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[5ML] Je vous écris car je me meurs

John Constantine
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Shadowpact
[5ML] Je vous écris car je me meurs Lun 14 Sep 2020 - 19:55




C’était un long couloir bas de plafond. Au dessus du sol de ciment nu, des lampes à la lumière crue douchaient de jaune les surfaces grises qui s’étendaient sur quelques mètres seulement, trouant l’obscurité ambiante de luminescence artificielle. A intervalle régulier, une épais battant de bois se découpait dans les murs. Le moindre bruit, de pas ou de voix, résonnait dans le couloir comme un coup de tonnerre.

Pour l’instant, un silence assourdissant y régnait.

Tout au fond, une cage d’escalier tournante amenait à un niveau inférieur. Le ciment prenait une consistance plus vieilli, plus usé. En bas de la volée de marche, un nouveau couloir s’élançait vers l’avant, probablement placé rigoureusement sous le premier. Sa forme était légèrement différente, cependant : à la différence des angles presque tranchant de celui de l’étage, le plafond ici semblait légèrement plus courbé. Il était difficile de différencier le matériaux de la voûte : ce n’était ni exactement des pierres, ni véritablement du ciment. L’épaisseur gris anthracite avait l’apparence du second qui au fil des temps chercheraient à se faire passer pour le premier. Il n’y avait aucune lumière, ou du moins personne n’avait pris la peine de les allumer.

Il n’y avait qu’une porte, dans ce couloir. Tout au fond.

***

Il faisait noir. Terriblement, terriblement noir. La lourde porte – de bois ? De fer ? - ne laissait filtrer aucun rayon. Il n’avait pas mémorisé la configuration de la pièce, toujours trop ébloui par l’ouverture soudaine du battant pour y voir clair – il ne remarquait que des détails, de minuscules éléments mais jamais un tout. Son imagination comblait le vide béant laissait par cette pièce obscure dont il savait si peu.

Ça n’avait rien d’une bonne chose.

Il imaginait du mouvement, dans l’obscurité. Se demandait si il y était vraiment seul. Parfois il croyait entendre quelque chose se glisser un peu sur sa droite, faisant cliqueter des éléments métalliques – souvent, c’était ses propres chaînes qui bruissaient. Du moins c’était ce qu’il se disait pour se rassurer. D’autre fois, il n’y avait rien d’autre que lui dans la cellule. Souvent, c’était déjà trop.

Il avait perdu le décompte des jours. Il était là, dans une obscurité sans bords ni frontières, dans laquelle ses fantômes murmuraient sans répit. Ou alors, il se retrouvait dans sa tête, cloîtré dans des rêves étriqués qui l’étouffaient jusqu’à ce qu’il se réveille haletant. Ou encore, il ne se passait rien. Il se contentait d’écouter sa respiration sifflante et la plainte de ses muscles endoloris, cherchant un peu du calme qu’il ne pouvait ni endormi ni éveillé.

De tout cela, pourtant, il haïssait la lumière de la porte le plus.

Il bougea un peu. Le cliquetis joyeux de maillons métalliques lui répondit. Il lui arrivait par moment d’avoir suffisamment de lucidité pour aligner deux pensées cohérentes. C’était rare, et il les regrettait souvent. Pourtant, il ne perdait jamais une miette de ces mots qui courraient en rond dans sa tête sans s’arrêter. Il s’humecta les lèvres.

Dans le couloir à la porte unique, un murmure monta. Des mots inintelligibles, un peu étouffé par la porte, passèrent à travers les trois fentes du morceau de bois et vinrent ricocher sur une voûte ni vraiment de pierre ni vraiment de ciment. Faibles, fatigués, portés par une voix éraillée que des années de tabac ne rendaient que plus rauque, ils remontèrent péniblement la cage d’escalier. Lentement, au rythme d’un mantra répété inlassablement, ils vinrent s’échouer au bord d’un long couloir de ciment nu, dans lequel s’alignaient des portes grandes ouvertes, donnant sur des rangs de cellules vides.

Il était seul. Entièrement seul.

Et il était incapable de savoir si c’était une bonne ou une mauvaise chose.


Dernière édition par John Constantine le Mar 27 Avr 2021 - 10:49, édité 2 fois
Black Alice
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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Mar 13 Oct 2020 - 22:07

de profundis clamavi


La pierre est froide, presque trop, sous tes pas qui se veulent légers, discrets, invisibles. C’est en silence que tu avances dans les couloirs, retenant ta respiration à chaque croisement, à chaque nouvelle salle où tu te glisses. Tu n’es plus qu’une ombre désormais, une ombre qui se fond dans la pénombre, qui s’étiole en filament jusqu’à sa prochaine cachette, attendant le bon moment, observant, toisant depuis son refuge les rares vivants qui passent, l’allure droite, le pas cadré, tandis que brille le métal des armes entre leurs mains. Tu n’imagines pas ce qu’il se passerait s’ils te trouvaient. Tu préfères taire cette pensée au risque de ne plus jamais oser.
Tu ne devrais pas être ici. Tu le sais, tu le sais parfaitement. Mais ce n’est pas la première fois que tu y viens, ni la dernière.

Il est trop tard, beaucoup trop tard pour quelques balades nocturne. Dans ce monde qui refuse que quique ce soit sorte des rangs, tu avances malgré les risques, malgré la main de fer qui menace de t’écraser. C’est vrai, tu as gagné quelques avantages, quelques faveurs depuis ton arrivée, des titres, un rang aussi, témoignage de ton efficacité, de ta servilité, mais pas assez pour gagner leur confiance... Pas encore, du moins. Ils te surveillent, ils te cadrent. À leurs yeux - comme à ceux de tant d’autres - tu es dangereuse, assez pour qu’à choisir entre t’avoir en ennemie ou morte, la seconde option soit celle qui paraisse la plus acceptable.
Tant pis donc: agir dans les ombres, cacher, mentir, ce n’est pas si difficile, une fois qu’on s’y retrouve forcée, acculée contre un mur qui à tout moment pourrait se voir pousser une gueule pour nous manger. Tout avait commencé à cause de la dualité de tes émotions, de la contradiction de tes sentiments face à tes actions. Il t’avait alors fallut faire un choix entre ta culpabilité tenace et ton envie de rester bien à l’abri, négligeable et assujettie. Contre tout attente, c’est la culpabilité qui avait gagné, et la nuit suivant, tu avais donc agi.
La solution s’était présenté d’elle-même, au fond. D’abord, il y avait eu Joseph. Ce pauvre Joseph, victime des manigances des Hommes, des manigances qui dépassaient et de très loin sa pauvre personne. Coupable d’avoir contribué à son enlèvement, de l’avoir arraché à son cocon de sécurité, tu n’avais pu rester indifférente, te complaisant dans l’inaction, alors que tu avais appris où il était enfermé, où tu pouvais le trouver. Sans en avoir le droit, tu t’étais alors immiscé dans les geôles de Degaton. Une première fois. Puis une seconde, suivie finalement tant de fois que tu avais cessé de les compter, connaissant leur chemin sur le bout de tes pieds nues et silencieux. Avec le temps, il n’avait plus s’agit seulement de Joseph. Avec le temps, ils avaient été de plus en plus nombreux à recevoir tes visites inutiles, ton aide inefficace, et ton soutien décevant...

À quoi bon soutenir, à quoi bon secourir, si l’on est incapable d’agir ? Il n’aurait pas été simple de les sauver, c’est vrai, cela aurait été dangereux, probablement infructueux, mais tu aurais été raccord avec ta vraie volonté, avec ce que te criait ta conscience, tout du long de ces nuits sans sommeil...
Mais non, du début à la fin, seule ta peur avait dictée ta conduite, cette même peur qui craignait de finir du mauvais coté de la barrière, et qui donc faisait tout pour ne pas décevoir, pour se montrer à la hauteur, quitte à pourrir ton âme au passage. Quelle ironie, quand on y pense, non ? Combien des mages, prêtre, sorciers, et autres êtres magiques que tu avais toi-même privé de leurs pouvoirs pour faciliter leur capture, finirent par recevoir ton aide ? Tous, sans exception. Mais aucun ne te donna le pardon que tu espérais tant. Aucun ne te donna l’absolution pour tes crimes.
Tu ne le mérites pas, tu en as conscience dans le fond, n’est-ce pas? Cela serait beaucoup trop simple, Lori, s’il suffisait de quelques larmes pour se faire pardonner.

À chacune de tes visites, tu les avais aidés. Tu avais soigné leurs blessures, c’est vrai, mais jamais extérieurement, de peur que cela se voit. Tu leur avais amené de la nourriture, assez pour qu’ils survivent, pas pour qu’ils se renforcent. Le peu d’espoir que tu aurais pu représenter, tu le tuas toute seule à petit feu, sans t’en rendre compte, en ne faisant rien pour que les choses changent.
Finalement, en voulant les aider sans jamais oser réellement, tu n’avais fait qu’accentuer leur calvaire, jusqu’à que l’un d’eux, à bout de force, fatigué de te voir incapable de mieux, avait demandé une délivrance différente. Finale. Plutôt ça que leur donner ce qu’ils veulent, avait-il dit. La première fois, tu avais refusé, bien sûr, puis quand ses cris avaient raisonné depuis les salles de questionnement au lendemain, tu étais revenu le voir, au cœur de la nuit, pour revenir sur ta réponse.

