L'élégante salle de réception de la Gotham Academy était métamorphosée pour la soirée de collecte de fonds annuelle, un événement clé dans le calendrier social de l'école où élèves, parents et membres du corps professoral se réunissaient pour soutenir l'avenir de l'institution. Des guirlandes lumineuses et des arrangements floraux sophistiqués ornaient les murs, ajoutant une touche de glamour et d'élégance à l'atmosphère déjà feutrée de la grande salle. Au centre, une petite scène avait été dressée pour les discours et les performances musicales prévues pour la soirée.

Pour Mia Mizoguchi, ou Maps pour ses amis, cette soirée était une occasion rare de se plonger dans un monde bien différent de ses escapades nocturnes habituelles. Habituée aux tenues pratiques pour ses aventures de détective amateur, ou éventuellement au moins pratique uniforme de l’école, Mia avait choisi pour l'occasion une robe simple mais élégante, qui tranchait avec son style habituel décontracté. La robe, d'un rose léger, était assez mignonne et était assortie d'une paire de chaussures confortables mais chics, bien loin de ses habituelles baskets. Alors qu'elle se préparait dans sa chambre, Mia ajustait ses cheveux en y plaçant une petite fleur rose. Elle vérifiait son apparence dans le miroir, se demandant comment ses camarades de classe, habitués à la voir dans un tout autre style, réagiraient.

Pendant qu'elle finissait de se préparer, Mia ressentait un mélange d’ennui et de nervosité. Ses parents étaient riches, elle-même vivait dans un manoir lorsqu’elle ne dormait pas dans le pensionnat de l’académie et des différentes écoles privées qu’elle avait fréquenté dans son cursus scolaire. Ils étaient des amis du célèbre Bruce Wayne, qui serait évidemment absent de cette soirée. Cela faisait un moment que l’on ne l’avait plus vu fréquenter ce genre de fêtes mondaines. Pour autant, l’exercice ennuyait profondément la jeune adolescente, qui n’y voyait qu’une perte de temps et d’énergie. Mais il ne fallait pas décevoir ses parents, faire honneur à sa famille et à son nom.



Mia s'efforçait de se concentrer sur les aspects positifs de la soirée. C'était une chance de voir ses professeurs sous un autre jour, loin des salles de classe et des discussions académiques. Elle aimait particulièrement le professeur MacPherson, son prof d’histoire, qui l’avait souvent aidé lors de ses enquêtes dans l’Académie. Le professeur de lettres, Scarlet, était mystérieux et flippant. Maps était persuadé qu’il cachait quelque chose. Un super-vilain sous couverture ?

Alors qu'elle descendait l'escalier menant à la grande salle, le son des conversations animées et de la musique de fond se mêlait à la lumière douce des lustres, créant une atmosphère presque magique. Mia sentit la nervosité monter d’un cran. La salle était remplie de visages familiers, certains souriants, d'autres absorbés par des discussions sérieuses. Il y avait évidemment des invités étranger à l’Académie, de simples donateurs ou des gens du grand monde. Maps les connaissait, au moins de nom, pour la plupart. Le monde de la haute de Gotham était petit.

En se frayant un chemin parmi les invités, elle ajusta machinalement sa fleur. L’important, c’était surtout de ne pas se faire remarquer. La salle bourdonnait de conversations sur les dons et les projets de l'Académie. Mais ce n’était pas le seul sujet de conversation de la soirée. Mia entendait des adultes discuter d’une série d'incidents étranges qui agitaient Gotham ces dernières nuits. Personne n'avait vu le responsable, mais les descriptions des scènes laissaient peu de place au doute : c’était une sinistre affaire de plus à Gotham. Les victimes étaient retrouvées dans un état de terreur absolue, lorsqu’elle était retrouvée. La plupart du temps, elles étaient juste portées disparues sans laisser de trace, avec des témoignages de bruits étranges et de sensations glaciales précédant chaque incident.

Les invités échangeaient des théories, certains évoquant des superstitions anciennes ou des légendes urbaines de Gotham, d'autres parlant à voix basse de malédictions ou de phénomènes inexplicables. D’autre pointait tout simplement un nouveau produit de l’Épouvantail. Mais il était bel et bien interné à Arkham, actuellement. C'était un sujet fascinant et terrifiant à la fois, et bien que personne ne connaissait la nature exacte de la menace, l'inquiétude était palpable.

