Recrutement (Fate-Wonder Woman)

New York était bondée, New York l’était toujours. Diana naviguait entre les groupes sur les trottoirs, évitaient les attachés cases, les épaules et les coudes avec une facilité et une grâce qui n’allaient pas spécialement avec la tenue d’employé administratif qu’elle portait mais New York était bondée, New York l’était toujours, et personne ne faisait attention.

Les kiosques de journaux semblaient la suivre du regard – elle-même semblait se suivre du regard, car c’était son visage qui faisait la une, une qu’elle partageait souvent avec Lex Luthor dont la dernière intervention avait été terrible. Déjà, après quelques jours à peine, le monde trébuchait et semblait se préparer à sauter dans un gouffre qu’elle avait combattu et repoussé pendant si longtemps et avec tant d’ardeur. Elle se moquait de l’A.R.G.U.S qui la recherchait activement, des mandats d’arrêts et des agences gouvernementales qui faisaient d’elle l’ennemie publique numéro un. Elle était désolée de ne pas avoir pu s’entretenir avec Steve avant de devenir la cible affichée sur tous les radars, mais elle n’avait pas eu le choix et encore aujourd’hui, elle n’avait aucun regret. Faire partie de ce monde et le servir comme elle l’entendait n’avait pas toujours été facile, et si elle aurait aimé ne pas avoir à faire cet énorme pas en arrière, elle était prête à continuer à aller de l’avant, sans faillir. Son inquiétude grandissante ne venait pas de toute cette histoire, non, mais de Luthor.

Luthor et son annonce qui, déjà, avait causé quelques incidents, ici et là. Un club de motards avait été réduit en cendre au Texas. Les tigres d’un grand zoo en Europe avaient été libérés et lâchés sur la foule, une tribu en Afrique avait été chassée de ses terres ancestrales, et un affrontement violent entre la police et une branche des Yakuza au Japon avait fait quatre morts. Ce n’était que des manifestations en apparence sans lien, des incidents encore à trop petite échelle pour être remarqués, mais Diana, elle, les avait remarqués. Elle craignait pour la paix, elle craignait que l’ordre pour lequel ils luttaient depuis la victoire contre Darkseid ne soit à jamais brisé, et c’était pour cela qu’elle devait agir. Ennemie public numéro un ou pas. C’était pour cela qu’elle était à New York.

Elle tourna sur la droite pour quitter le trottoir bondé en faveur d’une petite ruelle plongée dans l’ombre constante des deux bâtiments qui la surplombaient. Un coup d’œil derrière son épaule lui apprit que personne ne s’était arrêté, personne ne cherchait à savoir ce qu’elle allait faire. Elle était habillée comme la plupart des femmes de New York l’était : imperméable et air préoccupé. Elle n’était qu’une employée parmi tant d’autres. Qui se soucierait d’elle ?

Personne et tant mieux.

Elle se glissa derrière les poubelles, puis bondit pour monter sur l’escalier de secours. Un bond pas très humain mais qui se fit en tout discrétion. Une fois de l’autre côté de la rambade, elle s’assura une nouvelle fois ne pas être suivie avant de commencer son ascension. Voler aurait été plus rapide, mais voler aurait été beaucoup moins discret. Elle retira les lunettes de soleil qu’elle avait porté jusque-là et les glissa dans la poche de son manteau. Elle ne voulait pas réveiller les soupçons en tant que Wonder Woman, mais elle n’était pas là non plus pour se faire arrêter pour tentative de cambriolage. Elle gravit les marches aussi vite que possible avant de s’arrêter devant une petite fenêtre en apparence identique à toutes les autres sur la façade noircie par les pots d’échappement. Mais en apparence, seulement.

Elle esquissa un sourire, força un peu sur la fenêtre pour l’ouvrir puis se glissa à l’intérieur. Elle atterrit avec douceur sur le sol avant de se redresser de toute sa hauteur. Elle se trouvait dans une petite chambre aux murs recouverts de posters, de dessins et autres affiches et au mobilier dépareillé. Une chambre qui devait ressembler à bien d’autres chambres dans ce pays mais à laquelle elle porta un intérêt particulier. Elle jeta de longs regards circulaires autour d'elle avant de reporter son attention vers la raison de sa venue. Car elle n’était pas venue pour cambrioler, voler ou inspecter quoi que ce soit. New York était bondée, New York l’était toujours, certes, mais un seul de ses habitants avait de l’importance à ses yeux.