Combien en as-tu tué, Lori ? Au début, bien sûr, tu retenais leurs visages, leurs noms, puis il y en a eu trop. Alors, tu as essayé de retenir au moins le nombre, mais là aussi, bien vite, au fil des mois, tu avais préféré tout simplement l’oublier. Ils rampent encore sur ton dos, certains soirs, n’est-ce pas ?
Oh, tu ne leur avais pas offert une belle mort, cela aurait été trop beau. Non, là encore, il avait été nécessaire que rien ne se remarque. Que rien ne se voit pour que l’on ne puisse remonter jusqu’à toi. Aggraver une infection juste assez pour que la fièvre l’emporte dans la nuit, aider un cœur fragile à perdre la cadence, encourager l’engourdissement d’un corps juste assez pour que son sommeil soit le dernier... Plus ils avaient été, et plus il était devenu simple, familier de trouver où appuyer, où s’attarder pour que les choses aillent vite, simplement. C’est fou comme on peut s’habituer à tout, même à l’horreur que l’on crée de ses mains…

Petit à petit, les cellules s’étaient alors vidées, par ta faute ou pas la leur. Petit à petit, il n’était resté que l’ombre des fantômes pour te rappeler tes péchés et tout ce que tu n’avais pas fait. Si certains cachots s’étaient trouvé de nouveaux locataires, d’autres résistants aux cœurs nobles et vaillants, celui du quartier de la légion de Niebelungen étaient resté vide. Les magiciens avaient désormais une île pour se cacher, pour s’abriter loin du régime, et leurs captures c’étaient faites de plus en plus rare, de plus en plus difficile.
Pourtant, malgré le vide des cellules, l’absence d’âme à faussement aider pour soigner ton infamie, tu y revenais toujours, encore et encore, y restant alors dans le silence de tes regrets, entre deux rondes que tu connaissais par cœur.
Avant l’aube, tu auras disparu, mais pas encore, pas tout de suite.

Tu n’étais jamais descendu plus bas. Tu les avais entendu dire des choses et d’autre à ce sujet, au sujet de l’homme au fond de la cellule, mais son nom t’avait toujours échappé. Si quelques fois, tu avais osé descendre quelques marches, poussées par la curiosité, jusqu’à ce soir, jamais tes pas ne t’avaient conduit aussi loin, aussi proche de cette porte. Cette fameuse porte.
Tes pas se font lents, prudents, alors que tu avances dans les ténèbres qui ne t’effraient pas, ta main effleurant les murs sans cellules pour te repérer, tandis que tu te guides au son de cette litanie sans fin, à la voix éraillée, qui gagne en puissance tandis que tes pas t’en rapprochent, tandis que le bout de tes doigts glisse sur le bois d’une porte dont tu approches l’oreille, écoutant, essayant de comprendre l’incompréhensible. Tu ne reconnais pas les mots, c’est vrai, mais le ton, l’intonation, elle, tu l’as entendu tant et tant de fois ces derniers mois…


« Je me suis souvent demandé qui ils gardaient ici. » Le murmure t’échappe alors que tes pensées se font voix, sans que tu ne sois certaines de les avoirs prononcés. Seul le froid qui engourdit tes extrémités te rappelle que tout ceci n’est pas un de tes nombreux cauchemars. « Mais qu’est-ce qu’un nom changerait, de toute façon... » Le murmure s’étouffe alors que ta tête se baisse, soudainement bien lourde alors que tu prends conscience de toute la portée de son impuissance. Tu n’as jamais sauvé personne Lori. « Je suis désolée... »
Et cela ne changera pas ce soir…



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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Mar 20 Oct 2020 - 13:24




Le murmure se tut brutalement alors qu’il se redressait d’un geste sec, accompagné du cliquetis de ses chaînes. Ses yeux aveugles et écarquillés fixaient l’obscurité devant lui, là où (il en était à peu près sûr) se trouvait la porte. Il n’y avait toujours pas de lumière. Pourtant, il entendait quelque chose : un petit bruit, un contact sur la pierre. Comme un grattement. Un souvenir lointain de bottes sur des dalles lui traversa la tête comme une balle. Quelqu’un venait.

Il se recroquevilla brusquement quand il comprit que ça n’était probablement pas que dans sa tête.

Ses mains noueuses étaient recroquevillées contre sa poitrine, ses lèvres pincées au milieu d’une barbe mal-tenue. Ses yeux, anciennement bleus, s’étaient fermés brusquement. Ça n’avait rien changé : l’obscurité de l’endroit semblait s’être glissée sous ses paupières. Il les serrait plus fort, pourtant, comme si cela pouvait faire disparaître le nouveau venu. Des fois, ça marchait : il entendait des pas, au milieu du noir, et en fermant les yeux suffisamment fort le silence reprenait ses droits. La présence s’évanouissait, mauvais cauchemar conjuré par le vœu désespéré d’un homme fatigué. Pas cette fois.
Une nouvelle voix s’éleva de l’autre côté du panneau de bois. Elle parla, et le silence retomba. Le temps sembla étendu, étiré, immobile. Il la sentait, à travers la porte – cette voix qu’il ne connaissait pas, qu’il découvrait, cette présence derrière le battant. Ses mots, lentement, lui montèrent à la tête. Interloqué, surpris, il savourait cette nouvelle voix, ces murmures inconnus qui emplissait l’espace vide dans lequel il croupissait.

« Je suis désolée... »

Il ouvrit lentement les yeux. Les mots tournaient dans sa tête, prenant sens, formant une phrase, dessinant une discussion. Il s’humecta les lèvres, parcourant du bout de la langue les crevasses et le sang séché qui s’y alignaient.

« Désolée... »

Ces mots formaient une phrase, et dans son creux donnaient naissance à quelque chose d’autre, chez lui. De la bile. De la rage. Une vague acide, libérée par quelques mots innocemment lancé dans un couloir au milieu de nulle part, qui jaillissait brutalement du fin fond de sa gorge. Elle lui étira un large sourire craquelé, mauvais et grimaçant.

- Désolée?

Il cracha le mot comme un glaire sanguinolent, chargé de mépris et de haine. Il était prostré depuis il ne savait plus combien de temps, terré dans un cellule sombre, entouré de froid, de fer et d’ennemis. Son corps était meurtri, son esprit fatigué. Il avait faim. Froid. Soif. Mal. Il sentait la rudesse de la pierre dans son dos, l’inconfort du ciment sous ses pieds, le poids constant des fers sur ses poignets. Lentement, quelque chose montait remontait ses boyaux – quelque chose qu’il y a des mois (des années ? Des semaines?) il aurait appelé « son juste et valeureux mépris de l’hypocrisie des gens qui ont tellement la tête dans le cul qu’ils ne voient rien d’autre que leur propre merde ».

C’était tout ce qu’il avait, ces jours-ci : une touche brûlante de colère et de douleur au milieu d’un océan glacé d’immobilité et de perdition, une flamme cachée dans ses yeux vitreux qui ne voyaient plus que des silhouettes depuis des mois et qui ne demandait qu’à devenir incendie.

- Qu’est-ce que j’en ai à foutre, de ta désolation?

Son ton n’était pas aussi acéré qu’il aurait pu l’être. Pas aussi agressif qu’il aurait dû. Pas aussi violent et flamboyant qu’il n’avait été. Sa voix rauque et un peu brisée portait des nuances de désespoir et de fatigue, cachées derrière une façade qui se voulait défiante et fière et qui ne parvenait qu’à exhiber les brisures d’un homme terrifié par son propre futur sans lendemains.

Il y eut un silence, puis ses chaînes cliquetèrent. Il était fatigué, énervé, mais pas encore tout à fait fou : la voix était nouvelle. Sûrement un piège quelconque, mais dans lequel il tombait bien volontiers. C’était la première nouveauté depuis longtemps, et si elle devait se clôturer dans son sang… et bien ça ne changerait pas de son quotidien.

- T’es qui, d’abord ?
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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Mer 21 Oct 2020 - 21:52

de profundis clamavi


Aurais-tu préféré que le silence perdure ? Qu’aucun mot ne vienne répondre aux tiens ? Peut-être, dans le fond. Comme à chaque fois que la haine et la colère te heurtaient brutalement, te ramenant à la réalité de ton rôle dans tout cela, tu avais juste envie de fuir. C’était tellement plus simple de se cacher, de nier ses responsabilités, et juste… Juste oublier. Si seulement tu pouvais y arriver encore un peu, si seulement il t’était encore possible d’enfermer toute cette putain de culpabilité dans une boite loin, tout fond de ta conscience. Mais ce genre de stratégie avait ses limites, et il y a des mois maintenant que tu les avais dépassé, les élimant lentement mais sûrement au fil des atrocités que tu avais cautionné par ton silence, par ta présence. Quand viendra le jour où il te faudra répondre de tout cela, Lori, que diable pourras-tu faire sinon reconnaître tes torts ?
Coupable, coupable ! Qu’on lui coupe la tête.

