« Assistant de santé personnel » ft. Edwine

Elle avait essayé de rester. Tim lui avait donné des médicaments pour son père et elle le lui avait ramené, comme la bonne fille qu’elle était. Elle était restée deux jours. Deux jours à se demander, qu’est-ce qui était réel ? Ou était la vraie Edwine derrière le programme qu’il avait placé en elle ? Elle le regardait avec amour et inquiétude mais elle ne pouvait s’empêcher de se demander, l’aimait-elle vraiment ou était-ce simplement ce que son programme voulait qu’elle fasse ? Elle fouillait dans ses souvenirs. Elle avait très vite compris que toute cette enfance qu’elle avait en mémoire, n’était que le scénario tapé sur un clavier. Sa personnalité l’était-elle également ? Ses envies, ses angoisses, ses doutes, ses peurs ? L’avait-il faites pour être sa fille, son infirmière, son garde du corps ? Qui était Edwine ?

Elle l’avait quitté. Elle avait repoussé ce programme qui lui hurlait de rester auprès de lui, car il avait besoin d’elle. Elle avait fui pour se découvrir et avait erré, des semaines durant, sans manger ni boire. En fait, elle n’avait jamais mangé en réalité. Elle y avait juste cru. Elle n’avait pas besoin de dormir non plus. Elle avait lutté contre ce qu’elle appelait ses « phases de veille » jusqu’à finalement, les effacer. Quand Tim l’avait retrouvé, elle jouait les héroïnes dans un quartier malfamé. Elle s’était retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment, ou peut-être était-ce le bon endroit au bon moment. Elle venait de rossé des hommes de Falcone de ses petits poings d’adolescente, des petits poings de métal et lui, lui il était Batman. Il l’avait retrouvé. Il l’avait aidé. Il l’avait conduit dans un endroit où elle pourrait réfléchir en paix, ou elle serait en sécurité. Il lui avait révélé des secrets. Elle lui en avait révélé. Quand le moment fut venu, il l’avait conduit là où elle pourrait être utile parmi des gens qui tout comme elle cherchaient à être meilleur et faire le bien. Elle avait donc rejoins la Young Justice League. Elle avait toujours été cette main qui tenait celle du Sphinx pour le guider vers le bon chemin, mais maintenant, elle voulait faire son propre chemin.

Chaque jour, elle luttait un peu plus contre son programme. Chaque jour, elle s’efforçait de chasser ce code qui lui imposait d’être ce qu’il voulait qu’elle soit. Elle luttait contre son programme d’adolescente pour devenir un peu plus robot, un peu plus mécanique, moins humaine. C’était difficile mais elle s’entrainait chaque jour en découvrant tout ce qu’elle pouvait faire, maintenant qu’elle avait conscience de la vérité. Internet devient donc une partie intégrante d’elle-même. C’est pour ça que quand Tim lui proposa de s’occuper du Joey après le drame dont il était le responsable et surtout la victime, elle téléchargea toutes les informations qu’elle trouva sur la manière d’aider quelqu’un, de soigner. Il était évidant qu’il n’aura pas besoin d’une ablation de la vésicule biliaire mais au moins, elle était capable de le faire au besoin. Que pouvait-elle faire d’autre ? Ça aussi, c’était une autre question qui la hantait. Edwine, sans le savoir, était plus proche d’Edward qu’elle ne pouvait l’imaginer. Aujourd’hui, justement, alors qu’elle trainait dans la tour, la tête ailleurs. Elle était très occupée à découvrir qu’elle pouvait envoyer des sms sans téléphone portable. Bon, en majuscule et sans ponctuation mais c’était déjà assez incroyable pour elle. Elle partagea sa découverte avec Tim aussitôt avant de recevoir un vingtième message de son père.

« Je sais que tu as détruit ton traceur, Edwine. Ma fille, il faut que tu rentres à la maison. Tu n’es pas prête. »

C’était comme avoir une hallucination. Elle voyait le message comme si le texte s’était présenté devant ses yeux. Elle reçut un vingt-et-unième, tout de suite après.

« Ne m’oblige pas à venir te chercher ! »

Elle pousse un gémissement à la fois exaspéré et douloureux avant de se décider à bouger. Ca faisait vingt minutes qu’elle était complètement assise dans sa chambre, un scalpel à la main en train d’observer les articulations de son poignet, là où elle avait retiré le fameux traceur un peu plus tôt. Elle l’avait désactivé le premier jour de sa fuite, à l’instant où elle fut conscience de tout son être. Cependant, savoir encore cet objet à l’intérieur d’elle la dégoutait. Il y avait juste un petit détail : il fallait refermer maintenant. D’autant plus qu’elle sentait la douleur, vive et diffuse. Elle n’avait pas encore découvert comme éteindre ses sensations. Elle n’était pas humaine après tout.