Une personne actuellement couchée dans le lit qui occupait le coin de la pièce, une jambe pendant dans le vide et ses couvertures enroulées autour de lui.

Diana détacha son imperméable, l’ouvrit pour laisser entrevoir l’armure qu’elle portait dessous puis se tourna vers la fenêtre qu’elle venait d’utiliser comme porte. Elle leva la main et y frappa trois coups secs.

« Toc, toc, » dit-elle en esquissant un sourire. « Je crains de devoir écouter ta nuit, Khalid. »

Khalid était un jeune homme plein de force – un jeune homme qui sans aucun doute deviendrait quelqu’un de bien, Diana n’en doutait pas. Il luttait seul dans un monde qui, déjà, était bien trop dur avec lui et qui l’avait toujours été, d’ailleurs, mais il ne perdait pas de vue son objectif, et pour ça, rien que pour ça, il forçait le respect. Elle avait combattu à ses côtés une fois, il y avait déjà si longtemps, lorsque Morgane la Fée avait fait des siennes en Angleterre et il avait su tenir tête sans ciller. Leurs chemins ne s’étaient plus croisés depuis, mais elle savait qu’il avait rejoint les Titans et qu’il avait continué à se battre. C’était justement ce sur quoi elle comptait.

« Khalid Nassour, » dit-elle avec un petit sourire tout en hochant la tête pour accompagner ses salutations. « Bonjour. »

Elle fit mine de ne pas noter la rougeur sur son visage et le malaise évident. Ce n’était pas dans ses habitudes d’agir de la sorte, mais ce n’était pas non plus dans ses habitudes d’être recherchée dans tout le pays ou de faire face à une crise interplanétaire plus ou moins seule. Une Amazone s’adapte. Et quelque chose lui disait que lui aussi savait s’adapter.

« Je suis heureuse de voir que tu vas bien, malgré ce qu’il s’est passé à St Roch, » dit-elle avec un petit sourire. Elle avait suivi, évidemment, ce qui était arrivé à la tour des Titans, et elle tentait encore de comprendre comme bien des personnes, et c’était d’ailleurs parce que d’autres se penchaient sur le problème qu’elle pouvait se concentrer sur autre chose. L’annonce de Luthor, la Legion of Doom… Leur nombre réduisait, mais pas les menaces.

Elle retira complètement son imperméable et le tendit, à bout de bras, vers son jeune interlocuteur. Elle déplorait le cadre de leur rencontre et aurait largement préféré une discussion bien plus au calme, mais l’urgence l’avait poussée dans ses retranchements. Même l’Ambassade de Themyscira était surveillée et si aucun soldat n’oserait y mettre les pieds ou se dresser face à une Amazone, Diana ne voulait pas non plus que Khalid soit vu en train d’y entrer. Elle croyait en ses capacités et sa force, mais il restait jeune, et elle n’était pas là pour le jeter dans la gueule du loup.

« Tu seras peut-être plus à l’aise avec ça sur le dos, » ajouta-t-elle avec un sourire dépourvu de malice, mais chaleureux et un brin amusé. « Bien que je trouve ta tenue actuelle plutôt spéciale. »

Elle lui sourit un peu plus et attendit qu’il ait récupéré l’imperméable avant de poursuivre d’un ton plus posé.

« Je suis désolée de t’avoir réveillé, et désolée d’être entrée de la sorte chez toi. Et je te remercie, surtout, de ne pas essayer de me livrer aux autorités. » Elle hocha la tête avec gratitude et sérieux. « Si tu le veux bien et si tu me pardonnes mon intrusion, il faut que nous parlions. »

Elle se redressa et présenta ses deux mains devant elle en signe de reddition.

« Mais si tu préfères que je parte, je comprendrai. Tu n’es pas sans ignorer ce que les médias disent de moi et les mesures qui ont été déployées pour m’arrêter. Si c’est un risque que tu ne souhaites pas prendre, je ne t’en tiendrai pas rigueur, Khalid. Mon fardeau n’a pas à être le tien. Je crains cependant de devoir te demander de faire un choix. »

Elle baissa les mains et esquissa un sourire léger sourire.

