Voulez-vous me rencontrer ? [Superman et Superhéros]

Le jeune Mike, 18 ans, roux et au physique athlétique s’observait dans le miroir. Aujourd’hui, il allait le faire, il allait boucler l’exploit qui lui permettra d’assurer son avenir.

Aujourd’hui, il atteindra les dix millions de followers sur Youtube grâce à ses vidéos en direct de chat trop mignon tout plein. Tout partout aux Etats-Unis, cet amoureux des chats traquait les plus adorable félins, donnant rendez-vous à ses abonnés sur sa chaîne RealLife Cats pendant des journées entières où il se filme en vue subjective pour traquer les minous dans les petits patelins ou dans les grandes mégalopoles. Au début il avait fait cela pour le plaisir et passer du bon temps avec ses amis. Au fur et à mesure, il avait gagné des fans, puis avait commencé à être contacté par des sponsors. Il en était maintenant au stade où il devait faire attention à son image pour ne pas envoyer de mauvais message à sa communauté afin que l’on ne se retrouve pas avec plein d’abrutis en train d’ennuyer les chats dans la rue.

Sponsorisé par un célèbre logiciel de protection contre le hacking, il avait choisit Metropolis comme nouveau terrain de chasse. Après un voyage en train de plusieurs heures et une nuit à l’hôtel, Mike alluma sa Go-Pro installée au coin de son oreille et démarra le live avec son téléphone.

‘’ Hey yo les amoureux des félins ! Aujourd’hui je suis à Metropolis, dans un quartier résidentiel tranquille, car la sécurité avant tout !’’

Petit panoramique sur les résidences entourant le vidéaste. Un gros chat roux était en pleine farniente. L’ayant aperçu, Mike fit un petit zoom sur le félin ventru en train de bailler.

‘’ Je suis sûr que l’on trouvera de nombreux félins en train de se promener par ici, j’ai l’impression que les gens n’utilisent pas trop de voitures ici, et par là y’a des parcs. Oh attendez !’’

Un grand chat noir observait le youtuber depuis une petite allée. Ses yeux pétillaient d’intelligence et une très grande grâce émanait de son corps fin. On dirait un mixe entre le sphinx et l’abyssin. Il était assis sur une poubelle comme s’il s’agissait de son trône, le dos bien droit, comme s’il attendait quelque chose. Mike se risqua à une approche. Il traversa la rue sans que l’animal ne bougeât. Il arriva à sa hauteur et ressenti un sentiment d’intimidation qui le poussa presque à détourner le regard.

‘’ C’est l’un des minets les plus intimidant que j’ai vu de ma vie les amis, c’est incroyable. Je vais essayer de faire connaissance.’’

Il prit doucement une friandise dans la paume de sa main et présenta l’offrande à l’animal qui baissa doucement le regard, mais pas la tête. D’un coup de patte, il vira la croquette, ce qui effraya l’artiste qui fit un pas en arrière. Le fier félin bondit pour aller au sol et se dirigea vers le fond de la ruelle où il se mêla aux ombres…

‘’ … je… Je pense que nous avons là un client difficile, on devrait peut être le laisser tranquille.

- Mrrrraaaaaww.

- … je. Je pense qu’il m’appelle. Je vais voir ce qu’il veut.’’

Il ressentit une envie irrépressible de voir ce drôle d’animal de plus près pour examiner l’objet de sa complainte, et en même temps, une peur indescriptible. Il s’avança vers le fond de l’allée où le chat l’attendait tranquillement assis sur le bitume. Il n’était plus qu’à quelques pas. Le chat ne bougea pas. Mike se résolut à se baisser pour se mettre au niveau de l’animal.

Aussitôt, devant des millions de spectateurs en direct sur internet, le chat se dressa sur ses pattes de derrières, attrapant la tête du pauvre Mike entre ses pattes avant. Ses yeux s’illuminèrent brutalement alors que la gueule s’ouvrit pour parler d’une voix féminine surnaturelle…



‘’Toi qui viens d’ailleurs, digne héritier de Hercule et des héros de mon époque, entend ma prière, car je veux te rencontrer. Retrouve-moi là où les voix de quelques-uns se font entendre à travers tout le pays, je t’y attendrais…’’

Une annonce choc qui fit le buzz sur internet où des septiques accusèrent d’abord Mike de fake avant que le vidéaste et sa réputation se fassent secourir par des experts et d’autres youtuber : le jeune homme était en direct et son sponsor avait communiqué sur le budget alloué, et jamais il n’aurait pu avoir les moyens pour des effets spéciaux pareils. Rapidement, l’affaire fut récupérée par la presse et monté en épingle.