Mia écoutait ces histoires avec une grande attention. En tant que passionnée de mystères et de légendes en tout genre, elle était ravie qu’autre chose que les simples conversations mondaines habituelles allaient animer la soirée. Dans l'atmosphère déjà tendue par les rumeurs sur les disparitions effrayantes, un autre sujet brûlant animait les conversations parmi les invités de la soirée de collecte de fonds à la Gotham Academy. La question du BatCorp, cette milice paramilitaire qui avait pris le relais dans la protection de la ville en l'absence du Batman, divisait profondément l'opinion publique.

Le BatCorp, se revendiquant héritier de l'imagerie et des idéaux du Chevalier Noir, avait été engagé par l'administration de Gotham pour gérer la menace croissante des supercriminels. Toutefois, leur approche, souvent jugée trop brutale, avait suscité de nombreuses controverses. Certains invités, notamment les plus influents, louaient l'efficacité du BatCorp, soulignant leur capacité à maintenir l'ordre lors des crises récentes. D'autres, cependant, exprimaient leur malaise face aux méthodes utilisées. Mia, elle, les détestait. Elle était une fan de Batman depuis toute petite, et avait même revêtu le costume de Robin plusieurs fois. Ces mercenaires n’étaient que des imposteurs qui tachaient l’image rassurante de la chauve-souris.

La soirée commençait à peine et était déjà très animée, au plus grand plaisir de la jeune fille Mizoguchi. Une soirée pleine de promesse donc, et éventuellement… de rencontre ?

Se réajuster à la vie mondaine de Gotham avait représenté un défi de longue haleine. Dans sa jeunesse, l'exercice lui avait toujours fait l'effet d'une corvée, l'empêchant d'endosser son costume de Batgirl aux heures cruciales des grandes soirées, là où les criminels frappaient le plus souvent et le plus durement.

C'était à l'époque où Batman s'était rendu compte que sa fille adoptive, aussi taciturne que lui, dormait à peine plus que lui-même.

C'était l'époque où il avait essayé de calmer les démons de Cassandra, et de lui offrir la jeunesse qu'elle n'avait jamais pu connaître auprès de ses parents biologiques.

Ça avait été une lutte au long cours. Une lutte qui fut gagnée par Barbara et Stephanie plutôt que par Bruce, d'ailleurs. Un secret de Batgirls que le plus grand détective avait été incapable de percer ... car il n'avait aucun sens pour lui.

" Oh non ... Qu'est-ce que c'est que ce tacot ... Ça doit encore être un alumni fauché ça ...

C'était les effets de sa croisade sur sa vie privée. C'était pourquoi la Batfamily marchait si bien en tant que "famille", malgré toutes ses pièces rapportées.

C'était grâce à ça que Cassandra était revenue, six mois auparavant, à l'appel de Damian. Malgré tous les désaccords qu'elle avait eu avec Batman, malgré l'exil qu'elle s'était imposée ... La disparition du Père avait eu raison de ses réserves.

Avec un patriarche aussi dysfonctionnel, il fallait bien rattraper les écarts.

" Est-ce que quelqu'un peut aller lui dire d'aller se garer plus loin ? Pas de voiturier pour ceux-là ! Il ne manquerait plus qu'ils se sentent encouragés ! "

La voiture en question, c'était une vieille Datsun 280z de '76 qui aurait eu plus volontiers sa place dans un rassemblement de passionnés qu'à un gala de charité. Un modèle mythique pour une certaine frange des motoristes américains, ici présent dans un état clinique et même équipé de raffinements technologiques à faire pâlir certaines des Maybach ou des Maserati du parking. C'était aussi une pièce unique que Cassandra tenait de Conner, de quand il avait débuté sa carrière de mécanicien à Gotham. L'une des premières marques d'attention de leur relation.

Du temps avait passé, depuis.

Et maintenant, cette première voiture servait à Cassandra dans son nouveau rôle, où elle la représentait à merveille : Cassandra Wayne. La sale gosse de la famille. Celle qui revenait pile au moment où son père disparaissait. L'indigne vautour voletant autour d'une carcasse aux innombrables milliards.

" Oh merde. " laisse échapper le maître d'hôtel à son pupitre en voyant la figure émerger de l'automobile, " Évidemment, il fallait que ça soit une Wayne ... "

Celle que les tabloids - et Gotham - adoraient détester.

L'un des multiples écrans de fumée derrière lequel la Batfamily pouvait agir, malgré le Batcorp. Une diversion de plus pour protéger leurs identités et leurs activités, car qui soupçonnerait les Wayne de vigilantisme, s'ils apparaissaient aussi désunis et prêts à s'enterrer eux-mêmes ? Tout l'appui des médias ne pourrait contrecarrer les heures de débats puérils d'influenceurs sur les dernières bisbilles familiales.