« Ouais, pas grand-chose, j’ai capté. » Ajoutes-tu dans un murmure ennuyé, alors que l’homme derrière la porte envoya paître tes inutiles excuses. Les excuses ne vont pas le sauver, ni l’aider à fuir cet enfer. Non, elles ne serviront à rien, ne changeront rien… Et tu en as conscience, dans le fond, non ? C’est égoïstement que tu les avais prononcées, comme à chaque fois, cherchant une absolution qui ne viendra jamais. Es-tu naïve à ce point ? Tu n’as aucune légitimité à te sentir contrarié de ne pas avoir la réponse que tu veux, petite fille, tu n’es pas la victime ici, mais bel et bien le persécuteur.

Au moins, tu ne fuis pas. Pas cette fois. Tu aurais pu le faire, tu l’avais même déjà fait, mais peut-être que l’habitude d’être rejetée avait fini par te rendre moins sensible à la haine et la colère de ceux qui n’ont plus d’espoir, te permettant plutôt d’être sensible à leur souffrance, à leur terreur, et à la fatigue qui écaillaient cette agressivité qui se voulait ravageuse, mais qui n’arrivait en rien à te repousser. Tu lui accordes volontiers toute la colère et la haine du monde, si le fait de pouvoir la déverser sur quelqu’un lui apportait quelque chose… Juste quelque chose.

« Je… Je ne peux pas vous le dire. » Réponds-tu alors qu’il te demande ton identité, ta voix laissant apparaître un brin de nervosité, alors que tes sens scannent machinalement les lieux, vérifiant qu’aucune source de magie approche de ta position. Tu te sais surveillée, mais tu ignores à quel point. Alors tu restes prudente, sur tes gardes. Il ne faut pas tomber, pas encore. « Je n’ai pas à être ici, avoues-tu dans un murmure, comme pour justifier l’absence de réponse satisfaisante. Et de toute façon qu’est-ce que ça changerait, un nom ? » Le silence tombe quelque peu, alors que tu hésites à continuer, cherchant tes mots, quelque chose pour faire acte de bonne foi, plus que ce mystère sur ton nom, sur ta personne. « Je… Je fais partie de la Legion Niebelungen, sous les ordres d’Arcane. » Ta voix s’éteint presque sur ce dernier nom, tu n’osais pas le prononcer trop fort : tout comme on tait le nom du croquemitaine, de peur de le voir apparaître dans son dos, tu préférais éviter de dire son nom, tout autant que celui de Degaton.
Tes sens restent en alertes, paranoïaques, mais rien ne vient. Bien. Te laissant prudemment tomber contre la porte, tu reprends après un instant, gardant une voix toujours aussi basse, mais qui dans tout ce silence porte autant qu’un hurlement dans la nuit. « Ça ne devait pas se passer comme ça… Je n’avais pas prévu de rester mais… Mais avant que je m’en rende compte, je ne pouvais simplement plus partir. » On ne démissionne pas quand on sert auprès de Degaton, cela, hélas, tu ne t’en étais rendu compte que trop tard, alors que ceux qui osèrent servirent d’exemple pour les autres.
Très vite, tu t’étais mise à craindre pour ta survie, oui, mais aussi pour tes parents. Ah, ta famille, ta plus grande faiblesse, une faiblesse qu’ils connaissaient parfaitement, évidemment, puisque c’était là la raison qui t’avait poussé en Europe. Sers fidèlement, et ils t’aideront à les faire revenir. Trahis le, et Degaton ira les chercher à travers le temps pour les torturer, encore et encore, tout ça à cause de toi, à cause de tes fautes. Tu es coincée Lori, tu le sais, et tu en as assez conscience pour ne plus te débattre, désormais, résignée sur ton sort, et trop lâche pour oser quoi que ce soit.

Si tes chaînes ne sont pas de métal, elles cliquettent pourtant à tes oreilles autant que celle de l’homme sans nom, derrière cette infranchissable porte bois…



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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Dim 25 Oct 2020 - 21:45




Il se tut encore. Pendant quelques instants, il se tint le dos droit, les yeux écarquillés. Son cœur battait de toutes ses forces dans ses tempes. Il s’était tendu en un battement de cil, attendant le moment nécessairement déplaisant qui suivait la mention de la légion Niebelungen, comme un animal pris dans les phares d'un véhicule ou un rongeur devant un cobra. Il n'avait nulle part où détaler, mais la nature était faite de ce genre de cruels jeux de réflexes. C’était un simple mot, pourtant - mais associé à tant d’images. De sons. D’odeurs.

Le goût métallique du sang omniprésent dans sa bouche. La sensation humide de gouttes salées le long de ses joues. La morsure de quelque chose dans son dos. Le tissu souillé sur ses jambes, ce qui coulait le long de ses cuisses. La voix souriante et amusée, dans ses oreilles.

Il cligna des yeux une fois. Les mots. S’accrocher aux mots – comme à une bouée de secours, comme à une branche au-dessus d’un abîme. Se concentrer sur la conversation. Voilà. Le présent. Rien d’autre. Juste ça, là, juste ce qui lui arrivait là, à l’instant. Il prit un moment, le temps d’un longue inspiration sifflante – puis il parla d’une voix glaciale.

- Donc si je résume bien, t’es une foutue fasciste et tu me demandes de m’apitoyer sur ton sort. Grosso modo.

Il se sentait revivre, d’une certaine façon. Tout revenait assez vite – le sarcasme, qui pour une fois pouvait couler sans restrictions, l’agressivité qui ne rencontrait plus d’opposition. C’était des réflexes de langues qui lui semblaient les échos d’une vie lointaine, hérité du souvenir d’un homme qu’il n’était plus dans lequel il se drapait comme il pouvait.

Ce n’était pas tout, évidemment – lentement, il sentait poindre autre chose dans sa tête. Il avait passé 5 mois prisonniers de ses ombres, envahis tous les jours par les mêmes cauchemars, avec pour seules armes des mots creux et des moqueries plus douloureuse pour lui que pour ceux à qui elles étaient destinées. Il n’avait pas eu de véritable conversation ou de véritable lien avec qui que ce soit depuis des mois.
Il y eut un autre silence. Quelque part, son premier réflexe était de cracher au visage de quiconque se tenait derrière la porte – parce qu’elle se présentait avec le masque de l’ennemi comme avec celui du faible : elle ne représentait aucune menace direct. C’était une cible facile, sur laquelle il voulait hurler toute la rage et la frustration que restreignaient ses chaînes. Mais dans le même temps, il y avait autre chose : elle lui parlait. Il était tiraillé entre ces deux directions opposées, écartelée entre l’envie de l’envoyer chier avec sa tristesse hypocrite et le besoin compulsif de profiter, même quelques instants, d’un rapport humain qui ne se termine pas avec son sang sur le pavé.

- C’est généralement le truc, quand on rejoint le régime d’un putain de nazi qui voyage dans le temps : on se fait enculer jusqu’à la carotide. D’autant plus quand ton boss, c’est Arcane – regarde le, merde, le machin c’est le scrotum de Frankenstein avec des yeux. Avec les yeux d’un iguane qui se serait payé un mur.

Là. Cette toute petite étincelle, dans sa voix rocailleuse – cette minuscule note, plus aiguë, plus légère, infime coup de triangle au milieu d’une orchestre symphonique. Pour une raison ou une autre, l’image d’Arcane en testicule bigleuse fit planer l'ombre d'un sourire sur ses lèvres – à défaut de pouvoir maîtriser quoi que ce soit, ridiculiser certains dangers est une façon de les écarter. Ça ne dura qu’un bref instant, mais juste assez pour traverser la porte et être sensible pour Alice

- Sérieusement, tu t’attendais à quoi ? Si Satan en personne était venu te proposer un job, t’aurais été surprise de te retrouver dans la Fosse?

Les ombres se mouvaient, autour de lui, mais différemment de l’ordinaire. Pour une fois, c’était lui qui dessinait sur la toile obscure de sa cellule – lui qui décidait ce qui y apparaissait ou non. Bout à bout, il laissait aller son esprit, cherchant à visualiser son interlocutrice. Il était à peu près certains que c’était une fille, mais ça ne l’empêcha pas d’imaginer un castrat un coup sur deux, de la carrure de Pavarotti, assis devant sa porte avec des yeux de cocker battu. Elle n’était probablement pas bien vieille – fut un temps, ça l’aurait désolé (quelque part loin sous une épaisse couche de cynisme crasseux). Là, il n’y accorda pas beaucoup de réflexions. Pas encore. Pas tout de suite. Pour l’instant, il se laissait juste porter par le flot de la conversation – il aurait beaucoup de nuits sans fins ensuite pour imaginer ce qui se tenait derrière cette porte et peut-être se tirer un sourire pour essayer de survivre aux mois qui s’annonçaient.

