Cessez le feu [PV]

Je quitte ma Mère. Une fois encore.
Pour sauver le monde. Une fois encore.
Ou, du moins, tenter de le sauver. Une fois encore.
Près d'un siècle et demi a beau s'être écoulé... il y a des choses qui ne changeront jamais.

Le camp de base de fortune qui permet à l'armée de gérer l'état de cirse de Métropolis n'est qu'à quelques secondes. Enfin... pour ma vitesse de vol, quoi qu'il en soit.
Il est donc facile et rapide de le rejoindre, alors que je flotte dans les airs à quelques dizaines de mètres au-dessus de l'entrée. Je ne compte pas rester là trop longtemps, loin s'en faut, mais cela leur permet de détecter ma présence, et de s'habituer doucement mais sûrement à l'idée que je vais descendre, tôt ou tard. A s'habituer à l'idée que si je me suis déplacée, ça n'est certainement pas pour rien non plus.

Alors je finis par descendre de mon piédestal céleste avec douceur, sans brusquerie. Les esprits sont assez échauffés comme cela, avec tout ce qu'il s'est passé, nul besoin d'en rajouter d'avantage.
Qui plus est, le but n'est pas non plus d'instiller un climat de défiance. Je ne suis pas ici pour cela et ce serait contre productif.

- Bonjour messieurs. Je viens voir le Général Lane. Dis-je en passant entre les deux militaires qui régulent les entrées et sorties du camp.

Je ne m'arrête pas, je poursuis ma route, pénétrant directement dans le camp. Je ne demande pas la permission, j'informe de ma démarche. Et comme je m'y attendais, les deux jeunes garçons, sans doute placés là par un coup du sort et le manque flagrant d'effectif après l'attaque de la ville, sont décontenancés et ne savent pas vraiment comment réagir.
Le temps pour eux que l'information parvienne là où elle aurait du aller dès le départ, je suis déjà devant la tente du haut commandement où doit se trouver Lane.

Le Général Samuel Lane, pèse de Lois, militaire à la carrière exemplaire, si on se base sur les critères de l'armée elle-même, car si vous demandez notre avis, à Mère et moi, le son de cloche sera un tantinet différent. Je ne l'aime pas. Dès la première seconde, à la minute où j'ai posé mes yeux sur lui, je ne l'aime... mais vraiment pas. Cet homme possède une part de noirceur qui est presque palpable. Le genre d'homme... qui serait l'avatar parfait d'un dieu comme Arès.

Mais aujourd'hui, comme souvent, je dois faire preuve de diplomatie. Alors, est-ce un charmant sourire que je lui adresse alors que je rentre sous sa tente.

- Général Lane, pardonnez cette intrusion, je ne serai pas longue.

Là encore, je ne demande la permission de personne. Qu'il soit en réunion, en conférence, seul ou en présence d'autres personnes, n'a pas la moindre importance. Car ma mission ne saurait souffrir d'aucun retard et sa nécessité est absolue.

- J'apprécierais que vous suspendiez vos projets de frappe sur Mars jusqu'à mon retour. Dis-je sans préambule, indiquant clairement par là que c'est ma prochaine destination. Je conçois que de nombreuses erreurs ont été commises, et l'attaque de Métropolis en était une de taille. Cependant... les erreurs n'ont pas été engendrées que d'un seul bord et aujourd'hui, notre seule alternative devrait être d'éviter une guerre qui risque de provoquer des millions de morts.

Je fais une courte pause en le dévisageant d'un regard neutre, calme et posé. Inutile de le braquer. Du moins... essayons de ne pas trop le braquer.

- Je vous demande de me laisser une chance d'arranger les choses avec Kandor. Vous n'avez rien à perdre et tout à gagner, dans la mesure où cela vous laissera même plus de marge de manoeuvre le temps que je fasse l'aller-retour. Et si j'échoue...

J'extirpe un léger soupir. Si j'échoue... chacun de nous sait ce qu'il se produira.
Raison pour laquelle... je ne dois pas échouer.

Non.
Evidemment, que c'est non. Pourquoi avais-je espéré le contraire.
Obtus, sévère, imbu de son pouvoir tout autant que de sa personne, trop sûr de lui, autoritaire, dirigiste, les qualificatifs pour désigner cet homme là ne manquent pas à l'appel. Et aucun d'eux ne prêchent dans le sens de la tolérance ou d'une quelconque remise en question.
Car, malheureusement, comme j'ai appris à le découvrir au fil des ans, Samuel Lane n'est pas de ceux qui s'engagent pour protéger, mais pour détruire. Envoyer un missile est tellement plus simple que de négocier la paix. Et s'il n'est pas dans la vocation d'un militaire de faire de la diplomatie, le bon sens devrait cependant l'emporter dans ce genre de situations. Ce qui n'est présentement pas le cas.

