d'amitié avec Jim, découvrira dan les cales du navire un autre immortel qui est aussi un passager clandestin. Écouteront ensemble une vieille histoire qu'il raconte, se passant dans l'ancienne Inde et impliquant un roi (en fait lui, le passager clandestin) et une pomme de vie... et verront l'apparition du Grand Serpent de Mer !
Que dire ? Là encore, on s'en prend plein les dents. C'est beau car c'est du Michael Zulli (qui nous fera des dessins encore plus beaux sur les épisodes #70 à 73, dont le dernier est d'ailleurs consacré à Hob Gadling), c'est intéressant car il y a Hob Gadling et en plus c'est bien construit ! Un excellent épisode donc ^^
S#54 : Mike Allred ! Aux dessins de Sandman !
Waouwow !
J'adore son style retro-vintage qui a fait de son Madman un très grand comics ! Naaaaan, franchement Allred c'est super !
Et là, il prête sa plume et ses crayons pour mettre en images l'histoire de Prez Rickard, le teenager qui voulait devenir président des USA ^^ Et ça suit son histoire, de son enfance, de son admiration pour le Président Kennedy (du moins pour son discours où il explique qu'il ne faut pas
"demander ce que l'Amérique peut faire pour soi, mais plutôt se demander ce que l'on peut faire pour l'Amérique"), de sa rencontre avec Boss Smiley, le chef officieux de ce monde (la divinité
"gérant la franchise locale" comme le qualifiera Dream un peu plus tard dans l'épisode), sa rencontre avec le Président Nixon (qui vient le voir dans son lit pour lui expliquer que Président, ça sert à rien à part à se faire de l'argent...), son élection et le fait qu'il devient le meilleur président de tous les temps !
Et quand il meurt... Death et Dream s'occupent de son cas ^^
Et en bonus, il y a Wildcat (Ted Grant) ! Et grâce à Prez Rickard, l'acteur John Belushi (Blues Brothers, American College) ne fait pas une overdose ^^
Vous l'aurez compris, cet épisode - aussi - est super !
S#55 : C'est au tour de Petrefax, un apprenti croque-mort travaillant pour la nécropole de Litharge, de raconter son histoire ! Et il s'agit de la fois où il a du assister à des funérailles aériennes (je vous passe les détails) à l'issue desquelles chacun des thanatopracteurs présents devait raconter une histoire...
... en gros, cet épisode est en forme de poupées russes : on a l'histoire dans l'histoire (dans l'histoire vu que tout cela est EN PLUS lu dans un comics qui est lui-même une histoire ^^) ! Et c'est, là encore, diablement plaisant, comme quand on se plonge dans un agréable livre ou qu'on regarde un film passionnant ou (mieux) que l'on a une causerie distrayante avec ses proches, alors que dehors le tonnerre gronde et la tempête fait rage !
Quoiqu'il en soit, outre l'histoire de Petrefax, nous aurons celle du bourreau qui ne voulait pas être pendu, celle de la mort de la première Despair (et nous n'en saurons pas plus sur les circonstances) et celle de l'étrange crypte située à Litharge où personne ne doit aller...
Dessiné par Shea Anton Pensa, cet épisode dégage une ambiance qui n'est pas pour me déplaire ^^
S#56 : La tempête est sur le point de s'achever et l'on en sait un peu plus sur la Taverne de la fin (ou du bout) du Monde ! C'est un endroit situé en dehors de toute réalité qui apparaît aux voyageurs à chaque fois que de grands bouleversements sont en cours, comme cette tempête de réalité (
Reality Storm) qui est sur le point de s'achever...
Et nos protagonistes (Brant, Charlene, Cluracan et tous ceux qui ont raconté une histoire) vont regarder par la fenêtre la fin de la tempête... et il s'agit d'un drôle de spectacle qui s'offre à leurs yeux ! Des funérailles avec un cercueil porté par des êtres gigantesques !
On reconnaîtra dans le cortège, pèle-mêle, Destiny, Titania, Mervyn la citrouille, Wilkinson & Luz (A Game of You), Odin, Thor, Fiddler's Green, Norton I, Bast, Despair, Delirium & Death...
... et c'est fini et les voyageurs peuvent reprendre leur chemin. Nous ne savons pas, à ce stade, pour qui ont été tenues ces funérailles. Mais Cluracan file avec précipitation pour en rendre compte à Titania. Tout le monde part de son côté (et Petrefax abandonne son maître pour monter sur le dos de Chiron et mener une vie d'aventures ! Je crois qu'il aura droit par la suite à un one-shot ou à une mini-série). Sauf Charlene... qui veut rester et travailler à la Taverne (et on apprend que la tenancière actuelle est une ex-déesse indienne).
Et quand Brant revient dans le vrai monde... c'est comme si Charlene n'avait jamais existé !
Wow ! "World's End" a d'ailleurs et toujours gardé une place de choix dans mon cœur : graphiquement très travaillé, il constitue un excellent recueil d'histoires inoubliables, tout en annonçant de manière très discrète la fin prochaine de la série...
... le calme avant la tempête en somme.
Comme déjà annoncé en début d'article, ce cinquième volume de l'intégrale Sandman contient également la mini-série
"The Dream Hunters" que je n'ai pas lu et donc que je ne chroniquerai pas... Mais si vous l'avez lu, n'hésitez pas à en dire ce que vous en avez pensé !
Sinon toutes les couvertures sont toujours de Dave McKean, les scénarios de Neil Gaiman, c'est en français chez Urban Comics et c'est toujours indispensable ^^