Peut-être qu’à un moment, il se tirerait les doigts des synapses et il analyserait convenablement les morceaux d’informations disséminés ici et là. Fut un temps, il l’aurait fait – et il en aurait tiré profit presque aussitôt.
Mais pas tout de suite. Pas maintenant.
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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Mer 28 Oct 2020 - 18:46

de profundis clamavi


Tu pouvais la sentir, là, tout près de toi, cette colère qui bouillait dans ton for intérieur, qui avait envie de répondre à la sienne, de tempêter face aux paroles de ton inconnu qui touchaient plus juste que tu voulais bien le reconnaître. Une partie de toi avait clairement envie de le repousser, brutalement, de t’en aller, répondant ainsi à ce que te dictait ton ego piqué à vif. Puisque tu ne pouvais pas déverser ta colère sur lui, pourquoi donc rester ?
Pourtant… Oui, pourtant tu ne bougeas pas. Tes lèvres se pincèrent pour accuser le coup, tes poings se serrèrent au terme fasciste, mais tu ne bougeas pas. Ce n’est jamais agréable de se faire jeter des vérités amères au visage, c’est vrai, mais dans un sens presque cynique, tu préférais cela aux compliments, aux titres et au prestige d’un gouvernement que tu savais profondément mauvais.
Si l’absolution n’était pas à ta portée, restait l’expiation.

Prenant sur toi, laissant le silence consentir à ses paroles, assumer une vérité que tu ne pouvais acquiescer avec des mots - pas tout de suite du moins – tu replias tes jambes contre toi, les entourant de tes bras et de tes mains qui vinrent alors se perdre sur tes collants, en suivant la résille que tu ne pouvais voir dans ces ténèbres. C’était agréable, cette sensation d’être entièrement cachée, dévorée par l’obscurité, de ne presque plus exister… Mais cela le serait-il encore après des semaines? Des mois ? Des années ? Même en essayant de toutes tes forces, tu ne pourras jamais te mettre à la place de la personne derrière cette porte, Lori, et au fond tu le sais, n’est-ce pas ? Sa colère est légitime, autant que sa hargne, bien plus que la tienne, dans tous les cas. Tu acquiesces alors, plus pour toi qu’autre chose, tandis que tu laisses ta colère couler entre tes doigts. « Ouais, c’est ça... » Finis-tu par avouer dans un souffle si faible, la gorge serrée autant par la fierté que l’humiliation, qu’il était tout à fait possible que les mots n’aient pas réussi à passer à travers la lourde porte en bois vous séparant...

Puis de nouveau le silence.
Évidemment, après le jugement douloureux qui avait sanctionné tes paroles bien naïves, tu n’osais plus le briser, comme une gamine prise en faute, qui ne savait pas trop si elle devait rester ou si on attendait d’elle qu’elle parte dans sa chambre pour réfléchir à ses méfaits. Incertaine, tu préféras cependant tenir ta position, jouer les fortes têtes, quitte à être dépréciée une nouvelle fois, plutôt que de retourner là-haut et de reprendre ton rôle de parfait petit soldat se mouvant avec la peur d’être percé à jour. Au point où tu en étais, si te cracher verbalement dessus apportait un peu de satisfaction à l’homme derrière cette porte, autant rester…

De nouveaux des mots. Différents, cette fois. Accusateurs, toujours, oui, mais il y avait autre chose aussi, quelque chose qui fit doucement remonter ta main jusqu’à tes lèvres, pour y cacher l’esquisse d’un sourire qui n’aurait pas du s’y trouver. L’image était tragiquement divertissante, alors que tu imaginais l’homme qui alimentait tes cauchemars de mille horreurs avec les yeux d’un iguane et une expression de blobfish. Ah, c’était trop. Malgré tes efforts, tes lèvres ne réussirent pas à retenir un souffle amusé, que tu étouffas bien vite, malgré l’image qui te restait en tête.
Il y avait comme quelque chose en toi qui sonnait comme un blasphème devant cette pensée, une sensation que l’on avait inculqué dans ton être par la peur et la crainte, mais qui à cet instant n’arrivait pas à faire taire l’irrévérence de ces quelques secondes que tu t’accordais, malgré toi… Juste quelques instants avant que tu ne te reprennes, et que tu laisses l’image qui s’était mué dans les ténèbres disparaître.

« Tu sais, quand Satan vient te voir, il ne le fait pas avec toute la clique démoniaque. Nan, il envoie d’abord son gars sûr, celui qui parle bien, qui présente bien, et qui sait juste comment te présenter les choses pour que ça ne te semble pas un sacrifice trop grand, juste l’affaire de quelques semaines. " Ouais, ce n'est pas éthique, mais eh, regarde ce qu’on fait pour toi en échange" . Puis une fois que t’es plongé dans la casserole, on monte la température par étape. Parfois, tu te rends bien compte que ça commence à clairement être trop chaud pour toi, mais dans ces moments-là, ils agitent le petit contrat, flatte tes efforts et te promettent qu’on verra bientôt pour le paiement... Alors tu sers les dents et tu te dis que bientôt ça sera terminé.» C’est Alice qui parle, oui, avec ce ton traînant et dédaigneux, comme pour se protéger des remarques qui suivrons, mais c’est Lori qui soupire, fatiguée, prenant un instant pour se laisser aller contre la porte, se rappelant tout ce qui l’avait amené jusqu’ici. Tu t’es fait ébouillanter en beauté, hein ? « Puis plus tu perds, plus tu te dis que tu as trop donné pour abandonner maintenant, parce que t’es si prêt d’avoir ce que t’es venu chercher… » Tu passes une main dans tes cheveux, tournant ton cou, lasse, alors que tu finis par l’avouer, dans un murmure. «Je sais, ouais, j’ai pas à me plaindre, parce que c’est moi la méchante de l’histoire, je me suis fait baiser, mais j’étais consentante, alors je ne peux pas crier au viol ensuite. Et que je m’excuse ou quoi que je fasse ça changera rien, parce que ça va trop loin cette fois. Ça va beaucoup trop loin... » Il va falloir vivre avec cette culpabilité Lori, désormais. Cette fois, les choses sont trop graves pour qu’il te suffise simplement de fuir pour tout effacer.
Et puis de toute façon, où voudrais-tu fuir ? Ici, tu n’as pas d’alliés, et tu n’en as pas plus ailleurs.
Tu as tout fait pour ne pas en avoir, souviens-toi : tout ce temps passé à rejeter tous ceux qui voulaient t’aider, tous ceux qui avaient essayé de faire de toi une meilleure personne, pour finalement accepter de venir servir un gouvernement fasciste dans le seul but égoïste de retrouver tes parents.
Tu veux être seule ? Félicitation, c’est une réussite.



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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Jeu 19 Nov 2020 - 15:08




Ce fut bref, a peine perceptible, tout juste le temps d’un battement de cœur. Alice laissa échapper un éclat de rire, qui fila dans l’air froid de la geôle, comme une allumette s’embrase au milieu d’une nuit d’hiver. Ça semblait si peu, et pourtant...

Il se laissa aller contre le mur. Il l’avait fait sourire – mieux, il lui avait tiré un rire. Enfin, pas vraiment : il savait bien que ça n’était qu’une pâle copie de ce qu’était un rire, mais il n’aurait pas osé demander plus. Il ne pouvait pas demander plus que cette esquisse de bonne humeur, témoin d’un temps passé. Le prisonnier prit une longue inspiration, comme si soudainement l’odeur même de sa prison avait changé. Il n’avait jamais remarqué à quel point faire rire lui avait manqué.

Lorsqu’elle parla, le silence de la cellule se colora différemment. Ce n’était plus milles voix qui retenaient leur souffle, reculées dans des ombres dont il ne connaissait pas le fond, pour la première fois depuis cinq longs mois. Le noir les enveloppait, leur tendait ses bras d’oublis dans lesquels ils se jetaient sans remords. Tout s’y mélangeait, existant dans leurs têtes plus que sous leurs yeux: la porte qui les séparait, les chaînes, le monde extérieur Et, dans une certaine mesure, une partie de leurs cicatrices.

- Je sais.

Il bougea, et les chaînes cliquetèrent. Il avait parlé d’un ton égal, ce qui était un progrès face à son agressivité latente deux minutes plus tôt. Il ne lui pardonnait rien du tout: elle était toujours au service de Degaton, lui déjà dans sa tombe, et ça n’était pas quelque chose qu’il oublierait de si tôt. Il voulait encore lui cracher sa bile au visage, lui vomir des insultes dessus, mais il comprenait. Si il avait du lui déchirer la gorge en échange de sa liberté, il l’aurait fait sans hésité, mais on avait vu des choses plus étranges arriver entre ennemis. Ce n’était pas une façon de l’excuser, ou de se montrer clément, mais ça ne l’empêchait pas de reconnaître une vérité, aussi paradoxale soit-elle, lorsqu’on lui fichait sous le nez. Il compatissait un peu.
Pas beaucoup. Peut-être plus que ce qu’il n’admettait, et probablement moins qu'il n'aurait dû - définir clairement qui était coupable et pourquoi n'avait de sens que pour un jour qui ne viendrait jamais, alors il envoyait poliment la moralité se faire foutre.

- Je connais Satan. Il n’a aucun gars sûr, d’ailleurs. Même ceux qui se présentent le mieux ont des faces de rats.

Une image lui passa en tête, à nouveau.

-… littéralement.

Les mots lui venaient tout seul, tranquillement, comme des souvenirs qu’on réveille lentement sans trop s’en rendre compte. Il se laissait porter par sa propre voix, qui se faisait plus sûre et un peu plus chaude à chaque phrase – et ses lèvres, par elle-même, dessinait le souvenir lointain d’un sourire moqueur sur son visage.
Son corps tout entier se mettait en mouvement au son d’une musique qu’il n’avait pas entendu depuis des mois, repoussant la fatigue, les ombres, et des souvenirs trop vifs et trop douloureux à porter, ne serait-ce que le temps d'une conversation. C’était merveilleux.