On enquêta. A qui s’adresse ce chat ? Qui était-il ? Une nouvelle menace d’outre-tombe ?

En vérité, il s’agissait juste de Bastet qui n’avait pas tous les us et coutumes du monde occidental actuel. Ayant entendu dire qu’il était important d’apparaître sur les réseaux sociaux pour se faire entendre, elle put avoir l’information concernant les projets de Mike grâce à l’une de ses rares prêtresse existante : une jeune étudiante en sociologie historique fana d’égyptologie. On fait avec ce que l’on a.

Sachant pertinemment que la suite allait être effrayante pour les humains, elle préféra effrayer un seul humain sur le coup sans se rendre compte que la vidéo était diffusée en direct sur le net à un très grand nombre de personne. Le jeune homme lui-même ne fut pas traumatisé et compte reprendre les vidéos après un peu de repos.

Pour sa part, une fois son plan mené à bien, la déesse avait pris place sur le toit du Daily Bugle. Ce n’était pas l’immeuble le plus haut, mais il constituait l’un des meilleurs points de vue de la ville.

Elle avait mis des vêtements un peu chics, mais qui restaient sérieux et lui donnait un air solennel : un grand manteau noir, très long et fin, dont les pans de tissus voletaient doucement au vent. En dessous, une petite tunique blanche, très rapprochée du corps et trahissant des goûts antiques, bien que revisité pour être plus modernes avec des coutures machines millimétrées, des petits boutons et des broderies sur les hanches représentants des ankhs dorés. Pour compléter tout cela, elle avait une petite écharpe vaporeuse de couleur rouge sang, qui de par sa légèreté, volait bien plus gaiement au fil des zéphyrs de passages.

Elle avait dans sa main une flasque argentée qui reflétait agressivement les rayons du soleil. Elle contenait sa boisson préférait, celle qui l’apaisait le mieux : de la bière mélangée à du jus de grenade. Elle observait la ville. Avait-il eu le message ? Avait-il compris ?

Le voilà, elle n’avait pas eu à attendre longtemps, juste quelques heures. Ce qui, en termes de divin, n’est qu’un instant, un micro-instant même. Lorsqu’il apparut, en train de voler au-dessus des bâtiments humains, au-dessus de la dévastation causée par les derniers conflits, elle le trouva très beau. Il manquait un peu de grâce, mais tout le monde n’était pas sa mère, Isis. Elle avala une lampée de sa liqueur rouge alors qu’elle recevait les salutations de l’extra-terrestre et se leva gracieusement. Elle joignit ses mains en face d’elle et commença… par une révérence.
 
‘’Tout d’abord, je souhaitais vous remercier.  Alors que je n’étais pas là pour défendre la planète, vous avez fait mon travail à ma place. Alors que j’avais abandonné, vous avez sauvé maints et maints fois les hommes, alors que rien ne vous y a jamais rien obligé.’’
 
Elle invita le mortel à se poser près d’elle et se rapprocha du bord du toit pour contempler la ville. D’un côté elle restait magnifique, mais il suffisait de tourner un peu son regard sur la droite pour y voir moult dévastations.
 
‘’Je suis Bastet. Déesse des chats, protectrices des foyers et donc, de la planète. Même si je n’ai aucunement regagné de puissance, ne serait ce qu’une once de ma splendeur d’antan… je souhaiterais me ranger dans vos rangs et vous aider comme je le pourrai.’’
 
Elle était sincère, même s’il doit être difficile de lire dans le cœur d’une déesse multimillénaire et de déchiffrer les expressions faciales d’un chat. Ses oreilles restaient droites et ses vibrisses saillantes.
 
‘’Les derniers évènements m’ont poussé à abandonner ma morosité et je comprends que malgré le fait que l’Humanité m’ait rejeté, je dois tout de même repartir au combat. J’espère juste pouvoir accorder mes violons avec les autres héros, et j’ai besoin de quelqu’un qui accepterait d’être un intermédiaire afin de rassurer tout le monde, les héros comme les civils.’’
 
Bastet observa l’homme d’acier du coin de l’œil. Pour l’instant, elle avait mis de coté tout ce qui faisait sa personnalité féline. Elle n’était ni joueuse, ni taquine et enjôleuse, elle essayait de se comporter le mieux du monde comme une femme d’affaire qui voulait négocier le contrat le plus important de sa vie.

Bon, il y avait du mégenrage mais bon, objectivement, il s'adressait à Yara ce message, non ?

