Bones of metal | Ft. Wonder Woman

Diana n’était pas réceptacle de magie au même titre que Zatanna, mais elle n’était pas non plus étrangère aux arts occultes. La puissance des Dieux et Déesses de ce monde et d’autres venait de la magie après tout, et sa propre existence, son enfance, ses sœurs et son foyer, baignaient dans une magie omniprésente. Ses sens étaient aiguisés, qu’il s’agisse de ceux nécessitant des sujets tangibles, ou des autres ; et c’est pour cela qu’elle marqua une pause à l’entrée du manoir Zatara. L’endroit lui donnait l’impression de vibrer légèrement, sous la surface de la réalité qu’il manipulait sans difficulté, et même l’air lui semblait plus dense, plus électrique. Elle ressentait la puissance du Shadowcrest, mais c’était une puissance dormante et paisible, comme un long fleuve tranquille. Pour le moment. Et parce que Diana avait été invitée. Le manoir n’obéissait qu’à une seule et unique personne.

Diana s’avança donc sans crainte, mais avec une admiration toute respectueuse et frappa à la porte. La voix de Zatanna lui parvint aussi clairement que si la magicienne s’était tenue juste à côté d’elle malgré la grande porte toujours fermée. Diana hésita un bref instant avant de s’emparer de la poignée ; elle ne se rappelait pas avoir jamais ouvert elle-même la porte du Shadowcrest. Aucun éclair ne jaillit du ciel pour la punir, aucun sort ne l’expulsa, et elle put donc pénétrer dans le manoir sans encombre.

« Trop longtemps, en effet, » concéda-t-elle en se tournant vers la propriétaire des lieux qui s’avançait vers elle. Diana la salua d’un sourire et d’un léger hochement de tête. « Cela me fait plaisir de te revoir. »

Les derniers temps avaient été durs, et Diana avait fort à parier que Zatanna avait elle aussi dû payer le prix fort de la prise de pouvoir de Lex Luthor. Mais, si les circonstances étaient bel et bien terribles, les faits restaient les mêmes : Zatanna était une amie et elle était heureuse de la revoir à priori en bonne santé.

A priori.

« Je ne me sépare jamais du Lasso d’Hestia, » répondit-elle à la remarque de Zatanna. Elle emboîta le pas de la magicienne, non sans avoir lancé un ultime regard vers les portes d’entrée. « C’est un objet très précieux, » reprit-elle, les yeux rivés sur les portes.

Elles disparurent au premier tournant qu’emprunta Zatanna, et Diana reporta donc son attention sur cette dernière. Elle vint effleurer du bout des doigts le Lasso à sa hanche, comme pour s’assurer qu’il était bel et bien là. L’endroit débordait de magie et cela pouvait parfois interférer avec l’énergie dégagée les artéfacts que lui avaient offerts ses Patrons ; et elle mit donc son étrange obsession de la porte d’entrée du Shadowcrest sur le compte de ce phénomène particulier.

« Je dois avouer que ton appel m’a intriguée, » dit-elle quand elles s’arrêtèrent dans une bibliothèque. Elle s’écarta pour laisser Zatanna ouvrir un passage secret et ne put s’empêcher de sourire à la vision familière qu’était le petit escalier qui s’enfonçait dans les profondeurs du manoir. « Puisque tu insistes. »

Elle sourit à la magicienne et s’engagea donc la première dans le passage secret. D’abord plongées dans l’obscurité, les marches se dévoilèrent ensuite après l’intervention de Zatanna qui alluma toutes les torches. Diana était intriguée, oui, c’était le cas de le dire, mais elle avait trop d’expérience pour perdre son temps à poser une douzaine de questions qui resteraient sans réponse. Zatanna, aussi douée et efficace qu’elle était, restait une magicienne comme les autres : son amour du mystère et des révélations parfaitement bien chronométrées était légendaire. Diana descendit donc patiemment jusqu’à déboucher sur ce qui semblait être un donjon moyenâgeux.

