[TB&TB] Malaise en Malaisie

Quand on était un "collectionneur" d'artefacts et d'antiquités comme l'était Apalala, forcément on entretenait une correspondance suivie avec des antiquaires du monde entier.

Forcément quand on était un Red Lantern comme pouvait l'être Razer, les pics de rage, de colère, bref tout ce qui était situé du côté rouge du spectre émotionnel, ça interpellait.

Quel lien entre un Dragon métamorphe et l'un des disciples d'Atrocitus ? A priori rien ! Mais en y regardant de plus près, on pouvait considérer que l'île de Bornéo, en Malaisie, était un bon départ.

Il y a de ça quelques jours, un homme est sorti de la jungle, en sang... Ses yeux étaient révulsés et ses vêtements déchirés. Il avait l'air fou et faisait de grands gestes avec sa machette. Il porta même un coup avec à un policier et en mordit un autre au sang. Si le premier mourut sur le coup (une artère avait été sectionnée), l'autre périt quelques heures après d'un épisode fiévreux inattendu. L'autopsie montra néanmoins qu'une infection foudroyante l'avait emporté. Avant de mourir, il poussait des cris effroyables. "Tekele-li !", "Tekele-li !" comme cela a été retranscrit phonétiquement par l'un de ses médecins.

L'inconnu qui avait frappé et tué les deux policiers fut incarcéré. Il avait perdu la raison mais, hormis cela, sa santé était bonne. Le sang retrouvé sur lui était clairement humain (et appartenait à deux ou trois autres personnes) mais n'était pas le sien. Mais ce qui lança l'affaire malaise fut la concordance de deux éléments :

- le premier étant que l'inconnu fut identifié en tant que Sir Justice Johnson, un explorateur britannique qui avait monté - il y a de ça quelques semaines - une expédition dans la jungle de Bornéo, cherchant une "chose d'une très grande valeur" (selon ses déclarations de l'époque : Johnson n'avait pas été plus précis, ce qui ne cadrait pas avec son côté fanfaron habituel
- le deuxième étant que des dix hommes de l'expédition, seul Johnson avait pu être retrouvé. Interrogé sur la question, il se contenta de ricaner et de dire que maintenant ils étaient avec le Grand Ver et que c'était très bien. Le reste du temps, il poussait des cris d'animaux et se tapait la tête contre la cellule. Des fois, il était un peu plus articulé. Une fois seulement, il hurla au sujet d'une certaine "pierre de l'Amok"...

... cela n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Un médecin, féru d'occultisme et de vieilles choses, le Dr. Muhammad, comprit qu'il y avait là quelque chose qui pourrait intéresser son correspondant chinois... et écrivit à Apalala de venir au plus vite, si possible, à Bornéo. Là, il lui en dirait plus. Mais pour l'heure, il ne fit que narrer dans sa missive à Apalala ce qui avait déjà été exposé. Pour lui, il y avait de la magie et de la vieille magie dans l'air. Apalala devait venir.

Quant à Razer ? Son anneau réagissait à la rage de Sir Johnson qui était identifié comme "présentant un pic de rage" comme seul pouvait en avoir un Red Lantern... Razer ne serait-il plus seul parmi les siens sur cette planète ?

Quoiqu'il en fut, dans l'aile médicalisée de la prison de Banjamarsin, sur l'île de Bornéo, le Dr. Muhammad attendait non loin de la cellule de Sir Johnson l'aide pour laquelle il avait écrit. Les gardiens avaient reçu pour consigne de laisser entrer Apalala (et n'opposerait certainement aucune résistance à Razer)...

[HJ /

- vous pouvez poster votre arrivée
- les gardes ne poseront aucune difficulté
- bon jeu à vous !