" Bonsoir, Mademoiselle Wayne, quel plaisir de vous avoir parmi nous ce soir ! " feint le maître d'hôtel derrière son pupitre, face à la jeune femme en costume de soirée très masculin - chemise blanche. Cravate et pantalon noir. Coupe riche et sur-mesure de créateur désespérément ... standard -, " Maurive va s'occuper de votre véhicule, si vous le permettez. La soirée est par ici ... "

Cassandra n'est pas dupe. Cet homme ne l'apprécie pas. C'est réciproque. Elle lui jette ses clés nonchalamment et passe sa veste par-dessus son épaule, suspendue à son index : on dirait une employée de bureau débutant sa soirée buvette, et c'est à peu près le niveau de respect qu'elle porte à l'exercice.

Si Cassandra est si efficace pour apparaître comme une désagréable enfant gâtée, c'est parce qu'elle prend toutes ces sorties comme autant de défouloirs sociaux où elle n'a même pas à faire semblant. Elle n'aime pas parler. Elle n'aime pas réfléchir à toutes ces conventions sociales. Elle n'aime pas essayer de bien faire. Elle déteste toujours autant la vie mondaine ... mais elle a appris à profiter honteusement des facilités conférées par la richesse et un nom reconnu. Quelque soit la manière dont elle se comporterait, il y aurait toujours des lèches-bottes et des flagorneurs prêts à venir quémander un peu de son temps.

Et Cassandra prenait maintenant un plaisir vil à leur faire perdre le leur.

Enfin, là n'était pas la finalité de la sortie du jour. Non. Si Cassandra s'était rendue aujourd'hui à l'Académie de Gotham, c'était pour une personne en particulier.

Une petite aspirante Robin, que ses péripéties d'enquêtrice en herbe avait amené à collaborer avec la Famille. Avec Batman lui-même, si la rumeur disait vraie.

Cassandra était sceptique. Elle voulait voir cette jeune femme de ses propres yeux. S'assurer qu'elle ne représentait pas un risque. Elle avait vu trop de manigances vicelardes pour ne pas être complètement sûre que cette fille ne soit pas un agent du Batcorp envoyé pour les infiltrer ...

Heureusement pour l'ancienne Batgirl, si agente du Batcorp il y avait, elle avait son pedigree Cassandra avait déjà une piste, oui. "Mia Mizoguchi". La famille connaissait Bruce Wayne. Des amis. Cassandra se souvenait vaguement avoir vu les parents au Manoir, dans sa jeunesse.

Cassandra élabora rapidement sa stratégie d'approche.

Elle alla trouver le couple Mizoguchi et se présenta à eux. Elle leur serra même la main et mis les formes. Ils n'étaient certes pas les plus désagréables, mais Cassandra détestait véritablement les conversations trop longues. Cassandra embraya donc vite :

" Vous aviez une fille, non ? Quand vous veniez au manoir ? Elle étudie ici, donc ? "

Le plan était simple, presque autant que le lexique de Cassandra : jouer sur la fierté parentale pour forcer les parents à ramener leur fille, et la lui présenter. De là, on aviserait !

Elizabeth Carlyle-Mizoguchi était l'incarnation de l'élégance gothamite. Issue d'une vieille famille aristocratique de Gotham, elle portait un héritage riche en histoire et en traditions. Ce soir-là, elle arborait une robe longue en soie blanche, ornée de broderies dorées, qui épousait parfaitement ses mouvements gracieux. Ses cheveux châtains étaient relevés en un chignon sophistiqué, laissant quelques mèches encadrer son visage délicat. Des bijoux anciens, héritage de sa famille, scintillaient à son cou et à ses poignets, ajoutant une touche de splendeur à son apparence déjà majestueuse. Elizabeth était une femme de grande influence dans les cercles sociaux de Gotham, connue pour son charisme et son sens aigu des affaires philanthropiques. Sa présence rayonnante illuminait la salle de réception, et elle semblait toujours entourée de personnes avides de capter son attention.


Ryūichi Mizoguchi, en revanche, contrastait avec la prestance imposante de sa femme par une simplicité charmante et un charisme intellectuel. Écrivain japonais renommé, il était célèbre pour ses nouvelles poignantes publiées dans divers journaux de Gotham. Ce soir-là, il portait un costume sobre mais élégant, taillé sur mesure, d’un gris anthracite qui mettait en valeur sa stature svelte et son allure distinguée. Ses longs cheveux noirs, légèrement grisonnants, étaient coiffés de manière décontractée, lui donnant un air à la fois sage et artiste. Toujours muni d’un carnet de notes et d’un stylo, Ryūichi semblait perdu dans ses pensées, observant les invités avec un regard analytique et curieux, prêt à immortaliser des moments de la soirée dans ses écrits. Sa présence tranquille offrait un contraste apaisant à l’agitation environnante, et ceux qui engageaient la conversation avec lui étaient souvent captivés par sa perspective unique sur la vie et la société.