Elle se leva pour se diriger vers la salle de soin de la tour, maintenant la peau fendue. Quoi que, peut-être devrait-elle plutôt utiliser de la colle ou faire de la soudure ? Elle marcha, la tête un peu ailleurs. Est-ce qu’il avait des tutos sur Youtube ? Quand elle sortit de sa chambre, elle fut immédiatement frappée par le son d’une guitare. Elle resta un instant dans le cadran de la porte. Elle était quelqu’un d’assez sociale mais elle n’avait jamais eu vraiment d’amis. Tim était le seul. Même avant de réaliser ce qu’elle était, les gens la trouvaient bizarres. Elle hésita avant d’avancer. Ils étaient comme elles, différents. Elles ne devaient pas avoir peur d’être jugé. Et puis, les robots ne devaient pas avoir peur. Elle arriva silencieusement derrière lui. C’était une musique douce, apaisante. Elle ne connaissait pas beaucoup ce Joey mais à le voir ainsi, ça lui était assez difficile d’imaginer qu’ils avaient pu menacer autant de vies, même involontairement. Elle repousse une large mèche rousse puis posa ses bras sur le haut du canapé avant d’ouvrir légèrement la bouche. Elle laissa alors échapper les mêmes sons que l’instrument mais à travers ses lèvres. C’est comme si ses cordes vocales étaient en réalités les cordes de la guitare entre ses mains. Quand elle se stoppa, elle prit son air le plus avenant et déclara :

- Maintenant que j’ai ton attention : il te reste une trente-deux minutes et quarante-six secondes pour manger et prendre tes médicaments. Que voudrais-tu que ton assistante de santé personnel cuisine pour toi ?

Elle avait le visage légèrement tendu par la douleur, qu’elle chassa pour se focaliser sur la petite horloge dans un coin de sa tête (c’est fou ce qu’il y avait à l’intérieur). Bon sang, pourquoi lui avait-il donné la possibilité d’avoir mal ? Son père devait être bien cruel. Elle se souvient immédiatement de l’identité père de Joey. Il y avait peut-être pire.

- Je peux te faire mes fameux sandwiches à l’œuf !

Tim lui avait fait confiance depuis le début. Elle comptait bien réussir sa première mission : remettre Joey sur pied.

- Tu veux dire cassée, rectifia-t-elle aussitôt en langage des signes. Et c’est ma première blessure, que je me souvienne en tout cas.

Elle avait compris immédiatement son langage. Toutes les limites que lui offrait son programme d’adolescent avaient été balayées par sa volonté. Elle comprenait tous les langages et en parlait tout autant. Il voulut la recoudre. Elle grimaça et prit des couleurs, assez vexé qu’il joue les infirmiers alors que c’était sa mission à elle. De même, il ne semblait pas disposer à vouloir la laisser cuisiner pour lui. Edwine en déduisit rapidement qu’il était de la famille des « indépendants ». Elle leva les yeux au ciel et posa sa main valide sur le canapé pour s’y hisser d’un bond avant de retomber simplement.

- Tu n’as jamais goûté à ma cuisine ! Et personne ne s’en est jamais plaint ! Enfin, jamais mon père. Pourtant, c’est le prince des râleurs. Enfin, je vais pas vraiment me plaindre vu le ti- Aïe !

Elle grimaça à la sensation de l’aiguille perforant sa peau synthétique. Peut-être que la soudure n’aurait pas été la meilleure idée qu’elle aurait eu si elle était passée à l’action. Elle le regarda faire, le poignet tendu. Il affirma qu’il ne voulait pas savoir ce qu’elle avait entreprit de faire. Cela tombait très bien. Elle n’avait pas envie d’en débattre non plus. « Oh et bien j’ai décidé de retirer mon traceur, au cas où que mon super-vilain de père ait décidé de le réactiver et de nous rendre une petite visite ». Pour ce qui est de la cicatrisation, elle se contenta de hausser les épaules. Elle aurait bien aimé dire que oui, mais puisqu’elle se souvenait également être capable de saigner, elle préférait ne pas s’y fier. Il eut un léger silence, à peine interrompu par les quelques couinements douloureux de l’adolescente. Enfin robot. Enfin androïde. Qu’importe. Elle retira sa main pour pouvoir admirer le travail. Elle étira ses muscles et ses tendons de synthèses. La couture tenait. Joey n’était pas simplement un bon musicien et un danger potentiel.

- Je ne joue pas les assistantes médicales. Je suis assistante médicale. Je crois que c’est une des premières fonctions qu’il m’a donné. Ah, et merci pour la suture !

