Red Robin's Creed - Hudson Pyle in : The Dirty Thirties (Années 1930 - Red Robin + LIBRE)

Gotham, les années 1930.
Monarch Theater.

Un baiser volé entre la bourgeoise Ellen Drake et le gentle-womanizer Hudson Pyle, acteur de cape et d'épée, d'extraction modeste. Une lumière aveuglante. Un câble rongé par les nombreux entraînements du comédien et cascadeur. Un cri. Puis... Plus rien.

Mais le jeune homme se relève. Une fine moustache brune, semblable à un trait de crayon, se fond dans un visage poudré ; la lèvre supérieure, tremblante, s'est soulevée en un sourire frondeur. Il aurait pu être ouvrier, docker ou gangster. Mais Hudson Pyle est cascadeur, et c'est assez pour lui ouvrir les portes de la haute société, chaque fois que le rideau se lève, que les cocktails coulent à flot, que le charleston secoue la ville. Mais un dôme de poussière recouvre la cité industrielle. Nul ne sort sans son écharpe, et la police n'a guère le temps de contrôler les identités avant que chacun ne se rende, qui à une fête, qui à un casse, qui à un vice plus immoral encore.

Il a le nez juif, celui d'un homme que la bonne société regarde avec dédain et préjugé. Si le monde ne tardera pas à entrer en guerre face à l'empire antisémite, l'Amérique n'est pas en reste quant aux discriminations. Hudson Pyle, agile et volubile, sait grâce à son statut de petit acteur conquérir le coeur des dames, mais une seule a emporté son coeur, et aucune de ces descendantes de pères pélerins ne pourrait jamais recevoir au doigt de bague de sa part, bien qu'il soit à sa place au Diamond District - trop, sans doute. Il ne remet pas en question sa place dans ce monde, ou le fonctionnement de l'opinion. Mais son hubris, sa soif d'ascension et de liberté le poussent à aimer, à aimer sans mesure, et à aimer celle qui ne lui sera jamais promise. A la nuit tombée, il est en semaine comme le week-end, sous le feu des projecteurs. L'éclairage urbain est sa cape, dans ce monde à couper au couteau. Le coutelas de corsaire est son arme, bien plus que les gesticulations et simagrées auxquelles il se livre comme une seconde nature.

Ce soir, Red Robin est le Cavalier, alias Hudson Pyle. Du fait de la machine du Pr. Nichols, la mémoire de ses gènes s'est activée et sa conscience a pris dans le temps la place de celle de son lointain parent. Mais dans une douzaine d'heures, l'acrobate et aspirant star du cinéma se videra de son sang pour ne plus être qu'un lointain souvenir, balayé par le vent sablonneux des années trente. A moins... A moins que le jeune Timothy ne résolve le mystère d'une mort dont il ignore encore s'il doit la subir ou l'éviter, tant l'Histoire a délaissé cette part de son histoire familiale.

En regardant autour de lui, Hudson, dont l'esprit n'était autre que celui de son descendant Timothy Drake, remarqua d'abord une sale poussiéreuse, comme, il le découvrirait rapidement, l'était l'ensemble de Gotham. Plusieurs capes, foulards et même des visières d'aviation destinées en cet âge à protéger les yeux des brouillards pollués que traînait un vent digne du Sahara, traînaient sur divers porte-manteaux, ainsi que des chapeaux de feutre, accessoire indispensable du gothamite de cette ère.

Plus haut, il identifia les poulies graisseuses et leurs mécanismes - pour un esprit du vingt-et-unième siècle - passablement archaïque et inefficient. De lourds rideaux tombaient depuis non loin de son poste d'observation, plus denses que des armures médiévales et plus immenses que toute structure à hauteur d'homme. Il remarqua une brochure d'un groupe de militants pro-sécuritaire américains, une mafia blanche à même de protéger contre les dangers que dénonçait déjà Hitler en sous-main. De grandes affiches en noir et blanc annonçaient une production dans laquelle Hudson Pyle avait commencé de travailler, avec comme acteur vedette qu'il doublait lors des cascades, un certain Simon Trent. L'acteur bien sous tous rapports était le visage du film sur pellicule, The Gray Ghost. Un polar mêlant action rocambolesque et routine de détective qui empêcherait sans doute un jeune Bruce Wayne de songer à s'apitoyer sur son sort, inspiré par de telles acrobaties justicières. Une flèche empennée par un guerrier roué aux techniques du temps jadis balafrait de son ombre le visage sur papier glacé du jeune premier. Une étrange poudre éparpillée sur les vêtements que portait l'ascendant de Tim commença à lui picoter les yeux et à chatouiller le long nez qu'il arborait à travers ce voyage dans le temps et dans ses gènes.

- Hudson ! Tu ne devrais pas prendre du repos, après ta chute ? Viens mon vieux, on va se boire un petit remontant et se dégoter une charmante compagnie...

La figure de Simon Trent, moins la cicatrice dessinée par l'ombre portée d'une arme assassine laissée dans l'ombre comme un avertissement, babillait sur le seuil de sa loge, située un escalier plus bas. La loge le laissait à contre-jour, ce qui était sans doute pour le mieux vu le silhouette en peignoir de soie qui s'y dessinait. Difficile de dire s'il était vêtu, ou même s'il était sobre - s'il l'avait jamais été. Un accent de la Côte Ouest faisait écho à travers l'immense pièce de la salle de représentations. Apparemment, il y avait un quelquechose de prévu ici qui impliquait la présence de l'acteur star en personne. Plus bas, le vieux Haly (probablement un ancêtre très ressemblant) faisait résonner ses pas, sans doute à la recherche d'un nouveau performer à emmener sur les routes et les chemins de fer.

- Hé ho ! Y'a quelqu'un ? J'suis Haly, on a parlé un peu plus tôt, c'est moi qui ai assemblé le barnum à l'orée de cette ville maudite.

Les hommes de spectacle étaient bien divers, mais si les acteurs sont connus pour leurs excès, les hommes de cirque n'en sont pas moins relégués au rang de vulgaires escrocs, voire pour certains de véritables coupe-jarrets. Les origines roumaines de certains d'entre eux, sans parler des préjugés sur les bêtes de foire, avaient peut-être un peu gonflé cette réputation auprès du bon américain, qui ne demandait qu'à se sentir normal et intégré face à ces personnages de petite réputation.