« C’est un bien terrible discours à entendre dès son réveil, j’en suis consciente. J’espère que tu ne m'en tiendras pas trop rigueur. »

« Evidemment, » laissa échapper Diana avec un petit sourire. Elle jeta un regard au heaume qui venait d’apparaître et qui flottait près de son actuel propriétaire avant de reporter son regard sur ce dernier. « Evidemment. Et quels trucs. »

Elle sentait sa nervosité mais elle voyait surtout à quel point sa posture avait changé juste parce qu’il avait changé de tenue. Si jeune, et pourtant déjà tellement conscient de ce que ce rôle impliquait pour lui mais surtout pour le reste du monde. Quand il était Fate, il n’y avait plus de place pour ses problèmes personnels, plus de place pour ce qu’il pouvait ressentir – il était Fate, et il était là pour servir le monde. Elle le regardait s’avancer et parler, son regard scrutateur mais dépourvu de mauvaises intentions, et elle voyait, aussi clairement qu’en plein jour et ce malgré les tâches lumineuses qui dansaient encore dans son regard après sa transformation, le grand héro qu’il était en passe de devenir.

Elle le laissa poser ses mains sur ses avant-bras et maintint le regard qu’il leva vers elle avec sérieux. Quand il repoussa doucement Diana et affirma à l’oral sa position, elle ne put s’empêcher un léger sourire. Non pas de joie ou à cause d’une hilarité quelconque, non. Ce n’était pas un sourire triste, mais un sourire accueillant, bien que lourd de sens. Elle reconnaissait ce qu’il était en train de faire et elle n’était pas sans en ignorer les conséquences. Si jeune, oui, mais déjà si fort. Etait-il conscient de ce qu’il abandonnait ? Son enfance, ses chances de vivre une longue vie normale… C’était un choix louable, mais un choix dur et lourd de conséquences. Voilà pourquoi elle souriait. Pour adoucir ce choix, pour l’accueillir à ses côtés, pour le remercier et lui apporter son soutien. Tout comme lui le faisait actuellement.

« Diana, » dit-elle doucement. Ce fut à son tour de s’avancer. Elle vint poser sa main sur l’épaule du jeune Khalid. « Appelle-moi Diana, s’il te plaît. »

Elle écarta sa main et le dévisagea un bref instant, songeuse.

« Je n’étais pas au courant pour toi et Rose, mais… C’est bien. C’est bien. C’est important de ne pas être seul. »

Elle jeta un nouveau regard au heaume puis reporta son attention sur Khalid. Il lui avait déjà confirmé de bien des façons qu’elle avait eu raison de venir le chercher lui, mais il ne s’agissait pas juste de ce qu’elle voyait en lui. Le plus important était ce qu’il entrevoyait pour lui-même. Il était au courant de la situation, de ce qui était arrivé à la League, ce qu’elle avait endossé et, surtout, ce que Lex Luthor avait annoncé au monde entier. Il agirait, elle le savait. Il venait lui-même de l’affirmer, et sa posture, son regard ne laissaient aucun doute dessus, mais elle ne pouvait décider pour lui que ses actions, il les ferait à ses côtés.

« Je te remercie, Khalid. Pour ta foi et ton honnêteté. C’est à mon tour de faire honneur à un tel accueil maintenant. Sache que ton admiration n’est pas à sens unique et que c’est là même la raison de ma présence. Je voudrais, si tu le veux bien, que tu viennes te battre à mes côtés pour ces mêmes idéaux que tu viens de citer. Ceux que tu veux servir toi aussi, je me trompe ? »

Elle glissa une main dans son dos et sortit, d’une des petites bourses en cuir qu’elle portait à sa ceinture un dispositif de haute technologie. Pas vraiment une radio, mais plus qu’une puce de traçage, c’était le même dispositif que celui qu’elle avait fourni aux autres membres de la League – la nouvelle League. Celle qui n’avait pas le droit d’exister. Avec ça, elle pouvait les contacter quand elle le souhaitait et annoncer des réunions.

« La League n’est pas complètement tombée, tu dois le savoir. Avec ce qu’il se passe ces derniers, j’ai plus que jamais besoin d’aide. Et j’aimerais avoir la tienne. Je voudrais que tu rejoignes nos rangs. »

Elle marqua une pause, le regard lourd et intense.

« Est-ce que tu sais ce que cela impliquerait pour toi si ta participation venait à être découverte ? »

Diana le laissa venir jusqu’à elle sans bouger. Sa main toujours tendue et le dispositif dans le creux de sa paume, elle attendit qu’il vienne s’en emparer lui-même – car c’était ce qu’il était sur le point de faire, elle le savait. Il l’affirmait déjà dans son discours dont elle ne put s’empêcher d’apprécier la maturité et tous les signes de courage et de détermination qu’elle y trouva. Khalid était jeune, oui, et c’était peut-être ce qu’il estimait être le plus évident chez lui, mais ça ne retirait rien de sa maturité et de son désir d’aider autrui.

