- Spoiler:
Depuis plusieurs jours déjà, les lumières de la demeure Curry ne veulent pas s'allumer. Pour les habitants d'Amnesty Bay, cela signifie généralement que leur protecteur est absent, occupé à sauver des vies, voire le monde, comme à son habitude. Mais cette fois, les choses sont différentes. Une ombre massive se laisse entrapercevoir derrière les rideaux, et de bien terribles mots circulent en ville: "blessé", "mourant", "dépressif", "fini". C'est ainsi qu'est vu Aquaman, leur héros: au fond du gouffre. Il faut le reconnaître, ils ont du flair. Car Arthur Curry s'est bel et bien enfermé chez lui, refusant toute visite, toute apparition, comme un loup voulant panser ses plaies.
Et des plaies, il y en a; au visage, au torse, aux membres, jusqu'au terrible moignon, la marque d'une victoire en demi-teinte, pyrrhique même. Des monuments ravagés. Des morts, des milliers de morts. Un fils, rien qu'une ombre pourtant néfaste, perdu. Encore un. Et une main, donc. Bruxelles n'a pas non plus été tendre, et les marques de cette bataille, cet échec, déforment encore le visage d'Arthur.
Qui fuit le monde.
Qui tente de se faire oublier. En vain. Car tout le monde a besoin d'Aquaman.
Malgré l'énorme farce qu'est ce nom. Cet héritage.
Il n'en veut plus.
Au revoir Orin fils d'Atlanna, roi des Atlantes.
Au revoir Aquaman, justicier de la Ligue.
Au revoir Arthur Curry, fils de Tom le Gardien de phare.
Comme s'échinent à lui dire ses proches: il est un faible, qui ne sait qui fuir.
Alors pour une fois, il va leur donner raison. Il le veut, en tous cas.
De tout son être ?
Ce soir là, le Maine se barricade: on annonce une tempête, intenable. Des rafales terrifiantes et des vagues qui feraient pâlir de peur Poséidon lui-même. Tous les signes l'annoncent, d'une manière ou d'une autre, cette nuit ne sera pas banale.
Le vent souffle à cinquante nœuds au moins, et les vagues grattent le dessous du ciel, culminant à pas moins d'une dizaine de mètre pour les plus effrayantes. La pluie s'abat sur le toit et les vitres de la maison du phare, à la grande indifférence d'Arthur Curry, qui contemple un feu de bois craquer dans sa cheminée. Débarrassé de sa prothèse encombrante, il serre parfois les dents, comme si la morsure de la magie attaquait encore sa chair.
Mais la douleur n'est pas suffisante.
Il comate, épuisé mais luttant contre le sommeil, comme si chaque songe était à craindre.
Mais il n'y arrive plus. Alors il s'adosse autant que possible dans son grand fauteuil, et ferme les yeux. Ferme les yeux.
Ferme les yeux...Point de cauchemars ou de rêveries insensées, cette fois.
Une étendue d'eau, colossale, infinie, imperturbable, s'étend tout autour d'Arthur, sans que rien ne puisse lui permettre de distinguer la différence avec le ciel, si ce n'est un instinct purement primitif. Il est dans de l'eau. Douce. Aussi douce que la voix qui le fait immédiatement se retourner, lorsqu'il l'entend:
- Arthur Curry.D'un habile mouvement, témoin de l'excellence de sa nage, il se retrouve face à la voix.
Qui lui ôte tous ses moyens.
Au point que ne sorte d'entre ses lèvres tremblantes qu'un pauvre:
- Que... ?Une femme, magnifique, irréelle semble le contempler. Une femme aussi bleue qu'elle semble faite d'eau, vêtue d'un blanc aussi pur que celui des nuages d'été.
Une déesse exotique à n'en pas douter, mystérieuse et séduisante. Capable d'ensorceler d'un seul regard, avec ou sans magie. Et pourtant, malgré leur évidente neutralité, ces yeux semblent témoigner d'une certaine douceur, d'une émotion discrète lorsqu'ils se posent sur Arthur.
- Enfin, je te vois. Tu es là.Instinctivement, l'Atlante cherche de la main son trident. De la main gauche. Et s'il ne trouve pas son arme, il sent... quelque chose. L'eau qui caresse ses doigts. Il réalise enfin. Le voilà de nouveau complet. Entier. En pleine santé. Mais... tout ceci ne peut être qu'un rêve. Un bien beau rêve, même si le fruit de son esprit.
- N'aie crainte. Aucun mal ne te sera fait ici. Aucun mal ne te sera jamais fait à la Mer Secrète.Et pourtant, Arthur doute.
Ce songe n'est pas ordinaire. Il ne peut être le simple résultat de désirs et de frustrations enfouis. L'espoir le gagne, alors qu'il relâche sa vigilance.
Ses muscles se détendent.
Il écoute.
Ce que la déesse voit. Et apprécie.
Comme en témoigne son sourire de gratitude.
- Arthur, en ton cœur brûle encore le feu. Il n'est pas mort. Il ne mourra jamais.Il voudrait lui dire qu'elle se trompe. Qu'elle fonde ses espoirs sur une fraude, une erreur. Il ne peut pas. Car quelque chose l'en empêche. Une force de vérité, au moins aussi pénétrante que le fantastique lasso de Wonder Woman.
L'eau.
Elle le pousse à aller chercher au fond de lui la vérité.
La seule vérité.
Cette femme parle vrai.
Il le sait. Même si c'est dur à accepter.
- Reprends toi. Tu le peux. Il le faut.Elle sourit une dernière fois, avant de faire demi-tour et s'éloigner d'un pas léger, sans qu'aucun d'entre eux ne laisse la moindre ride sur la surface irisée de l'eau. S'élève alors une dernière fois sa voix:
- Oh, je t'y aiderais Arthur. Retrouve moi. Bon courage.- AAAAH !Un cri, un sursaut.
La foudre qui s'abat non loin du phare.
Arthur bondit sur ses pieds, prêt à se battre.
Mais... il est de retour dans le monde réel. Dans son salon. Seul. Avec le battement de la pluie sur le toit, et le crépitement du feu de bois. Salty vient voir ce qui se passe, et quémander une caresse, tandis que Tusky reste à l'écart, conscient que quelque chose le dépasse.
Le regard du dernier des Curry glisse le long de son bras gauche, et... non, rien. Aucun changement. Un vide béant, là où devait se trouver sa main.
En revanche, le voilà debout, et... sans aucune douleur. D'un ample mouvement, il arrache ses bandages, et s'observe à la lueur dansante des flammes. Plus de plaies, plus d'hématomes, plus d'os brisés ou déplacés. Toutes ses forces ne sont pas encore revenues, il le sent. Mais il va mieux. Bien mieux qu'il ne devrait.
Car ce qu'il vient de vivre, ce n'était pas un rêve. Loin de là.
C'était une invitation. Et un avant-goût de ce qu'il pourra découvrir.
Une invitation qui lui arrache un sourire. Le premier depuis des jours.
Une invitation à laquelle Aquaman compte bien répondre.
- Hrm...