Ensemble, Elizabeth et Ryuichi formaient un couple complémentaire et harmonieux, incarnant le mariage parfait entre l'ancien et le nouveau monde, entre tradition et modernité. Leur amour pour leur fille était évident, bien sûr, et ils étaient fiers de l'accompagner lors de cette soirée importante pour la Gotham Academy. Mais ils préféraient surtout mettre en avant leur fils Kyle, aîné de deux ans de Mia, actuellement en dernière année. Élève modèle, major de sa promotion, préfet, et il se préparait à une belle carrière dans le tennis. Alors que Mia, bien qu’intelligente, avait des notes plutôt moyennes, et ses activités extra-scolaires étaient… excentrique.

Elizabeth ne manquait jamais une occasion de vanter les exploits académiques et sportifs de Kyle à ses amis et connaissances. "Kyle est vraiment exceptionnel, disait-elle souvent avec fierté. "Il a tellement de potentiel. Ryuichi, quant à lui, apportait un soutien plus discret, mais non moins palpable à leur fils. Ils appréciaient la stabilité et la prévisibilité que Kyle leur offrait, contrairement à l'imprévisibilité de Mia.

Pour Mia, cette dynamique familiale était une bénédiction déguisée. Elle pouvait se glisser hors des radars parentaux et se plonger dans ses propres aventures sans être constamment comparée à son frère. Ce soir, parmi les invités de la soirée de collecte de fonds, elle savourait cette liberté, son esprit bouillonnant d'excitation à l'idée des mystères qui pourraient se cacher derrière les conversations et les rumeurs.

Le murmure des conversations se fit plus insistant alors que Cassandra Wayne pénétrait dans la grande salle, les regards curieux suivant chacun de ses mouvements. Les invités étaient fascinés par cette figure énigmatique de la famille Wayne, et tous voulaient parler ne serait-ce qu’un instant avec un membre de la famille Wayne.

Dans un coin de la salle, les Mizoguchi discutaient avec quelques connaissances, leur fierté évidente alors qu'ils parlaient de leurs enfants. Lorsqu'ils virent Cassandra s'approcher, leur surprise fut mêlée de plaisir.

" Bonsoir, Mademoiselle Wayne, salua Elizabeth Carlyle-Mizoguchi avec un sourire aimable. " C'est un honneur de vous voir ici.

Ryuichi Mizoguchi acquiesça avec enthousiasme. "Oui, nous avons bien une fille. Elle s'appelle Mia. Elle est quelque part dans la salle. Nous serions ravis de vous la présenter.

L'intérêt soudain de Cassandra pour Mia attira encore plus l'attention des invités. Les regards se tournèrent vers le couple Mizoguchi alors qu'ils se dirigeaient vers leur fille, suivis de près par Cassandra. La jeune fille était facilement repérable dans sa robe rose légère, ajustant nerveusement une petite fleur dans ses cheveux.

Mia sentit les regards converger vers elle et leva les yeux pour voir ses parents accompagnés de Cassandra, et ressentit immédiatement une gêne. Elle n'aimait pas être le centre de l'attention mondaine. Lorsque Cassandra arriva face à Mia, elle écarquilla grand les yeux. Ce n’était pas la première fois qu’elle était face à un Wayne, mais cette fois-ci, ce fut le coup de foudre. Ses yeux pétillèrent d’admiration immédiate. Une jeune femme, asiatique qui plus est, habillée en garçon, qui dégageait une sensation de force, d’indépendance, de nonchalance… Wow, la classe ! J’veux ressembler à ça quand je s’rai plus grande ! pensa immédiatement Maps.

“Bonjour… dit-elle timidement.

Mais Mia n’était pas timide, et c’est bien ce qui inquiétait ses parents. Sa mère ne pouvait pas cacher son air inquiet, malgré ses grands airs et sa fausse assurance. Bien trop de fois, Mia les avait mis dans l’embarra lors de ces soirées mondaines. Elle avait même crié une fois sur Bruce Wayne.

“Vous savez, il y a longtemps, une secte de vampires organisait des soirées nocturnes dans cette salle, affirma Maps à sa nouvelle interlocutrice, persuadée de pouvoir la captiver avec son histoire. “ Il paraît que chaque matin, les élèves retrouvaient des traces de sang un peu partout. Des gouttes sur les escaliers, des éclaboussures sur les murs, et parfois même des marques de morsures sur les meubles. Les professeurs faisaient de leur mieux pour nettoyer avant que la journée commence, mais les rumeurs se sont répandues. Certains disent même que les esprits des victimes hantent encore l'académie, leurs âmes piégées sont piégés, cherchant vengeance ou rédemption. Leurs vêtements seraient ensanglantés, et on verrait encore les marques de morsures sur leur coup translucide. On les appelle les “fantômes de sang”, et...


