Old Friends, New Day... New Hope ? [Wonder Woman]

Durant de longues années je ne tolérais pas l'échec. Moins ceux des autres que les miens.
Ne pas parvenir à secourir ou sauver ceux que j'étais censée protéger, me remplissait d'amertume et de colère. Je n'ai jamais accepté l'injustice et ne le pourrai jamais.
Ai-je changé aujourd'hui...? Je n'en ai pas vraiment le sentiment. Je pensais naïvement avoir suffisamment travaillé sur moi-même pour être plus pragmatique. Pour être capable d'entendre les situations qui me rendent impuissante, sans les accepter pour autant, mais en tenant compte des évènements, des erreurs et des faiblesses, de sorte à modifier le futur, à être plus efficace si une situation similaire venait à se reproduire.

Mais si j'en juge par la puissante émotion qui m'enserre.
Si j'admets l'existence de cette profonde rancoeur, cette colère qui couve insidieusement.
Je suis bien obligée d'admettre qu'il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Le pardon... n'est visiblement pas pour tout de suite.

Car j'ai échoué. Lamentablement échoué.
Athéna, qu'elle soit louée, m'a offert de puissants dons. La capacité d'analyser, de réagir en conséquence. Alors je sais parfaitement au fond de moi que ni Kara, ni Karen, ni Kal-El, ni... moi... n'avions la moindre chance face à cette armée de Kandoriens. C'était un combat perdu d'avance et c'est bien ce qu'il est advenu. Kal a été enlevé, fait prisonnier, Kandor a réussi.
Et si les évènements ont finalement tourné en notre faveur, grâce à l'intervention de nombreux autres héros et l'orgueil de leur meneur, l'amertume qui m'enserre est presque palpable.

J'ai échoué et pour la première fois de ma vie, je ne sais que faire.

Après avoir paré au plus pressé, aidé ma mère et mes soeurs à recueillir les blessés, les installer, soulager au maximum leurs maux jusqu'à ce qu'un médecin ou l'une de nos guérisseuses les prennent en charge pour des soins complets, j'ai ressenti le besoin d'être seule.
La belle Reine des Amazones l'a bien évidemment compris sans qu'aucun mot n'eut besoin d'être prononcé. C'est donc en un assentiment compréhensif et silencieux qu'elle a suivi ma silhouette s'élever vers les hauteurs de l'ambassade sans m'en empêcher ni me retenir.

Seule.
Sur la plus haute terrasse de la formidable ambassade de pierre nue, j'observe.
J'observe le chaos. Le désastre.
Je fixe d'un regard éteint la tragédie qui se dessine sous mes pieds.
Une ville détruite. Un peuple misérable. Des espoirs annihilés. Des âmes en souffrance.

Je n'ai rien pu faire. J'ai échoué.

Je le ressens bien avant de l'entendre. Un sixième sens. Les "antennes" comme disent les gens. Une expression que j'ai mis bien du temps à comprendre... Avoir des antennes... les fourmis se sentiront probablement flattées.
Alors je bats brièvement des paupières. Chasser la colère, chasser l'amertume, poser un masque. Ce qui ne le bernera sans doute d'aucune façon, mais je lui dois bien ça. N'est-il pas celui qui a le plus souffert de tous ces dernières semaines ?

- C'est à toi qu'il faut poser la question. Comment te sens-tu ? Lui dis-je en indiquant du regard la vaste terrasse afin qu'il me rejoigne et s'y pose si le coeur lui en dit.

Je le dévisage un moment en silence. Ses traits sont tirés, deux cernes ornant son regard comme pour en souligner la profondeur. Mais me rendant compte que j'insiste peut-être un peu trop, même s'il en a l'habitude, je détourne finalement les yeux pour admirer de nouveau le paysage d'apocalypse qu'incarne désormais Métropolis.

- Je suppose que ça aurait pu être pire...

J'ajoute ces quelques mots sans grande conviction. Bien sûr, que les choses auraient pu être bien pires. Mais elles auraient surtout pu être bien mieux... Et je ne crois pas être capable de retenir autre chose que cela pour l'instant.

Un léger sourire étire brièvement la commissure de mes lèvres.
En d'autres circonstances je lui aurais probablement fait remarquer qu'il a véritablement raté une carrière dans le mannequinat, à poser comme une gravure de mode comme il le fait. Mais pas aujourd'hui. Pas maintenant.

