« Bonne nuit, vieux et à lundi ! »
Joey salua d’un sourire et d’un geste de la main Billy, l’un des serveurs qui avait fait la fermeture avec lui, et le regarda disparaitre de l’autre côté de la rue. Derrière lui, le club était plongé dans le noir. A deux heures du matin, les employés pouvaient enfin déclarer leur nuit terminer et rentrer chez eux. Joey s’étira et retint un bâillement, sentant la fatigue progresser. La journée avait été longue, après tout. Il avait aidé au marché à l’aube, puis avait enchainé avec un de ses petits boulots, avant de finalement prendre son service au club pour la nuit. Il adorait son dernier travail de la journée, rien à dire là-dessus. La première fois qu’il avait posé ses mains sur un clavier… Il avait eu l’impression de se retrouver. Oh, la mémoire ne lui était pas revenue, non. Son esprit restait désespérément dans le noir. Mais comme pour beaucoup de choses, son corps semblait avoir reconnu l’instrument, et il avait su tirer des notes magnifiques du piano. Heureusement pour lui ce jour-là, le patron du club était dans le coin et avait besoin d’un pianiste pour remplacer celui mort dans l’attaque de Brainiac. Dire que Joey avait eu de la chance ce jour-là était un euphémisme.
Remontant le col de sa veste usée et enfonçant les mains dans les poches, il se mit en route pour rentrer chez lui. Avec un peu de chance, il attraperait le dernier bus et n’aurait pas à faire tout le trajet à pieds. Si parfois marcher ne le gênait pas, cette nuit-là il avait envie de gagner son lit au plus vite. L’appel de l’oreiller était une sirène à la voix irrésistible. Peut-être en faisait-il trop. Peut-être n’aurait-il pas dû faire du temps supplémentaire en aidant à ranger le club. Mais il était jeune, en bonne santé et de bonne constitution malgré son handicap… et il avait besoin d’argent. La chaudière donnait des signes de faiblesses auxquelles il allait devoir remédier. Il faudrait aussi bientôt qu’il refasse sa garde-robe. Et l’argent ne poussait pas sur les arbres.
Il soupira et se secoua mentalement. Il n’était pas à plaindre, dans le fond. Certes, sa situation n’était pas idyllique, mais il y avait beaucoup de personnes bien plus malheureuses que lui dans le monde. Le fait qu’il parvint à attraper le bus lui redonna un peu d’entrain. Il se permit de somnoler un peu durant les 20 minutes de trajets, puis se secoua un peu au moment de descendre. Il lui restait encore une dizaine de minutes de marche. Il habitait dans un coin un peu écarté, dans un quartier non desservi par les transports en communs. Trop risqué, sûrement. Les quartiers les moins aisés n’étaient généralement pas les plus sûrs, à moins peut être d’appartenir aux gangs qui y faisaient la loi. Oh, certes, les supers héros s’occupaient des plus dangereux. Mais même superman ne pouvait pas être partout tout le temps.
Il n’était plus qu’à 5 minutes de chez lui quand il entendit des bruits, derrière lui. Sans ralentir ni accélérer l’allure, il tendit l’oreille. Une sensation désagréable lui effleura l’esprit. Cela lui arrivait parfois, lorsqu’il se trouvait à proximité de gens peu fréquentables. Il ne savait pas trop d’où ça venait, mais… le rire qui résonna à sa droite le ramena à l’instant présent et il retint un soupir. C’était bien sa veine. Il était tombé sur la sortie nocturne d’un des gangs mentionnés plus tôt. Joey finit par s’arrêter lorsqu’il aperçut deux hommes lui barrer la route, un peu plus loin. Si on comptait celui à sa droite et celui ou ceux derrière lui… 4 ou 5 types, rien que pour lui. Il soupira à nouveau. Il avait été si près de regagner son lit tranquillement…
« Eh blondinet, t’es pas un peu suicidaire ? »
Le type sur sa droite renchérit sur celui d’en face.