Viens d'ailleurs, check.

Héritière d'Hercule et des héros d'époque, check.

Entendre des prières, check. Elle fait ça à longueur de temps. C'est dingue ce qu'ils sont blasant, les Dieux, à se prier et se faire prier les uns les autres !

Restait à trouver où les voix de quelques uns se font entendre dans tout le pays ...

Youtube ? Twitch ? Twitter ?.. Pitié, faites que ça ne soit pas Gab. Tout mais pas Gab ...

Partout où la divinité ferait des siennes, partout où nécessitait faisait loi pour protéger les Hommes des Dieux (et les Dieux des Hommes aussi, un peu. Mais moins quand même.)

Partout, oui, on retrouverait ...



Oui.

Certes, présentement, c'était compliqué mais ...

... Oui, ils finiraient par comprendre. Ils finiraient par l'intégrer ! Championne des Amazones d'Amazonie, fille d'Aella et du fleuve Amazone, demi-déesse brésilienne aux sévères biais américains. Wonder Woman, oui. La vraie. Celle dont le monde avait besoin.

Quel monde, s'interrogera-t-on ?

Tout le monde. C'est tout. Oui, pensez à Yara Flor comme vous pensez au recyclage : de toutes façons, vous n'y échapperez pas !

Un battement d'ailes résonne dans le lointain. Il s'approche et couvre peu à peu le tumulte nocturne de la vie urbaine.

Un pégase s'approche du toit du Daily Planet, une grande demoiselle sur le dos.


Attendez, est-ce qu'elle avait encore laissé Jerry s'occuper de la présentation musicale.

Dammit ! Il allait falloir rattraper ça ! Quelle honte ! Aucune solennité !

Vite, l'Amazone, dans son armure dorée et sa tenue bleue et rouge, saute à terre, secouant le bras vers la féline anthropoïde. Bien, ça devait être la prière du jour.

Mode relation-client, activé !

" Hey ! Salut ! Bonsoir ! Bonjour ! " s'étend-t-elle, avec l'exubérance de la jeunesse, " Je suis Yara Flor, Wonder Woman, enchantée ! J'ai reçu le message !.. Wouh, c'est dingue, vous auriez pu faire plus simple dites donc. Vous savez qu'on a dû se creuser la tête à plusieurs pour comprendre votre histoire de voix-là ? Pfiiiiou. Vous êtes une Sphinx, c'est ça ? Ah-ah !.. Non, je déconne ! "

Il fallait le dire. Il fallait le préciser : pour les Dieux, souvent à cheval sur l'étiquette, Yara Flor était proprement insupportable. Elle parlait beaucoup, et son intention n'était pas de charger son verbe de sens.

Yara, elle faisait du Dan Brown, pas du Aristote.

Et Yara, elle venait de remarquer qu'il y avait déjà quelqu'un d'autre.

Quelqu'un de connu, cette fois-ci.

" Oh ! Super ! Regardez ! C'est Superman ! Mais c'est dingue ça ! "

Ca ne se voyait pas, mais Yara était un peu en mode fangirl là.

Bon, c'était Superman. Niveau Vieux Monde, Patriarcat machiste et "Faites ce que je dis, pas ce que je fais", ça se posait là ... mais ...

C'était Superman, quoi !

Et elle, elle était Wonder Woman.

Hop hop. Pas de temps à perdre ! C'est l'heure de l'autopromotion ! Autant commencer tout de suite !

Bim, dans les dents du Directeur Palmer. "Wonder Girl". Peuh !

" Enchantée ! " balança-t-elle à nouveau, en accompagnant le mot d'un pas dans sa direction et d'un bras tendu, " Yara Flor ! Wonder Woman ! Version 2.0, héhé ! Grande fan ! J'suis venue quand j'ai vu un message pour moi !.. J'imagine que vous êtes ici parce que c'est Metropolis ? Oh ! Fallait pas vous déranger pour si peu, hein ! Je peux m'en charger, hein ! Hé-hé !.. J'aime beaucoup la barbe de trois jours, d'ailleurs. Ça fait branché !.. On vous a déjà dit que vous ressembliez à Georges Clooney ?.. Enfin, c'est plutôt l'inverse, hein, il lui manque quelques centimètres et une bonne centaine de kilos de muscles là ... Au moins ... Fiou ... "

Le cerveau de l'Amazone était déconnecté de sa bouche.

C'était ordinaire.

En ce moment, son cerveau lui hurlait d'arrêter de donner l'impression qu'elle mouillait sa culotte à chaque fois qu'elle voyait un Kryptonien.