Je l'écoute alors qu'il prend enfin la parole, non sans avoir relâché quelques soupirs au préalable, qu'il a vainement tenté de retenir sans réel succès.
Il résume brièvement la situation, et surtout l'aide que nous avons reçue. Nous ? Non... qu'il a reçu plutôt, car me reste invariablement cet infernal sentiment de n'avoir servi à rien. Strictement à rien.

Je l'écoute et je ne dis rien. Mon regard se perd sur la baie, seul vestige encore intact des dures semaines qui ont précédé.
Ton discours sonne faux Kal-El. Ta voix sonne faux Kal-El. Quand vas-tu enfin laisser tomber ce masque que tu t'acharnes à coller sur ton visage...

Je détourne les yeux de l'immensité aquatique pour les poser sur lui une nouvelle fois.
Et c'est à cet instant.
A ce moment précis.
A cette seconde...
Quand nos regards se croisent et que tout le poids de ce monde, qui sait parfois se faire si horrible, chute de toute sa force sur ses épaules.

Vive comme l'éclair, dans un mouvement qui n'aurait rien à envier à celui que j'aurais réalisé pour coller une droite dans la mâchoire de ce que l'on pourrait communément appeler un "méchant", je suis face à lui. En une fraction de secondes.
Nos regards se sont croisés. Se sont simplement croisés. Alors je sais. Je frôle du doigt cette souffrance qui soudainement émerge.

J'accompagne son mouvement alors qu'il chute, qu'il s'assoit sans aucune délicatesse. Le geste est lourd, le corps l'est tout autant. Le fardeau s'abat en même temps que son corps et je ne dis rien.

J'accompagne. Je ne fais que cela.

Un léger mal aise appuie sur ma poitrine alors que sa main vient couvrir son visage au creux de mon épaule. Hésitant un bref instant, mes bras finissent néanmoins par le recouvrir. C'est un geste que je m'autorise rarement. En règle générale, mais d'autant plus avec lui.

J'accompagne, j'accueille. Mais je ne dis rien.

Je sens ses larmes s'écouler. Elles dévalent ses joues et atterrissent les unes après les autres en une mélopée sinistre qui chute à intervale régulier sur la peau dénudée de mon épaule.
Quelques mots. Quatre petits mots. Et je comprends.

Mes paupières se froissent. Lois... Bien sûr. Il ne peut s'agir que de Lois.
Dans tout ce capharnaüm, je l'ai perdue de vue. Il y avait tant de corps, tant de combats... que je ne sais pas ce qu'il est advenu d'elle.

- Tant qu'elle vit... il y a de l'espoir. Lois t'a surpris à plus d'un titre par le passé. Elle se battra... jusqu'au bout. Fais lui confiance.

Il est de mon devoir de le soutenir. De le rattraper quand il chute. De le retenir quand il s'égare.
C'est mon rôle. Pourtant... est-ce que je crois vraiment en les mots que je viens de lui adresser...
J'avoue ne pas savoir. Le doute est puissant à cette minute. Un humain... survivre à une attaque pareille... c'est...
Mais je n'en ai pas le droit, et encore moins le devoir. L'espoir... c'est tout ce qu'il lui reste à cet instant.

- Tu te trompes, Kal-El.

Je suis sans doute l'une des rares à persister à l'appeler ainsi. Pourtant... n'est-ce pas son véritable nom... n'est-ce pas le nom que ses parents lui ont donné à la naissance...

- Tu ne peux pas affirmer que Quar, ou qui que se soit d'autre d'ailleurs, n'aurait pas projeté sa colère contre la Terre quoi qu'il en soit. Par contre... ce dont nous sommes certains à ce jour... c'est que ta présence a permis que cette Terre survive.
Oui... nous avons subi de lourdes pertes. Des pertes que nous ne pourrons jamais remplacer. Cependant, penses-tu sincèrement que les choses se seraient mieux passées si tu n'avais pas été là ? Moi je crois au contraire qu'elles auraient été bien pires.
Certaines choses ne pourront être réparées mais pour ce qui est des ruines... nous reconstruirons Métropolis et elle sera plus belle qu'avant.

J'hésite. Ca n'arrive pas souvent, mais là je dois l'admettre. J'hésite.
Ne sachant trop quelle attitude il convient d'adopter dans ce genre de cas, je ne bouge pas d'un centimètre. Si Kal doit se dégager, il le fera de lui-même. Si ma présence lui apporte un tant soit peu de réconfort et qu'il décide de rester, je serai là.