- Et pour être tout à fait honnête, même après nous avoir complètement niqué, même lui n’est pas à l’abri d’un coup de pied calculé dans les burnes.

Discussion métaphorique, perle de sagesse ou vision de sa vie passée, c’était difficile à dire. Il ne savait pas très bien non plus. C’était un peu des trois en même temps. Il se souvenait d’un temps qui lui paraissait si loin. C’était drôle, à l’époque – dangereux, étouffant, certes, mais c’était tout l’intérêt : il ne connaissait pas meilleure source d’adrénaline. Il se sentait intouchable, oscillant seul sur un fil si haut que personne ne pouvait l’atteindre…

D’autres images lui revinrent en tête. Clic L’odeur de vieux livres, d’encens et d’alcool. Un poids léger entre son index et son majeur, Clic clic la brève caresse d’une flamme au milieu des nuits froids de Londres.Clic Le cliquetis d’un briquet qui ne veut pas s’allumer.

Cliquetis-clic, fit la chaîne à son poignet.

Sa main tremblait, faisant bruisser les maillons de métal. Elle ne tremblait pas d’émotion, ç’aurait été trop beau : c’était quelque chose de plus basique, de plus primaire qui le rongeait de l’intérieur et qui lui rappelait son besoin de plus, l’envie dévorante qui lui mordait l’intérieur de temps en temps.
Il serra les poings, et se recroquevilla sur lui-même, comme pour étouffer le tremblement – comme si ça pouvait arrêter quoi que ce soit.
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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Mar 13 Avr 2021 - 16:07

de profundis clamavi


« Alors faut croire que Degaton sait mieux amadouer que Satan. Coup dur pour la réputation du cornue. Mais peut-être que lui tient mieux sa parole que Degaton... » Sa voix reste faible, à peine un murmure, mais malgré tout, on peut sentir une petite pointe timide et moqueuse s’immiscer dans ses paroles, alors qu’elle pose le coude contre son genoux replié, et sa tête dans sa main ainsi ramené vers elle.
Elle pourrait presque oublier l’uniforme qu’elle porte, ainsi dévorée par les ténèbres, n’ayant plus à se soucier de son allégeance si lourde à porter, et renforcée uniquement par la peur et la crainte. Si quelqu’un devait mettre un coup de pied dans les burnes de Degaton, sûr qu’elle ne serait pas la première à donner le coup de pied… En revanche, être la deuxième, si elle en trouvait le courage…

Cependant, la voix de l’inconnu se tait, alors que le bruit de ses chaînes, cliquetant, se fait entendre, comme un tremblement, vif, fort. Soudainement autant inquiète qu’alertée, Lori se mit sur la pointe de ses pieds pour essayer de voir quelque chose à travers les trois ouvertures de la porte, le seul petit encadrement ou pouvait passer la lumière, quand elle était allumée. « Et, ça va mec ? » Demande-t-elle doucement, sa voix juvénile se propageant dans la pièce, hésitante, ayant bien conscience que la réponse ne pourrait qu’être négative : comment aller bien quand on était torturé, enfermé et laissé seul dans le froid et la faim continuellement ? Pourtant, Lori décide de ne pas laisser sa culpabilité la faire se taire, même si ses paroles ne font que l’enfoncer, chaque fois un peu plus. Elle a l’habitude maintenant qu’on lui crache haine et colère au visage, il en faut plus pour la faire partir.

« Je peux faire quelque chose pour t’aider ? Enfin, hormis te libérer… De toute façon, même si je le faisais, on n'aurait pas fait trois pas qu’ils seraient tous sur nous. » Alice ne se faisait pas d’illusion, un prisonnier aussi bien gardé à l’abri des regard, loin de tous les autres et dans un couloir ne comportant rien d’autre que sa cellule… Non, qui qu’il soit, cet homme n’était pas n’importe qui. Après tout, il connaissait Satan. Si elle le libérait, Lori serait probablement tuée, et lui retournerait simplement en prison, de nouveau. « Je sais que ça sert pas à grand-chose, mais je peux toujours trouver des trucs pour soulager… Enfin… Pour un peu améliorer ta situation quelques instants... » Ça elle savait faire, oui. D’abord, elle avait commencé à le faire pour Joey, à qui elle avait fourni des anti-douleurs les premiers mois de son incarcération, puis ses petits soins s’étaient propagé à d’autres prisonniers. De l’eau, de la nourriture, une lampée d’alcool, la photo souvenir d’une famille… Les demandes étaient aussi variées que les prisonniers. Et il y avait ceux qui lui avait demandé une autre sorte d’aide, plus définitive, mais à laquelle elle s’était pliée. S’ils préféraient mourir que trahir les leur, qui était-elle pour les juger ?



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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Mar 27 Avr 2021 - 10:43




Sa respiration était lourde, saccadée, comme si ses poumons essayait de retenir un souffle qui ne demandait qu’à sortir, et qu’ils ne parvenaient à le réguler qu’en à-coups secs et irréguliers. Son cœur c’était mis à battre la chamade, et il ferma les yeux et s’humecta les lèvres. Il avait envie. Une envie terrible, qui brûlait ses poumons, sa gorge et le bout de ses doigts. C’était une envie qui ne tarissait jamais : parfois, un ombre avec un rictus acéré et moqueur venait se découper dans l’embrasure de la porte pour lui donner un petit bâton de tabac. Parfois deux. Parfois autant qu’il voulait. Et puis, des fois, l’obscurité restait sourde à ses appels – pas de cigarette, pas de flammèche orangée de briquet. Il restait seul, dans sa cellule, avec cette envie de fumée et de feu qui venait ronger son corps, ses tripes et une partie de son esprit.
Regulièrement, cette envie se réveillait – et ça n’était jamais un bon moment pour lui parler de quoi que ce soit – les ombres de la porte, de toutes façons, ne lui parlaient pas. Au mieux, elles riaient d’un son sec, aride, comme passé au papier de verre.

« Et, ça va mec ? »

Ses yeux, dans le noir, s’ouvrirent sur une braise ardente de bile. Ses lèvres craquelées crachèrent leurs mots d’un voix rauque, acide.

« Impec, princesse, pourquoi, j’ai pas l’air ?

Fût un temps, ces mêmes mots auraient put être drôle, utilisés pour détourner l’attention de son interlocutrice de l’évidente peine dans laquelle il était. Plus maintenant. Maintenant, c’était presque un aboiement, un coup de feu en réponse à une question stupide enrobée de compassion naïve. Il ferma à nouveau les yeux, pris une inspiration sifflante.
Puis il décida de ne pas laisser la conversation se taire là.

 « Tu crois quoi, putain ?

- Je peux faire quelque chose pour t’aider ? Enfin, hormis te libérer… De toute façon, même si je le faisais, on n'aurait pas fait trois pas qu’ils seraient tous sur nous. »

Le prisonnier marqua un temps d’arrêt, et les chaînes cessèrent de cliqueter à ses poignets. Un silence de mort tomba dans la pièce et le couloir. Difficile de savoir si c’était un silence attentif, ou si quelque chose d’autre se rassemblait dans le coin des murs, dans les recoins du plafond.

« Je sais que ça sert pas à grand-chose, mais je peux toujours trouver des trucs pour soulager… Enfin… Pour un peu améliorer ta situation quelques instants... »

Le silence prit un peu plus d’ampleur, de consistance, comme si les ombres entières observaient Alice sous tous les angles. Puis, il y eut un nouveau cliquetis lorsque le prisonnier se pencha en avant. Sa voix s’éleva à nouveau – beaucoup plus douce, mais aussi plus grondante.

- Oh oui, c’est une bonne idée, ça.

Il passa le bout de sa langue sur ses lèvres tuméfiées. Ses yeux étaient fixes, fiévreux, fixés sur l’obscurité devant lui, comme si son regard pouvait percer tout ce qui cachait Alice à ses yeux. Ses tremblements s’étaient arrêtés, et il semblait entièrement fixé dans une seul direction – complètement braqué sur ses mots, sur Alice, à un niveau qui en semblait ouvertement dérangeant.

- Tue moi.

Le silence se fit, après cette phrase. L’idée plana dans l’ombre, lorgnant la jeune agent du Régime, étudiant ses réactions. Le prisonnier resta immobile un long moment, comme pour attendre une réaction. Il aurait pu simplement lui demander une cigarette – et il l’aurait probablement fait, si la proposition était venue plus tôt ou si la conversation avait pris un autre virage. Mais elle avait réveillé quelque chose, dans sa tête et dans son cœur : ces mots, ces conversations dont il n’avait plus qu’un souvenir fade jusqu’alors, avaient ravivé quelque chose. Un puits presque tari, où sa colère puisait, puisait de toute ses forces. Un trou presque sans fond d’où émergeait une colère fière, rageuse et hurlante, qui grimpait à toute vitesse les parois de la prison dans laquelle elle était confinée depuis si longtemps pour ressortir dans le monde – en emmerdant royalement toute considération pragmatique ou logique.