“Mia, je t’en pris, intervint sa mère. Cesse donc avec tes histoires macabres, tu importunes Mademoiselle Wayne. Excusez-là, Mia a beaucoup d’imagination. Elle tient ça de son père.

Elizabeth adressa un sourire d'excuse à Cassandra, tout en posant une main réconfortante sur l'épaule de sa fille. Mia, cependant, ne se laissait pas facilement dissuader. Son enthousiasme pour les légendes et les mystères était une part importante de ce qu'elle était, et elle savait que certaines personnes les trouvaient aussi fascinantes qu'elle. Et elle voulait tout faire pour impressionner Cassandra.

C'est dur.

Inutile de se le cacher. C'est dur. Cassandra n'est pas habitué à ce genre de choses. Enfin, si, mais pas comme cela.

En général, à ce stade, quand on lui parlait autant de choses qui ne l'intéressaient pas, c'était parce qu'un adversaire quelconque lui exposait un plan. Et elle achevait la discussion avec un double coup de pied retourné. C'était parfaitement inutile et superflu en plus d'être dangereux pour elle, mais c'était sa manière de leur montrer qu'ils parlaient trop. Oui, trop, car elle pouvait se permettre de placer de la danse dans ses ripostes.

Pareil ici. Trop de mots.

Et puis, elle se fout de Kyle. Pourquoi fallait-il que les gens mettent autant de digressions dans leurs discussions. Est-ce qu'elle leur parlait de Stephanie ? Est-ce qu'elle leur racontait tous les exploits scolaires de Damian ?

D'extérieur, rien ne transpirait. Cassandra riait quand il le fallait, acquiesçait, souriait, donnait le change ... Enfin, si, quelque chose transpirait : un regard furtif vers les talons de son interlocutrice, un autre vers des extincteurs, et puis vers les fenêtres.

" Vous devez être fiers. " émit-elle machinalement, en calculant qu'il lui faudrait 17 secondes pour s'extirper de cette situation. En prenant en compte le temps que le contenu de l'extincteur mettrait à brouiller les lignes de vue.

Cassandra s'en voulait de porter aussi peu d'importance à cette interaction. Elizabeth était véritablement adorable, et il n'y avait pour seul masque sur ses paroles qu'un vernis de politesse et de bienséance propre aux classes supérieures de Gotham. Elle n'était pas de ces serpents qui pensaient pouvoir lui servir des paroles mielleuses sans qu'elle ne perce directement leur jeu ... Non, Elizabeth Carlyle était véritablement passionnée, impliquée ... gentille. Pas étonnant que Bruce l'ait gardé proche.
Son mari était plus supportable, pour Cassandra. Observateur, inquisiteur, pertinent. Il parlait peu, mais il parlait bien, et lui non plus n'avait pas d'arrière-pensée. Pas vis-à-vis de sa fortune ou de ses relations supposées, en tout cas ... Ce Ryūichi lui rappelait sa mère, dans sa manière d'observer tout et tout le monde.

Sa mère, ou elle-même.

Cassandra craignit presque qu'il puisse voir au travers de son masque ... Mais alors, que verrait-il ... Une riche héritière blasée ?

Le "presque" jouait énormément. Il n'y avait rien à percer, chez Cassandra. Elle était polie par obligation, mais n'aurait même pas duré trente secondes avec le couple si elle avait déterminé qu'ils étaient mauvais. Elle serait passé à autre chose.

Probablement sur son téléphone, à se plaindre à Stephanie et à Damian. Ou bien à essayer d'obtenir une évacuation d'urgence de Conner, pour aller faire quelque chose de sympa ... Peut-être laisser un message sur le répondeur de Kara où elle respirerait juste fort ?

Enfin, la discussion - sommes toutes unidirectionnelle, vu la diction hésitante passé les dix premiers mots de l'héritière - s'acheva avec un court voyage au travers de l'assemblée vers l'objet de son intérêt. Mia Mizoguchi.

Tous les yeux étaient rivés sur eux. Sur elle. On vint l'importuner. Elle porta une main régine à un courtisan pour l'éconduire sans un mot, sans un regard. Son propre double de pied retourné rhétorique.

Intérieurement, elle jubilait.