« Tout seul, la nuit, sur notre territoire… Tu cherches vraiment les problèmes, mec. »
Leur territoire ? Il avait déjà croisé le gang du quartier et ils étaient parvenus à un… compromis. Si ces types ne le connaissaient pas, cela voulait dire qu’il y avait un changement de « proprio ». Merveilleux. Il allait devoir recommencer. Il leva légèrement les mains, pour montrer qu’il n’était pas armé. Autant ne pas énerver ces types plus que nécessaire.
« C’est ça, blondinet, montre tes mains, et surtout, envoi ton fric par ici, et p’tet que tu passeras la nuit. »
Quelle originalité… sans beaucoup d’espoir, Joey signa qu’il n’avait pas grand-chose sur lui, mais qu’ils pouvaient prendre l’argent s’ils voulaient. Plutôt ça que de voir la situation dégénérer. Bien sûr, aucun des types ne comprenait le langage des signes. Ils crurent qu’il se moquait d’eux. Ce qui ne leur plu pas beaucoup. L’un d’eux attrapa Joey par le col et lui lança une droite. Joey retint un nouveau soupir et esquiva le coup, sans beaucoup d’effort. Il en profita pour se dégager de la prise, fermement, mais sans blesser son agresseur. La violence n’était pas la solution. Même s’il était conscient qu’une issue pacifique était hautement improbable. Comme prévu, ses agresseurs prirent ça comme un défi deux d’entre eux se jetèrent sur lui. Malgré sa fatigue, Joey fit le vide dans son esprit, et laissa son corps gérer.
Il avait dit qu’il avait eu l’impression de se retrouver en posant les mains sur un piano. Il y avait des moments où son corps se rappelait pour lui. Et ce genre de situation… lui donnait le même ressenti. Il n’avait pas vraiment besoin de réfléchir. Son corps bougeait presque tout seul. Une application pratique de son tai-chi, et d’autres choses encore. Il détourna le premier poing et faucha les jambes de son agresseurs, le mettant à terre, avant de se baisser pour éviter le coup venant de derrière. Il riposta ensuite d’un coup, paume ouverte, propulsant son adversaire en arrière.
« Connard, tu vas pas faire le malin longtemps ! »
Ah, ils avaient finalement sorti des couteaux. L’un d’eux avait même une arme à feu, il lui semblait. Une chose à la fois. Il esquiva le premier couteau, passant à travers la garde du type et plaçant sa propre attaque qui le plia en deux. Joey en profita pour frapper son poignet, lui faisant lâcher la lame. Un coup bien dosé au niveau de la nuque et l’homme s’effondra, inconscient. Quelque chose lui disait qu’il aurait facilement pu tuer, mais il était hors de question qu’il en vienne là. Il bloqua un nouveau coup de couteau et d’un mouvement de jambe à la fois souple et implacable, il envoya le type rejoindre son copain au sol. Ces hommes n’étaient pas de vrais combattants. Justes des voyous en quête de violence et de pouvoir. Dommage pour eux, ils étaient tombés sur la mauvaise victime.
Une fois encore, Joey se demanda quel genre d’homme il avait été, pour rester ainsi aussi calme dans ce genre de situation, et pour parvenir ainsi à tenir tête facilement à un groupe armé. Il espérait vraiment avoir des réponses un jour. Quelques minutes plus tard, il ne restait plus que 2 types encore debout. Et il entendit le déclic d’une arme. Son regard se posa sur l’homme qui avait visiblement décidé d’abattre celui qui laminait ses petits camarades. Son doigts se crispa sur la détente. Joey se figea et quelque chose de douloureux lui traversa le crâne. Pas une balle non, elle n’était pas encore partie. Mais c’était comme si quelque chose voulait sortir. Simplement, il ne savait pas quoi, et en quoi cela pourrait le sortir de cette situation. L’homme finit de presser la détente. Le coup partit. Le moment était venu pour Joey de découvrir s’il arriverait à être plus rapide qu’une balle…