/ HJ]

Les montagnes chinoises étaient généralement bien tranquilles et havre de paix. Depuis voilà des siècles, ces même montagnes alimentaient les esprits qui recherchaient la légende ou le mythe. Entre pèlerins, philosophes ou poètes, le mont Hua pouvait se prétendre demeure de paix, d’équilibre, de connaissance. Ce n’était pas pour rien qu’Apalala s’y était établit. Ce n’était pas pour rien non plus qu’il y était né. Là haut, dans son pavillon perché sur la montagne, il pouvait jouir d’une tranquillité rare en ces jours modernes. Et quand bien même certains eurent connaissance de son existence et de la localisation précise de sa demeure, le dragon avait veillé à ne pouvoir être joignable que par une visite directe de son logis, ou par le biais de quelques montagnards au moins aussi antiques que leurs traditions.
C’est justement l’un d’entre eux qui, aujourd’hui, gravit la montagne jusqu’à au pavillon du Shenlong, dragon spirituel. Lorsqu’il toqua à la porte du logis, son sac chargé de lettres et autres petites contributions, il fut accueilli par un Apalala armé d’une plume dont le bout était encore humide d’encre.

Le dragon s’inclina pourtant poliment. Dans son apparence bipède, il était bien mince et poids plume en comparaison du montagnard ayant passé son existence à gravir les monts.

«Duàn, mon cher ami, bienvenu. Comme tout les mois, je vois que tu es à l’heure et à destination. Allons prendre le thé : Il me tarde de savoir ce que les vents du destin m’ont apportés de ta venue. »

L’homme s’inclina en réponse, et pénétra l’antre du dragon. Propre, bien rangé et pourtant riche de nombreux savoir, le pavillon d’Apalala sentait le papier ancien et l’encre sèche. L’hôte et son invité procédèrent dans l’habitat et s’installèrent dans le salon. Le dragon lui même fit le service du thé. En échange de quoi, le montagnard déballa son sac, mais ne tira qu’une lettre, et une seule.

« Ainsi, tu m’apporte donc du courrier. Intéressant : ce n’est pas tout les jours que l’on prend la peine et le temps de m’écrire ainsi. Cela doit être sans doute important aux yeux de l’expéditeur. »

Apalala se saisit de la lettre, déchira son contenant, et se mit aussitôt à la lire. Il plissa doucement les yeux au fil de la lecture de cette dernière. Une fois qu’il eut parcourut chaque mot et chaque ligne, il replia le papier et le posa sur la table basse qui lui faisait fasse, avant de fermer les yeux et de s’offrir une gorgée de thé.

« Ta présence n’est pas vaine, Duàn : Car en ce jour, tu viens de me livrer une nouvelle affaire qui requiert mon attention. Je te remercie de ta fidélité. Profitons de l’instant présent et savourons notre collation. » dit calmement le dragon.

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Les cieux tropicaux de Bornéo changeaient de l’air frais de la Chine. Glissant dans les airs au dessus des nuages, Apalala avait été contraint d’effectuer plusieurs changements de trajectoires pour éviter de se faire remarquer par un éventuel avion de ligne. De préférence en utilisant les nuages comme couverture. Maintenant qu’il était dans les environs de sa destination il allait devoir amorcer son atterrissage. Mais comment rester discret dans de telles conditions ? Guère le choix, le dragon fut contraint de se métamorphoser en son alter-égo bipède… Avant de procéder à une chute libre. Il transportait sous le bras une boite qu’il agrippait solidement, elle eut été accrochée à son dos auparavant. Le sol se rapprochait dangereusement désormais : le dragon fut contraint de faire appel à sa magie afin de réduire sa vitesse et se poser comme une plume sur la plage.

« Ces bipèdes devraient un jour investir dans des pistes efficaces. Le ciel n’est pas fréquenté que par les avions tout de même. » dit-il pour lui même.

Apalala s’épousseta, vérifia que son présent n’était pas endommagé et s’enfonça dans les terres de l’île. Selon ses calculs, la prison ne devait pas être bien loin. Il suivit les sentiers et les chemins jusqu’à apercevoir au loin, au dessus de la cime des arbres, la silhouette du bâtiment pénitencier. Passant par la route, Apalala dû faire un arrêt par le poste de garde. De part son mètre soixante et son apparence singulière, il fut reconnu dans l’immédiat. On le convia cependant à ouvrir le contenu de sa boîte. Question de sécurité. Apalala s’inclina modestement et se plia au contrôle.