- Ils doivent avoir une raison, pour me garder ici. Pour me garder en vie. Si tu me libère, ils nous tomberont dessus dans la seconde, probablement.

Il articulait toujours un peu difficilement, d’une voix rauque et brisée. Il manquait d’entraînement et de pratique – d’ordinaire, ses phrases étaient des murmures roués de coups, veinés d’une douleur lancinante. Il y eut un nouveau silence.

- Ou est-ce que tu as trop les jetons pour m’aider, parce que ça serait trop te mettre en danger ?

Nouveau silence. Lorsque sa voix s’éleva à nouveau, elle était froide, condensant un ressenti et une colère qui, si il avait été franc, n’aurait pas dû être dirigés vers Alice. Mais elle l’avait cherché.

- Ta pitié à deux ronds et ton aide de faux-cul, tu peux te les mettre là où je pense. C’est pas une cigarette ou une barre de chocolat qui va m’aider, et c’est sûrement pas ce qui permettrait de rééquilibrer ta foutue conscience.

Il y eut un autre silence, puis une inspiration sifflante. Il avait parlé la mâchoire serrée, les yeux fièvreux, comme si il se retenait de se jeter en avant pour griffer ou mordre. Autre inspiration sifflante. Il ne s’excusa pas mais prit un moment de silence. Lorsque sa voix revint, elle était plus calme – plus froide, plus lointaine, comme celle d’un malade juste après une crise.

- Pourquoi t’es là, d’ailleurs ?

Difficile de dire si « là » renvoyait à sa cellule ou à la Chancellerie. Il se tut à nouveau, attentif: si il ne savait plus manier les mots que grossièrement, ses silences semblaient se colorer au grès de ses humeurs, les rendant probablement plus parlant que ce qui passait ses lèvres.
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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Mer 28 Avr 2021 - 17:07

de profundis clamavi


La verve est piquante, assassine, mais malgré toute son acidité, elle ne réussit pas à te toucher aussi rudement qu’elle l’aurait voulu. Il faut croire qu’on s’habitue à tout, qu’on s’engourdit face aux reproches, à l’agressivité trop souvent ressenti à son égard. Il n’est pas le premier, mais tu aimerais qu’il soit le dernier. Il faut l’avouer, tu es épuisée de jouer ce rôle, épuisé de devoir constamment te battre entre ta conscience et les ordres, entre ta peur et tes convictions. Que gagnes-tu à les aider, sinon des reproches, des risques inutiles, et bien souvent plus de véhémence que de gratitude ? Ce n’est que ta conscience que tu essaies d’apaiser et ils le savent, et tous te le refusent. Tu dois vivre avec ces crimes ou partir, il n’y a pas d’entre deux.

Cependant, la proposition d’aide que tu lui offres trouve une réponse déjà entendue plus d’une fois, et qui ne te secoue plus autant qu’elle le devrait, alors que tu l’écoutes alors que le silence se déverse entre ses mots, que tu restes appuyé, les mains contre cette porte en bois, les yeux fixant une obscurité te semblant abyssale d’où une voix sort, acide et dure, rageuse et pourtant brisée.

Il te faut un instant pour choisir quelle action faire, s’il te faut partir, rester, ou ne pas réagir, comme tu l’aurais fait bien souvent, mais après l’hésitation des premiers instants, après la peur qui survient toujours quand quelqu’un te demande la mort, tu sens comme une froide résolution, une lasse acceptation tournoyer dans ton estomac, te le tordant presque à vomir, le goût de la bile te restant entre les lèvres. Tu détestes tuer. Mais tu l’as tant fait déjà, il est trop tard pour jouer les prudes.

Appelant les pouvoirs de deadman, tu passes la porte de bois comme si elle n’avait jamais été, avant de redevenir corporelle, réelle, le bruit de tes pieds nues et froids touchant le sol de la cellule annonçant ta présence, ça et ta respiration, plus lente, plus chaude que celle de ton inconnu, alors que tu t’approches. Assez pour arriver presque à la moitié de sa cellule, trop peu pour que ses chaînes lui permettent de t’atteindre.

« Je pourrais le faire, oui. Te tuer, je veux dire. Il me suffirait de trouver quelque chose en toi qui cloche. Avec autant des mois de tortures ça ne me prendrait pas tant de temps, ils ont beau être méticuleux, ils laissent toujours quelque chose qui pourrait s’aggraver, si on sait où appuyer » Et savoir où appuyer n’a plus vraiment de secret pour toi, n’est-ce pas ? Le rot comment à t’être assez familier désormais, alors que tu sais trouver les failles et les appuyer. « Ou alors l’hypothermie, à force de laisser des prisonniers sur un sol froid et humide, cela arrive. Il suffit d’une nuit pour partir. Cela n’a rien d’agréable mais cela se fait. » T’agenouillant pour être à sa hauteur, à la hauteur de cette respiration sifflante, tu reprends, la voix toujours aussi froide, bien que chuchotée « Bien sûr que ça me fait peur de t’aider, ils me tueraient, ou pire, ils tueraient ma famille. Encore. Il irait la chercher dans le passé juste pour qu’on les torture sous mes yeux. Pourquoi crois-tu que je n’ose pas me rebeller contre tout ce que je vois ? » C’est à ton tour de te montrer sèche, presque hargneuse, retrouvant un peu de ton piquant, de ta colère, alors que la mémoire de tes parents te revient, hantant ta pensée, cristallisant tes espoirs en un souhait qui te pèse si lourd, à cet instant. Tellement lourd… « Je suis là parce que je meurs de culpabilité et que j’essaie de faire quelque chose, même si pour toi ça n’a aucune valeur. Mais si tu n’en veux pas, je ne réitérai pas mon offre, ne t’en fais pas, j’ai bien compris. » Se relevant avec un reste d’orgueil dans lequel tu te drapes, tu lui tournes le dos, prête à partir à ton tour, prête à le laisser et arrêter de venir très manifestement l’ennuyer, mais une dernière phrase te vient cependant, alors que tu tournes de nouveau tes yeux vers ce vide abyssal « Et je ne sais pas pourquoi ils te gardent en vie. Ils ne m’ont même jamais parlé de toi. Je ne sais même pas qui tu es, je te l'ai dit... »



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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Sam 1 Mai 2021 - 12:34




Il y eut un léger souffle de vent froid. Il ne le sentit pas sur son visage et ne vit rien, mais l’ombre frémit, et quelque chose passa, devant lui, dans le bruit discret d’une étoffe caressant la pierre. Il plissa les yeux. Quelque part dans son torse, le boum-boum rapide de son cœur accéléra un peu.

« Je pourrais le faire, oui. Te tuer, je veux dire.

Il recula d’un mouvement sec, dans une cliquetis dissonant de chaîne métallique, levant les mains pour cacher son visage. La voix était proche, beaucoup trop proche. Glaciale. Il y eut un claquement sec, celui d’une paire de bottes sur le sol de pierre – un claquement comme un coup de feu, comme un coup de fouet, les lumières, les rires acides, la douleur et les questions. Le prisonnier se recroquevilla un peu plus, assailli par une présence étrangère autant que pas des souvenirs qui mordait profondément sa peau. Pourtant, il n’avait ni entendu ni vu la porte s’ouvrir, seulement le murmure de vent froid qui avait dérangé la cellule. Peu importait sa bile, sa rage ou l’once de fierté que la conversation avait réanimé : la misérable lueur de ce qu’il avait été fut soufflée en quelques mots.

« Ou alors l’hypothermie, à force de laisser des prisonniers sur un sol froid et humide, cela arrive. Il suffit d’une nuit pour partir. Cela n’a rien d’agréable mais cela se fait. »

La voix était un peu traînante. Peut-être était-elle triste, ou lassée : il n’aurait pas su le dire. Tout ce qu’il sentait, c’était ces mots, ces images qui venaient flotter dans les ténèbres de la cellule, des menaces posées sur un ton presque cordial.
Des morsures. Un liquide chaud, au goût métallique, emplissant sa bouche. Une tâche à l’odeur infecte, entre ses jambes, coulant ses doigts tièdes sur sa peau et dans les plis de ses vêtements de jute.
Il se courba un peu plus, tremblant, cherchant à couvrir ses oreilles de ses mains.

« Bien sûr que ça me fait peur de t’aider, ils me tueraient, ou pire, ils tueraient ma famille. Encore. Il irait la chercher dans le passé juste pour qu’on les torture sous mes yeux. Pourquoi crois-tu que je n’ose pas me rebeller contre tout ce que je vois ? Je suis là parce que je meurs de culpabilité et que j’essaie de faire quelque chose, même si pour toi ça n’a aucune valeur. Mais si tu n’en veux pas, je ne réitérai pas mon offre, ne t’en fais pas, j’ai bien compris. »

Puis elle se leva et s’éloigna un peu. Il y eut un silence, et il respira un peu. Il se tenait replié sur lui même, dans son coin, à demi-tourné vers le mur de pierre comme pour échapper à la voix qui était entrée dans sa cellule, dans ses ombres. Il tremblait, de peur, de fatigue, et peut-être beaucoup par habitude. Tout à l’heure, en parlant, quelque chose s’était réveillé en lui : il avait retrouvé les anciennes habitudes de ses mots, la vieille assurance qui était autant sa seconde peau que son armure. Et, stupidement, il avait cru que ça serait assez.
Elles avaient volé en éclat à la seconde où son interlocutrice avait passé la porte pour le laisser tremblant, misérable et voûté, toujours plus conscient de la misère qui avait infiltré le moindre de ses os.