« Je ne m’inquiète pas, » reprit-elle quand Zatanna lui passa de nouveau devant pour la diriger vers leur but final. « Mais je dois avouer que je me pose quelques questions sur l’identité de cette personne que tu tiens tant à me présenter… Ce sont des barreaux très épais, après tout. »

Elle céda donc finalement à la décoration de la pièce et posa une main prudent sur la garde de son épée, sous sa cape. Zatanna aimait les mystères, oui, et son air enjoué, l’étincelle de malice dans son regard ne faisaient rien pour atténuer celui-là, de mystère. Mieux valait prévenir que guérir.

« Prête, » affirma-t-elle d’un hochement de tête. Elle reporta son regard sur la magicienne et l’évidente bonne humeur de cette dernière l’atteignit malgré elle. Elle s’autorisa un sourire et un petit soupir. « Par Héra, Zatanna, qu’est-ce que tu caches là-dedans… ? »

« Ducon le démon, uh ? » Diana s’avança vers la cage, sa main toujours sous sa cape, près de la garde de son épée, pour voir un peu mieux la raison de sa présence ici. « Voilà un nom bien improbable, » ajouta-t-elle, pensive.

La créature riva sur les deux jeunes femmes un regard jauni et dans lequel Diana lisait sans grand peine la haine et la colère. Rares étaient les prisonniers coincés derrière des barreaux qui ne ressentaient pas au moins une version de ces deux émotions, mais venant du démon, ces sentiments étaient particulièrement lourds et difformes. Elle n’aurait pu l’expliquer, mais elle le ressentait. Ducon le démon était bel et bien un démon, et un démon particulièrement frustré de se retrouver dans les sous-sols du Shadowcrest.

Diana s’écarta finalement de la cellule en relevant les yeux vers les barreaux. Zatanna avait raison. La cage semblait solide, mais l’énergie qu’elle dégageait l’était encore plus. C’était cette force qui frustrait le démon plus que tout, car elle pesait sur lui encore plus que sur Diana et le privait de nombre de ses pouvoirs.

« La perfection d’or nous dira ce qu’il cache, qu’il parle notre langue ou pas, » dit finalement Diana. Elle lâcha son épée une bonne fois pour toute et attrapa son Lasso à la place. Elle en déroula plusieurs boucles pour le prendre en main. « Dans son état actuel, je doute qu’il offre grande résistance aux propriétés du Lasso. »

Mais. Mais. Elle avait senti sa marque familière en entrant dans le manoir, comme si l’artefact divin avait essayé de lui dire quelque chose. Elle le sentait encore… étrangement agité, si l’on pouvait utiliser un tel terme en parlant d’un objet inanimé. Le Shadowcrest était un berceau de magie à l’état pur, et cette énergie était en mouvement constant. Ca ne serait pas la première fois qu’elle utiliserait le Lasso dans un tel cadre, mais elle l’avait toujours fait avec précaution quand c’était le cas. Elle en ferait de même.

« Tu peux le libérer. »

Ce que Zatanna fit. La porte s’ouvrit dans un grincement sinistre, et Ducon le démon ne se fit pas prier pour s’emparer de l’occasion. Il se redressa et se dévoila ainsi encore plus grotesque et charnu qu’il n’avait semblé l’être dans sa position recroquevillé. Il se mit alors en mouvement et se rua vers la sortie de sa prison avec une vitesse et une agilité qui surprit sincèrement Diana. Une telle créature à l’allure si maladroite qui se mouvait avec autant d’efficacité… Il y avait de quoi vous hérisser les cheveux sur la nuque.

Malheureusement pour le démon, ceci dit, aussi rapide qu’il fût, Diana l’était encore bien plus.

Le Lasso claqua dans les airs tandis qu’elle le brandissait devant elle. Il s’enroula autour d’un des barreaux de la cellule et se tendit quand Diana se déplaça sur le côté, créant ainsi un piège des plus basiques mais qui fit mouche. Le démon se prit les pieds dans la corde ainsi tendue et bascula en avant. Il n’en fallut pas plus à Diana pour se ruer sur lui. Elle le maintint au sol en posant son pied sur sa poitrine et enroula le Lasso autour de son cou de quelques courbures du poignet. C’étaient là des gestes familiers qui demandaient désormais plus d’instinct que de réflexion, si bien que sa cible se retrouva bloquée au sol, le Lasso autour de son cou et immobilisé par la tension que Diana maintenant dans la corde en un clin d’œil.