" Bonjour, Mia, " commença-t-elle, en venant lui serrer la main, " On m'a beaucoup parlé de-... "

Et là, une logorrhée inarrêtable.

Non, un typhon verbal.

Un monologue sur ... des vampires fantomatiques en sang ? Ou alors un truc du genre ? Comme le film que Stephanie lui avait montré, avec le type qui débarque au milieu d'une rave party où il pleut du sang en désintégrant les vampires avec un fusil à pieu ? Oui, ça doit être ça... C'est encore une jeune fille, elle aime probablement beaucoup les films.

En tout cas, elle est convaincue, et serait probablement convaincante, si Cassandra pouvait suivre ce qu'elle disait ... Mais rien n'y faisait. C'était trop tard. Avec sa mignonne petite robe rose et sa fleur dans les cheveux, Cassandra n'imaginait plus qu'un rouge-gorge pâlichon lâchant des "Piou-piou !" à tue-tête pour attirer son attention. Charmant. Mignon. Adorable.

" Pas du tout. " répondit une Cassandra rassurante à l'adresse de la mère déboussolée - Cassandra s'en voulait presque de voir la gène qui l'habitait -.

Elle dégaina tout de même une pochette en soie Hermès de la veste de son manteau, pour éponger en tapotant les quelques postillons qu'elle avait reçu à la figure.

" C'est fascinant. Vous savez, moi aussi, j'aime le cinéma ... Et puis, ça me rappelle quand Supergirl m'a raconté qu'elle avait combattu Dracula avec Batgirl.

Laissez-moi vous dire. Lizzie, Ryu, Mia : nous vivons une époque fascinante ! "

Elle avait canalisé sa meilleure "aura de Wayne", en s'inspirant de la verve de Bruce pour essayer d'impulser un brin d'émotion ... Mais pour le coup, elle avait peur d'en avoir fait un peu trop. Peut-être le sourire, ou les étoiles dans les yeux, ou alors le mouvement de main avec l'impulsion qui vint appuyer le "Fascinante".

C'était qu'il y avait quelque chose, avec cette Mia. C'était sûr. Indéniable. Ce n'était pas l'une de ces gamines pomponnés et pourries gâtées qui peuplaient d'ordinaire ces institutions. Il fallait rester. Continuer à l'évaluer.

Mais alors ... Cassandra ne savait vraiment pas quoi dire. Elle n'allait pas réussir à tenir une conversation comme ça. Elle avait de l'imagination, mais pour se battre, ou pour danser. Pas pour parler ...

Mia fit la moue. Elle avait bien compris que son histoire n’avait pas beaucoup intéressé son interlocutrice. Les grandes personnes s’échangeaient des mondanités pour excuser les paroles insolentes de Mia, des phrases que la jeune adolescente ne cessait d’entendre depuis qu’elle était en âge de participer à ces soirées. Bon, c’est vrai que l’histoire de vampire n’était peut-être pas la meilleure approche. Même si c’était vrai, ils n'allaient pas se montrer à ce dîner de toute façon. Les fantômes de sang étaient réputés pour détester l’odeur des petits fours à l’ail qui embaumaient la salle. D’ailleurs, les cuisines n’avaient certainement pas préparé tout ça au hasard ! C’était un véritable complot.

Alors que Cassandra Wayne se mit à raconter l'histoire d’une de ses amies super-héros - après tout, les Wayne étaient plutôt connus pour être proches de ce monde-là - Mia ne put s’empêcher d’avoir des étoiles plein les yeux. Elle rêvait de rencontrer Batgirl un jour. C’était l’idole de toutes les jeunes filles de Gotham, et l’une de Mia sans aucun doute. Même si Batman était en haut de sa liste, Batgirl était peut-être au même niveau.

“Ouah, ça doit être bien de combattre des vampires ! Moi j’ai affronté un loup-garou une fois ! Il était venu à l’école pour se faire soigner par le professeur Langstrom mais avait arrêté de prendre ses médicaments ! Alors une shou shou, deux shou shou, et Bam ! il était à terre !”

Mia imita des gestes de combat grotesques. Si l'histoire était en partie vraie, elle n’avait pas vraiment frappé le loup-garou, il s’était rendu de par lui-même grâce à l’intervention d’Olive et de Tristan Grey, un élève qui venait de l’étranger et qui était lui-même… surprenant. Les gens de la salle étaient soit gênés, soit amusés par la chorégraphie de la jeune fille. Décidément, il faudrait en faire plus pour être prise au sérieux.