La voix, dans le noir d’encre qui ne lui donnait ni forme ni couleur, et seulement cette présence désincarnée qui le terrifiait tant, commença à s’éloigner au rythme de ses semelles invisibles sur le sol d’onyx. Il n’entendit pas ce qu’elle dit. Elle partait. Elle avait surgit au milieu de son monde obscur, de son univers de cendre et de suie, et elle disparaissait à nouveau. Elle le laissait seul, face à lui-même et à ses cauchemars qu’elle venait pourtant d’appeler, et qui guettait en lisière de ce monde de nuit sans bouts ni frontières.
Elle le laissait seul. Seul. Abominablement seul. Il y eut un long silence, qui mena la voix presque devant la porte, puis un cliquetis de chaîne, à nouveau.

- "Encore" ?

Sa propre voix était rouée, comme brisée et grossièrement reconstruite. Ses lèvres étaient sèches, et lorsqu’il passait sa langue dessus il en souffrait plus qu’autre chose. Pourtant, il s’entêta à prononcer ce mot qui semblait incertain, presque abîmé lorsque prononcé dans sa bouche à lui. Il n’y avait plus grandes traces de la fureur qui y résidait un moment plus tôt : il parlait d’une voix blanche, fatiguée.
Mais où, étonnamment, quelque chose d’entièrement différent semblait pointait : une note, dissonante et singulière, d’inquiétude pour elle, pour cette voix qui s’était brutalement invitée dans son monde d’orage et de charbon.

- Tu as quel âge, exactement?

Il était difficile de savoir si il s’était véritablement adoucie. Elle était encore fatiguée et rêche, presque difficile à écouter, mais toute agressivité semblait l’avoir désertée pour le moment. Il parlait difficilement, mais de manière placide, presque froide. C’était un murmure, en vérité. Mais un murmure beaucoup plus délicat que tout ce qui avait franchit ses lèvres jusque là.
Black Alice
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[5ML] Je vous écris car je me meurs 386562Rien
Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Dim 2 Mai 2021 - 21:07

de profundis clamavi


Tu n’avais pas voulu lui faire peur. Ou peut-être que si. Peut-être qu’une part de toi, en colère et frustrée d’être rejetée, avait voulu prendre le dessus, lui montrer que tu avais le pouvoir, le pouvoir de le détruire comme il le demandait… Mais non. Ce n’est pas toi qui le terrorise Lori, c’est tous les souvenirs qui se cachent derrière cette porte, qui rampent dans les ténèbres, qui s’accrochent au cliquetis de ses chaînes. Ce n’est pas Black Alice qui l’effraie, c’est Arcane et tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a méticuleusement fait pendant des jours, et des mois, et toi, tout ce que tu fais, c’est d’avancer dans son ombre, et c’est seulement ce fait qui est effrayant, Lori. Toi, tu n’es qu’un pion dans ce jeu qui te dépasse…

Il aurait pu te laisser partir, mettre fin a son supplice, à cet entrevu interdit qui avait déjà trop duré, qui avait déjà trop coûté à chacun d’entre vous, mais malgré tout sa voix s’élève une fois encore. Doucement, dans un mot qui te fait hésiter, alors que tu laisses repartir les pouvoirs du deadman que tu venais de reprendre. « Encore oui. Ils sont déjà mort. Deux fois pour ma mère, même. » Une pointe d’ironie se laisse entendre dans ta voix, mais elle ne fait que cacher la peine et l’amertume qui se terre derrière. « Tu te demandais ce que je fous là, elle est là ta réponse… Je veux juste qu’on me rende mes parents… Mais je n’avais pas conscience qu’en le demandant ainsi, je montrerais aussi qu’ils étaient ma faiblesse. » C’est la rage furieuse qui gonfle ton cœur, tes mots sortants d’entre tes dents serrés, alors que tu fais de ton mieux pour ne pas laisser les émotions te submerger, pour ne pas hurler ta frustration, ta peur, ton impuissance. Tu as tous les pouvoirs du monde à porté de main, mais tu ne peux rien faire pour empêcher un voyageur temporel de faire souffrir tes parents s’il le souhaite. Non ! Ne pleures pas Lori. Tiens tes larmes, tiens tes sanglots : tu n’es pas une victime. Tu n’es pas une putain de victime, alors tu ne pleureras pas. Non, jamais. Tant pis s’il te faut paraître plus forte que tu ne l’es, tant pis s’il te faut paraître plus hargneuse que tu ne le seras jamais, plus méchante et plus cruelle, et tant pis s’il faut que Lori s’efface derrière Black Alice. Tu ne deviendras pas une victime… Jamais.

« Qu’est-ce que ça peut te foutre, mon âge ? » Le ton est défensif, mais moins hargneux qu’il le voudrait, alors que tu te retourne, t’appuyant contre la porte, mais cette fois de l’autre coté de cette dernière. Tu es restée avec lui, dans les ténèbres, mais assez loin pour qu’il ne tremble plus autant, et malgré tout, son murmure était arrivé à toi sans le moindre mal… Tes yeux se baissent dans l’obscurité, et malgré ta peur d’être découverte, tu acceptes de baisser, ne serait-ce que pour un instant, les défenses que tu ériges constamment autour de toi. « Je viens d’avoir dix-sept ans. » Tu n’es plus vraiment une enfant, mais trop loin encore d’être une adulte. Tu n’es rien de plus qu’une adolescente stupide et idiote, qui s’est laissé traîner dans des histoires qui la dépassent, et qui ne sait plus comment faire pour sortir de là. Et puis, quand bien même tu arriverais à partir, à quoi bon ? Il n’y a personne pour t’attendre quelque part Lori. Tu es seule, et c’est justement ce qui te rends si faillible et manipulable…



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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Lun 3 Mai 2021 - 21:41




Il garda le silence un instant : un silence doux, délicat, qui semblait s’étirer dans la cellule comme si le temps ralentissait. Ce n’était plus le silence agressif, ou même le silence inquiet qu’ils avaient tout deux traversé. Il ne disait rien, mais ce n’était ni un prémice de guerre ni véritablement de paix. Il ne disait rien parce qu’il pensait – parce que ses souvenirs dansaient sur dans l’ombre et sur la pierre, mais que ce n’était plus les souvenirs douloureux qui avaient noyés ses yeux. Ils n’étaient pas joyeux, pour autant. Ils étaient le souvenir un peu gris de jours plus lumineux, plus légers.

- Tu me rappelles quelqu’un.

Il avait parlé d’une voix douce, tranquillement. Il ne la prenait pas en pitié, ou n’essayait pas de la ménager : si il lui parlait si gentiment, c’était par affection pour la personne qu’il discernait à travers elle. Alice ne faisait que profiter des retombées de ce sentiment.

- Ma nièce.

L’air d’une musique de rock étouffée par une porte claquée avec la fougue des adolescents comme on en fait plus. Le sourire profondément innocent d’une jeune fille qui le regardait comme si il était le monde tout entier. Un petit crocodile en bois, ramené du Sénégal. Les battements de son cœur dans sa cage thoracique et dans les veines de ses tempes lorsqu’il l’avait tiré des griffes d’une chose qu’il avait attiré sur elle en premier lieux. L’odeur de la tarte au citron meringué qu’elle faisait parfois quand il venait, juste pour lui.
Il ferma les yeux et se laissa aller contre le mur.

- Je suis passé par là aussi, tu sais. On a tous nos petits trucs, nos dérapages qui nous font descendre progressivement la pente vers l’occulte, jusqu’à ce qu’on soit plongé dedans jusqu’au cou.

Les mots coulaient naturellement, doucement, sur un ton un peu lointain. Il était dans sa tête, mais il vidait son cœur d’une façon rare – chez un prisonnier, comme chez lui. Une minuscule étincelle de retenue l’empêchait de tout déballer pour autant, mais pour une raison obscure, il se sentait autorisé à s’ouvrir un peu. Après tout, il ne verrait probablement plus jamais la lumière du soleil – et il ne savait même pas ce qu’il était advenu de sa famille.

- Je n’ai pas dérapé. Je l’ai dévalé de toutes mes forces, cette putain de pente. Pour les beaux yeux de ma génitrice. Je devais avoir à peu près ton âge, en vrai.

Il eut un petit sourire – un sourire froid, invisible dans le noir, qui semblait tinté d’une tristesse nostalgique que les ans n’avaient fait que renforcer de toutes leurs forces.

- Je n’ai jamais réussi à la ramener. Jamais complètement. Jamais sous une forme que je puisse serrer dans mes bras et appeler maman.

Sa voix trébucha. Pas parce qu’elle était fatiguée, pas parce qu’elle était à bout : parce que le temps d’un soupir, une émotion lointaine lui avait serré la gorge. Il prit un peu de temps avant de se remettre à parler, cette voix avec un ton un peu plus amusé – plus sèchement moqueur, peut-être.