Elle l'avait déjà fait avec Power Girl ... Ça devenait moyen niveau image, là ...

Vite, manœuvre évasive ! Demi-tour vers le minou !

" 'Fin bref ! Désolé ! Première fois que je vois Superman en personne, d'aussi près, faut comprendre ... Grande Fan ! Je l'ai déjà dit ? Je l'ai déjà dit ... Hmm... Du coup, qu'est-ce que je peux faire pour vous, Madame ... hmm... Comment je vous appelle ? "

Cela semblait très bien partis, le plus grand des héros mortels semblait très content de l’offre de Bastet, même s’il y avait les questions et les soupçons, inévitables trois fois hélas. Ils n’étaient pas injustifiés, Bastet le savait très bien. Une très grande majorité de dieux ne connaissaient pas l’humilité et offrirait sans doute leur aide sous certaines conditions. Même sa mère, Isis, offrait ses conseils et son savoir à ceux qui acceptait d’effectuer à intervalle régulier des rituels en son honneur. Rien à voir avec l’héroïne actuelle ayant repris ce nom d’ailleurs…
 
Mais tout n’était pas si simple bien entendu, Bastet s’apprêtait à répondre à Superman et à s’inquiéter de cet étrange voile de tristesse qui s’était abattu sur son visage, mais elle ne put avoir le temps d’ouvrir la bouche. Un pégase venait d’apparaître dans le ciel. Ses oreilles et sa queue se dressèrent, marquant sa surprise, et ses iris s’agrandirent alors que l’excitation de la chasse lui tambourinait son âme. Heureusement pour la cavalière, la déesse réussit à se contenir jusqu’à l’arrivé de la nouvelle.
 
Il s’agissait d’une Amazone, mais sa parenté n’était guère connue de Bastet. Oh, elle savait bien qu’il y avait des dieux au-delà de la Grèce et de l’Afrique, mais les Amériques étaient si loin ! Cependant, malgré ce flou soulevé par le brouillard de l’inconnu, cette petite lui plaisait. Mieux, elle l’attendrissait. Ce teint de peau, le fait qu’elle soit pleine d’énergie, de vie et d’une positivité débordante… le fait que ce soit une combattante également…
 
D’un côté, elle lui rappelait l’ancienne époque, celle où elle était Hathor et où elle était aimée aussi bien chez les Nubiens que chez les égyptiens. Elle était beaucoup comme cette Yara Flor. Elle n’avait pas qu’une apparence bovine d’ailleurs vous savez… Elle pouvait même prendre une apparence humaine. Car c’était les humains qui avaient donné naissance également à Hathor, pas seulement l’union de ses parents.
Elle lui rappelait également l’une des guerrières qu’elle avait sous sa bénédiction, toute jeune et pleine de vie. Le genre de personne que l’on adorait avoir dans son temple pour contrebalancer les vieilles prêtresses trop sérieuses. Cependant… avant de lui répondre, elle ne pouvait s’empêcher de se pencher vers l’homme d’acier pour lui demander en murmurant :
 
‘’Qu’est ce donc un deux points zéro ? Est-ce un code secret pour désigner quelque chose de très important ?’’
 
Elle se tourna ensuite vers l’amazonienne, le regard attendri, toute sourire.
 
‘’Je suis Bastet, tu peux m’appeler ainsi. Et les Sphinx ont fait partie de mes enfants, même si la plupart ont mal tourné.’’
 
Elle pouffa doucement en mettant une main devant ses lèvres.
 
‘’Je suis moi-même enchantée jeune fille, tout comme je suis enchantée de faire la connaissance de l’Homme d’Acier. Maintenant que les politesses ont été distribués, je peux vous répondre monsieur.’’
 
Elle prit le temps de s’assoir sur le bord du toit, de boire une gorgée de sa flasque et de ronronner de plaisir avec le contact du liquide sur sa langue râpeuse.
 
‘’Pour le moment, je ne pourrai rien vous prouver concernant mon intention, alors j’espère que la seule confiance vous sera suffisante. Je veux juste combattre à vos côtés. J’ai bien compris que les hommes ne dépendent plus des dieux. Je serai honnête, je n’approuve pas… Les idéologies des hommes me semblent tournés vers l’avarice et le capitalisme extrême. Ils sacrifient cette planète… ce qui signera ma mort car je ne pourrai certainement pas aller autre part. Mais malgré tout cela, je les aime, même s’ils m’ont oublié. Je les aime autant que j’aime mes enfants. Même lorsque je me suis absentée, je n’ai cessé de les aimer. Même lorsque l’un d’entre eux a failli causer des déicides.’’
 