Sa tentative avait été futile dès le début, mais ça ne l’empêcha pas de pousser un grognement de colère et de frustration.

« Bien, » dit Diana. « Reste tranquille, je ne cherche pas à t’étrangler. »

Elle releva les yeux vers Zatanna et découvrit cette dernière en retrait, à sa grande surprise. Elle lui avait demandé de maîtriser Ducon, certes, mais… il avait fait preuve d’une grande détermination quant à sa tentative de fuite et il leur fallait parer à toute éventualité. Mais la jeune femme se tenait éloignée du démon et Diana crut voir passer quelque chose dans ses yeux. Du regret ? De la … de la honte ? Elle n’était pas sûre. Il y avait de la douleur en tout cas, c’était évident. Et, une fois de plus, le Lasso s’anima entre ses doigts. Diana en sentit la chaleur familière dans son cœur. Il y avait d’autres secrets dans le Shadowcrest que les grimoires de magie cachés dans des placards fermés à double tour, elle en était maintenant convaincue.

Elle les percerait à jour.

« Il est à la merci du Lasso, maintenant. » reprit-elle d’une voix posée, les yeux rivés sur Zatanna. « Il ne pourra rien cacher à son pouvoir. »

Elle reporta son attention sur le démon. Chaque chose en son temps.

« Très bien… A toi, maintenant. Le Lasso d’Hestia te force à dire la vérité et lutter est inutile. Alors je t’écoute. » Elle tira légèrement plus sur le Lasso. « Qui es-tu exactement et que fais-tu dans notre monde ? »

Les tentatives de joutes verbales bien pauvres du démon tombèrent dans l’oreille d’une sourde. Diana avait entendu des provocations bien plus efficaces que celles crachées par Bogrol, par des créatures bien plus terrifiantes également. Il était en position de faiblesse et il faisait de son mieux pour en adoucir la brûlure à son égo démesuré. C’était tout particulièrement évident grâce au Lasso qui le maintenait au sol, sous elle, et qui mettait à nue ses misérables tentatives de fuite. Il pouvait se tortiller comme un vers autant qu’il le voulait, il n’était pas au bout de ses peines et rien de ce qu’il pouvait dire ne changerait cela. Ceci dit… si on mettait de côté la misogynie peu inventive et les propos provocants qui manquaient d’ingéniosité, il y avait quelque chose à tirer du flot de paroles qui sortait de la bouche du démon.

« Es-tu venu seul ici ? »

Si un démon s’était montré suffisamment mécontent de sa vie en Enfer pour décider de s’octroyer une pause dans le plan de réalité du Monde des Hommes, il était possible que d’autres aient eu la même idée. La même mauvaise idée, certes, mais il lui fallait avoir le cœur net.

Et il y avait Zatanna aussi. La colère de cette dernière avait confirmé bien des choses, mais contrairement à ce qu’elle semblait pensé, le démon n’avait été que peu utile à la découverte de cette vérité-là. Les signes étaient bien sûr toujours plus évidents quand leur raison était mise à jour, mais Diana avait déjà pressenti quelque chose. Elle aurait remonté la piste tôt ou tard, et serait arrivée exactement au même point. Dans une telle situation, elle aimait à croire que tôt valait bien plus que tard, et elle savait qu’elle saurait faire voir la même chose à Zatanna. Mais pour le moment, il ne fallait pas que cette dernière se dérobe. Pas tout de suite.

« Elle t’a enfermé pourtant, je me trompe ? » reprit-elle en baissant les yeux vers Bogrol. « Affaiblie ou pas, femme ou pas, c’est elle qui t’a jeté dans cette cage, et c’est à cause d’elle que tu es dans cette position. A cause d’elle aussi que tu retourneras d’où tu viens. »

Elle tira un peu plus sur le Lasso. Il n’y avait aucune magie dans l’artéfact qui pouvait être comparée à celle que Zatanna pouvait, d’ordinaire, manipuler. Aucun sort et aucun manuel d’instructions, mais Diana savait instinctivement comment s’en servir. L’esprit de Bogrol était loin d’être le dédale qu’il espérait certainement lui opposer alors il y était d’autant plus aisé d’y naviguer.

