Le sens caché ¤ Ray Palmer

Depuis sa rencontre avec Damian, et toutes les informations qu'elle avait récoltées à cette occasion, Zatanna avait déplacé Shadowcrest dans l'immense parc des Wayne. Elle n'avait pas demandé la permission. Son rapprochement avec Damian le permettait, et elle soupçonnait Alfred de la préférer trop proche que trop éloignée, à raison.

La magicienne comptait garder un oeil averti sur le jeune fils de Bruce et sur le père par la même occasion. Si celui-ci revenait, il était plus que probable qu'il se rendrait au manoir en premier lieu.
Elle avait donc mis en place plusieurs détections et protections magiques, tout en prenant garde à ce qu'elles ne dérivent pas comme c'était le cas de certains sorts depuis quelques jours. La magie venait renforcer les défenses et installations déjà présentes sur le domaine.

L'étrange bâtisse entre manoir et château qu'elle possédait, et qui la suivait où elle le désirait, trônait donc désormais en plein milieu du parc dénué du moindre arbre. Petit problème que l'on devait à l'instabilité magique actuelle et que Zee avait promis de résoudre dès que l'occasion s'en présenterait.

- Lorsque Ray Palmer se présentera, laisse le entrer et mène le jusqu'ici.

La dame dont la longue chevelure d'ébène flotte sur ses épaules, détachée et sans arborer son éternel chapeau haut de forme, lance ses quelques mots à la cantonade comme si elle s'adressait aux murs de la maison.
Ce qui, en définitive, est le cas. Et comme si la bâtisse toute entière lui répondait, les lattes de plancher grincèrent, les murs vibrèrent légèrement, les tuiles du toit craquèrent et les verres de cristal s'entrechoquèrent. Une joyeuse cacophonie qui, fort heureusement, ne dura que le temps nécessaire à ce que toute la maison et son "personnel", n'ait reçu la consigne.

Cela faisait trois bonnes heures que Zee n'avait pas bougé un cil.
Même lorsqu'elle avait contacté Ray, c'était le Manoir qui s'en était chargé pour elle. La seule chose que la magicienne s'était autorisé, c'était dicter les messages qui lui étaient destiné d'une voix rapide.
En dehors de cela, elle restait assise en tailleur au centre d'un gigantesque pentacle lumineux qui occupait tout l'espace d'une pièce pourtant gigantesque.

Les fines gouttes de sueur qui perlaient le long de ses tempes indiquaient toute la concentration qu'elle dégageait durant ce lapse de temps. Et de la concentration, il en fallait... pour maintenir ce qu'elle devait à tout prix stabiliser le temps que le scientifique arrive.

Quand la porte de la pièce s'ouvre sur Ray, c'est donc sans ambages ni fioritures qu'elle lui prodigue ses consignes.

- Pénètre dans le pentacle Ray, n'aies crainte. Assieds-toi en face de moi, dans la même position, et prends garde de rester dans le cercle central.

Un scientifique dans un environnement magique est un peu à l'égal d'un chien dans un jeu de quilles. Il ne sait que faire. Il ne sait où poser le regard, craignant à chaque seconde qui défile de prononcer le mot de trop ou de commettre l'impair qui provoquera une catastrophe.
Par la force des choses, et ses relations, Ray est bien obligé de croire à la magie. En ce monde, seuls les fous en renient l'existence. Et encore... pas tous.
Mais ce n'est pas pour autant qu'il est à l'aise, bien au contraire.

Il prend place, non sans marquer une hésitation et finir par relâcher un grognement compréhensible. Il n'aime pas ça. L'inconnu exalte les scientifiques qui apprécient le décortiquer sous tous les angles, chercher, fouiller, jusqu'à trouver "la" réponse adéquate. Oui... l'inconnu est terriblement attirant.

Sauf quand il est de nature magique.
Parce qu'il ne maîtrise rien et qu'il en a parfaitement conscience. Cette science là, échappe à son contrôle. Echappe d'ailleurs au contrôle de la plupart des magiciens, étant donné les perturbations actuelles.

Zatanna n'est pas l'exception qui pourrait confirmer la règle, car elle a encore toutes les peines du monde à maîtriser des forces qui ont vraisemblablement décidé de n'en faire qu'à leur tête ces derniers temps.

Sa concentration est intense. Cela se voit, mais cela se ressent, se perçoit également.
Le corps a ses limites. Il est ainsi fait. Il ne peut pas tout endurer, pas tout affronter, pas tout subir. Il n'en est pas de même de l'esprit dont les possibilités sont infinies. Ainsi, la voix de la magicienne cesse t'elle de se distinguer grâce à ses cordes vocales, mais est-ce désormais un échange d'esprit à esprit. C'est plus facile. Plus facile de pousser l'esprit plutôt que le corps. Plus aisé de communiquer ainsi pour ne pas briser sa concentration.

