Situation : Casseuse de bouches de réputation internationale
Localisations : Metropolis ou Gotham, la plupart du temps
My Own Private Idaho (Solo) Ven 21 Mai 2021 - 1:02
C'est amusant, comme le mythe et la réalité peuvent se rejoindre. On pense souvent que c'est le mythe qui fait le premier pas, qui coince son pied dans la porte et vient se rappeler à la réalité en venant pisser dans sa chambre, comme un colocataire puant l'alcool en fin de soirée. Honnêtement, c'est comme ça que je me l'imaginais. Après tout, les mythes et les légendes, ce ne sont que des histoires vieillottes qui collent encore à la chaussure de l'imagination humaine après des millénaires d'Histoire passées à essayer de les faire dégager.
Toutes ces mythologies et toutes ces religions qui se contredisent et se battent en permanence, on aurait pu penser qu'elles finiraient par devenir obsolètes.
Sérieusement, on vit à une époque où des bonshommes sortis des étoiles avec des pouvoirs d'envergure biblique se désignent protecteurs de villes et se mettent à arrêter des voleurs de sacs à main, entre deux tyrans cosmiques.
Il y a des types parfaitement normaux qui deviennent des légendes en enfilant des costumes pour faire la même chose que ces nouveaux dieux, et les gens les applaudissent. Pourquoi ne le feraient-ils pas, d'ailleurs ? Après tout, ça leur donne un exemple auquel aspirer, ou bien un semblant d'espoir auquel s'accrocher.
On aura beau s'en défendre, on s'est créé une nouvelle mythologie moderne, plus grande et plus réelle que n'importe quelle mythologie ancienne ou que n'importe quelle religion. Une mythologie qui peut vous prouver par A plus B que votre dieu existe, quel qu'il soit, tant qu'il est adepte des justaucorps moulants.
Et même ça, ça n'a pas suffi.
Ça a même empiré.
Les vieux chewing-gums millénaires en ont profité, eux aussi. Ils se sont mis à ressortir. Les "vrais" dieux sont réapparus, comme par magie ... Comme par logique, plutôt, puisque la magie existe aussi maintenant.
C'est probablement le pire, ça.
Tout le reste, je peux supporter, mais voir les vieux contes, les mythes et les légendes ressurgir pour nous faire la leçon ? Pour faire exactement ce que toutes les autres nouvelles idoles font, avec leurs grandes idées et leurs grands fantasmes ?
Si ça a été imaginé, ça existe, c'est explicable, et ça suit les mêmes règles que tout le monde.
Ça a de quoi rendre fou, quand on y réfléchit bien.
***
** ... Des nouvelles du Brésil, à présent : plusieurs associations indigènes ont rencontré le gouverneur du Mato Grosso dans la capitale régionale de Cuiabá aujourd'hui. Les échanges ont porté sur la flambée de violence dramatique qui a vu plusieurs villages des tribus Karapo et Tapirapé ravagés ces dernières semaines. Le porte-parole de l’État a fermement condamné ce qu'il a qualifié, je cite, d'"actes barbares", tout en appelant Brasília à renforcer sa lutte contre la déforestation illégale. Un communiqué du ministère de la Justice et de la Sécurité Publique annonce qu'une enquête sera ouverte sur la question, sans condamner les actions des bûcherons.
Sans transition, des importations historiques de maïs par la Chine pourraient déstabiliser le marché alors que ... **
" Mmpf. "
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J'avais rencontré Petura pour la première fois chez lui, dans son village, au fin fond du Mato Grosso. Ce fut le début d'une longue et grande amitié.
Renato Petura, du nom complet qu'il avait dû se forger vis-à-vis de l'Etat Brésilien, était un natif d'Amazonie, de la tribu Tapirapé. Un type aussi curieux qu'hilarant, qui avait été de ceux qui avaient quitté leurs villages les premiers pour venir se former à l'audiovisuel en dehors de leur jungle. Le but était de pouvoir sauvegarder leur culture pour les générations à venir.
