Pile je gagne, face tu perds - Derek

Toujours le même rêve. Toujours le même endroit. Au fond des mers. Si profond, tellement, tellement profondément. D’ici, la lumière de la surface ne l’atteint pas. Elle est là où aucune lumière ne perce jamais. Et tandis que ses pieds nus flottent au-dessus du vide d’une brèche béante, ses yeux se tournent vers les profondeurs pleines de terreurs.

Là-bas.

« Là-bas quoi ? » Se grattant la tête, assise sur son lit, Lori cherche des réponses qu’elle ne peut pas trouver, tandis que ses vêtements perdent petit à petit les traces des pouvoirs d’une autre, dont les dons de voyance ont encore hanté ses rêves. Cela n’arrivait pas avant… Avant l’Accident. Désormais, c’était de plus en plus fréquent. Les rêves étaient encore ce qu’il y avait de moins dérangeant, d’un point de vue logistique : se réveiller avec sa chambre envahis de plantes, c’était une autre histoire. Être réveillée parce qu’on vient accidentellement d’invoquer une chimère, c’est encore une autre histoire. Plus musclée, celle-là.
Lori n’avait pas besoin des dons de voyance pour comprendre que quelque chose n’allait pas, il était évident que quelque chose n’allait pas, mais que pouvait-elle y faire ? Les livres s’empilaient dans la maison sans qu’elle ne trouve pourtant un début de réponse. Pour autant, et comme souvent, quand Lori avait un problème, la solution principale restait de ne pas en parler, de cacher les preuves, et d’espérer que cela passe avant que quelqu’un ne soit blessé. Jusqu’à maintenant, cela semblait plutôt lui réussir. Et puisque les secrets six, second du nom, n’étaient plus ensemble, il n’y avait pas le moindre risque que quelqu’un se prenne un retour de flamme… Pour le moment.

La nuit était encore jeune, pour autant, Lori ne se sentait pas de se recoucher. Rêver des fonds marins était une chose. Avoir la sensation que quelque chose nous observe dans les ténèbres en est une autre. S’habillant presque mécaniquement, une robe courte s’ajoutant à ses parures habituelle faites de dentelles et de résilles, la voilà qui quitte la maison, d’une façon somme toute assez commune : à pied. Les bars sont encore ouverts, à cette heure-ci, et il ne sera pas si difficile d’y trouver un verre pour oublier que les choses vont mal. L’avantage de vivre seule, c’est qu’il n’y avait plus personne pour lui dire que ce n’était pas de son âge, de finir la nuit au bar…

La nuit fut beaucoup moins jeune, et le sol beaucoup moins stable, quand le téléphone de Lori se mit à sonner, faisant raisonner dans l’établissement les notes de Tainted Love. L’attrapant d’un air surpris, elle plissa les yeux pour lire le nom qui s’y affichait. Partagée entre le scepticisme et la bière, Black Alice se décida tout de même à répondre, n’y croyant pas elle-même.

«Shauna? »


Black Alice et Ventriloque n’étaient pas amies. Elles avaient travaillé ensemble pendant un temps, quand le groupe était encore au complet, jusqu’à ce que Shauna les quitte, sans donner plus de raisons. Après cela, et petit à petit, le groupe s’était dissout, laissant Lori seule, et en colère.
Dire qu’Alice avait été surprise en recevant son appel était un euphémisme. L’adolescente ne lui avait pas laissé son numéro, elle en était certaine, elle avait pris le sien, oui, mais elle ne lui avait rien donné en retour, ce qui expliquait la surprise. Quelqu’un avait dû le faire. Sûrement, Porcelaine pensa-t-elle.
Dans un premier temps, Alice avait pensé lui raccrocher au nez et laisser tomber cette histoire sans même lui laisser le temps de lui expliquer... Et pourtant elle l’avait écouté jusqu’au bout… Et pourtant elle était venue au lieu du rendez-vous.
Appelons cela de la nostalgie.
Une nostalgie sacrément mal placé, on ne va pas se mentir...


La ventriloque était une femme étrange, son corps charnier et osseux lui donnant des allures de cadavres mouvant, tandis que ses cheveux emmêlés pendaient le long de ses épaules. Juste devant elle, marchant sur ses petits pieds en bois, dans son magnifique costume, se tenait Freddie, la poupée que Shauna faisait parler et se mouvoir en partie grâce à ses pouvoirs. À coté de ces deux là, Alice semblait bien plus rassurante, presque banale, malgré son allure gothique dont elle était si fière. Retirant la sucette d’entre ses lèvres, la plus jeune prit la parole d’une voix passablement insolente, comme si tout cela l’intéressait qu’à moitié. L’alcool ne l’aidait pas à se montrer autre chose que méprisante.