Quand il attrapa le dispositif, elle posa son autre main sur la sienne pour le remercier.

« Le monde te poursuivra et cherchera à t’enfermer, et ta chambre, cet appartement… » Elle jeta un regard circulaire autour d’elle. « Y revenir ne sera même plus une option pour toi, plus pour un moment. »

Elle écarta sa main et le laissa repartir, libre, avec le dispositif qui désormais lui appartenait. Qui lui avait toujours appartenu. Il avait raison, et elle en avait été témoin de nombreuses fois : il était déjà craint, lui et tous ceux qui avaient le malheur de ne pas ressembler au modèle que l’on considérait à défaut comme normal et acceptable, et elle le déplorait. Elle continuait à se battre pour ces mêmes raisons. Pour lui, et pour tous les autres. Pour les femmes, et ceux qu’on privait de leur libertés et de leur droit d’exister avec dignité et en paix. Elle était consciente de son privilège et elle en faisait une arme autant qu’elle le pouvait – tout comme lui était conscient des discriminations qu’il subissait. Il ne les avait pas armées, ceci dit. Il s’en était fait un bouclier, et ça ne l’avait pas freiné un instant. Même maintenant, il fonçait aux devants de la haine et du rejet.

Il se tenait face à elle, rosissant de fierté, et elle la partageait, elle aussi.
Fière et tellement admirative… amoureuse, même, de ce monde si cruel mais capable de tant de joyaux et de gemmes.

« Ce sera mon rôle de faire en sorte que cela n’arrive pas, » reprit-elle en se redressant finalement. Elle croisa de nouveau les bras sur son ventre et reprit appuis contre le bureau de Khalid. « Je ne ferai pas de promesse sans être certaine de pouvoir les tenir, mais je ferai de mon mieux, tu as ma parole. Ton aide me sera précieuse – elle le sera au reste de l’équipe comme au monde entier, et je ferai tout pour que ça ne te coûte pas ta vie toute entière. »

Elle sourit doucement.

« Tu es Khalid Nassour, » dit-elle en écho au discours que le jeune homme avait tenu, en apportant encore plus de poids à cette désignation. Il n’y avait pas que le négatif dans ce prénom, il y avait tout le bon aussi, tout ce dont il était capable et tout ce qu’il était sur le point de faire. « Et je suis Diana, Princesse de Themyscira. »

Son sourire s’agrandit.

« Quelque chose me dit que toi et moi allons faire une excellente équipe. »

Certains pouvaient voir en l’âge de Khalid une faiblesse ou même un handicap – et peut-être qu’il se voyait parfois lui aussi de la sorte – mais avant de prendre en considération son jeune âge ou son expérience si courte et différente de ce qu’elle ou d’autres héros plus âgés avaient pu vivre, Diana entendait ce qu’il disait. Il parlait de justice, de vérité, de l’importance de leur mission sur tout le reste, et jamais rien ne serait plus sensé pour elle. Ses mots étaient peut-être différents, mais le sens était le même et la passion surtout, la foi qu’il y prêtait identiques. Bien idiot serait celui qui se détournerait juste à cause du nombre d’étés qu’il avait vu passer.

Une nouvelle aube se levait sur le monde entier, et Diana croyait fermement qu’avoir Khalid à ses côtés, de leur côté à tous, aiderait cette nouvelle ère à bien débuter.

« Bien, » dit-elle avec un petit sourire. Il avait compris le danger et ce qu’il risquait, c’était évident. Et il les acceptait sans hésiter. « Bien, » répéta-t-elle.

Elle l’observa un bref instant, tandis qu’il lui parlait de la Tour du Destin, qu’elle ne connaissait que de nom, et elle eut l’impression vague et lointaine qu’elle aurait dû se tenir à cet endroit même bien avant ce jour. Comme si l’univers avait tout fait pour la mener ici et que son retard et sa résistance avaient rendu les choses un peu bancales, pour que finalement tout reprenne sa place. Elle ressentait soulagement et justesse comme si elle venait d’accomplir une mission des plus importantes alors qu’elle était juste debout, dans la chambre d’un jeune magicien, à regarder ce dernier s’emmêler un peu dans ses explications tandis que ses yeux brillaient d’excitation. C’était une sensation si étrange qu’elle en perdit son sourire, trop concentrée à essayer de comprendre ce déclic cosmique qui s’était opéré en elle, cet appel qu’elle avait l’impression d’enfin entendre et qui semblait la diriger tout droit vers Khalid.

