Récemment, j'ai sacrifié, au détour de ma chronique sur Watchmen, à l'exercice du "c'est quoi les meilleurs comics de tous les temps ?".
J'avais distingué selon qu'on était dans le genre super-héroïque ou pas. Dans ce style particulier, sans conteste Watchmen est un sommet. V for Vendetta, aussi, même si V ne peut être considéré, stricto sensu, comme un super-héros. On pourrait y ajouter aisément Miracleman (encore du Moore !) et bon nombre d'autres...
En dehors de ce genre qui nous intéresse particulièrement sur ce forum, il y a de nombreux comic-books parfaitement inoubliables et bouleversants.
Mon panthéon personnel s'agissant du
comic-book non super-héroïque varie avec le temps mais je m'aperçois que je reviens toujours et encore vers quelques titres...
"Maus" de Spiegelman (déjà chroniqué sur le forum) en est un. De même, je cite souvent "Habibi" de Craig Thompson (mais je pourrais retenir du même Thompson le bouleversant "Blankets") et "Jimmy Corrigan" de Chris Ware (toujours aucun lien avec le Spectre).
Ce sont des œuvres qui ont su m'émouvoir et qui me parle, qui - graphiquement - sont d'une puissance absolument renversante et qui (et c'est une bonne chose) sont relativement bien diffusées en France, même dans les bibliothèques municipales.
Tel n'est pas le cas de ce "Tale of One Bad Rat" du trop rare Bryan Talbot (qu'on lit toujours avec plaisir, que ce soit les épisodes de Sandman qu'il a dessiné ou ceux de Legends of the Dark Knight) qui, s'il bénéficie d'une VF publiée à la fin des années 90 chez Vertige Graphics, est passé relativement inaperçu.
Aux States d'ailleurs, cette mini-série de 4 épisodes n'a eu qu'un succès d'estime (les numéros en VO, tout comme le TPB, sont faciles à trouver à vil prix).
Et c'est d'autant plus dommageable que - très honnêtement - cette série est - à mon sens - un véritable chef d'oeuvre de la BD, dont la lecture ne peut laisser indifférent !
Graphiquement, le dessin de Talbot est toujours époustouflant de finesse, de grâce et de précision. Rien que pour cela, ce comics a tout pour plaire.
D'ailleurs, Bryan Talbot semble devoir beaucoup à l'illustratrice pour enfants, Beatrix Potter, à laquelle il rend un hommage appuyé, allant jusqu'à écrire et dessiner une histoire inédite de Potter ("The Tale of One Bad Rat" qui donne son titre à la série et qui, dans le n°4, est un comic dans le comic ^^).
Pour le scénario... L'histoire est assez dure en ce qu'elle traite de l'inceste et de la manière dont l'héroïne va le surmonter. Ce qui est admirable chez Talbot c'est que l'on ne sombre jamais dans le pathos ni dans la simplicité. Si l'histoire a des aspects évidemment sordides, ce comic-book est également lumineux (avec une opposition ville / campagne un peu facile, mais bon ^^). Et il est d'une intensité rarement égalée (prévoyez les mouchoirs).
Je l'ai lu, re-lu, re-re-lu. Et toujours l'histoire de la petite Helen Potter me laisse larmoyante...
The Tale of One Bad Rat n°1 :On commence d'ailleurs par la voir en train de mendier dans le métro londonien et de fantasmer autour de l'idée de se jeter sous une rame qui est sur le point de passer. Elle a son rat domestique (qu'elle appelle simplement "Le Rat", d'ailleurs) qui est également son confident. Elle est seule. Elle a faim. Elle a froid. Et rencontre tout un tas de tocards et de timbrés qui veulent la purifier de ses pêchés ou coucher avec elle.
Et pour seule consolation elle a ce rat et les petits livres pour enfants de Beatrix Potter (très connus en Angleterre !) dont elle s'amuse à reproduire les dessins.
De temps à autre, des flashbacks nous montrent sa vie d'avant, quand, petite fille, elle était avec ses parents, heureuse... et on ne comprend pas pourquoi, pour le moment, cette adolescente a fugué de chez elle ?
On sent quand même qu'il y avait un sérieux problème...
Dans le présent, Helen atterrit dans un squat à l'initiative de Ben, un jeune guitariste SDF, qui l'a protégée d'un type qui voulait abuser d'elle. On s'aperçoit qu'Helen a beaucoup de mal avec la proximité et avec tout contact physique...
