Toi qui tomba de la Cité d'argent - Lucifer

- Toi qui alluma les étoiles. Toi qui sculpta les mers, les continents et les cieux dans la lumière du démiurge, selon Son souhait.

La première mèche s’embrasa sans problème, avec un léger crépitement. Fate fit deux pas vers la seconde bougie – celle qui regardait l’Est.

- Toi qui était Son fils, plus que tout autre. Toi qui dansait au creux de la Cité d’Argent, dans Sa lumière, qui était l'étoile du matin. Toi qui était si haut et qui tomba si bas.

Nouvelle flamme. Fate se tourna vers le nord. Dans sa main, la longue tige qui lui servait à allumer les cierges brûlait doucement, lâchant dans l’air un parfum léger de bois et de plante.

- Gardien des brasiers. Souverain légitime de l’Abîme. Le Malin. Père des Mensonges. Ennemi des hommes. Prince des ombres, de la cendre et du souffre. Serpent d’Eden.

Fate se tourna une dernière fois, vers l’Ouest. Devant lui, loin au-dessus des arbres du Yucatan, le soleil entamait sa lente descente. L’aube n’était pas pour tout de suite, mais déjà le ciel se colorait de flammes et de pourpre pour la fin du jour. Le mage tendit le bras, et le cierge s’embrasa.

- Toi qui porte sur ton front la Couronne du Dessous, sur laquelle sont inscrits tes noms. Toi qui siégeait sous la Terre, toi qui occupait le trône de Pandémonium, de Dis et de la Géhenne. Toi qui a guidé les Anges hors du chemin, et qui guida les ombres en punition.

D’un pincement, il étouffa la flamme sur sa tige. Le mage ne bougea pas plus, cependant, laissant la chaleur du jour mourant se perdre dans son masque d’or et dans les plis de ses vêtements.

- Toi qui est le seigneur de Neron, de Belial et d’Ascaroth. Toi qui est Beelzebub. Mephistopheles. Moloch. Lucifer.

Sa voix résonnait solitairement dans l’air. Fate se tenait sur le premier plateau de sa pyramide. Derrière lui, deux hautes portes métalliques grandes ouvertes donnaient sur une profonde salle remplie de colonnes sculptées, plongée dans l’ombre. Devant lui, sur les dalles de pierre, il avait disposé quatre cierges, un pour chaque point cardinal. Entre eux, à la peinture blanche, il avait dessiné un unique symbole.

- Je t’appelle par ton histoire et par tes titres. Je t’appelle par tes noms de jadis, et par ton nom de toujours. Viens, Samaël. Parlons.

Ses paroles furent prononcées doucement, mais raisonnèrent à travers le monde. Elles furent portée par le murmure du vent et le crépitement des flammes, par la danse de l’eau et le chant de la terre. Les étoiles les relayèrent de leurs voix froides et lointaines. Le Soleil les fit glisser sur ses rayons. Il l’entendrait, où qu’il soit.

Fate se détourna, et s’assit à une petite table. C’était le genre de mobilier pliant en bois et en métal qu’on trouvait dans les tentes de l’armée, il y a plusieurs décennies. Le docteur y avait adjoint deux fauteuils, au demeurant confortable. Il attrapa un shaker métallique laissé sur la table et entreprit d’en verser le contenu dans un verre à martini qu’il posa devant un fauteuil. Il s’assit sur l’autre, se servit un haut verre d’eau, et retira son Heaume. Le masque d’or se changea en un filet de poussière emporté par le vent.

Kent Nelson se laissa aller contre le dossier de son fauteuil et attendit. Il avait fait le choix d’un sortilège doux : son invocation n’était pas un kidnapping. Lucifer ne serait pas arraché à ses affaires et jeté dans le cercle comme un malpropre. Les mots qu’il avait lancé à sa poursuite n’en n’était pas moins une laisse qui s’était refermée sur son cou. S’il ne serait pas invoqué en un claquement de doigt, le porteur de lumière ne pouvait pas ignorer l’appel du docteur, pas plus qu’il ne pouvait le délayer.