Ça lui avait permis de beaucoup voyager, de venir me visiter plusieurs fois à Boise dans l'Idaho. De tous les natifs d'Amazonie que j'avais pu rencontrer, c'était celui qui s'était le mieux adapté à la société moderne et à toutes ses opportunités. Un de ces rares êtres capables de s'émerveiller de tout, toujours à voir la moitié de verre remplie, toujours avec une idée capable de relier son monde avec l'extérieur, toujours à vouloir changer le monde.
Je dois dire que la nouvelle de sa mort m'a plutôt affectée. Les attaques sur les villages de natifs ont toujours eu lieu : après tout, l'Amazonie est une terre pleine d'opportunités pour les charognards du monde moderne, avec tout cette végétation prête à finir dans les charpentes, ces terres arables et toutes ces foutues ressources en-dessous, quand vous avez fini de ruiner les friches à coups de pesticides industriels ... Mais jusqu'ici, c'était une chose distante, quelque chose que les autres pourront avoir connu, qui n'apparaît qu'aux infos et vous trouve à cracher sur le sort de l'Humanité en vous demandant quand ces cons finiront par se flinguer eux-mêmes par accident.
J'imagine que c'est aussi ce qui y a attiré Yara Flor. La protectrice de l'Amazonie avait failli à son devoir. Ce contre quoi elle s'était élevée venait de se produire, une fois de plus.
Un constat amer, j'imagine.
Tous ces pouvoirs, toute cette force, tout cet arsenal, toute cette fougue ... Et elle était toujours impuissante à sauver le monde de la ruine.
Comme les autres.
C'était bien la peine de se donner autant de mal.
Je me demande bien ce qu'elle a pu y voir. Je me demande ce que ça fait, quand on est mis en face de ses échecs comme ça. Ça doit être étrange d'être un super-héros et de se prendre un coup de réalité dans la gueule. Pas un super coup de poing, un rayon laser désintégrateur ou une autre saleté magique que je ne pourrais même pas décrire logiquement ... Juste un rappel.
Je me rappelle du village de Petura, de l'odeur caractéristique de cette flore locale semblable à aucune autre et pourtant si remarquablement familière.
Je me demande ce que ça peut bien donner, mêlé à la cordite et à la charogne. Curiosité macabre. J'imagine que ces raclures n'ont même pas pris le temps de leur donner une sépulture décente. Je me demande s'ils avaient même besoin de sépulture, après qu'ils en aient fini.
Maintenant que j'y pense ... je me demande même si le village était encore là.
Appelez-ça un pressentiment, mais je savais qu'il arriverait quelque chose à Petura, un jour.
Petura n'était pas exactement le genre de personnes à se contenter d'une vie ordinaire. Il avait toujours aimé jouer des tours, fourrer son nez là où il ne le fallait pas, tenter des expériences que n'importe qui d'autre aurait trouvé inutile ou dangereuse.
J'avais toujours eu l'intuition qu'il finirait de ... manière intéressante.
Mangé par une bête sauvage, ou bien le crâne éclaté au pied d'une cascade...
Jamais je n'aurais imaginé qu'il finirait comme ça, au milieu d'un charnier.
C'était horrible et dégradant.
Je me demande ce que Yara Flor en a pensé, quand elle a vu tout cela. Je me demande même si elle a réalisé ce sur quoi elle posait le regard. L'esprit a tendance à compartimentaliser, dans ce genre de situations. Je crois que c'est pour l'aider à garder sa prise sur la réalité, pour ne pas péter un câble.
Ou bien alors c'était parce qu'il n'était censé pouvoir comprendre tout ce qu'il se passait ... Ou bien peut-être que c'était juste qu'on se construisait chacun son petit enfer personnel. Allez savoir.
***
" Mademoiselle ? Mademoiselle ? "
" Mmmh ? "
" On est arrivé à Boise, c'est le terminus du bus ... Il va falloir descendre. "
...
" Attendez, comment est-ce je suis arrivée ici ?.. "