Ce fameux Luthor… Elle sentait son essence se glacer en repensant à ce qu’il avait faillit réussir à accomplir…
 
‘’Je vais certainement mourir de nombreuses fois au cours des combats à venir. Je serai peut-être même détruite, ou scellée. Mais à présent, ma détermination est de nouveau intacte, comme lorsque j’avais décidé de combattre Apophis. Ce ne sera ni pour moi ni pour ma famille, mais pour ceux que j’aime, les hommes.’’
 
Elle se tourna vers la jeune guerrière, de nouveau attendrie.
 
‘’Et j’espère que vous accepterez mon aide, je ferai de mon mieux en tout cas en ce qui me concerne.’’

Wow.

Alors comme ça, Superman avait entendu parler d'elle.

En bien.

A un moment, il lui tourne le dos pour retourner son attention sur Bastet.

Yara en profite pour sautiller sur place en frappant l'air, lâchant un "YES !" silencieux que seul saura juger Jerry.

Et Jerry ne s'en prive pas.

Au pégase, elle adresse deux pouces levées et un grand sourire niais, auxquels répondent deux globes oculaires équestres se levant vers le ciel. Elle respire un bon coup, en poussant ses deux mains vers le sol comme pour faire une rapide méditation, puis imite la fermeture d'un zip sur ses lèvres.

Il n'y avait pas à douter que l'explication de Superman, alliée aux mimiques hermétiques de la jeune héroïne, pourraient déboussoler plus encore l'antique déesse mais ... bon ...

Il fallait vivre avec son temps, hein !.. Non, mauvais plan. Ca allait finir avec une Yara qui sortirait un "Ok Boomer" de nulle part, et puis ça se terminerait en pugilat verbal. Voir en bagarre tout court. Mauvais genre. Très, très mauvais genre. Méchante Yara, couchée Yara. Pas laisser son instinct prendre le dessus. Pas maintenant ... Ou alors, pas trop fort. Juste un chouille ...

" Hein ? Que ? Quoi ? "

Ben voilà. C'est malin. Elle n'avait pas écouté. Superman lui avait demandé quelque chose, et elle n'avait pas écouté.

Jerry souffla des nasaux, et piaffa quelque chose.

Jerry écoutait, lui. Heureusement, d'ailleurs.

Est-ce que la Justice Academy pourrait accompagner Bastet, donc ?

" Ah oui, oui, certo !.. Faudrait voir avec le Directeur Palmer, j'imagine ... Il est un peu ... Aherm ... " Yara pesa ses mots, avec une mimique intéressante, " bougon, je dirais ... Surtout avec les extraterrestres, les Dieux et grosso modo tout ce qui n'est pas directement explicable avec une formule mathématique carrée ... "

Elle haussa les épaules, en continuant sa gymnastique faciale avec un enchaînement vers la moue :

" Enfin, j'imagine que vous le connaissez mieux que moi, le type était super-héros, avant d'avoir une vie sociale ... "

Non, mauvais plan ! Mauvais plan ! Décrochage ! Vite, rattrapage !


" ... Enfin, pas pour moi, hein. J'ai une vie sociale super chargée. J'ai des copines et tout. Même un copain, si ça se trouve. Hein. Peut-être vous aussi d'ailleurs, Superman ... Enfin, j'imagine, puisque y'a un Superboy à l'Académie ... Ou alors c'est pas votre fils ? C'est votre neveu ? Votre petit cousin ? Votre clone ?.. Ca serait dingue quand même ... Ca serait logique, en même temps. Parce que sinon ça veut dire qu'il y aurait une madame Superman. Ca doit faire bizarre, sur la carte d'identité, ça, d'avoir comme nom de famille "Superman" ... "

Elle se prit le menton sur le poing ... avant de se reprendre en claquant des doigts.

" Ah mais du coup, non, en fait !.. Parce que si y'a pas mariage, y'a pas changement de nom ! Voilà !.. " L'Amazone se tapota le crâne, " Pas con !.. Pas con du tout ! "

De quoi est-ce qu'elle parlait déjà ?

Elle se tourna vers Jerry. Jerry hocha les ailes. Yara se retourne vers Bastet.

Bastet. Oui, déesse égyptienne. Au calme.