- Je n'impose pas puisque je me suis déplacée pour vous poser la question et je l'ai fait aimablement qui plus est. Dis-je en haussant un sourcil alors qu'il m'accable de tous les reproches de la terre.

Mes sourcils se froncent sévèrement alors qu'il poursuit. Faites attention général... prenez garde à ne pas aller trop loin tout de même.

- Et pour quel motif je vous prie ? Avoir pénétré dans votre tente sans avoir pris la peine de frapper avant ? Où envisager un acte qui n'est que de l'ordre de mots pour l'instant ? Allons, ne soyez pas ridicule. En dehors d'un flagrant abus de pouvoir, vous n'avez pas la moindre raison de m'arrêter. A moins que vous estimiez que la situation présente n'est pas assez compliquée pour vous mettre dans une position difficile et vous attirer l'ire de l'opinion publique. Sans parler du fait qu'une arrestation serait au mieux d'une grande maladresse envers mon peuple et au pire, une déclaration de conflit ouvert. Donc "légalement" comme vous le dites, vous n'avez pas la moindre raison, précisément.

Car il est certain que ma Mère ne restera pas les bras croisés si cet humain me fait prisonnière sans la plus petite raison qui le justifierait, ce qui serait présentement le cas.
A-t-il perdu l'esprit et le sens des réalités à ce point ?

Je croise les bras sur ma poitrine alors qu'il m'invective une fois de plus. Je me pare d'un calme aussi absolu que ne l'est sa colère. Il peut m'accabler autant qu'il le souhaite, non seulement ses mots ne me touchent à aucun moment, mais en plus de cela je continuerai de lui opposer des réponses calmes et claires, tout autant que les siennes sont colériques et agacées.

- "Votre" planète ? Général, je marchais sur ce monde avant même votre naissance et j'y ai vu le jour tout autant que vous. Ce n'est pas "votre" planète, mais "notre" planète. Themyscira était une nation de la planète terre bien avant que les États-Unis ne soient colonisées. Alors, je vous en prie, cessons les échanges stériles voulez-vous.

Je laisse très légèrement filtrer le pouvoir d'empathie que m'a offert ma déesse, alors qu'il semble que le dialogue soit de plus en plus fermé. Certes, nous ne nous aimons pas. C'est un fait. Il le sait, moi de même. Mais de là à aller aussi loin aujourd'hui... Ses réactions me semblent vraiment disproportionnées.
Je n'en comprends pas la cause. Mais je la perçois si nettement... sa colère, sa frustration, une blessure profonde, le sentiment de trahison.
Et si ces premières émotions peuvent totalement se justifier par l'attaque de Métropolis, la trahison en revanche... concerne forcément quelque chose ou quelqu'un qui lui tient à coeur. Quelqu'un de proche peut-être...

Mon esprit analyse. Vite, bien, profondément. J'ai été conçue pour cela. J'ai été... optimisée pour cela, dans un certain sens.

- Je ne sais d'où vous vient cette profonde amertume à mon égard Général Lane, mais ce que vous dites est parfaitement inexact. Oui, il est vrai que des erreurs ont été commises et que le dénouement de certains évènements ne s'est pas déroulé comme je l'aurais espéré. Je ne prônerai pas le contraire. Cependant... j'ai sauvé bien plus de fois cette planète et son peuple que je ne les ai mis en danger. Si vous arrivez à faire taire un peu la sourde colère qui vous habite à cette seconde, vous le reconnaitrez. Vous n'êtes pas le seul à protéger ce monde. Nous sommes bien plus nombreux que cela à nous y employer chaque jour et, souvent, sans que vous n'en ayez même conscience.

Ces quelques mots m'octroient le temps nécessaire pour enfin mettre le doigt sur l'objet de la trahison qui semble le rendre encore plus antipathique que d'habitude. Clark. Evidemment... qu'il s'agit de Clark. J'aurais du y penser, j'aurais du le détecter bien plus tôt. Avec la révélation lancée par Kandor, Samuel Lane a forcément fait partie des gens qui ont découvert sa véritable identité à ce moment là. Et dans la mesure où sa propre fille l'a épousé... la pilule a du très mal passer. Ce qui expliquerait le profond sentiment de trahison qui l'assaille.

Je respecte un silence tout aussi religieux que celui dans lequel il s'est enterré lorsque j'ai pris la parole. Malgré tout, et bien volontairement, quelques expressions passent successivement sur mon visage au gré de ses mots.