Le mage ferma les yeux, laissant le soleil caresser sa peau. Il aurait pu réaliser son rituel dans l’intimité de son laboratoire, mais il n’en ressentait pas l’envie. Il voulait sentir le jour tout autour de lui, il voulait profiter de la vue. De plus, il voulait garder ses propres secrets : Lucifer était curieux, et Kent n’avait aucune envie de le laisser fouiner parmi ses machines. Et puis ça ne changeait pas grand-chose. La Pyramide était toujours son domaine. Qu’il appelle le diable ici ou en intérieur ne faisait aucune différence : il était en position de force dans les deux cas.

Inscription : 04/10/2019

Un instant entier, l'univers a retenu son souffle.

Les feuilles des arbres ont cessé de bruisser. Les oiseaux dans le ciel ont interrompu leurs battements d'ailes. L'écume s'est tue avec le silence des vagues. Le magma bouillonnant a reflué jusqu'aux profondeurs de la planète. Les cloches de la Cité d'argent ont cessé de tinter, tout là-haut.

Ce rituel que le Doc Fate a pratiqué n'est pas si compliqué, mais il demande une précision sans pareille, des ingrédients assez rares et une sacrée dose de courage... ou d'inconscience. Ou les deux, sûrement. Car personne d'un tant soit peu sensé n'invoque soN noM en vain, ni sur cette Terre, ni sur n'importe quelle autre.

Mais Kent Nelson n'est pas n'importe qui. Il a ce qu'on appelle communément des sauf-conduits, des protections, une réputation et l'avantage non-négligeable d'être une tête connue. Un ensemble de facteurs qui pourraient lui garantir la vie sauve durant les cinq premières minutes d'entretien. "Pourraient" seulement, si d'autres choses n'entraient pas ici en jeu, si l'énormité que l'élu de Nabu vient d'invoquer n'était pas si... émotionnellement compromise.

Un unique clignement d'œil suffit pour perdre de vue le confortable fauteuil, juste assez longtemps, juste ce qu'il faut. L'instant d'après, comme prévu par l'immuabilité de l'Ordre, il est occupé par un homme plus que séduisant, à la chevelure d'un divin blond, à la beauté angélique toutefois marquée d'une grande balafre en travers du visage. Face à cette apparition, n'importe qui aurait sursauté, pas le bon vieux Doc. Il en a trop vu, il en a trop fait pour succomber à tels artifices. Et puis c'était le but de la manœuvre, attirer Lucifer Morningstar jusque sur le premier plateau de cette pyramide perdue. Un Lucifer qui sacrifie à l'absolu ravissement la colère d'avoir été convoqué.

Personne ne convoque le Diable, même quand le Diable n'est plus le Diable.

- Tiens, tiens, tiens, mon golden boy favori.

Une emphase évidente est mise sur certains mots, certaines expressions. S'il n'a pu résister à cet appel, il ne compte pas faciliter la tâche de son hôte pour autant. Surtout que celui-ci a retiré sa protection contre les belles paroles, dévoilant d'une certaine manière une part importante de lui.

Ses mains délicates jointes devant lui, Lucifer découvre petit à petit l'environnement autour de lui. Jungle impénétrable encore indomptée, pierre antique taillée pour focaliser les courants mystiques, retour progressif des piaillements animaliers, mobilier... au mieux décevant, beaucoup plus adapté à l'Ordre qu'au plaisir des yeux... et la pièce maîtresse: un verre à cocktail plein d'un joli liquide, sûrement posé avec négligence sur la petite table de métal pour que personne n'y touche jamais.

Du bout des doigts il saisit le verre délicat, et le porte à hauteur de son visage, sans boire pour l'instant. Le moment viendra vite, et il n'en sera que meilleur. Mais avant, il convient de s'intéresser quelque peu à son hôte, fusse-t-il forcé.

- Je me demandais ce que tu étais devenu, après cette débâcle sur Terre-20. Ce n'est que maintenant que tu m'appelles ? Ca me chagrinerai presque.

Presque est le mot important ici.

Faussement déçu, l'archange déchu fait tournoyer un instant le contenu de son verre, comme pour libérer tous les parfums de la boisson. Un de ses cocktails favoris, évidemment. Le Doc Fate connaît bien ses goûts. Hum hum.

- Bonjour, Kent. Et santé.

Toi qui tomba de la Cité d'argent - Lucifer S4a9

Enfin, il porte la coupe à ses lèvres, et boit une gorgée.
Ouh, que cela risque d'être amusant !

Toi qui tomba de la Cité d'argent - Lucifer Fvlu

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