Je serai toujours là.

Parfois... j'ai le sentiment d'être un savant paradoxe composé de concepts qui s'affrontent en permanence.
Humaine de naissance, mais bien plus que cela dans les faits.
Ambassadrice de l'amour, mais qui ne connait que l'amour universel sans avoir réussi à saisir les subtilités réelles du sentiment amoureux.
Empathie et compassion, mais que ne prend que très rarement dans ses bras.

Je n'ai pas le souvenir de m'être jamais permise de serrer Kal-El ou Bruce dans mes bras. Hal non plus, pour des raisons évidentes... Mais d'autres oui, c'est parfois arrivé, même si cela est tellement épisodique que je ne saurais m'en rappeler, et se cantonne principalement à des êtres féminins.

Il parait que les habitudes que l'on acquiert dans sa jeunesse sont les plus ancrées et les plus difficiles à modeler. Etant née et ayant vécu une grande partie de mon existence uniquement entourée de femmes, ceci explique sans doute cela... Et même si cela fait désormais plusieurs décennies que je me mêle à la foule des humains de ce monde, il semble que les habitudes aient en effet la peau dure.

Mais aujourd'hui, étonnamment, tout est assez naturel.
C'est naturellement que je me suis avancée vers lui.
Naturellement que je l'ai pris contre mon coeur.
Naturellement qu'il a accueilli mon geste sans le repousser.

Et pourtant...

Pourtant un mal aise s'insinue entre nous. Il n'a pas besoin de le formuler. Tout comme je n'ai sans doute pas besoin de le manifester non plus. Il est là. Il le sait. Je le sais.
La situation actuelle n'y est sans doute pas pour rien. Même s'il n'y a jamais eu que de l'amitié entre nous, la proximité actuelle que nous entretenons alors que Lois est peut-être sur ce que l'on pourrait considérer comme son lit de mort... peut paraître relativement déplacée.
Est-ce vraiment le cas ? Si j'en juge par la bouffée de culpabilité qui m'envahit, je dirais que oui.

Je sens sa poigne qui se raffermit. Il se raccroche. Peut-être pas à moi finalement... Mais à ce que j'incarne à cette minute précise. Cet enveloppement, cette affection... qu'il a perdus depuis déjà quelques mois. Celle dont il s'est éloigné, même s'il l'a fait non sans réticences.
Il doit le regretter aujourd'hui... Les remords surviennent toujours au moment où l'on est dos au mur. Au moment où l'on envisage enfin que l'avenir ne nous permettra peut-être plus de rattraper nos erreurs, de revenir sur les décisions passées.

Alors qu'il parle, mes doigts s'enfouissent dans ses cheveux sombres et c'est inconsciemment que je berce notre duo sous la pâle lumière du soleil.

- Et si, et si, et si... Dis-je doucement, sans qu'aucune pointe de reproche ou de sermon ne filtre dans ma voix.

- Le passé est là où il doit être Kal-El. Tu n'es pas responsable des décisions que les autres ont prises à ta place. Poursuivis-je en sous entendant qu'il n'a pas été consulté alors que ses parents le plaçaient dans un vaisseau pour tenter de lui sauver la vie.

- Par contre tu es responsable de celles que tu prends. Et grâce à ces décisions, Métropolis a pu être sauvée. Tu dois te fixer là-dessus.

L'étreinte se brise.
Il recule.
S'échappe.
Réalise que tout cela est inapproprié.
Je ne peux lui en vouloir, car il a raison.
Alors je souris.
Simplement.

- Arrête de t'excuser veux-tu. Dis-je plus légèrement en agitant distraitement la main.

Je fronce les sourcils presque sèchement et assène sans ménagement un tonitruant et implacable :

- Si, tu l'es. Ça et le reste. Tu l'es et bien plus encore que tu ne peux le croire. Tu es bien davantage que ce que tu crois. Bien davantage que ce que tu imagines.

Je ne me rends compte qu'après coup que ma voix a gagné en puissance au fil des mots et que je ponctue presque ma tirade en lui hurlant dessus.
J'extirpe un soupir en fermant brièvement les paupières. Pourquoi est-ce que je me mets en colère comme ça...
Je ne m'excuse pas pour autant, me contentant d'une légère fuite alors que mon regard se perd à nouveau vers l'immense baie à la surface brillante.

- Tu es...

Tellement plus que ça.