The Tale of One Bad Rat n°2 :Quand le gentil Ben essaye d'embrasser Helen, celle-ci le repousse et pète un câble... mais ce n'est pas tant qu'elle n'apprécie pas le garçon que le fait qu'elle ne peut s'empêcher de penser aux abus sexuels qu'elle a subi de la part de son père.
Après un long passage dans cet épisode où elle va expliquer à Ben comment les rats sont, en fait, des créatures très intelligentes (montrant aussi une autre facette du personnage qui peut être, par moments, bavarde et passionnée !) et un autre où elle va se retrouver coursée par la police, Helen découvre - au squat - que son rat a été tué par le chat des occupants.
Elle décide de quitter la ville pour aller vers le Nord. Pendant le trajet, elle aura des "hallucinations" dans lesquelles apparaîtra son rat mort. Elle aura aussi le temps de se rappeler pourquoi elle a quitté la maison dans une séquence avec son père particulièrement éprouvante pour le lecteur.
The Tale of One Bad Rat n°3 :Helen a un accident de voiture après qu'elle ait fait perdre le contrôle de son véhicule au pervers qui l'avait prise en stop... A moitié KO, elle arrive à se traîner jusqu'à un hôtel-restaurant situé non loin de là... où elle va être recueillie par le couple de gérants, les McGregor.
Ceux-ci vont la prendre sous leur aile et l'engager comme serveuse. Il s'avère que Sam, le mari, est aussi amateur des œuvres de Beatrix Potter et révèle à Helen que son idole a vécu dans le coin.
Mais Helen a toujours des visions de son rat mort.
Petit à petit elle essaye de se reconstruire et commence à être heureuse avec les McGregor... mais quand Sam explique à Helen en la prenant par l'épaule qu'ils aimeraient qu'elle reste, n'ayant jamais eu d'enfants à eux... notre héroïne s'enfuit en courant dans sa chambre...
... et jure que tout cela ne peut plus continuer (pauvre petite... cette scène est l'une des plus tristes, je trouve, de tout l'album).
The Tale of One Bad Rat n°4 :Elle révèle à Sam et Ruth les abus qu'elle a subi et décide d'écrire à ses parents pour les confronter à l'hôtel-restaurant. Elle dit ensuite adieu à son rat imaginaire, ayant décidé de grandir. Puis hurle tout ce qu'elle a à dire au sommet d'une colline, dans une séquence magnifique résumant l'amour qu'elle a pu ressentir pour ses parents et la haine à leur égard qui la dévore maintenant et l'empêche d'avancer !
Ses parents viennent finalement et remercient les McGregor d'avoir recueilli leur fille. Mais maintenant il va falloir qu'elle rentre...
... Helen en profite pour s'isoler avec son père et le confronter à ses crimes. Elle vide son sac e lui, il essaye de se trouver des excuses... auxquelles Helen coupe court en lui ordonnant de cesser de geindre. Quand il va pour la gifler, il se ravise et fond en larmes. Helen se rend compte à quel point ce type qu'elle craignait est une épave.
Finalement, son père lui demande si elle peut le pardonner et... dans un sourire Helen lui dit d'être réaliste et qu'il a du certainement la prendre pour Jeanne d'Arc ^^ Et elle exige de rester chez les McGregor, ce qu'elle obtient aisément !
L'épisode et la série se terminent sur Helen qui a retrouvé un équilibre chez les McGregor, qui apprend que Ben va bien et a maintenant un groupe, et qui va visiter la maison de Beatrix Potter... où dans une rêverie éveillée elle découvre un manuscrit inédit... l'histoire du vilain rat (que Talbot a dessiné à la manière de Beatrix Potter) !
Et dans la toute dernière scène, Helen est avec sa palette de peinture en train de dessiner un paysage (et non plus de recopier les dessins de Beatrix Potter), en compagnie de son ami... le Rat !
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Un must-read absolu. Et un comic-book d'une intensité qui me laisse encore des frissons. Une histoire d'une puissance extraordinaire. Et une Helen Potter criante de vérité.
En 96 pages Bryan Talbot a créé un récit inoubliable.
C'est aussi un témoignage de plus de l'incroyable catalogue dans les années 90 de l'éditeur Dark Horse Comics (Sin City, Next Men, Grendel, Madman, Hellboy, Concrete, Triple X, Too Much Coffee Man, ...).
La VF de chez Vertige Graphics (sous le titre "L'histoire d'un vilain rat") devrait pouvoir se trouver pour pas trop chère, sinon la VO - à l'unité ou en TPB - est encore largement disponible.
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