" 'Fin bref, du coup, ouais, niquel. Sem problemas, on peut s'arranger, niquel... Et puis c'est cool, z'êtes la première déesse égyptienne que je rencontre. C'est cool en vrai. Moi j'aime bien rencontrer les dieux sympas. Ca change des Dieux qui veulent tout casser... Vous avez rencontré Arès ?.. Il veut tout péter. Il est grave !.. Bon, en vrai, je l'ai pas rencontré non plus, pas encore, mais comme je suis Wonder Woman, je me prépare, hein. On est jamais trop sûrs !.. " Yara émit ensuite en cliquetis des lèvres, en pointant ses deux index en pistolets dans la direction de la déesse féline, " ... Gros respect sinon ! Gros, gros respect ! Moi aussi je pense que y'a trop d'avarice et de capitalisme !.. En vrai, c'est trop cool que la problématique remonte ! J'suis sûre qu'on va pouvoir faire des trucs, hein !.. "

Grand sourire, mouvements d'index d'avant en arrière. Si elle n'avait pas été Wonder Woman, elle aurait pu être vendeuse automobile ... Ou bien présentatrice de jeu télévisé.

" ... Sinon, je kif-fe vos sapes. Truc de fou. Je suis genre trop jalouse du manteau. Je veux le même... Et puis les motifs d'ankh là... Trop classe. Je suis dég', je peux pas faire de trucs raccords en motif avec mon panthéon. On est pas trop dans ce délire là ... Bon ... Par contre. PAR CONTRE, on a des peintures faciales... " Yara porta sa main à la bouche, pour effectuer ce si connu mouvement dit du "chef's kiss", " ... Comme ça ! Avec des pointes en dessous des lèvres, des piercings et des tatouages, des plumes dans les cheveux... En vrai, si je devais pas bosser aux USA, je me lâcherais ... Mais bon, paraît que ça fait peur et que c'est mauvais pour la com ... "

L'Amazone s'arrêta, une fois de plus, en regardant tour à tour Bastet, puis Superman, qui devaient se demander quel insecte tropical pouvait bien l'avoir piqué pour libérer une telle logorrhée ...

Mais ce n'était pas fini !


" P'tit godet, sinon ?.. " s'enquit-elle, se rendant compte qu'elle ne supportait pas vraiment le silence, " 'Boire un coup au bar, p'têtre ?.. ou ... non ?.. "

La déesse adressa un sourire au surhomme. Son inquiétude était… a la fois attendrissante mais terriblement paternaliste aussi. A force de porter le monde sur ses épaules tel Atlas, il se sent obligé de prendre soin d’une déesse comme si elle était une mortelle avec la fragilité associée.
 
« J’espère que notre collaboration sera dans les deux sens mon cher Superman, que je vous aiderai autant que vous pourrez m’aider. »
 
Il était question cependant de rejoindre une académie. Voilà qui n’allait pas améliorer sa crise de nostalgie. Lorsqu’elle entraînait de jeunes gens pour protéger leur foyer et leur pays : le Royaume d’Egypte. Le son des khépeshs qui s’entrechoquent, les flèches qui se plantent dans les cibles en bois, la fureur feinte des étudiants qui s’exercent.
 
Mais elle ne put profiter bien longtemps de ses souvenirs d’être immortelle, car la jeune Yora était repartie dans un long monologue verbal où elle semblait elle-même se perdre en chemin. Il faudra peut-être que la déesse essaie de coacher cette héroïne afin qu’elle apprenne à se concentrer. Elle pourra toujours parler de tout son soûl, mais au moins, elle restera sur le sujet actuel de la conversation. Néanmoins, elle semblait se reconcentrer sur elle un instant avant de proposer un verre dans un bar du coin. Elle adressa un signe de tête à la brésilienne.
 
« J’ai souvent entendu parler d’Arès, lorsque l’Egypte a affronté les macédoniens mené par Alexandre le Grand… et ont perdu. Contrairement à moi dans le passé lorsque j’étais Sekhmet, il est en complet contrôle de lui-même. J’étais la barbarie et la violence, celle qui motive l’envie d’entraînement et de discipline. Mais Arès lui est devenu bien supérieur en un sens. Il vaut mieux pour tous que l’on ne se rencontre jamais. »
 
Elle lui adressa ensuite son plus beau sourire avant de terminer à son tour :
 
« Merci beaucoup pour tes compliments, j’apprécie beaucoup ta tenue aussi. J’espère que tu sauras exprimer autant que tu le souhaite ta personnalité dans ton uniforme, surtout si ça te rend plus heureuse. Et je pense que c’est une bonne idée, allons boire un verre ! »
 
Et là-dessus, elle se leva d’un petit bond gracieux, prête à partir.

Bon, alors il s'était dit plein de choses. Pleeeeein de choses.