Je relève vivement la tête et pose sur lui un regard faussement courroucé qui semble lui dire "Ne t'ai-je pas dit d'arrêter de t'excuser ?". Je gage que cette petite facétie ne risque pour autant pas de détendre l'ambiance outre mesure, comment le pourrait elle..., mais un peu de légèreté, tant qu'elle n'est pas déplacée, ne peut pas faire de mal je suppose.

Un franc sourire illumine mon visage quand il se présente sous un jour des plus particuliers mais surtout très caricatural.

- Je pense que je vais la retenir celle-là... et te la ressortir pour les grandes occasions.

Comparer Superman à une jouvencelle... il est certain qu'il y a vraiment de quoi rire. Du moins... en temps normal il y aurait de quoi.

Mon visage se ferme dès qu'il reprend la parole, pointant du doigt une interrogation qu'il semble se poser depuis un moment déjà. Vraiment Kal-El... tu demandes vraiment ça... maintenant ? Tu n'aurais pas pu plus mal choisir ton moment.

Je détourne les yeux. Encore.

Que veux-tu que je te réponde...
Que ton Clark n'existe pas et n'a jamais existé. Qu'il n'est qu'un imposteur qui masque ta véritable nature par peur d'être rejeté. Qu'il n'est qu'une doublure derrière laquelle tu te caches, justifiant que tu fasses ceci ou ne fasses pas cela.
Qu'il est le poids du secret qui t'empêche de briller. Que le véritable être qui se cache sous ce Clark est mille fois plus merveilleux qu'il ne le sera jamais. Que sans son existence, tu n'aurais jamais eu à vivre le traumatisme de la révélation de ton identité. Que tu caches ta vraie nature au lieu de l'assumer. Que c'est un peu renier les origines dont tu devrais pourtant être fier.

Et qu'enfin... même Lois a été attirée par la lumière véritable et pas par le faussaire, car c'est bien de Superman dont elle est tombée amoureuse et pas de Clark.

- Je t'expliquerai pourquoi, mais pas aujourd'hui.

Non... pas aujourd'hui.
Tu peux me fixer, ne pas me lâcher des yeux, attendre une réponse à ta question. Tout cela n'y changera rien. Car je n'en ai pas le droit. Pas le droit de détruire le monde que tu t'es créé, plus qu'il ne l'est déjà. Pas le droit de t'infliger une peine supplémentaire, toi qui as déjà tant souffert.
Alors non. Tu ne sauras rien aujourd'hui.


- Parce que je n'y mets pas les mêmes intentions. Soufflais-je brièvement en reposant les yeux sur lui.

On ne peut décemment pas affirmer que son père n'avait pas mis de belles intentions quand il avait prononcé le nom de son fils, cet enfant qu'il chérissait plus que tout. Mais la situation de l'époque était plus un déchirement qu'autre chose, au regard de deux parents contraints de se séparer de leur bébé, ne sachant pas comment il va réussir à survivre.

Lorsque je tourne la tête, je me retrouve nez à nez avec lui. Quand s'est-il approché aussi près ? A moins que ce ne soit moi qui ai brisé la distance sans m'en apercevoir ?
Il hésite, ne va pas au bout de sa phrase.
A cet instant précis, si je n'étais pas aussi dévouée à mes dieux, j'aurais presque fulminé de colère contre la Divine Athéna pour m'avoir offert ce don d'empathie.
Il hésite, ne va pas au bout de sa phrase, et il n'en a hélas pas besoin.

Que nous arrive t'il. Est-ce l'émotion qui surgit après les durs moments que nous venons de traverser ? Il n'est pas lui même. Il ne peut pas... être lui même. Il est simplement perturbé et je suis là. Après tout ce qu'il a enduré ces derniers mois, c'est plus que compréhensible.

Je reste figée quelques secondes. Je ne respire plus, mon coeur ne bat plus, comme si le temps venait de stopper sa course brutalement.
Pourquoi.
Que sommes-nous donc en train de faire...
Non.
Non.
Définitivement... non.

Je n'ai jamais rien su cacher de mes émotions, dont on peut distinguer toutes les couleurs sans aucun mal simplement en regardant mon visage. Tout se voit, je ne cache jamais rien. Je n'ai pas appris à le faire. Alors il voit. Bien sûr qu'il voit. Ce sang qui bat furieusement dans mes tempes et cette crispation latente qui enserre mon corps tel le serpent étouffant sa proie.

