Retour à la normale [PV. Jon Kent]

C’est le froid en premier lieu qui le marqua. Depuis l’apparition de ses pouvoirs, Jon avait bien gagné en résistance aux températures extrêmes, pouvant supporter et aller là où aucun humain normalement constitué pourrait aller, mais il n’était pas encore à la hauteur de son père. Jon était résistant, mais quelque chose bloquait. Quelque chose qui faisait que, malgré tout, et malgré ses gênes kryptoniennes, une veste d’hiver et des moufles n’étaient pas de trop pour venir se perdre en pleine arctique.
Bien sûr, Jon avait voulu faire le grand et refuser, mais sa mère avait insisté, et il la remerciait désormais pour cela…

Posant les pieds dans ce qui autrefois avait été le fruit le plus brillant et le plus merveilleux de sa curiosité, Jon regarda respectueusement l’ancienne forteresse de Solitude, alors que son père le laisseait sauter hors de son dos pour enfoncer ses pieds bottés dans la neige. S’il avait lui aussi mis son super-costume, il était bien moins visible sous toute cette masse de vêtements.

Ses yeux se perdirent dans le décor, dans ce qui aurait du être, et qui n’était désormais plus que destruction, ruines. Dans un sens, Jon avait l’impression d’avoir loupé quelque chose, d’avoir perdu tellement en n’ayant pas eu la chance de connaître cet endroit qui pourtant l’avait vu naître... Dans cet endroit où il avait vu son père tomber. Il se souvenait si bien de la peur qu'il avait ressenti ce jour là, qu’il arriverait presque à en retrouver le goût acre sur son palais…
Intimidé, Jon se rapprocha d’un pas de son père, alors que ce dernier lui souriait, le rassurant, presque autant que la main chaude sur son épaule. « Ça va, ce n'était pas difficile du tout ! » Superboy faisait le fort, bombant le torse, souriant, mais la vérité restait qu’à la vitesse où allait son père, il était difficile pour Jon de garder les yeux ouverts, ou même de respirer aisément. Ce n’était pas dangereux, juste fatiguant. Une fatigue qu’il ne voulait pas reconnaître. Parce qu’il était grand. Et parce qu’il était fort.

« Pourquoi on est venu là p’pa ? » Demanda-t-il, curieux, tout en restant collé à la grande stature protectrice de son père, comme s’il craignait de voir Rogol sortir de sous les décombres. Une peur irrationnelle, bien sûr. Une peur d’enfant. « Mais c’est trop cool quand même ! Même si… Même si c’est en ruine. » Bien sûr qu’il était heureux, extatique même de faire quelque chose avec son père, son modèle, son héros… Chaque fois que Superman avait du temps à lui consacrer ou à consacrer à sa famille était précieux, et même s’il fallait le partager avec le monde, Jon préférait quand même l’avoir tout pour lui.
Cependant, pourquoi venir ici ? Dans les ruines de tout ce qu’ils avaient perdu ? De leur héritage volé? Jon ne comprenait pas encore les intentions de son père, qui comme souvent, l’avait amené avec lui sans rien lui dire. C’était un peu leur rituel. Et Jon aimait leurs rituels.
Jon aimait tout ce qui faisait sa famille, au fond.

« Te moques pas papa ! » Si le ton se voulait boudeur, le rire qui l’enjolivait rendait difficile l’idée qu’il soit prit au sérieux, alors que Jon passait une main dans ses cheveux pour les remettre dans leur désordre initial après que son père les ait ébouriffés.
Malgré tout, son sourire ne survécut pas bien longtemps face aux ruines de l’ancienne Forteresse de la solitude, où la neige tombait avec une douceur relative depuis les nombreuses fissures qui la recouvraient, n’ayant pas la rudesse du vent et des bourrasques de l’extérieur pour rendre cela violent et inhospitalier. Même tombé, cet endroit gardait une grâce indéniable, une beauté irréelle, qui avait quelque chose d’exotique, non-terrestre.

Leur passé.
Quel étrange concept, quelle idée étrange, alors que Jon avait par surcroît du mal à s’assimiler au passé de son père. Non pas qu’il reniait ses origines, bien au contraire, ayant toujours eu hâte d’en apprendre plus et n’ayant cessé d’harceler son père de question depuis qu’il savait, mais… Malgré tout. C’était si lointain et si étranger que même en tendant le bras de toutes ses forces et aussi loin qu’il le pouvait, Jon n’était pas certain d’être capable de toucher du bout de ses doigts ce passé, ce fameux passé qu’il enviait tant.
Quelque chose lui avait été volé ce fameux jour où la forteresse était tombée, c’était une évidence, désormais. Et il en voulait un peu à ce monstre pour cela. Un peu beaucoup.