« Tu as peur d’elle. Et de moi. Tu as peur du pouvoir que nous avons, parce que le tien n’est pas à la hauteur, démon. Ce n’est pas la colère ou le dédain qui t’ont poussé à fuir ta contrée et ta Reine. Tu… tu en as peur ? »

Elle releva la tête vers Zatanna. Cette dernière était prête à sortir et Diana ne pouvait pas la stopper tant qu’elle maintenait Bogrol, ce qui la laissait avec un choix évident à faire. Elle laissa échapper un léger grognement avant de saisir le démon par la gorge. Elle desserra le Lasso en tirant d’une façon bien spécifique dessus et le ramena en arrière avant de jeter la créature dans sa cellule. Elle referma rapidement la porte et le fusilla du regard.

« Nous n’en avons pas fini, démon. »

Elle se détourna rapidement de la cage pour rejoindre Zatanna hors de la pièce. Il ne lui fallut que quelques enjambées pour la dépasser et lui bloquer le chemin en se plantant devant elle.

« Cela fait trop longtemps que nous n’avons pas travaillé ensemble, Zatanna, aussi je crois qu’il me faut te rappeler que je n’aime pas particulièrement qu’on me laisse dans le noir. »

Son visage perdit toute trace de sévérité et quand elle reprit la parole, ce fut avec douceur et même affection. Elle leva la main et la posa sur l’épaule de la magicienne.

« Dis-moi ce qu’il se passe, mon amie. S’il te plaît. »

Diana resta silencieuse alors qu’elle suivait Zatanna à travers les différentes pièces du manoir. SA démarche rapide et saccadée était tout autant une révélation de ce qu’il lui arrivait que ce qu’elle expliquait, car enfin, Diana avait l’impression de voir la magicienne telle que cette dernière était, et non pas via un écran de fumée qu’elle aurait monté de toute part. Elle savait à peu près à quoi s’attendre, d’un point de vue vérité. Recoller les morceaux n’était pas si compliqué que ça, mais ce n’était pas ses morceaux à elle, alors elle s’abstint de tout commentaire jusqu’à ce que Zatanna ne l’invite à prendre place devant elle.

Diana obéit et attrapa le verre qu’elle inspecta d’un bref coup d’œil.

« J’apprécie tout particulièrement le vin rouge, » répondit-elle. « Mais je n’ai rien contre le whisky. »

Elle ne porta pas le verre à sa bouche ceci dit, et préféra plutôt garder son attention sur Zatanna tandis que cette dernière achevait son histoire. Son instinct avait donc été le bon, même si elle aurait préféré se tromper. L’image des doubles portes du manoir que Zatanna refermait à la main ne cessait de s’imposer à son esprit, tout comme la vitesse avec laquelle la magicienne s’était écartée quand elle lui avait présenté l’affreux démon dans les prisons. Comme à chaque fois qu’une vérité était dévoilée, les problèmes ne s’arrêtaient jamais là, bien au contraire.

Diana reposa son verre sur la table basse, ses yeux rivés sur Zatanna.

« Tu n’aurais jamais dû tenter de neutraliser Faust toute seule. Il est dangereux, et son alliance avec Lex Luthor ne le rend que plus puissant. » Elle laissa échapper un petit soupir. « Mais j’imagine que tu sais que c’était une erreur maintenant, alors je ne vais pas en rajouter. Surtout que… je comprends. Je n’ai pas ce lien que tu partages avec la magie, Zatanna, mais je comprends le besoin de redresser un tort, une injustice. J’en comprends le fondement. »

Elle esquissa un petit sourire.

« J’accepte tes excuses. Tu ne pensais pas à mal. Nous avons mieux à faire, de toute façon, que de chercher à changer le passé. Ce qui est fait est fait. Concentrons-nous plutôt sur ce qu’il t’arrive. » Elle marqua une pause, puis reprit, sur un ton plus léger. « C’est pour ça que tu aurais dû me demander de l’aide et non pas pour un pauvre démon misogyne. »

Elle se redressa sur le canapé, toute trace de tentative de malice disparue de son visage. Son Lasso n’était plus aussi bruyant maintenant qu’elle se tenait enfin au cœur de la vérité, mais tout ce qu’elle portait et qui avait été forgé par ses Patrons continuait malgré tout de bourdonner légèrement. La magie de cet endroit réagissait avec tout ce qui lui ressemblait, de près ou de loin. Elle n’aurait su dire comment ou pourquoi, mais Diana avait la certitude totale que le Shadowcrest réagissait aussi avec Zatanna. Elle restait la maîtresse de ces lieux, et c’était sa présence à elle que le manoir répandait dans les couloirs et les pièces qui le constituaient. Ce qui, en bref, lui indiquait que sa jeune amie n’était peut-être pas loin de la vérité quand elle avait parlé de blocage mental.