Celle qui passe plus de temps en vains débats suffisants que sur le champ de bataille ? Un large sourire amusé étire la commissure de mes lèvres à ces paroles. Dixit celui qui reste planqué sous sa tente, en costume d'apparat, et envoie les autres au front et au casse-pipe, au passage.
Quelle ironie.

Son "Princesse" sonne presque comme une insulte dans sa bouche. Et à vrai dire... je pense sincèrement que c'en est une, venant de lui. Mais qu'importe. Si je me préoccupais de son avis ou de son opinion sur ma personne, ça se saurait depuis longtemps.
Lorsqu'il mentionne que l'âge ne fait ni la compétence, ni la conquête des cœurs et des âmes d’autrui, je me retiens de justesse de lui répondre qu'il en sait effectivement quelque chose. Mais il est inutile d'attiser les braises déjà fort rougeoyantes de la relation qui nous oppose aujourd'hui. Alors je garde mes commentaires pour moi, mais prends très sévèrement acte de ses paroles.

Car plus il parle... et plus il s'enfonce.

Mes mâchoires se crispent cependant quand il dit clairement que mon peuple a perdu de sa splendeur passée. Quand je disais qu'il s'enfonce... non. En définitive c'est bien pire que ça. Cet homme là... est en train de creuser sa tombe. Il peut remercier les dieux d'être le père de Lois, pour qui j'ai beaucoup trop d'estime. Sans quoi... il aurait déjà perdu quelques dents.

Ce lieu supposé être discret ?
Un sourcil se hausse brièvement. Nous parlons bien du camp qui se voit à des kilomètres à la ronde ? Avec des chars à perte de vue, en plein dans le cratère d'un ancien quartier de Métropolis ? Nous sommes bien d'accord que nous parlons de cette discrétion là ? Quel imbécile.

Il parle de pouvoir et là je comprends quelque chose de nouveau. Je touche du doigt... un problème nouveau. Serait-il possible que ce petit général de pacotille ait développé un sentiment d'infériorité envers les héros de ce monde ? Plus la discussion avance, et plus cette hypothèse me semble plus que probable. Ce qui expliquerait notamment la violence avec laquelle il s'adresse à moi.

- Je n'ai pas remis votre capacité à défendre le monde en doute. Je vous ai simplement posé une question et demandé une faveur. Vous étiez libre de la refuser sans pour autant être aussi grossier et suffisant Général. Mais il est désormais évident que vous déformez absolument tout selon ce qui vous arrange. Dis-je enfin d'une voix posée, une fois qu'il a achevé son très long monologue.

- Je crois que nous n'avons effectivement plus rien à nous dire, étant donné les circonstances.

Je fais volte face sans adresser le moindre regard aux grades papier qui gloussent comme les belles dindes qu'ils sont.

- Hum... une dernière chose, Général Lane. Vous semblez oublier un peu rapidement que je suis aussi en lien avec les Nations Unies dont je suis l'ambassadrice de paix. Dans cette mesure, je ne manquerai pas de leur faire remonter votre attitude et de les informer que vous avez refusé une alternative à une guerre qui risque de faire des millions de morts. Je pense qu'ils apprécieront de le savoir. Donc faites, je vous en prie. N'hésitez pas à leur faire remonter le motif de ma visite, sans oublier d'en déformer la nature et mes propos, bien entendu. Car sachez bien une chose. L'opinion d'un homme qui me considère brutale, alors qu'il refuse d'entendre une proposition de paix, c'est assez ironique pour que je ne m'en préoccupe pas un instant.

Je stoppe alors que ma main pousse légèrement l'ample pan de tissu vert bouteille qui me sépare de l'extérieur.

- Imaginer que la seule force de frappe humaine sera capable de détruire Kandor est une erreur que vous allez payer au prix fort et vous allez entraîner de nombreux innocents dans votre chute. Et lorsque ce sera le cas, lorsque vous vous rendrez enfin compte que vous avez besoin des alliés qui vous ont tendu la main et que vous avez brutalisé par vos mots tout autant que vos intentions, sachez que nous répondrons présents, malgré tout le mépris avec lequel vous nous traitez.

Espèce de crétin fini. Aurais-je pu ajouter.
Mais je m'arrête ici et sans attendre une quelconque réponse de la part de ce monstre d'égocentrisme, je m'extirpe de la tente et prends immédiatement de la hauteur en filant à grande vitesse bien loin de ce Général et son assemblée de sert à rien.

Mes mâchoires se crispent alors que je vole aussi vite que le vent. Ma Mère avait raison... depuis le départ. Je voulais croire que l'armée pouvait faire preuve de discernement. Mais il en est tout autre. Véritablement... tout autre. Et l'attitude belliqueuse de leur leader risque de conduire l'humanité à sa perte. Je ne laisserai pas faire ça. Je ne laisserai pas ça se produire. Jamais.