« Ce n’est qu’un simple présent pour le Docteur Muhammad. J’ai pensé entre gens civilisés qu’il était de bonne augure d’offrir quelque chose pour le déplacement. Je suis sûr que mon cher confrère se plaira à découvrir ceci. »

En réalité, cela ne contenait qu’un ensemble de gâteaux chinois ainsi que différents sachets de thé. Rien de bien compromettant. On le laissa ainsi passer et Apalala s’aventura finalement dans l’enceinte même de la prison, à la recherche de son camarade. Il finit par rejoindre son confrère d’études magiques après avoir été guidé vers la cellule de Johnson.

« Mes sincères salutations, Dr.Muhammad. Je vois que vous ne perdez toujours pas de temps quand il s’agit de trouver réponses aux mystères et bizarreries du monde. Je tenais à vous remercier pour votre contact et votre invitation. Je ne doute pas que nous serons en mesure de tirer au clair cette histoire tous ensemble. » narra t-il en se lissant les moustaches.

"Mes sincères salutations également, mon vieil ami" lança le Dr. Muhammad visiblement inquiet.

La pièce où Apalala sous sa forme humaine et le Dr. se trouvaient était plongée dans une semi-obscurité. Une tempête se préparait au dehors et la nuit était déjà bien entamée quand le dragon arriva. Son présent fut accueilli avec politesse mais sans chaleur excessive par Muhammad, contrairement aux habitudes de ce dernier.

Il était évident que quelque chose le préoccupait. Quelque chose qu'il n'avait pas osé mettre par écrit. Quelque chose qui faisait que les gardes avaient accueilli l'arrivée d'Apalala avec soulagement. La même chose, d'ailleurs, qui laissait dans un endroit en principe interdit au public un simple Docteur en médecine et son correspondant chinois, à quelques mètres de la cellule où se trouvait un tueur de policiers...

Muhammad s'éclaircit la gorge et marqua une pause. La peur pouvait se lire dans son regard et il commença, hésitant quelque peu :

"Je suis un homme de science, tu le sais mon vieil ami. Je suis un homme de science qui - et tu le sais également - sait s'incliner devant plus fort et plus grand que lui. Car ce que nous ne pouvons connaître, comme le disait Wittgenstein, nous ne devons pas en parler !"

Ces derniers mots avaient été prononcés avec une pointe d'agacement. Le Docteur semblait lui même un brin fiévreux.

"Mon esprit..." reprit-il en s'asseyant, "mon esprit est soumis à rude épreuve. La proximité avec notre prisonnier est... quelque peu déconcertante. Et ses cris, ses paroles, ses souvenirs sont..."

Muhammad jaugea du regard son interlocuteur et précisa :

"J'ignore s'il s'agit du véritable Sir Justice Johnson ou d'un imposteur mais son esprit n'est plus le sien. Il... Il a certes perdu partiellement la raison comme en témoignent ses cris de bêtes et ses accès de fureur. Mais, quand il est cohérent, il a des connaissances que Johnson ne pouvait avoir ! Et au contraire, il paraît ignare de choses qui sembleraient évidentes à un enfant..."

Le Docteur se redressa et tira une cigarette de sa poche qu'il alluma, fébrilement. Puis, farfouillant dans des papiers éparpillés sur un bureau, prit à la main un compte-rendu médical établi par un confrère. Il le lut à voix haute.

"Johnson a une infection que nous n'avons pu identifier. Il a également une drôle de marques sur la poitrine, circulaire et présentant un diamètre de 7,5 centimètres. Son cerveau a subi également quelques traumatismes mais qui ont pu être chirurgicalement traités..."

Muhammad reposa le rapport sans ménagement puis observa Apalala en tremblant :

"Je crains que Johnson ne se soit aventuré dans des contrées que l'homme ne devrait pas connaître..."

Il marqua une nouvelle pause et Johnson poussa un hurlement terrible depuis sa cellule, située de l'autre côté du mur. Muhammad réfléchit un instant avant de dire.

"... et je crains qu'il n'en soit pas revenu et que cet homme, ce misérable ne soit pas lui... que quelque chose se soit emparé de son corps et ait laissé son esprit captif, quelque part dans la jungle... sans compter le fait qu'il semble, manifestement, victime de l'Amok !"