Mais je ne suis pas une proie. Je ne l'ai jamais été. Je suis une Amazone. Et les Amazones font toujours face au danger. Elles ne fuient pas. Jamais.
Alors je me relève dans un mouvement plus vif que je l'aurais souhaité. Mais je fais pourtant volte-face immédiatement et lui tourne le dos.


- Vas prendre soin de ta femme et de ton fils, c'est le plus important.

Les Amazones font toujours face... Pas aujourd'hui visiblement.

A quel moment...
Quand...

Je lève les yeux vers le ciel qui nous surplombe. Le soleil entame sa lente descente pour finir par se coucher au coeur des flots, comme chaque soir depuis que le monde est monde.

A quel moment...
Quand...

Qu'en penserais-tu... mère... Sans doute rien de bien peut-être. On ne peut pas dire que tu aies jamais été friande de relations avec la gente masculine. Je ne t'en connais même aucune, pour ainsi dire.

A quel moment ai-je arrêté...
Quand ai-je décidé d'occulter mes émotions... moi, le livre ouvert.

Je suis Diana. Fille de la Reine des Amazones.
Je suis le coeur battant, la colère qui gronde, le regard qui s'embue de larmes.
Je suis la fierté, la sensibilité, la compassion.
Je suis le courage et la ténacité, la force et la faiblesse.
Je suis l'encyclopédie des émotions.
De toutes les émotions.
Et je ne m'en suis jamais cachée.

Alors quand... à quel moment précis... ai-je décidé de changer cela.

Je le sens qui se renfrogne. Dans mon dos, il m'adresse quelques mots. Ils sont froids, distants.
Mes lèvres se pincent légèrement et je relâche la volupté du ciel pour fixer la pierre pâle qui s'étend sous mes pieds.

A quel moment... Diana.

- Oui.

Il y a toujours quelqu'un qui a besoin de toi de part le monde. Toujours quelqu'un à sauver, à aider, quel que soit l'endroit, quelle que soit la manière.
Mais aujourd'hui ce n'est pas l'humanité qui a besoin de toi. Juste ta famille. Et c'est déjà beaucoup.

Alors de quel droit... Oui. De quel droit est-ce que je me place en travers de ton chemin pour t'empêcher de les retrouver.
Mes poings se serrent légèrement. Tu es devenue bien lâche Diana.

Je le sens. Il s'éloigne. Il s'en va.
C'est ce que je lui ai dit de faire. Alors pourquoi... Pourquoi cette gêne persiste t'elle et pèse t'elle tant sur ma poitrine. Je devrais avoir honte de moi. Et c'est le cas à vrai dire.
Je n'ai jamais été particulièrement proche de Lois. Nous ne pouvons pas nous considérer comme des amies. Cependant je l'ai toujours respectée pour ce qu'elle incarnait. La femme de terrain au courage infaillible et la mère du fils de Kal-El. Cependant... l'ai-je jamais respectée pour en être l'épouse...

Je m'apprête à abandonner. Parce que c'est mal. Parce que c'est injuste. Parce que c'est tout simplement... horrible, effrayant, épouvantable. Ce que je ressens est épouvantable. Je crois qu'il n'y a pas d'autre mot.
Je m'apprête à abandonner. Mais une main vient frôler la mienne. Sa main.

Je n'ai pas réfléchi. Je n'ai même pas eu une seconde pour y penser. J'ai agi sous le coup d'une impulsion quand j'ai rattrapé sa main et que je me suis élevée à son niveau, là où infortunément, certaines Amazones pourraient sans doute nous apercevoir.

Je n'ai pas réfléchi lorsque j'ai serré sa main dans la mienne et que je me suis postée face à lui. Lorsque je suis restée ainsi, tellement proche sans que pour autant aucun de nous ne touche l'autre, si ce n'est ma main restée dans la sienne. Je n'ai même pas pensé à ce que j'allais bien pouvoir dire alors que mon visage est à quelques millimètres du sien, presque joue contre joue, son regard porté sur les ruines de Métropolis, le mien sur l'immense baie.

Je n'ai pas réfléchi, et voilà où nous en sommes.
Le silence est assourdissant et il dure de longues minutes. Il faut bien que je trouve quelque chose à dire maintenant.

- Ecoute moi attentivement.

Je finis par briser le silence dans un murmure, comme si je lui chuchotais un secret. Ce qui n'est pas tout à fait inexact d'ailleurs.