« Qu’est-ce qui te faire croire que le cœur du problème se trouve ici ? » demanda-t-elle en imitant le geste de Zatanna pour désigner sa propre tempe du bout des doigts. « Quelque chose de similaire t’ait-il déjà arrivé auparavant ? »

Elle tendit le bras et attrapa la bouteille de whisky toujours ouverte sur la table basse et la referma avant de la poser par terre, à ses pieds, et par conséquent, hors d’atteinte de Zatanna. Elle ne dit rien de plus sur le sujet, mais son geste était suffisamment éloquent pour que Zatanna comprenne qu’elle n’était pas dupe.

« L’esprit est une arme puissante, » reprit-elle ensuite, l’air de rien. « Sur Themyscira, nous croyons que l’esprit et le corps sont intimement liés et qu’ils doivent coexister en parfaite harmonie pour nous permettre de vivre normalement. Une Amazone dont l’esprit serait blessé ne serait jamais autorisée à combattre, pas plus qu’une autre dont le bras serait cassé. Ta magie est un prolongement physique de ton corps, mais elle réside principalement dans ton esprit, n’est-ce pas ? »

Elle se pencha en avant, toujours assise au bord du canapé, et posa sa main sur la table basse entre elle et Zatanna.

« Comme tout bras cassé, un esprit fracturé peut être soigné et réparé. Les blessures d’une Amazone sont toujours sources de fierté et de force, car elles font preuves d’une volonté d’acier et de courage. Qu’il s’agisse d’une cicatrice ou d’un traumatisme qui n’est pas visible. »

Elle esquissa un petit sourire, ses yeux plongés dans ceux de Zatanna.

Diana écouta patiemment les confidences de son amie, et à la confusion si évidente de cette dernière, elle ne put que répondre avec douceur. Elle lui adressa un petit sourire, hocha doucement la tête pour lui faire comprendre qu’elle savait que sa douleur était réelle et qu’elle compatissait. Une oreille attentive ne suffirait pas, mais elle croyait fermement que cela ferait un formidable premier pas dans la bonne direction. Zatanna semblait déjà avoir un début de réponse à ses propres problèmes, mais elle savait aussi que cela n’était que maigre réconfort. D’abord sous la tutelle d’un père aimant mais certes exigeant, puis croulant sous les responsabilités et le destin du monde, Zatanna s’était petit à petit persuadée que la seule raison de son existence, sa seule utilité résidait en sa magie. Elle parlait d’échec, de mental brisé comme si c’était des tares, comme si elle en était responsable, comme si elle avait failli à son devoir, à ce qu’elle devait être.

« Tu existes au-delà de ta magie, Zatanna, » lui fit remarquer Diana, d’une voix douce et patiente, mais qui ne souffrirait aucune discussion. Elle ne faisait qu’énoncer un fait, et gare à la magicienne qui viendrait la contredire. « Tu n’es pas juste Zatanna Zatara, fille de grand magicien. Tu existes au-delà des responsabilités que tu as décidé d’endosser, et des combats que tu choisis de mener. Tout comme moi, j’existe au-delà de mon identité de Wonder Woman. »

Elle esquissa un sourire mais quand elle riva son regard dans celui de Zatanna, elle le fit avec sérieux et même gravité.

« Sauf si, peut-être, tu penses que je ne devrais pas ? »

Oh, Zatanna n’était pas stupide, elle ne se laisserait pas berner par le faux air interrogateur de Diana. C’était une question piège dans toutes les règles de l’art, mais le fait que son amie en soit parfaitement consciente n’en réduisait absolument pas l’efficacité. Consciente de la dureté de sa question, mais aussi de ce qu’elle forçait Zatanna à réviser – toute son existence, en fait – Diana se permit un nouveau geste plein d’affection. Elle se pencha un peu plus au-dessus de la table basse, sourit plus franchement et accepta, d’un léger signe de tête, de changer de sujet et d’épargner la jeune magicienne.