Razer comme souvent depuis son arrivée sur Terre, flottait dans les airs, loin au-dessus du sol, a la limite de l’espace. C’était l’endroit le plus calme sur cette planète. Là où une sérénité presque parfaite, une sensation qui le faisait se sentir presque… normal… régnait.

Razer cependant était toujours en symbiose avec le Rouge, avec la Rage qui faisait parité de lui, et bien assez tôt, quelque chose commença a titiller son esprit, et attiser sa rage.

Un appel.

Il y avait un autre porteur d’anneau Rouge sur Terre, et il en ressentait la présence!

Ouissante, certaine mais… comme distordue par autre chose. Quelques choses qu’il ne pouvait discerner. Ouvrant les yeux, il fixa le regard vers le bas, vers la Terre, et vit qu’il se trouvait Juste au-dessus du continent Asiatique, plus précisément le pays que les humains appelaient la Chine.

L’appel de Rage venait de ce pays, d’un endroit qu’il lui fut facile de localiser, et il se mit à descendre pour l’atteindre. L’appel était trop puissant et trop pressant pour être ignoré. Trop proche pour être ignoré. Trop distordu pour être normal.

Il approche enfin de sa cible, quelques minutes plus tard, et s’aventure dans un bâtiment construit par les humains, un hôpital pour les malades mentaux, mais il ne s’y arrête guère. Ce qui lui donne pause cependant est que personne ne s’oppose à son entrée… Aucun garde ne se met en travers de son chemin – aussi fou et suicidaire que le juste eut put être mais les humains sont plutôt obtus – et aucun obstacle ne lui narre la route.

Ce n’est pas normal… Pas normal du tout…

Les humains craignent les Red Lanterns. Ils représentent les plus vicieux et violentes de leurs instincts tels qu’ils sont quand on leur laisse libre cour. Rage, colère, haine, destruction.

Alors pourquoi ne le stoppent-ils pas?

Il est maintenant bien avancé dans le bâtiment et utilise son anneau pour demeurer discret. Il n’est pas vraiment invisible, mais sa volonté et le pouvoir de son anneau érigent autour de lui un bouclier de compulsion qui pousse quiconque qui par hasard poserait le regard sur lui a se détourner immédiatement comme s’ils n’avaient rien vu du tout.

La rage est forte ici… Le porteur d’anneau est tout près.

Il traverse un autre couloir et une autre porte et se retrouve dans une sorte d’antichambre. Deux personnes y discutent déjà, et il peut entendre leur dernières paroles… ainsi que le hurlement terrible d’un homme en proie a une rage terrible et… quelques choses d’autre, d’encore pire. C’est un hurlement primal qui fait stopper même un Red Lantern tel que lui.

Ce qu’il comprend cependant, c’est qu’un humain affecté par quelques choses se trouve dans l’autre salle, derrière le mur, quelques choses que le Docteur humain ne peut expliquer. Une… infection, comme il le décrit.

Razer comprends que cet homme… c’est celui qu’il cherche, celui qui apparait tel un porteur d’anneau Rouge, soumis a une rage primale et brûlante.

Il doit le voir. Pour le confirmer… il doit poser les yeux sur lui et voir si, en fait, il est bien en proie a la Rage tel un porteur d’anneau rouge. Il se faufile vers la pièce adjacente et voir une sorte de petite fenêtre sur la porte, qui permet de voir a l’intérieur. Il la pousse en position ouverte et regarde…

Apalala se frotta la barbiche en inspectant un peu la situation qu’on lui présentait. Ce n’était pas vraiment le genre d’affaires dont il avait l’habitude. Néanmoins, il pouvait attester d’une chose bien simple, mais qui constituait en soit un départ : Il y avait effectivement quelque chose d’anormal qui se tramait dans l’esprit de cet homme. Était-ce le vrai ? Difficile à dire : Mais l’anomalie était belle et bien présente.

