Sa chambre est dans les ténèbres. Entièrement sombre. Pleinement obscure.
C'est voulu. C'est organisé.
Ça l'apaise, en fait. Ça le rassure. Ça lui rappelle... sa vie ; ce qu'a été sa vie. Ce qu'il a aimé, dans sa vie. Ce qu'il a connu le plus, ces dernières années.
La matinée est avancée, cependant.
Il est quasiment onze heures du matin. Ce n'est pas inhabituel pour lui de se réveiller à une telle heure, mais... mais ce n'est plus comme avant.
La nuit a été plus calme, moins agitée. Pas plus facile ; car ces heures inactives, avec moins d'action, lui ont imposé une tension – un manque.
Il le ressent, dans ses membres. Des picotements, des tremblements. Des fourmis, comme des muscles forcés au repos et qui enragent d'attendre pour se lancer.
Son esprit est ainsi ; mais pas son corps.
Il le sait... il le sent, alors qu'il se lève. Si lentement. Si difficilement.
Si douloureusement.
« Hughn. »Il grogne. Il souffre. Il peine.
Il met plus de cinq minutes à se lever, à se redresser. Chaque mouvement est une épreuve. Chaque action est une douleur.
Et une colère. Et une fureur. Et une rage.
Et un renoncement, surtout.
Il ne peut plus, en fait. Il ne peut plus... faire comme avant ; être comme avant.
Depuis des mois. Depuis plus de six mois, maintenant.
Et... c'est difficile. Et c'est lourd. Et c'est intense. Et c'est terrible. Et...
C'est ainsi. C'est comme ça. Ce sont les cartes à jouer ; c'est sa vie, maintenant.
Il vit encore. Lui vit encore ; d'autres ne peuvent pas en dire autant.
Pour eux, alors...
Pour eux, il doit continuer. Et serrer les dents. Et ne pas se plaindre.
Il avance, alors. Il s'habille, si difficilement. Il émerge, il glisse entre les pièces. Il s'installe.
Chez lui. Dans son bureau.
Jadis celui de son père.
Longtemps, il l'a fui. Longtemps, il l'a refusé. Longtemps, il n'a fait qu'y passer – y glisser, oui, notamment pour donner le change, et faire croire qu'il y travaillait.
Ce n'était pas le cas. C'est désormais le cas.
Il y travaille, donc. Il y déjeune, aussi ; à des horaires corrects, et avec un repas correct.
Entrée, plat, dessert. Alfred fait d'immenses efforts pour ne pas trop sourire, pour ne pas trop profiter du moment, pour ne pas trop apprécier de voir son maître, son fils, enfin se nourrir convenablement.
Lui fait avec. Lui encaisse. Lui... pense à ceux qui ne sont plus là ; et il prend sur lui, et fait avec.
Les heures passent, ainsi. Il travaille.
Non pas... sur des enquêtes, sur des crimes, sur des attaques ; si, mais pas celles que l'on pense. Plus celles que l'on pense.
Il travaille sur les enquêtes marketing, pour les prochains projets des Entreprises Wayne. Il travaille sur les crimes de ses concurrents, pour les dénoncer et en profiter. Il travaille sur les attaques dont ils sont victimes, en interne et en externe.
Il travaille, toute la journée. Il réussit. Il s'en sort. Il assure. Il...
Il se redresse, et grogne quand son dos craque sous la douleur, quand la lumière baisse. Quand le jour recule. Quand...
Quand la nuit approche.
Il inspire, alors. Il expire. Il jugule sa respiration.
Il se calme. Il se contrôle.
C'est dur ; mais il se contrôle – et il se lève.
Difficilement, encore. Douloureusement, toujours. Lentement, hélas.
Il se lève. Il s'avance. Il...
Il descend. Il descend les escaliers ; ses escaliers. Après avoir calibré les flèches de l'horloge, sur l'heure fatidique où ses parents lui ont été pris – où son univers a été brisé. Où le monde a été changé.
Il descend.
En souffrant, encore ; mais en souriant, quand même.
Il descend. Il arrive.
Chez lui.
Dans son foyer. Dans son véritable foyer. Dans l'antre qu'il a créée, forgée... habitée, de tout son être ; de toute son âme.
Le Manoir Wayne demeurera à jamais sa maison – mais ce sera sa maison d'enfance, sa maison de famille ; la demeure de ses ancêtres, de ses parents. Il y est bien, mais... comme un adulte qui revient dans la bâtisse familiale, pour se rappeler ses souvenirs et en profiter.
Mais ici... mais là...
C'est chez lui. C'est... lui. C'est...
La Batcave.
Et son visage se fige, alors. Et son esprit se crispe.
Il sait. Il doit le savoir. Il doit l'admettre.
La Batcave... n'est plus chez lui. Ce n'est plus pleinement chez lui.
La Batcave... est l'antre de Batman.
Et lui...
Il n'est plus Batman.
« Vous êtes... en retard. »Sa voix est lente, difficile. Sa gorge a été touchée, il y a plus de six mois, et ses cordes vocales ne se sont pas remises.
Il soupire, et le mouvement le fait grimacer ; un de ses poumons ne sera jamais remis, non plus, et il le sent.
Il se contient, cependant. Il se redresse. Il se tourne.
Il paraît froid. Il paraît dur. Il paraît usé. Il paraît courroucé.
Il les fixe, alors.
Eux. Ceux qu'il a faits venir. Ceux qu'il a invités. Ceux qu'il a sollicités. Ceux qu'il a formés... éduqués, accompagnés, équipés ; changés.
Ceux qui incarnent son héritage, son don à la ville – et sa famille. Et ceux qu'il aime. Et ceux pour qui il s'est battu ; pour vaincre, mais aussi pour revenir.
Il les fixe. Et... il confirme, en un mouvement, en une expression, qu'il a changé en six mois.
… parce qu'il sourit.
Légèrement. Discrètement. Lentement.
Mais quand même.
Bruce Wayne sourit – et accueille sa famille dans la Batcave.
« La... soupe d'Alfred va refroidir ; et je refuse de vous trouver des excuses. Mais... il est bon de vous voir. »Une Batcave où il est soudain plus, lui-même, un invité... et cela fait partie des sujets qu'il entend aborder ce soir !
Après la soupe, qu'Alfred amène discrètement pour tout le monde, bien sûr...