« En gros, si je résume, c’est juste une guerre de gang de bas étages.
- Quelle façon rustre de voir les choses, mais… Oui. Répondit son aînée, sa voix traînante et légèrement grinçante, restant étonnamment neutre.
- Et moi, je suis là pour… ?
- Miss Savage nous à fait savoir que tu cherchais du travail, non ? Fit Freddie d’une voix plus agacée, tout en tournant sa petite tête articulée vers l’adolescente. De quoi tu te plains ?
- Du fait que c’est moi qui me tape le plus dur !»

Travailler avec Shauna ne la rassurait que moyennement. Déjà, parce que la ventriloque était du coté "tueur en série " des anciens compagnons d’Alice, et qu’elle ne trouvait pas Shauna assez stable pour se dire qu’elle n’avait rien à craindre tant qu’elles étaient du même coté. Ensuite, parce que la paie serait un pourcentage de ce qui sera récupéré avec ce nouveau territoire. Si elle pouvait gagner beaucoup, elle pouvait aussi partir sans rien. Et pour finir, parce que son rôle dans cette histoire était d’intercepter tout héros venant se mêler à la fête. Faire gagner du temps, quelque chose du genre...
Pour le GCPD, la ventriloque s'en était occupé...

« J’te préviens, si c’est une chauve-souris qui se pointe, j’me casse. Ce n'est pas ma merde. » Shauna répondit à la remarque de l’adolescente avec quelque chose qui ressemblait de loin à un sourire tordu, avant de grimper dans un des fourgons avec ses hommes. Le territoire qu’elle voulait revendiquer était plus au nord de la ville, une sorte d’entrepôt rudement bien gardé. Les affrontements allaient principalement se passer en extérieur, raison pour laquelle les vannes étaient nécessaires. Alice ne monta pas, non, elle avait ses propres moyens de se rendre quelque part...


L’avantage d’utiliser des portails de ténèbres pour voyager, est qu’on gagne un temps fou par rapport à autrui. Le temps que la ventriloque et ses hommes arrivent sur le lieu qu’ils avaient prévu d’attaquer, Alice eut tout le loisir de partir s’acheter un hamburger et des frites au fast-food du coin, aller chercher une bouteille à l’épicerie de l’autre coin, avant de venir s’installer sur les hauteurs de l’entrepôt convoité, pour à la fois faire le guet et l’appât. D’ici, elle avait une vue imprenable sur la cour grillagée qui dans un instant allait devenir une zone d’affrontement.

Les pieds dans le vide, installé comme une reine, Alice ne cherchait pas vraiment à se cacher. Son rôle était tout de même d’un peu attirer l’attention, ou du moins pouvoir intercepter celle d’un autre. Elle avait bien pensé à fermer la zone de conflit dans une bulle pour s’assurer que personne ne vienne s’en mêler, mais finalement, la flemme l’avait emporté, et elle n'avait rien fait. Oui, la flemme, vous avez bien entendu. Trop d’énergie dépensée pour pas grand-chose.
Non, Alice n’était vraiment pas proche de Shauna, aussi préférait-elle garder son énergie pour un robin ou un truc du même genre...

Il s’écoula encore un instant, puis les fourgons de la ventriloque arrivèrent à toute vitesse, par surprise, enfonçant la grille du territoire d’un gars qu’Alice ne connaissait même pas. Quand les premiers coups de feu retentirent, que chaque camp commença à prendre leurs positions de leur côté pour tenir et se défendre, Alice attaqua son hamburger, regardant la scène qui se déroulait quelques mètres plus bas avec une neutralité crasse, son visage n’exprimant rien, sauf peut-être un peu d’ennui. Ça va faire des morts, tout ça. Tout ça pour quoi? Du territoire...

Mouais.

Finalement, elle aurait peut-etre du essayer de se recoucher.

Alice croyait au destin. À l’inéluctable. À la fatalité.
Certes, en acceptant cela, il fallait se débattre avec le fort sentiment d’impuissance qui en résultait, mais il y avait aussi un profond sentiment d’acceptation qui en découlait. Une résignation toute fataliste. Paradoxalement nihiliste, empéchant tout simplement de croire.
Perdre son droit d’action, c’est aussi perdre l’espoir de pouvoir changer les choses, d’éviter qu’elles arrivent. C’était perdre la volonté de changer, d’être quelque chose de mieux. Un moyen comme un autre de se décharger des responsabilités, et avec elles, de la culpabilité. Il est plus simple de se laisser porter par le courant plutôt que chercher à nager contre lui, non ?
En refusant d’être actrice de son propre rôle, Lori pouvait plus facilement accuser le monde et l’univers des malheurs qui se déversaient autour d’elle. Elle n’était plus coupable, mais victime. Une victime pleine de colère, et de ressentiment…

« Bonjour tout le monde ! Moi c'est Sideways, et je vous demande de vous arrêter ! »