« Mmh… De fait. Je peux sentir l’étrangeté de ce cas. Je ne suis cependant pas docteur, je ne pourrais donc attester d’éventuelles connaissances médicales sur le sujet. Mais vous parlez d’Amok. Je crois savoir qu’il s’agit là d’un concept de la peuplade locale. Cette histoire de grand ver me laisse tout aussi perplexe : Peut-être avons nous à faire à une forme de possession de la part d’une entité malveillante super-naturelle, ou bien encore d’une créature multidimensionnelle. Peut-être même avons nous sous les yeux la graine d’un grand malaise semé par des forces de la discorde. »

Il approcha un peu plus de la cellule et la contempla longuement, les mains dans le dos. Il ferma doucement les yeux.

« Il est d’usage de connaître la colère, la peur, ou la tristesse. Mais ces états doivent être spontanés et non soumis à la volonté ou force de quiconque. Je vais donc faire de cas une priorité. Nul ne devrait avoir à souffrir de la douleur de la rage éternelle et irraisonnée. Mais je crois bien que pour tirer cette affaire au clair, mon cher ami, il va m’être nécessaire de rassembler plusieurs éléments et indices. Ce qui implique qu’il va m’être nécessaire de m’aventurer là où ce cette pauvre hère à mit les pieds. »

Apalala leva doucement alors la tête, les moustaches tombantes bougeant lentement de gauche à droite. Mmh… Quelle était cette aura ? Les flux magiques du coin semblaient… perturbés. Quelque chose approchait. Sans se retourner, Apalala souffla doucement, et parla.

« On dirait bien que je ne serais pas votre seul invité, Docteur. Il y a quelqu’un en ce moment même qui nous observe. Et je crois qu’il possède sa propre part d’intérêt dans toute cette histoire. »

Il pivota doucement sur lui même… Et finit par s’incliner.

« Je vous souhaite la bienvenue dans notre petite assemblée, étranger. Qui que vous soyez, quoique vous vouliez, peut-être que nous parviendrons à en discuter calmement ? C’est en tout cas ce que j’espère. »

Muhammad sursauta en découvrant la présence de Razer. Il frissonna en se demandant qui était ce monstre et surtout si sa propre dernière heure n'était pas venue. Mais la présence rassurante d'Apalala à ses côtés le calma.

Les présentations étant faites, les méta-humains purent - en compagnie de Muhammad et à travers la petite ouverture dans la porte de la cellule permettant de passer les plats - observer en toute discrétion l'être qui prétendait être Sir Justice Johnson.

Ce dernier était à moitié nu et couvert d'immondices, mélange répugnant entre des restes de nourriture et ses propres excréments. Johnson se mouvait à quatre pattes mais surtout - chose étrange - ne se déplaçait jamais en avant ou en arrière mais toujours sur le côté, un peu à la manière d'un crabe.

Les sons qu'il articulait avec sa bouche n'étaient pas ceux d'un humain. C'était du charabia prononcé dans une langue que personne ne comprenait ni n'avait entendait entre Apalala, Razer et Muhammad. Comme si les cordes vocales humaines n'avaient pas été conçues pour pouvoir prononcer ces terribles phonèmes.

Certains "mots" semblaient revenir de temps à autre. Phonétiquement, on pourrait les écrire ainsi : "Tekele-li" et "Iä ! Iä ! Shub-Niggurath !". Mais rien n'était moins sur... et si Muhammad percevait un quelconque schéma dans tout cela il n'en révéla rien...

L'interrogatoire de Johnson s'avéra futile. Il semblait décliner rapidement. Comme si l'infection qui avait tué deux policiers finissait par se retourner contre Johnson... son esprit était parti et il ne fut pas possible de l'interroger sur les formidables connaissances - notamment en physique des particules élémentaires, domaine dans lequel Johnson était normalement ignare - qu'il semblait avoir - dixit Muhammad - quelques heures auparavant...

*
* *

Le lendemain, Johnson était parfaitement catatonique et une évidence s'imposa : le plan d'Apalala était le bon. Il allait falloir refaire le trajet à travers la jungle accompli par Johnson et son expédition. De toutes manières, Johnson ne pourrait pas les éclairer d'avantage sur la suite des opérations... il semblait être définitivement hors d'état de pouvoir leur répondre !

Muhammad avait repéré sur une carte un parcours qui avait pu être probablement celui de l'explorateur et qui les emmenait dans une région particulièrement hostile, sauvage, mystérieuse et mal cartographiée de l'île de Bornéo.