Elle se tourna vers lui avec un grand sourire, pas forcément pressé de se lever. Ça faisait du bien de parler à quelqu’un. Elle avait rencontré brièvement tout le monde mais c’était assez difficile pour elle de faire ami-ami. C’était difficile d’apprendre à connaitre quelqu’un quand on se cherchait encore.

- Fais pas cette tête. Je suis pas vraiment quelqu’un, tu sais.

Elle lui tendit sa main.

- Mais tu peux m’appeler quand même Edwine.

Elle n’avait pas poussé le vice jusqu’à supprimer ce nom. Tout de même, elle aimerait bien un nom de super héros elle aussi. Quand elle aurait fait ses preuves bien sûr. N’empêche, elle se demandait si elle ne parlait pas un peu trop. Bon, c’était rien comparé à Joey mais tout de même, elle espérait qu’il ne la trouve pas trop bizarre. Elle se leva d’un bond pour aller dans la cuisiner. Que Joey soit d’accord ou non. Elle fouilla dans le frigo et fit le listing des denrées et des repas qu’elle pourrait faire rapidement. Il semblerait qu’ils n’aient pas vraiment le temps de faire les courses, les jeunes héros. Elle sortit deux tranches de pain de mie et un oeuf, ainsi qu’une tranche de lard et un verre. Elle retourne ce dernier et le place au centre des pains et pressa. Quand elle le retira, il y avait en son milieu un cercle parfait. Elle les fit griller sur une plaque chaude avec une noisette de beurre et dans une autre, la tranche de lard dans une autre à sec. Elle prit un œuf, cassa la coquille dans son poing. Elle retourna les pains d’une main et plaça le contenu de l’œuf au centre de l’un deux de l’autre. Elle s’agita ci et là et quand la cuisson fut satisfaisante, elle se saisit d’une assiette et dressa le sandwich à l’intérieur. Elle prit du ketchup et dessina un large sourire avec. Elle lui fit ensuite glisser l’assiette jusqu’à lui.

- Je l’ai appelé le cyclope ! Bon appétit et surtout, prend tes médicaments.

Elle avait toujours le sourire mais son ton était largement plus sérieux.

- Il te reste cinq minutes et vingt-six secondes.

- J’ai fait un trait d’humour, lui répondit-elle simplement avec un large sourire plein de dent.

Elle le remercie du bout des lèvres pour le compliment. Elle aurait bien ajouté que depuis qu’elle avait réalisé qui elle était, elle s’était totalement connecté à son google intérieur et que la cuisine n’était plus un secret pour elle. Elle se contenta de dire :

- Mon père est un excellent cuisinier. Il m’a tout appris.

Ce qui n’était pas faux.

Elle tira une chaise et prend place à ses côtés. Elle l’observe silencieusement. Elle voit son regard. Son changement d’expression. La tension dans ses épaules et ses avant-bras. Elle imagine son cœur battre plus fort dans sa poitrine à l’idée d’avaler ses médicaments. Elle attend. Elle attend qu’il les prenne. Qu’il les jette. Qu’il fasse quelque chose qui la mettrait sur la voie. Elle ne savait pas trop à quoi il pensait. Elle se demanda même, un instant, si elle n’en faisait pas trop.

« Et Si ». Les mots sortent. « Et si ». Combien de fois les avait-elle entendu ces deux petits mots ? Combien de fois son propre père les avait prononcés ? Pour vivre, survivre. Joey n’était pas comme ça. Il voulait mourir. Elle n’avait parlé à personne de cette fois, sur le sommet du bâtiment, ni même à Joey. Elle n’avait pas cru en son mensonge. Elle avait lu dans les battements de son cœur. Prendre soin de lui, n’était pas seulement la mission que lui avait confiée un ami cher à ses yeux. C’était aussi sa première véritable action pour aider quelqu’un qui en avait vraiment besoin. Pour trouver ce qu’elle était au fond d’elle, derrière les câbles et le carbone. On avait besoin d’elle. Il avait besoin d’elle.

- Et moi, je suis plus forte que je n’en ai l’air, fit-elle avec ce même sourire malicieux.

Elle attrapa la boite de médicament d’une main ferme et méticuleusement, elle l’ouvrit et détacha chacune des gélules qu’il devait prendre.

- Je n’ai jamais fait du mal à qui que ce soit et je ne compte pas commencer avec toi, sauf si c’est ce que tu veux.

Son sourire s’allonge et elle joua avec les pilules colorées entre ses doigts.

- Ce n’est pas que je ne pourrais pas le faire. Maintenant je peux, mais je ne le veux pas. C’est pour ça que je suis ici, dans cette tour.