Pour le moment.

« Aujourd’hui, oui, je le suis, » répondit-elle donc sincèrement à la question de Zatanna. « Mais ma réponse aurait été différente il y a encore quelques semaines. Après l’attaque de Luthor contre l’Olympe… »

Elle se tut, happée par les souvenirs de ces moments. Il avait massacré ses Dieux et Déesses, réduit ses Patrons au néant et ainsi condamné son peuple à un chagrin et une douleur que les Amazones n’avaient encore jamais connus auparavant. Elle s’était tenue parmi ses sœurs, elle avait écouté leurs pleurs, et elle avait fait son deuil avec elles. Les temples étaient devenus froids, et l’essence même de Themyscira semblait s’être envolée. Elle avait pleuré Bruce et elle s’était rendue compte que le monde n’était plus aussi attrayant qu’il ne l’avait été, qu’il en valait moins la peine.

Mais elle était revenue. Bruce aussi. Et… il se passait des choses qu’elle ne comprenait pas – pas encore.
Elle était prête à chasser la vérité de nouveau.

« Ces jours furent sombres et terribles, et le Soleil même semblait être dépourvu de toute chaleur. » Elle esquissa un petit sourire en redressant la tête. « Mais j’ai de nouveau foi. Aujourd’hui, oui, je me bats. »

Elle posa ses coudes sur ses cuisses et entrelaça ses doigts tandis qu’elle se rapprochait encore plus du bord du canapé, encore plus de Zatanna.

« Ce n'est pas grave de sombrer dans l'obscurité, » dit-elle avec un petit sourire. «Le jour se lève toujours. Mais si c’est une main tendue qu’il te faut pour revenir, sache que la mienne sera toujours là, pour toi. »

« Ton soutien sera toujours solide, Zatanna, » reprit Diana avec un petit sourire un brin amusé. « Je ne te suivrai pas dans cette tentative de diminution. Je sais quelle magicienne tu es et sera toujours. »

Elle dévisagea un instant son amie avant de reprendre, d’une voix un peu pensive.

« Mais voilà peut-être le cœur de ton problème. Tu es cloîtrée dans le Shadowcrest, jour après jour, à ruminer tes pensées et à t’auto-flageller pour ce qui t’arrive. Peut-être qu’il suffit juste que tu sois… Zatanna. Juste Zatanna. »

Elle se redressa sur le canapé et se laissa aller contre le dossier sans lâcher Zatanna des yeux. Elle avait toujours été de nature observatrice, un talent qu’on n’avait eu de cesse d’attendre de sa part qu’elle ne l’améliore tout au long de son entraînement. Elle voyait l’embarras de Zatanna car il était clair et solide. Il était là, juste devant ses yeux. L’agitation nerveuse de ses mains, son refus de faire face à son regard la plupart du temps, et ses tentatives d’humour pour se protéger. Mais elle en voyait certaines des causes également, à savoir le regard bref que Zatanna avait jeté en direction de ses lèvres, la réalisation qu’elle n’avait pas été physiquement présente pendant les dernières épreuves que Diana avait traversées. Comme si on pouvait être là pour faire face à tout aux côtés de ses amis. Ces héros, ces humains, toujours à attendre d’eux-mêmes l’impossible avant de se punir encore et encore quand ils échouent, inévitablement.

Diana esquissa un petit sourire et reprit, d’une voix plus détendue, plus douce. Presque intime. Elle ne parlait plus en tant que Wonder Woman. Juste en tant que Diana.

« Je ne suis pas très familière avec les loisirs du monde des Hommes, alors que j’y ai passé bien plus de temps que sur mon île ces dernières années. »

Ces héros, ces humains. Toujours à attendre d’eux-mêmes l’impossible, le meilleur. Parfois, elle était coupable de ce même crime, et elle en était consciente.