Elizabeth, la mère de Mia, observait sa fille avec une certaine sévérité. Elle savait que Mia avait une imagination débordante et une passion pour les histoires fantastiques, mais elle craignait souvent que cela ne la mette en porte-à-faux dans des situations plus formelles. Son père, Ryuichi, restait silencieux, un léger sourire aux lèvres. En tant qu’écrivain, il comprenait l’importance de nourrir l’imagination de Mia, même si cela pouvait parfois la mettre dans des situations délicates.

“Tu sais, chérie, parfois les histoires les plus incroyables sont les plus difficiles à croire. Mais ça ne veut pas dire qu’elles n’ont pas de valeur,” murmura Ryuichi à sa fille, son ton doux et encourageant.

Mia hocha la tête. “Mais je pensais que M’dam Wayne était pas comme les autres adultes, vous dites souvent que c’est la plus bizarre de sa famille, alors j’me suis dit qu’elle était comme moi.

“Voyons Mia, ne soit pas impertinente, intervint sa mère. Tu dis des bêtises. Nous n’avons jamais dit de telles choses…

Alors que sa mère se confondait en excuse à cause de l’embarras causé par sa fille, Mia regarda Cassandra dans les yeux. Dans son coeur, elle ne savait pas trop pourquoi, elle savait que ce n’était pas le genre de situation, d’endroit qu’affectionnait son aînée. Elle le ressentait d’autant plus que c’était la même chose pour elle. Elle n’aimait pas ces gens, ni ces discussions, et encore moins de faire semblant d’être une petite fille bien sage qui écoutait tout ce que ses parents lui disaient de faire.

" Liz. " Cassandra vint poser une main sur son épaule, polie, mais ferme, " Mentir, c'est mal. Mauvais exemple pour Mia. "

Il n'y a plus de façade. Plus de coquet camouflage social. Le sourire aimable s'est effacé. L'espace d'un instant, ce n'est plus Cassandra Wayne qu'elle a en face d'elle. Une chape de plomb tombe sur le groupe, comme si l'on était plus dans un gala de charité, mais dans une cour de justice. C'est Cassandra Cain qui plonge son regard glaçant dans le sien. Oubliez la cour de justice, nous sommes dans une salle d'exécution.

Ceux qui connaitraient l'identité réelle de l'excentrique fille Wayne seraient déjà en train de la supplier de les épargner.

Ce n'était pas une main qui s'était posée sur l'épaule de la philanthrope. C'était un étau, doublé d'un engin de mort.

Elle la toisa pendant de lourdes secondes, où toute leur maigre assemblée put avoir l'impression d'être un troupeau de brebis prises dans les phares d'un camion insensible. Quelque chose au plus profond de leur être les empêchaient d'esquiver le moindre mouvement, de parler, ou même de respirer trop fort ; un réflexe hérité de leurs ancêtres préhistoriques, face à un prédateur.


Ils avaient face à eux la véritable Cassandra. Cassandra Cain, la fille de Sandra Wu-San et de David Cain, l'héritière des deux plus grands assassins de la planète, Celle-Qui-Etait-Tout.

" Hey ! Mademoiselle Wayne ! Enchanté ! Rob Coleridge, j'admire vraiment votre travail et celui de votre père ! Je suis avec le fonds d'investiss- ... " Un nouveau venu entrait dans l'arène, une carte de visite tendu comme une dague, sourire éclatant vite effacé, " ... Oh, j'arrive au. Mauvais. Moment. Je. Vois... Ahah. Aherm. Je. Jevaisall-... Jev-... Ahah ... Héhé !.. Pard-... "

Cassandra lâcha son étreinte, pour venir saisir la carte de visite.

" Chéquier. " intima-t-elle en tendant la main.

Robert Coleridge déglutit.

" P-p-pardon ? "

" J'ai bégayé ? "

Il sortit son carnet de chèques d'une poche intérieure, avec un Montblanc quand le regard de Cassandra se posa dessus.

Cassandra les tendit à Mia avec un gentil sourire, avant de se relever.

" Merci pour le don. Mia prendra votre signature plus tard. " énonça Cassandra, " " Quand elle aura choisi le montant. Et vous signerez. Sinon... "

" O-o-oui mademoiselle. D-d-désolé mademoiselle. "

Cassandra posa lentement le tranchant de sa main sur son épaule, puis renifla. Les yeux les plus vifs remarqueraient en effet une tache sombre au niveau de l'entrejambe de l'entreprenant investisseur.

" Bien... Allez changer de pantalon. C'est dégoûtant. "

Il partit en marche active vers l'une des sorties, percutant un autre groupe au passage, la sueur au front et la peur aux trousses.

Cassandra l'accompagna du regard ... Avant de se mettre à rigoler et à faire trois petits extatiques sur place, irradiante de joie, comme si elle venait de gagner un gros lot à la fête foraine.