Je prends une légère inspiration pour tenter vainement de faire le calme en moi. Mais il ne manquera sans doute pas de le remarquer tout de même. Ce coeur... qui bat à s'en rompre les artères. Il serait capable de l'entendre même si je me trouvais à l'extrême opposée de Métropolis. Alors si proches...

- Les mois écoulés ont été très éprouvants pour toi. Il est normal que tu ne saches plus où tu en es. Tu n'as pas eu une minute pour souffler et tu t'es toi-même imposé des épreuves de surcroit.

Je fais ici allusion à sa décision délibérée de s'éloigner de Lois et Jon, sans réellement poser de mots définis sur le sujet. Peut-être était-ce nécessaire. Peut-être pas. Je ne saurais le dire à l'heure actuelle et si l'état de Lois ne s'améliore pas, personne ne sera bientôt plus en mesure de l'affirmer, par même Kal-El.

- Je...

Bonté divine Diana ! Tu n'as jamais eu de mal à exprimer tes émotions jusqu'à aujourd'hui, pourquoi commencer maintenant...

- Je sais ce que tu traverses. J'y suis passée aussi, même si les circonstances et la finalité étaient différentes.

Steve.
Je sais ce que ça fait oui... de tomber amoureuse d'un être qui ne possède pas de facultés particulières, qui est plus fragile, et qui finira tôt ou tard par en payer chèrement le prix.
Pour cette raison, je n'ai plus aimé depuis plus de 60 ans.

- Ne fais rien que tu ne risques amèrement de regretter Kal-El. Ne fais rien qui puisse être préjudiciable pour les autres.

Je pense à Lois mais également à moi. Car je suis en train de me rappeler... oh oui... pourquoi, pourquoi j'ai soigneusement évité de trop m'attacher à qui que ce soit ces dernières décennies.
C'est bien trop douloureux.
Alors que s'est-il passé pour que les choses en arrivent là aujourd'hui ? A quel moment n'ai-je rien vu venir ? J'aurai tout le temps d'y penser plus tard... je présume.

- On s'est affronté par le passé, mais j'ai toujours été là. Et quoi qu'il arrive... je serai toujours là.

Mais ne me fais pas subir ça Kal-El...
Je t'en prie.

Un... deux... trois fois pardon.
Un... deux... trois fois merci.

De rien.
Ce n'est pas grave.
Ne t'inquiète pas.

Ce sont les seules réponses que je lui fournis.
Que puis-je dire d'autre... Que puis-je faire d'autre... Rien. Irrémédiablement rien.
Le choix que j'ai fait, le choix qu'il fait en cet instant, sont les plus raisonnables.
C'est ce qu'il convient de faire. C'est ce que la bienveillance exige de nous. La bienséance également. L'altruisme... aussi.

Oui. Nous faisons ce qui est bien. Nous faisons ce qui est juste.
Car c'est ce que font les super-héros... n'est-ce pas...?
C'est ce que devraient toujours faire les super-héros, dès qu'ils le peuvent et même si cela revêt une complexité dérangeante, perturbante et surtout... héroïque, quelque part.

Je relâche sa main mais je ne bouge pas pour autant.
La lourdeur éventuelle de mon corps ne peut me servir d'excuse en cet instant. Je ne bouge pas... parce que je n'ai simplement pas envie de bouger.
De toutes façons il va partir. Parce que c'est ce qu'il doit se passer.
Il doit partir retrouver Jon. Retrouver... Lois.

Mais lorsque le bruit caractéristique d'une nouvelle catastrophe potentielle résonne à mes oreilles, je ne pose même pas les yeux sur lui, qui me fixe pourtant avec insistance depuis quelques minutes. Qu'il se serve de ce prétexte pour me fuir, passe encore. Mais il s'apprête à s'en servir également pour justifier qu'il ne puisse rejoindre sa famille.

Quand cesseras-tu de te cacher...

Il ne prétexte même pas. Il ne se justifie même pas. Il s'éloigne simplement, avec la légèreté qui le caractérise. Je ne dis rien, je le laisse s'en aller sans un mot.
Ce n'est qu'après quelques minutes qu'un murmure voilé passe la barrière de mes lèvres. Et il l'entendra. Je n'ai que peu de doute à ce sujet.

- Aurevoir. Clark.

Car c'est sur lui que se porte ton choix.
C'est sur lui que tu fondes tes espoirs.
C'est lui... que tu as choisi.
N'est-ce pas...