Au bout de quelques heures de progression lente dans la jungle, ils débouchèrent sur un village misérable dont les habitants paraissaient hagards et apathiques.

Muhammad prévint les aventuriers :

"Ils n'ont visiblement que peu de contact avec le reste du monde. Je vous exhorte d'y aller doucement..."

Sur la place du village, il y avait un étrange totem taillé dans le bois...

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... Muhammad en parut effrayé. Il admit, en bafouillant :

"Ce... Ce ne sont pas des légendes locales. Je... Je ne connais pas ce Dieu..."

Assis sur un banc et détonnant d'avec le reste de la population, un homme la peau noire comme l'ébène, en tenue d'explorateur, fumait un gros cigare et souriait de ses dents blanches...

Il fit signe aux aventuriers de s'approcher et les interpella en ces termes :

"Vos amis sont partis depuis quelques jours déjà dans cette fichue jungle. Ils n'ont pas voulu d'un guide. Allez-vous être aussi bêtes qu'eux en voulant trouver par vous même la pierre de l'Amok ? Ou bien vous allez vous offrir mes services ?"

Le guide ricana. Son rire avait quelque chose de malsain...

... mais le plus étonnant était que personne ne faisait attention à l'apparence de Razer !

Il ajouta finalement à qui voudrait bien l'écouter :

"Votre copain, Sir Johnson, se fichait des légendes du coin et des Dieux locaux. Mais faut pas oublier que les gens des environs adorent des Dieux jaloux et terribles..."

Il cracha au sol puis termina :

"Ouais, jaloux et terribles, comme ce bon vieux Latif... c'est moi, Latif..."

Désormais en route vers les bois sauvages, Apalala réfléchit longuement à ce qui pouvait donc causer trouble ici. Il n’était guère spécialiste des divinités ou présences supernaturelles locales. Mais si il avait apprit une chose : C’était qu’il était toujours permit d’exprimer des doutes sur la permanence ou non de quoique ce soit. Qu’il existe réellement une entité quelque part en ces lieux ne serait guère surprenant. En revanche, quand à l’invité surprise qui avait rejoint l’expédition… Et bien, Apalala en était un peu troublé, mais tout aussi intrigué et intéressé. Il pouvait sentir des choses sur lui. Cela attirait sa curiosité.

Mais les questions viendraient ensuite.

Apalala inspecta un peu la structure en bois sur la place du village qu’ils venaient de rejoindre. Cela ne ressemblait strictement à aucune entité qu’il connaissait. De part la nature presque erratique de la structure, et plutôt déformée, le dragon déduit que l’entité qui observait ses lieux n’étaient peut-être pas des plus magnanimes.

« Très étrange. Cet agrégat de globes oculaires et autres excroissances irrégulières ne correspond à rien de ce que je connais. On dirait bien que si il existe quelque chose ici, nous n’avons jamais été présentés en bonne et due forme. »

L’état du village aux alentours n’était pas des plus rassurants. Mais il n’était pas à exclure que la raison de cet état n’eut été l’intervention de ce cher Johnson. Lorsque cet homme à la peau noire vint à eux, Apalala en fut cependant soulagé. Au moins quelqu’un ici qui ne paraissait pas insensé ou inapte à communiquer.
Le dragon fit une modeste courbette avant de mettre ses mains dans le dos.

« Nous sommes de fait ici pour étudier la situation. Mais contrairement à ce que nous pourrions avoir l’air de désirer, nous ne sommes pas ici pour exhorter un comportement pieu ou une destruction des idoles locales. Cependant, il est un fait que l’environnement local eut été perturbé, et il n’est pas impossible que l’action du Sir Johnson ait attiré les foudres de ce qui a fait de son fief cette île. »

Il tourna la tête vers l’inconnu ayant rejoint l’expédition, dans sa tenue rougeoyante. Il espérait qu’il allait marcher dans ces traces et éviter les signes d’agression directe. Enfin… Il ne le connaissait pas, mais… Il pouvait sentir.

« Pour ma modeste part : Un guide sera parfait. Il est crucial d’apaiser tout le monde sur cette île, et de réparer les erreurs qui ont été commises. »