C’était étrange, sans aucun doute. Mais elle connaissait la Vérité bien assez pour savoir que cette dernière ne se dévoilerait qu’après de nombreux détours. Ce n’était pas grave. Diana était patiente et déterminée. Si l’univers avait voulu qu’elle trouve Khalid, elle saurait un jour pour quoi. En attendant… et bien, elle l’avait trouvé.

« J’ai le temps, » finit-elle par dire avec un nouveau sourire. « Si tu es prêt à répondre à mon appel, je réponds au tien aussi. J’ai le temps. »

Elle se détacha du bureau de Khalid, se redressa et désigna le heaume de ce dernier d’un léger geste.

« Montre-moi la Tour. J’ai le temps. »

Elle sourit un peu plus.

« Guide-moi, Khalid. »

Et elle l’entendait de bien des façons.
Il avait beaucoup à offrir, au monde ainsi qu’à elle, et elle savait déjà qu’il l’enrichirait. Elle comptait bien en faire de même.
Et un jour, elle comprendrait pourquoi, mais pour le moment ? Elle suivait le chemin qu’on lui montrait.

Debout et ferme sur ses appuis, Diana avait malgré tout l’impression que le monde entier tanguait autour d’elle. Elle avait la sensation étrange qu’on avait essayé de tirer ses entrailles hors de son corps et que son enveloppe charnelle n’avait pu que suivre pour éviter le bain de sang – maladroitement et un brin en retard. Ca, plus les frissons qui se dispersaient sur tout son corps, on ne pouvait dire que sa première introduction avec la Tour du Destin était agréable. Elle était consciente de la complexité de la magie et de son manque d’expérience de ce côté, alors elle accueillit toutes ces sensations sans chercher à les combattre. Elle était novice et bien loin d’être en plein maîtrise contrairement à son habitude mais ce n’était pas aussi désagréable qu’on pouvait le penser. Elle avait grandi au milieu de temples et de prières, de rituels et de légendes formidables. Elle avait rencontré Dieux et Déesses, voyagé hors du monde et parfois même, en dehors de leur réalité. Elle aimait se rendre compte qu’elle n’avait pas encore tout vu. Elle aimait cette part de mysticisme dans le monde. C’est avec cet inconnu et avec la diversité qu’elle nourrissait son optimisme et sa foi.

« Par Héra, » souffla-t-elle en prenant le temps d’assimiler son environnement.

Elle savait avoir un esprit beaucoup moins étriqué que beaucoup sur la magie, mais même pour elle, ça faisait beaucoup. Elle était reconnaissante de la présence de Khalid à ses côtés car alors qu’elle releva la tête vers ce qui aurait dû être le plafond de la pièce et que ses yeux se heurtèrent à tous ces escaliers et cette absence de sens totale, une pointe d’angoisse se mêla à son émerveillement. Elle n’était personne ici, vraiment. Et pas seulement d’un point de vue magique – d’un point de vue physique également. Elle faisait face à une immensité qui n’en avait que faire de sa personne et dans laquelle elle pourrait se perdre sans l’ombre d’un effort.

« C’est… »

Elle reporta son regard sur Khalid, dont le visage avait disparu sous le heaume. C’était toujours lui – toujours l’uniforme inhabituel pour un Docteur Fate, toujours la même jeunesse qui lui collait à la peau – mais le heaume lui conférait une nouvelle présence. A moins que ça ne soit la Tour tout autour de lui. Il avait l’air d’avoir encore plus sa place ici que dans sa chambre, à New York. C’est cette pensée qui la fit sourire avant qu’elle ne reprenne la parole.

« Magique, » finit-elle.

Elle releva la tête vers les silhouettes plus ou moins précises qui évoluaient sur les escaliers les plus étrange qui lui ait été donné de voir.

« Les Flous, » répéta-t-elle, pensive.

Khalid avait chassé cette première information comme on chasserait un moustique un soir d’été en plein air – d’un geste machinal et peu intéressé. Mais pour Diana, c’était déjà une fabuleuse révélation qu’elle mourrait d’envie d’étudier de plus près. Elle était consciente d’avoir débarqué dans cet univers avec une logique et un sens de l’ordre qui ne pouvaient coller avec ce qui l’entourait. Son désir d’en savoir plus, d’avoir un début, un milieu puis une conclusion à ce mystère n’avait aucune emprise avec cet environnement. Mais elle était têtue. Parfois, terriblement têtue, même.