* Je ne sais pas Ray. *

Si Zatanna n'a jamais incarné le concept de Madame je sais tout, il faut tout de même admettre qu'aujourd'hui les zones d'ombre sont multiples et son incompréhension bat tous les records.

Son regard azuré se plante dans celui du scientifique, alors qu'elle avance les mains pour saisir fermement les siennes et ne les lâche plus.

* Tout va bien se passer. Reste concentré. Ne touche à rien, ne bouge pas. Tu peux t'exprimer librement mais c'est tout. Quoi qu'il arrive, tu ne dois surtout pas bouger, tu m'entends. C'est primordial. *

Elle ne lui laisse guère le temps de s'étonner ou s'interroger plus avant que déjà, les derniers mots qui ponctuent son avertissement résonnent dans son esprit comme s'ils étaient prononcés par des dizaines de voix différentes.
Elles sont toutes féminines, mais leur timbre est très inégal. L'une est sombre, l'autre murmure, une autre encore l'extirpe dans un soupir, quand la dernière conserve une neutralité à toute épreuve.

Le noir se fait.

Opaque, envahissant, il recouvre tout, se répand comme une nappe de goudron.
L'atmosphère qui s'en dégage n'est cependant ni dérangeant ni malveillante. Le noir n'a pas que des mauvais côtés, contrairement à ce que pense une trop grande majorité de personnes.
Il aspire parfois à la neutralité. Comme c'est le cas aujourd'hui.

Le noir d'une fin.
Peut-être celui d'un commencement.
Celui d'un renouveau.
Le voile qui tombe avant de permettre qu'un jour nouveau ne se lève.

Alors ce noir se déchire.
Il s'auréole d'une délicate lueur qui se distingue peu à peu, comme la pâle lumière d'un soleil naissant à travers un rideau.
L'obscurité se lève avec une certaine délicatesse, alors que la lueur devient plus forte, arborant de délicates teintes d'un vert émeraude.

Une forme tout d'abord indistincte. Puis plus nette, au fur et à mesure qu'elle semble marcher dans sa direction, se rapprocher de lui. Une ample chevelure lisse lui tombe lourdement sur les épaules. Ses grands yeux brillent d'un éclat renouvelé, qu'elle avait oublié depuis fort longtemps.
Sa démarche est souple, sans hésitation. Le halo d'émeraude qui l'auréole devient plus fort, plus rayonnant à mesure qu'elle se rapproche, mais elle stoppe à environ deux mètres de lui.

- Bonjour Ray...

La voix connue et aimée se distingue, alors qu'elle pose sur lui un regard tendre bien qu'un peu contrit, et qu'un pâle sourire se dessine sur son visage.


Jessica Cruz. Son épouse.
L'aimée qu'il n'a plus revue depuis... si longtemps.
Quelle sera sa première réaction ? Se précipiter vers elle... lui prendre les mains... la serrer tout contre lui... l'embrasser avec la fougue d'une jeune homme qui retrouve son aimée après une terrible absence... peut-être.

Et pourtant.

Les instructions de la magicienne sont claires. Ray... ne doit faire aucun mouvement, sous aucun prétexte que ce soit.

Ce qui se joue entre ces murs, dans cet espace, ce lieu si particulier qu'incarne le manoir de Shadowcrest, est d'une grande importance pour les deux êtres qui viennent d'être rassemblés. Rassemblés à travers le temps et l'espace. Une opération délicate, qui demande un doigté de chef d'orchestre et du tact. Beaucoup... de tact.

Zatanna a conscience de l'importance de ce moment, même si elle ignore les tenants et aboutissants de cette rencontre. Même si elle ignore pourquoi Jessica lui a expressément demandé de faire venir Ray.

Il se déroule ici quelque chose d'intime entre ces deux là. Une intimité légitime dans un couple, mais plus encore dans cette situation particulière. Car la magicienne a bien conscience, et connaissance, que Ray n'a plus revu ni eu de nouvelles de son épouse depuis fort longtemps.
La revoir ainsi, au pied levé, sans s'y attendre et par l'entremetteuse qu'elle se retrouve être aujourd'hui, n'a sans doute rien de confortable.

Elle a aussi conscience que ce moment ne devrait appartenir qu'à eux. Zatanna ne devrait ni écouter ce qu'il se dit ni percevoir les émotions qui se dégagent d'eux.
Elle doit s'évanouir dans l'air, se dissoudre à leur vue, rester loin, cachée, discrète.

L'exercice de style n'est pas évident car elle doit se retirer tout en maintenant une connexion qui, dans ces conditions précises, n'est pas évidente à maintenir. Car si elle ne sait où se trouve exactement Jessica et que, finalement, ça n'a pas grande importance, maintenir deux réalités d'existence sur un plan égal n'est pas aussi aisé.

Elle murmure quelques mots, distille sa magie dans l'air. Peu à peu elle se fonde en une image floue, abstraite, qui disparait bientôt du salon. Pourtant elle est toujours présente, mais reste en retrait.
Ce moment... ne doit appartenir qu'à eux.