Vraiment beaucoup. Et même Yara avait du mal à suivre. Alors qu'elle avait pourtant la sagesse de ... euh ... d'une jeune femme tout juste majeure ? Et demi-déesse. Surtout demi-déesse.

Non, il allait falloir trouver quelque chose qui claque plus. Elle avait tendance à sortir l'argument de la moitié de sang divin beaucoup trop facilement, ça faisait un peu trop parvenu. Ou héritière. Oui, héritière, ça l'a foutait mal avec une déesse égyptienne qui avait dénoncé le capitalisme et l'avarice, quelques minutes plus tôt. Oui, Yara avait fait une fixation là-dessus. C'était son côté gauchiste ascendante chercheuse de biais de confirmation.

Ah, mais attendez, c'était pas être héritière que de racketter éhontément le titre de Wonder Woman ?

Non, c'était une prise légitime ! Elle avait tout ce qui fallait pour y prétendre !..

M'enfin, quand même, c'était pas un peu fort de café, de se présenter comme ça ?

Hein Yara, n'était-ce pas un peu fort ?

Non ! Non non non ! On ne passe pas à ça ! On ne pense surtout pas à ça ! Surtout que Superman himself venait de dire qu'elle est super disponible et qu'il allait en parler à Ray Palmer ! Ca, c'était la grande classe !..

La classe ... d'être confirmée par le patriarcat fait extraterrestre-sous-forme-de-mâle-alpha-cliché.

Non Yara ! Concentration ! On arrête de penser à ce genre de choses, on savoure l'instant présent et on écrira tout à tête reposée dans le grand almanach de l'émancipation amazone plus tard !

(Et puis en plus, à choisir entre Superman et les pètes-sec de Themyscira et de l'Olympe, elle choisirait Superman. Direct.)

(Et Power Girl au-dessus.)

(Si quelqu'un arrivait à lui retirer les souvenirs de l'identité de foutue PDG du Nasdaq de Karen Starr.)

(Tu étais l'élue, Power Girl ! Tu devais nous libérer de l'oppression historique de la bourgeoisie occidentale, pas la rejoindre !)

Yara ? Bonjour ? Y a-t-il quelqu'un pour réagir ? Ça continue de parler, là !

" Hein, quoi ? Oh, merci ! C'est super ! "

Bravo, bien rattrapé.

Jerry renâcle avec dédain. C'est normal, il a l'habitude. Yara est toute sourire. Le Pégase, moins.

Mais le Pégase, ça n'est pas Superman qui la regarde comme une super-héroïne. Enfin, comme une collègue. Enfin, de manière sympathique. Bim, dans les dents, Jerry !
Bon, par contre, il essaye d'avoir l'air sérieux en parlant de bars et ... euh ... disons que ...

Disons que s'il y a un truc où Yara a l'air d'avoir plus d'expérience, c'est bien là-dedans.

Des "structures" ... Oulàlà ... Quelqu'un n'est pas sorti depuis un bon moment ici !

" Ah ben moi, je suis le guide ! " répond-t-elle à l'invitation, en se tournant vers Jerry, " On suit ? Oui, on suit ! "

Jerry proteste.

" Il dit qu'il est d'accord ! " ment-elle assez ouvertement en se tournant vers la déesse féline, " Je vous emmène ? Ou alors vous volez ?.. Ou alors moi je peux, à la limite, comme ça ça vous fait de la place ... "

Jerry proteste, à nouveau, de manière un peu plus nuancée, cette fois-ci.

" ... Não, t'as raison, c'est une mauvaise idée ... " Elle se retourne à nouveau vers l'assistance, avec toute la fougue de la jeunesse, tout en assertions audacieuses et questions pressantes sur la marche du monde, " ... Bon, question par contre, qui c'est qui paye la première tournée ? Parce que moi, je peux rincer la première, à la limite, mais je suis un peu en rade ... "

Superman a décollé.

" Évidemment, dès que ça parle de trucs sérieux, y'a plus personne ... "


Superman n'a pas menti. C'était calme, discret, et même pas trop éloigné.

Bon, il fallait composer avec les deux trois carcasses de voitures mangées par la rouille éparpillées sur des places que la fourrière ne devait pas avoir jugé bon de dégager ; il fallait s'habituer au regard surpris des badauds attroupés autour d'un feu allumé dans un bidon ou poussant là-bas un caddie aux allures de réserve survivaliste, ou bien même simplement occupé à essayer de trouver le sommeil dans un sac de couchage miteux sous trois épaisseurs de carton...