« Peut-on échanger avec eux ? » demanda-t-elle en baissant les yeux vers Khalid. « Ont-ils une conscience ? » Elle marqua une pause et reprit. « M’as-tu déjà vu parmi eux ? »

Elle releva la tête, laissa courir son regard sur cet étrange tableau au-dessus d’elle avant de réaliser que les escaliers qui lui paraissaient à l’envers étaient peut-être en fait ceux qui étaient à l’endroit, et que c’était eux qui avaient la tête en bas. Elle baissa les yeux vers le sol sous leurs pieds et se rendit compte qu’elle n’aurait aucun moyen de vérifier ou de savoir le fin de mot de l’histoire – et une fois qu'elle admit ce fait comme étant une vérité absolue, sa perception de la pièce dans laquelle ils étaient éclata en morceau. Si elle continuait sur ce chemin, alors pourquoi ne pas envisager qu'ils pouvaien eux aussi être les Flous d'un autre moment et d'autres spectateurs ? Ca la fit sourire de nouveau.

« Cet endroit est extraordinaire. Je n’ose imaginer le temps qu’il faut pour en maîtriser chaque recoin. » Elle ramena son attention sur Khalid. « Ce n’est de toute évidence pas une course, mais une épreuve d’endurance, alors ne sois pas inquiet, Fate. »

Diana écouta les petites explications de Khalid avec un petit sourire aux lèvres qui trahissait son intérêt certain et le plaisir qu’elle prenait à en découvrir plus sur son monde. Un monde entremêlé à celui connu de tous, qui fleurissait dans l’obscurité et dont les règles n’étaient pas les mêmes. Elle aussi venait d’un endroit comme celui-ci, hors du temps et de ce qui semblait immuable, différent mais tout aussi réel. Elle aussi avait dû s’habituer à un toute autre univers à un âge plus proche de l’enfance que de l’âge adulte – tout comme Khalid. Elle avait dû tout réapprendre, détruire ce qu’elle pensait indestructible pour accepter qu’autre existe sur les mêmes fondations. Ca l’avait rendue plus forte de découvrir le monde des Hommes et d’être autant frappée par toutes ces différences, car elle avait rapidement appris à choisir sa propre voie. A voir le bon et le mauvais dans ce qui venait de Themyscira et du reste du monde. Elle n’avait aucun doute que ça serait la même chose pour Khalid – qui se retrouvait à devoir assimiler tant d’informations, mais qui le ferait avec brio. Ce mélange l’enrichirait et le rendrait encore plus spécial.

Déjà, il se frayait son chemin. Défendu d’interagir avec ceux qu’il appelait les Flous par Kent Nelson, son prédécesseur, son mentor et surtout, son grand-oncle, Khalid envisageait déjà de contourner cette règle. Il était différent d’elle en bien des points, et pourtant… pourtant, les similitudes étaient bien là, elles aussi.

Elle le suivit donc à l’intérieur de l’ancien bureau de Kent, dont l’intérieur rappelait en tout point son précédent propriétaire. Elle devina que Khalid n’avait pas pour habitude d’y mettre les pieds bien qu’il soit l’actuel maître de la Tour et de son contenu, comme l’était Kent avant lui. Elle regrettait la disparition du précédent Docteur Fate, avec qui elle n’avait pas toujours été d’accord, mais dont elle avait toujours respecté la puissance et la sagesse.

« On peut, » acquiesça-t-elle avec un sourire en direction de Khalid.

Elle jeta un nouveau regard circulaire autour d’elle.

« C’est un bureau très bien rangé et très ordonné. Très différent de la chambre dans laquelle je t’ai trouvé. »

Elle fit un pas vers l’immense fenêtre qui permettait à une lumière qui ne semblait venir de nulle part et qui pourtant paraissait chaude et naturelle, d’inonder la pièce. Pas un grain de poussière, pas un livre mis de travers. Le bureau de Kent, Docteur Fate, Khalid avait-il dit, de sa voix légèrement étouffée par le heaume qu’il portait.

Il lui faudrait du temps, mais c’était un chemin qu’il se devait d’emprunter.

Elle se retourna vers lui, toujours avec le même sourire aux lèvres.

« J’ai hâte de voir ce que tu feras de cet endroit. J’espère que tu m’accorderas l’honneur de pénétrer de nouveau dans le bureau de Docteur Fate en temps et en heure, Khalid. »

Son sourire gagna en intensité avant qu’elle ne se tourne complètement vers lui, l’air innocent.

« Dis-moi ce que je dois faire. Je suis prête. »