- J’ai fait tout ce que j’ai pu pour empêcher ma nièce de suivre le même chemin que moi. Parce que je sais que c’est un chemin de merde, qui mène à des situations de merde.

La moquerie n’était pas dirigée vers elle – beaucoup plus vers lui-même. Et pourtant, au milieu de tout ça, on pouvait tout de même discerner un lueur d’un sentiment qui jusque là avait brillé par son absence. Sa voix portait une minuscule once de compassion, pourtant relativement sensible.

- Tes parents sont morts, tu sais ?

Sa voix était encore douce. Il ne voulait pas la brusquer, pas la brutaliser parce qu’il savait parfaitement l’état d’esprit dans lequel elle était, parce qu’il savait ce que c’était de suivre les battements erratiques d’un cœur blessé d’erreur en erreur.

- Et même si la Chancellerie remonte le temps pour les tuer, ça ne change rien au fait qu’aujourd’hui, ils sont morts.

Il prit une lente inspiration.

- Ça ne veut pas dire que tu ne les ramènera jamais, en trouvant la bonne version de Satan auprès de laquelle marchander. Mais ça veut dire que dans la situation actuelle, Degaton et Arcane ne peuvent tout bonnement pas t’apporter ce que tu veux – et qu’ils te menacent avec quelque chose qui est déjà arrivé.

Il n’avait pas de solution magique à apporter, ni de coup de baguette super-héroïque pour faire brutalement triompher le bien et la vertu, ou faire s’envoler la douleur de l’absence. Il ne savait que ce qu’il avait appris, lui, à devoir se batailler et se défendre loin du royaume en spandex des vrais supers.

- Ce qui te donne tous les droits d’être en colère contre eux. Le deuil est un sentiment qui ne part pas vraiment, mais ça ne veut pas dire qu’il doit t’écraser ou t’enchaîner au service d’un connard. Tu peux en faire quelque chose.

Il y eut un seul bref cliquetis de chaîne, alors qu’il relevait la tête vers elle, à travers les ombres.

- Tu peux violemment leur botter le cul. Tu peux tempêter, briser leur emprise sur toi – parce qu’ils te tiennent en laisse avec un passé qu’ils ne peuvent pas rendre pire.

Il leva les mains, faisant ostensiblement cliqueter les chaînes métalliques attachées à ses poignets.

- C’est plus que ce à quoi la plupart d’entre nous a droit.

Il y eut un nouveau moment de silence. Sa langue s’était de nouveau déliée, portée par l’élan de la conversation et de ses phrases. Il n’avait jamais réussi à complètement se débarrasser de la fatigue, de la tristesse et de la langueur qu’il portait en continu, mais il avait réussi à faire ré-éxister de nouveau, un bref instant, une personne qu’il avait été il y a très, très longtemps.

- C’est plus facile à dire qu’à faire. Je sais. Mais nous, le reste du monde, on ne peut que te dire ce genre de chose : il n’y a que toi qui puisse faire quoi que ce soit.

Puis il se tut. Sa gorge était sèche, son regard attentif, et son expression, quoique invisible, laissait transparaître une tristesse qu’il semblait impossible de diriger assurément vers Alice ou lui-même.
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Re: [5ML] Je vous écris car je me meurs Sam 18 Sep 2021 - 17:38

de profundis clamavi


Il y avait une part de vérité dans ce que disait l’inconnu que les ombres dévoraient, une part de vrai que tu ne pouvais accepter, que tu ne pouvais entendre, quand bien même au fond de toi, tu le savais déjà. Tes parents sont mort Alice, et tout ce que tu fais ici ne les ramènera pas. Degaton, ses hommes, ont utilisé ton désespoir, ta peine et ton deuil pour t’utiliser à leur gré. Oh, tu le savais bien sûr, mais tu l’avais accepté, fermée les yeux sur ce qui te dérangeait, sur ce qui te disait que tu faisais une énorme connerie, car aussi maigre qu’avait été les certitudes qu’ils t’avaient insufflées, elles avaient été suffisantes pour que tu t’y accroches de toutes tes forces.
À quoi ne renoncerait-on pas, pour un peu d’espoir ?

Le monde chancelle autour de toi, alors que ta respiration s’accélère, sous les coups d’une colère qui te comprime la poitrine, tout autant que la douleur qui te serre le cœur. Tu as envie de hurler, de détruire et de ravager. Et en même temps, tu as envie de laisser cette peine exploser et de fondre en larmes. Deux courants émotionnels qui font exploser la tempête, un maelström d’émotions que tu n’arrives pas à gérer.
Tu sens monter cette colère insupportable, viciée, tout autant que le désespoir auquel elle se mêle, et comme à chaque fois que tes émotions te débordent, tu ne sais répondre à cela que par la violence. Tu as envie de faire mal. À tout le monde, sans distinction, juste pour que cela se calme, juste pour respirer un peu mieux. Tu as envie de détruire cet endroit. Combien de temps cela te prendrait-il ? En volant les bons pouvoirs, peut-être une quinzaine de minutes, tout au plus. Inutile de dire que tu serais probablement tuée ensuite, quand la magie t’échappera et que tu resteras sans défense face aux survivants, mais ce n’est pas le genre de choses auxquelles tu penses, en ces moments-là.
Tu es sur le point de le faire, d’ailleurs, au moment où une pensée surprenante te traverse l’esprit : si tu fais ça, Alice, il y a de grandes chances que tu tues ton inconnu dans ta folie passagère. Faut-il vraiment rajouter une victime – theoriquement – innocente à ton palmarès ?

Cette idée réussit à te faire reprendre pied, ne serait-ce qu’un instant, car l’idée d’avoir encore un mort sur la conscience, une victime de ce régime sur les mains, t’était inacceptable. Doucement, ta respiration se calme, alors que tu lâches la magie que tu avais commencé à accumuler presque par automatisme. Il n’était pas temps de réduire cet endroit en ruine. Pas tant qu'il y sera, du moins.
C’est étrange, tu ne connais pas cet homme, tu ignores tout de ce qu’il a fait pour finir ici, mais par ses paroles, par les brèves confidences qu’il venait de te faire, un faux sentiment de proximité s’était installé entre vous. C’était totalement fictif, c’est vrai, mais tu avais l’impression que vous vous ressembliez. Peut-être parce que l’histoire de cette mère qu’il avait essayé de ramener, encore et encore, faisait douloureusement écho à ta propre histoire. Peut-être était-ce une chose commune à tous ceux qui empruntaient la voie de l’occulte, de tout perdre en pensant trouver mieux, mais à l’instant, tu avais l’impression que ce n’était propre qu’à vous, parce qu’il n’y avait personne d’autre ici à qui tu pouvais t’identifier sans peine.
Et cela joua sûrement beaucoup sur les paroles que tu prononças ensuite.

« Je vais essayer de trouver un moyen de te sortir de là. » La phrase sembla sortir de nulle part, sans rapport aucun avec ce que tu avais dit jusque-là, mais elle démontrait malgré son surréalisme une volonté de changer les choses, aussi fragile et peureuse soit-elle. La peur ne tarda pas à te submerger d'ailleurs, en une vague violente qui te fit réaliser la porter de tes mots, mais tu tiens bon, essayant de rester la plus résolue possible, quand bien même l’idée qu’Arcane, ou pire, Degaton l’apprenne, fit retourner ton estomac comme l’essoreuse d’une machine à laver.

Serrant le poing, tu baissas les yeux vers l’endroit où les bruits de cliquetis s’étaient fait entendre. « Ouais, plus facile à dire qu’à faire, mais… » Mais tu pouvais essayer, au moins. Si tu ne faisais rien, en sachant pertinemment qu’il était là, cela ne te rendrait-il pas coupable de sa mort autant que ceux qui abattraient la hache sur son cou ? « Enfin, faut que je réfléchisse, que je trouve comment on fait ce genre de chose… Putain, ça fait peur. » S’accroupissant un instant, tu pris ta tête entre tes mains, essayant de calmer cette peur qui s’agitait, rendant ta respiration erratique, face à cette décision que tu avais déjà le sentiment de regretter. C'était tellement plus simple de donner raison à sa peur et d'y voir une raison de ne rien faire.
Sauver un prisonnier... Ce n'était pas rien, comme première décision de contestation. Il aurait été quand même plus simple d’essayer de cracher dans le café de Degaton, pour commencer…

« … J’espère qu’ils te garderont en vie d’ici à ce que je trouve comment faire... » C’était sincère, certes, mais dit d’une voix très faible, alors que tu te rapprochais de la porte, t'étant relevée, redevenant un fantôme pour passer à travers. Tu t’en voulais un peu d’avoir dit cela à haute voix, parce que tu lui avais peut-être donné un maigre espoir, et tu n’en serais que plus coupable si tu échouais, mais… Mais il avait été necessaire de verbaliser ta pensée, aussi impossible soit-elle, ne serait-ce que pour t'y tenir. Tu ne nourrissais pas ce projet parce que tu avais le sentiment de lui être proche, mais parce que ça te semblait la bonne chose à faire. La seule chose à faire, même. Un premier pas dans la direction opposée que celle que tu suivais depuis des mois…
Et toujours plus de culpabilité si tu venais à échouer.



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[Hj pardon pour la qualité, je galère encore pas mal! ]


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