Mais, hélas, quand Ray reprend ses esprits et qu'elle sent l'énergie de son épouse disparaître pour retourner là où se trouve son corps physique, Zee sait que ça ne s'est pas passé comme il l'espérait.
Son visage est pâle, figé en une expression de profond désarrois. La magicienne ne pousse pas plus avant son analyse des expressions qui trônent sur le visage de son ami. Ce serait violer son intimité... ou du moins ça serait tout comme.

Elle perçoit suffisamment sa détresse comme cela. Mais elle ne peut hélas rien faire pour le soulager. Quoi qu'il se soit dit ces dernières minutes, Ray a besoin de temps. Pour lui, pour digérer... accepter peut-être.

Une main réconfortante sur son épaule et un sourire d'encouragement le raccompagnent aux portes du manoir. Il ne prononce pas un mot. Ce qu'elle respecte et comprend. Zatanna le regarde s'éloigner dans la pénombre, la mine contrite, la nuit recouvrant désormais Gotham de son voile opaque.

Ils parlent.

Pendant… des heures ? Des jours ?
Il ne sait pas. Il ne sait plus.
Un moment. Un long moment. Un long et intense moment, où ils se livrent… où ils échangent, à cœurs ouverts. Où ils se disent beaucoup ; puis tout.

Ils s’expriment. Ils expriment.
Leur amour. Leurs liens. Leurs sentiments. Leur histoire.
Leurs ressentis. Leurs besoins.
Qui diffèrent, maintenant.
Leurs vies.
Qui ont changé, pleinement. Qui ne sont plus les mêmes.

Ils se parlent, ainsi.
Ils s’emportent, un peu ; un tout petit peu, car ils savent… ils savaient au fond que cela allait arriver. Que cela devait arriver.
Ils pleurent, aussi ; un peu plus. Un peu beaucoup plus. Car ils sont tous deux émus, touchés ; marqués par ce qu’il se passe. Par un acte, par un bilan, par un instant fondamental, qu’ils ont tous deux fui mais qu’ils doivent désormais accepter.

Pour avancer. Pour vivre. Pour continuer à vivre. Pour retrouver le bonheur.
… mais plus ensemble.
Mais plus ensemble, en couple.

Ils parlent, oui. Ils discutent. Ils acceptent. Ils avouent. Ils cèdent.
Ils actent.
Ils se prennent dans les bras, dans une étreinte à distance ; corps contre hologramme. Ils s’embrassent ainsi.
Une fois. Une dernière fois.

Ils se saluent, alors. Ils se font des promesses, ils s’engagent ; à se revoir, à s’aider, à se retrouver.
En sachant qu’ils ne le feront pas pleinement. En sachant, cependant, qu’ils ne s’oublieront jamais… même si plus rien ne sera comme avant.

Ils en finissent, alors.
Et Ray Palmer fige un regard triste, plein de douleurs et de peines, sur l’hologramme de Jessica Cruz.

Jessica, oui.
Qu’il a aidée, quand elle a été marquée du sceau du destin en étant choisie pour son anneau possédé. Qu’il a accompagnée, quand elle a intégré la Justice League. Qui est devenue son amie, sa confidente, sa proche.
Qu’il a aimée ; très vite, très fort.
Qu’il a… épousée, après tant de difficultés, tant de drames ; tant de sacrifices, tant de moments terribles. Qui a participé à forger des projets d’avenir, notamment avec des visions du futur où ils avaient une famille bien à eux.
Qui est partie, défendre le Multivers. Qui a agi comme elle est, pour ce qu’elle est : une héroïne, qui a dépassé ses troubles pour que personne d’autres n’en subisse ; pas sous sa garde.

Jessica.
Son épouse. Son amour.
… son ex-épouse.
Son ancien amour.

La communication coupe, alors. L’image s’évapore.
Ray est seul.
Avant que Zatanna Zatara le rejoigne – et qu’il pose sur elle un regard intense, accompagné d’aucun mot ; car l’instant n’en demande aucun, et il ne peut en prononcer aucun.

Il acquiesce, lentement. Il la remercie, silencieusement.
Il part, alors.
Seul.
Ses pas sont lourds. Ses gestes sont difficiles. Surtout… surtout celui où ses doigts tremblants vont vers sa main ; sa main gauche. Pour la retirer. Pour l’enlever. Pour s’en séparer.
Son alliance.

Ray retire son alliance, et sort.
Seul.
Allégé, objectivement. Libéré, en un sens, d’un amour qui perdure, mais d’une autre façon ; et qui n’avait plus l’orientation antérieure.
Mais… marqué. Troublé. Touché.

C’est toujours terrible, quand un couple se sépare. Ce n’est pas sa première fois. Il espère que ce sera la dernière…

(HJ/ Merci pour ce RP ô combien important pour moi /HJ)