Krypton.
Un nom tout aussi étrange en bouche, et qui, pour le petit garçon profane qu’il était, le faisait plus penser à son chien qu’à ses racines. Qu’à une planète. Qu’à un génocide. Une civilisation avait disparu, et tout ce qu’il en restait et là, devant eux ? Jon leva les yeux, regardant autour d’eux, longuement, avant que ses yeux se tournent vers son père. Certes, tout était là.
S'accordant le temps de se mettre à hauteur de son fils, pliant le genou, le père en vient à demander à quoi il pensait, alors que ses yeux se perdaient dans ce qui fut, ce qui était, ce qui ne saura sûrement plus. Jon lèva de nouveau les yeux, quittant la figure rassurante de son père pour retourner considérer le monde qui l’entourait. Ou plutôt le reste de monde qui l'entourait. « J’ai l’impression… Je ne sais pas. Enfin, j’veux dire… Tout a été détruit et c’est triste. Et j’ai l’impression que tu as perdu quelque chose que tu aimais, à quoi tu tenais très fort, et que tu ne retrouveras pas, et ça me rend triste... Pour toi, et pour moi aussi, parce que je ne connaîtrai jamais tout ça. Et ca me fait bizarre parce que Krypton n’est plus. Et la forteresse non plus n’est plus. Alors que reste-t-il pour se souvenir d'elle? Pour ne pas l'oublier dans le temps?» Ses yeux retournèrent observer son père, chercher la réponse dans sa confiance, dans la chaleur de son affection, et dans la sagesse de ses paroles.
Oui, que reste-t-il hormis eux, les rares et derniers survivants, veillant des morts et des souvenir oubliés depuis des miliaires ?
Que reste-t-il, Clark ?

Bien sûr que Jon avait envie d’aimer la culture de son père, de la connaître aussi, mieux, mais… Ce besoin était peut-être différent que celui qu’avait pu ressentir son père. Jon n’avait pas besoin de plus que ce qu’il avait pour se construire, pour grandir : il avait des parents aimant sur lesquels s’appuyer et qui lui avaient donner le meilleur de leur deux monde. Il avait des amis sur qui compter, et une identité avec laquelle il pouvait agir sans avoir besoin de cacher constamment qui il était.
Oui, Jon voulait aimer son héritage, il voulait le connaître, mais il n’en ressentait pas le besoin impérieux, le besoin pour lui-même, pour se construire… C’était plus par peur que tout cela soit perdu à jamais, et que son père en souffre, tout autant que Kara.

Cependant.
Oui, cependant, alors que Jon lève les yeux sur son père, qui semble s’être arrêté dans ses paroles, il est certain de voir un sourire sur ses lèvres. Il est fin, presque discret, mais ses yeux de lynx ne le loupent pas. Il lève les sourcils, sans comprendre, avant que les paroles viennent faire s’ouvrir en grand les yeux du petit garçon. « Quoi?! » Hurla-t-il surpris, un peu trop fort, peut-être, créant une légère vague sonore qui ébranla les yeux, lui faisant immédiatement écraser ses mains sur sa bouche. Ne pas crier, c’est vrai…
Reprenant à une échelle plus normale, Jon reprit. « Vrai de vrai? Tu as trouvé une solution ? Laquelle ? Est-ce c’est avec de la magie ? Un voyage dans le temps ? Un trou dimensionnel ? Non, je sais, en fait la forteresse n’a jamais été détruite et c’est un prank !… Non ça serait trop gros. Alors peut-être que- Oulah ! » Tout en parlant, superboy avait sautillé, couru autour de son père, comme une vraie pille humaine, inépuisable et chargée à bloc, écrasant la neige sous ses pieds à grande vitesse, jusqu’à ce qu’elle devienne de la glace sur laquelle il venait de glisser, se rattrapant alors de justesse au bras de son père pour ne pas tomber, beaucoup plus stable que lui, très manifestement.

Bon, Jon était peut-être un peu trop excité, mais c’était comme si le fait de savoir que finalement, il y avait une solution, un moyen de réparer tout ce qui avait été perdu, faisait fondre la mature réaction qui avait été la sienne, à savoir mettre de coter sa déception en reconnaissant que ce n’était que peu de chose par rapport à la souffrance de son père. Mais maintenant que ce n’était plus le cas, pourquoi se retenir d’être trop curieux ? « Je suis trop agité, hein… ? » Demanda-t-il comme pour le reconnaître lui-même, alors qu’il lâchait le bras de son père, ayant réussi à se stabiliser. « Alleeeez ! Maintenant, tu en as trop dit, je veux savoir ! »