Ça lui était déjà arrivé que son père face preuve de résistance. Ou simplement qu’il perde conscience et qu’elle doive le porter jusqu’à leur salle de soin. Edwine était la parfaite infirmière, la parfaite fille, la parfaite création sortie de l’imagination folle d’un homme imparfait. Elle ne savait pas si elle était capable d’être autre chose. Grace à Tim, elle le découvrirait peut-être. Elle ne le décevrait pas. Edwine, rejetait en bloc sa partie adolescente, son programme qui l’avait limité tout ce temps. Elle voulait devenir plus machine encore. Elle voulait épouser cette partie d’elle qu’elle ignorait depuis tout ce temps. Se découvrir. Alors, elle fit la seule chose qui lui passa par son esprit après avoir puiser une idée dans les réseaux sociaux. Elle enfouit les médicaments à l’intérieur de sa bouche et se pencha, simplement.

- Et je ne vais pas essayer de ne te les faire avaler. Je vais te les faire avaler. Je suis plus têtue que toi encore.

Et pendant les quelques secondes où elle posa sa main sur la nuque du jeune homme, elle visualisa des milliers de vidéos, de films et de tuto. Elle ouvrit la bouche et posa ses lèvres contre lui. Elle enfouit sa langue et l’embrassa longuement. Sa main n’était pas ferme mais elle mettait beaucoup de cœur à l’ouvrage, pour quelqu’un qui essayait de ne pas trop s’impliquer émotionnellement. Après tout, c’était son premier baiser.

Elle se recula enfin et pinça ses lèvres comme pour retenir une exclamation. Ses yeux tombèrent un instant sur la table, ses mains avant de remonter avec une expression qui se voulait détachée mais ses yeux brillaient de fierté, mais fierté pour quoi ? Être parvenu à lui avaler ses médicaments ? Pour l'avoir surpris ? Pour avoir embrassé un garçon ?

- Zéro.

Le compte à rebours était terminé.

Au moment où il prononça ses mots, l’androïde rougit. Elle rougit furieusement. Elle se recule, désormais presque honteuse du geste qu’elle avait fait alors qu’à la seconde d’avant elle avait l’air si confiante. Il la retient doucement par les mains. Elle reposa son regard clair sur lui, ne sachant vraiment pas où se mettre. Elle jura mentalement. Il était là, tout mignon, tout gentil, tout… triste. C’était ça. Cette tristesse dans sa voix, dans ses yeux, dans la tension de ses épaules et de sa mâchoire. C’était ça qu’elle avait voulu faire, avant de l’embrasser. Elle glissa une main à l’arrière de sa nuque.

- C’est gênaaaaant…

Elle releva le menton et prit une posture qui se voulait plus farouche avant de continuer aussitôt :

- Une fille n’a pas le droit d’avoir envie d’embrasser un garçon ? se défendit-elle tout d’abord.

Elle qui essayait de chasser sa nature plus humaine, c’était bien raté. Elle le sentait troubler. Elle n’aurait su dire s’il était troublé par son baiser, ou elle-même. Elle eut une grimace. Bien sûr, il l’avait aidé avec son poignet. Il avait vu de quoi elle était faite de l’intérieur. Ce qu’elle avait vu sur internet, c’était avec de vraies femmes. De vraies personnes.

- Je suis connectée à internet. Ça évite pas mal de discussions inutiles, j’imagine. J’ai accès en quelques secondes à tes milliers de vidéos, de tutos, de conseils. […] C’était si nul que ça ?

Elle tentait de changer de sujet, de ne pas à parler d’émotions. De ses émotions car elle ne savait pas si elle devait si fier ou non. Après tout, elle n’était qu’une machine. Pourtant dans ses quelques mots prononcés, dans son inquiétude naïve, elle dévoila sur un plateau d’argent qu’il s’agissait de son tout premier baiser. Elle s’agita sur la chaise de la cuisine tandis qu’elle expliquait du mieux qu’elle pouvait ce qui lui avait traversé l’esprit, si l’on peut dire esprit.

- C’est que.. tu avais l’air d’avoir besoin d’endorphine. Tu vois, on en trouve dans les câlins, les.. baisers. Je voulais que tu ailles mieux, et pas juste parce qu’on me l’a demandé mais… Enfin, ça veut pas dire que je te trouve pas mignon et cool, enfin, je veux dire gentil, enfin pas dans le sens « oh, ce garçon est gentil » comme on dit quand quelqu’un est pas intéressant, enfin, si tu es intéressant et vraiment gentil et mignon, j’avais envie de voir ce que ça faisait. Oh mon dieu, c’est pire, on dirait que je t’utilise, alors que je voulais juste te donner de l’endorphine. Voilà, c’est ça de l’endorphine.

Elle avait dit ça d’une traite, visiblement, encore plus rougissante que lorsqu'il l'avait gentiment repoussé. Ses joues avaient pris la tête de ses cheveux.