... Le tout, avec un employé de bar à l'éloquent T-Shirt "Pote de Superman" sortant pour leur apporter de la soupe chaude.

Yara Flor, tout juste arrivée, tenta de se retenir ... Mais un juron assez peu courtois trouva le moyen de s'échapper de ses lèvres de protectrice des favelas à temps partiel.

Suivi d'un retour à une observation plus posée, en voyant sortir un autre porteur de T-Shirt, énorme ! Énorme, et aussi expansif qu'affectueux !

" Wow, attendez. " une expression de surprise sur le visage, elle pointe successivement le patron et Superman, " Vous ... Lui ... Vous avez genre ... Un Super-Bar ?.. Avec genre ... des super-gars qui font des super-bonnes actions dans le quartier ? Wow. Ça tue... "

C'est une épiphanie.

Et Jerry se voit en être le premier informé :

" Career Goals, Jerry. Career Goals ... Un jour, y'aura un wonder-rade à Copacabana ! Et genre, pareil, rade, soupe populaire, refuge ... Et une salle de concert au sous-sol... "

Hennissement en réponse.

" Meuh ... Je demanderais à Potira, y'aura du monde pour tenir le truc !.. Hey, on a bien réussi à faire Esperança Perigosa, alors un bar ... "

Vient cependant le moment de passer à l'intérieur avec une interrogation sérieuse, mais évidente ... Et Jerry ? Oui, la relation a l'air tumultueuse entre la cavalière et sa monture, mais le lien est réel ...

" Dites Boss ..? " fait l'Amazone à l'adresse de Bibbo, " Je veux pas abuser, hein, du tout mais ... Vous auriez pas moyen de sortir un seau de blonde pression pour mon pégase avec ... "

Occupé à lire la carte sur la devanture du débit de boisson, ledit pégase s'exprime, à la surprise de Yara, traductrice de circonstance...

" Et comment tu vas faire pour ..? " Elle subit une riposte supposément agressive de la part d'un Jerry qui lui souffle dans les cheveux, " Wow, calma ! J'y peux rien, moi ! Je vais pas demander qu'ils démontent la façade pour te faire entrer, on est déjà invités !.. Bon, et deux grosses barquettes d'Onion Rings ... Il va se débrouiller et ... je paye pour lui ! "

Une péripétie qui n'est que le début, alors que, finalement, la nouvelle Wonder Woman prend place avec ses nouveaux compagnons de boisson, emmenés ici grâce à sa formidable capacité d'entraînement dipsomaniaque.
Un talent malheureusement bien trop commun à une jeunesse contemporaine trouvant refuge dans une fuite éperdue vers le fond des cuves de bière.

" ... Mais dites-moi, du coup, Superman ... Comment vous vous en êtes retrouvés à avoir un bar ? " adressa une Yara Flor, toujours à la pointe des questions auxquelles le monde rêvait d'avoir les réponses, " Et genre ... Ici !.. Et genre ... Avec des gens super sympas ! Et Bibbo !.. C'est dingue ! "

Oui, dingue. Elle n'en revient toujours pas, et entame elle-même sa bière avec assiduité, avant de se retourner vers Bastet ... Avec une autre observation tout à la fois mythologique et très, très candide ...

" C'est dingue, non ? Je veux dire, j'ai lu un truc qui comparait les super-héros aux Dieux modernes ... Mais alors, du coup, ça voudrait dire qu'on est dans un temple, là ... Mais je veux dire, j'ai vu les temples de l'Olympe, hein, et franchement, ça vend pas du rêve ... Ça tire la gueule, c'est paumé en haut de sa montagne en pensant qu'ils sont encore aux commandes de tout ... Bref, du coup, j'avais une théorie, là, mais je me disais, comme vous êtes une déesse, vous devez avoir une opinion sur la question : Et si on essayait de rétablir le lien entre les Dieux et l'Humanité, mais avec des trucs concrets ?.. Non, parce que sauver des gens, c'est cool, mais ça n'adresse que les symptômes du mal ambiant alors que ...

Genre, des temple-bars ? Ou genre, des rencontres un peu moins coincées du cul ? Des streams en ligne ... Genre des twitchs ? Genre les gens posent des questions et vous y répondez, genre un échange ?

Non, parce qu'ils me prennent pour une dingue en Amazonie, et à l'Académie, ils comprennent même pas de quoi je parle, alors je voulais un point de vue éclairé sur la question ! "

Oui, des questions brûlantes. De grandes questions d'actualité ... Et surtout ... Surtout.

Une grande nécessité d'être canalisée.