Ceci expliquant cela, il était alors plus simple de comprendre pourquoi Alice ne fut pas surprise de voir apparaître un héros, à peine quelques minutes après qu’elle ait fini son hamburger. C’était de ces choses qu’elle classait dans "inévitable". Comme deux aimants s’attirant, comme le Ying et le Yang (ou autre référence du même type). Là ou Ventriloque et ses hommes amenaient le bouleversement, les chaos, lui, en réponse, amenait la protection, l’ordre... « Bah voyons. » Tiquant contre sa propre pensée, Alice attrapa une frite, qu’elle grignota avec un peu de ketchup, tandis qu’une pluie de balles commençait à ravager l’endroit où, il y a un instant encore, se tenait le fameux Sideways.

Ce n’est pas dur de reconnaître les héros, leurs costumes parlent pour eux : ils ne cherchent pas à être terrifiant (sauf batman), ils se veulent rassurants. Ou quelque chose du même genre. Il y a quelque chose dans leur allure, dans leur façon d’être qui se veut mieux que le commun. C'est ce petit quelque chose qui agaçait perpétuellement Alice, alors qu’elle les regardait agir, faire, une mine de dégoût faisant plisser ses lèvres colorées de noir.
Non, Alice n’aimait pas les supers-héros, parce qu’ils lui rappelaient à quel point elle était loin, très loin de leur ressembler. Qui aimerait qu’on lui remettre perpétuellement ses propres erreurs à la figure, dites-moi ?

Des portails ? C’est là son arme ?
Ceux que Sideways utilise sont différents de ceux qu'Alice connaît, ce qui lui fait froncer les sourcils. Cela ne semble pas magique, et pourtant Alice peut sentir quelque chose qui y ressemble en lui, alors qu’elle regarde le ballet impressionnant auquel se livre le héros, seul contre tous. Un vrai one man army, si elle n’était pas dans le camp opposé, elle en sifflerait même d’admiration. Si proche et pourtant si loin…
Si Alice le laisse finir son petit numéro de charme, il n’y aura bientôt plus personne capable de tenir une arme, ici. Il est rapide, efficace, entraîné… Et Intimidant, un peu. Alice n’a pas un millième de ses capacités physiques. Si elle devait l’affronter tel quel, elle n’aurait à fortiori aucune chance. Elle n’est pas une guerrière, ni une combattante.

Non
Mais Alice est une sorcière.
Elle aussi, peut rivaliser avec une armée. Et plus encore.
Et c’est à elle de rentrer sur scène, maintenant.

A l’instant même ou le temps s’arrête, Alice se rend compte qu’un silence complet s’est installé, seulement brisé par son souffle erratique, le souffle d’une personne qui, il y a un instant encore, était entraîné et absorbé par un trou noir. Un trou noir en plein Gotham. Remettant maladroitement une mèche de ses cheveux derrière son oreille, Lori regarde l’œuvre devant eux, mais aussi le monde qui les entoure, figé, bloqué, leur offrant du temps, un instant au moins. « Je… Je ne voulais pas ça. » Avoue-t-elle d’une voix qui se fait un peu effaré devant le drame qui se joue sous ses yeux, bien que la voix du héros la ramène a la réalité. Ils ont peu de temps pour agir, si peu qu’elle n’a pas vraiment le temps d’avoir une crise éthique, ni même de se demander s’ils pourront ou non arrêter cela : tout ce qu’ils peuvent faire, c’est essayer.

Attrapant la main chaude du héros, elle le regarde droit dans ce qui semble être ses yeux, avant de laisser couler le pouvoir qui ne lui appartiennent pas à travers ce lien, n’en gardant qu’une goutte, celle qui lui permet de rester hors du temps, avec lui. Elle ne sait pas si elle fait bien de lui faire confiance, mais elle sait tout du moins qu'elle ne souhaite pas voir le monde être détruit par sa faute. Jamais. « Je peux t’aider… Enfin je… Je vais essayer. » Jusqu’alors Alice avait toujours essayé de prendre le pouvoir d’autrui et de le garder pour soi, mais si pour cette fois, elle prenait des pouvoir pour amplifier ceux de quelqu’un d’autre ? D’abords hasardeuse, elle tâte, part à la recherche d’une source pouvant augmenter les pouvoirs magiques d’autrui, ce qu’elle finit par trouver, son apparence devenant alors plus reptiliennes, tandis que ses pupilles de fendent en deux. « Tout est à toi. Fais de ton mieux, Sid. » Poussant dans ces pouvoirs qui ne sont pas les siens, Alice essaie d’amplifier les capacités du héros au maximum. Pas sûr que cela puisse l’aider à faire disparaître le trou noir ou le transporter ailleurs dans la galaxie, mais quel autre choix leur reste-t-il ?