« Il y a tant à faire, tant de gens qui ont besoin de mon aide, constamment. »

Elle ne parlait pas avec regret, juste avec … tristesse. Douleur, aussi. Elle avait foi en sa mission, bien plus qu’elle n’avait eu foi en ses Patrons. Elle croyait sincèrement au sauvetage de l’humanité, elle croyait que rien n’était perdu. Plus que ça, même, elle aimait ce monde, elle aimait ses possibilités, et elle aimait aider. Elle avait seulement l’impression, parfois, d’être en pleine course contre la montre avec comme adversaire l’univers lui-même et aucune indication du temps qu’il lui restait pour arriver à son but.

Elle croisa le regard de Zatanna et elle sut que cette dernière comprendrait, si elle venait à lui en parler.

« Que ferais-tu, là, maintenant, si tu étais juste Zatanna, sans magie, sans devoir ni obligation ? Comment occuperais-tu ta soirée ? Comment t’amuserais-tu ? » lui demanda-t-elle en souriant.

« Evidemment que j’ai raison, » nota Diana avec un petit sourire en coin.

Il lui semblait alors que la conversation venait de dépasser le stade de la tristesse et des regrets qui les avaient prises en otages toutes les deux, et qu’elle pouvait accueillir de nouveau un peu de légèreté dans leur échange. Même l’air du Shadowcrest, tout autour d’elle, lui semblait allégé. Le souvenir des deux portes d’entrée qu’elle avait refermées elle-même et qui s’était littéralement collé à elle s’était dissipé. Si le bâtiment était suffisamment magique pour parfois vouloir communiquer avec ceux qu’il accueillait en son sein, Diana était convaincue qu’elle avait saisi le message et que, surtout, elle avait fait ce que l’étrange bâtisse attendait d’elle. Y avait-il une conscience entre tous ces murs, cachée dans le dédale de pièces sans fin qui s’y cachaient ? Elle ne saurait certainement pas la réponse, mais étant une femme de foi elle-même, toujours prête à accepter l’existence de choses qu’elle ne pouvait voir, elle trouvait un peu de … de réconfort à cette idée. Que même dans la magie, dans ses forces incomparables et parfois tellement capricieuses, il y avait quelque chose de… mmmh, sacré. Cela lui plaisait.

Elle accepta gracieusement la main de son amie et la suivit à travers le manoir jusqu’à une pièce qu’elle n’avait jamais vu auparavant. La table de billard trônait en son centre, et il y avait dans l’air comme une arrière odeur de poussière, d’oubli qui s’évapora à peine quelques secondes après leur entrée. Cette pièce n’avait pas reçu de visiteurs depuis trop longtemps, et la fait que la magie pouvait en faire disparaître toute trace sans que le Shadowcrest ne l’ait fait immédiatement pouvait presque apparaître comme un léger reproche envers la maîtresse de maison. C’était comme si Diana n’était pas la seule à affirmer qu’elle avait raison, en fait.

Elle sourit un peu plus en attrapant la perche de bois que lui tendait Zatanna.

« Je pensais que cet endroit était exclusivement réservé à l’étude de la magie et à sa pratique, » nota-t-elle en faisant passer la canne d’une main à l’autre pour en appréhender le poids et l’équilibre. « Je suis ravie de constater que je me trompe. Cela anéantit toutes les excuses que tu pourrais me présenter ceci dit. Si cette maison t’offre détente et loisirs, tu as encore moins le droit de les fuir. »

Elle arrêta de jouer avec la perche pour en poser le pied le plus large au sol, près d’une de ses bottes. Son regard passa de la table de billard au visage de Zatanna, dont les yeux pétillants peinaient à gâcher le plaisir qu’elle prenait à … et bien, en savoir plus que Diana sur le jeu qu’elle lui proposait.

« J’ai déjà vu ce genre de table, » ajouta Diana. « Mais je ne sais pas y jouer, non. Ce bâton me rappelle ceux qu’on me fabriquait sur Themyscira quand j’étais plus jeune, afin que je m’entraîne au lancer de javelot. »

Elle sourit un peu plus.

« Je sens que mon ignorance me portera préjudice… Mais ne te réjouis pas trop, Zee, car je pourrais te défier au lancer de javelot en guise de revanche. »

Elle désigna la table d’un petit geste de la main, le sourire toujours aux lèvres et visiblement amusée.

« Explique-moi. Je ne te laisserai pas gagner aussi facilement. »