Cassandra Wayne était de retour, bien que cette fois-ci, son plaisir coupable ne soit pas issu d'une ruse.

" Ah ! J'adore ! Vos têtes ! "

Elle imita pendant une seconde la peur à la perfection, venant exagérer en ramenant ses poings contre sa mâchoire. Puis elle revint à son expression normale, bien que beaucoup plus émotive qu'avant sa démonstration, comme si ...

" Pas d'blem Liz ! Je suis bizarre ! Pas besoin de vous cacher ! "

Elle prenait du plaisir, vraiment.

" Ah ! Par contre. " Cassandra essuya une larme de rire, " Ne mentez pas. A moi. C'est pas beau. C'est pas vous. "

Oui, Mia avait vu juste. Cassandra n'aimait pas ce genre de réunions. Cassandra n'était pas là par gaieté de cœur. Et elle avait du mal ... Mais enfin, elle faisait des efforts !

Contrairement au jeté de manteau sur une chaise situé à plusieurs mètres de là, qui fut un sans-faute réalisé de dos, par-dessus l'épaule et en esquivant deux serveurs pour atterrir pile sur le dossier.

" Dis Mia, " fit l'héritière des Wayne, avec une diction hachée mais pleine d'enthousiasme, en venant s'agenouiller devant elle, " Tu en sais beaucoup. Tu pourrais montrer d'autres salles intéressantes ?

Si vous permettez, bien sûr. " ajouta-t-elle à l'adresse des parents, presque par accident ; comme une amie enjouée, et plus comme la fille policée de bonne famille ... ou la force de la nature.

Les paroles de Mia avaient dû réveiller quelque chose en Cassandra Wayne, car son attitude changea du tout au tout. Fini la fille de bonne famille qui faisait semblant d’être civilisée et mondaine. Cassandra montra son vrai visage et jeta un froid sur toute l’assemblée. Les musiciens avaient arrêté leur interprétation pour observer, comme tout le monde, amplifiant encore davantage le changement d’ambiance qui avait opéré. Tous les petits groupes arrêtèrent presque simultanément leurs conversations.

La mère de Mia avait perdu son beau sourire. Ce n’était pas une femme méchante, seulement un peu commère. Et avant ce soir, elle n’avait jamais pensé en mal de la famille Wayne ou de ses membres. Bruce était connu pour être excentrique et ils entretenaient de bonnes relations. Cassandra Wayne était plus discrète, moins sociable. Plus… bizarre. C’est certainement dans ces termes qu’elle l’avait définie. Et elle ne s’attendait pas à ce que ce qualificatif ressortirait de cette façon face à elle, et que cela provoquerait ce genre de réaction. Elle voyait dans le regard de son interlocutrice quelque chose qu’elle n’avait jamais vu auparavant, chez personne d'autre. Et cela lui faisait peur.

Mia observait la scène. Elle aussi avait peur que Cassandra s’en prenne à sa mère, surtout à cause de ce qu’elle avait dit. C’était un véritable échec critique à son test de diplomatie. Cependant, et fort heureusement, ce ne fut pas sa mère qui trinqua mais un pauvre représentant d’un fonds d’investissement. Cassandra lui prit un chèque qu’elle tendit à Mia. Une épreuve de force, de charisme et d’autorité comme la jeune adolescente n’en avait jamais vue auparavant. Elle était impressionnée. Est-ce qu’un jour, elle aussi serait capable d’une telle chose ? Elle n’avait pas vraiment ce type de tempérament, mais c’était quand même méga-la-classe.

La tension redescendit d’un cran, même si les adultes étaient encore sur leurs gardes. Cassandra était non seulement une femme de poigne, mais en plus une membre des intouchables, les Wayne. Si toute l'assemblée avait l’air dérouté voire même effrayé, il y en avait un cependant qui n’était pas impressionné. Le recteur Hammer. Mais quand on connaissait son histoire et son passif avec les Wayne, ce n’était guère surprenant.

Cassandra se tourna alors vers Mia, avec une pointe d’enthousiasme. Elle demanda a Mia de lui montrer les choses plus intéressantes de l'Académie.

Mia, surprise par la question, chercha rapidement dans sa mémoire. Elle connaissait l’Académie mieux que quiconque, chaque recoin, chaque passage secret, chaque légende urbaine qui circulait parmi les élèves. C’était l’une de ses passions, l’une des raisons pour lesquelles elle aimait tant cet endroit.

"Oui, bien sûr," répondit-elle avec enthousiasme, oubliant un instant la tension de la situation. “J’ai découvert des choses que personne d’autre dans l'école que moi connait !”

Mia sentit son cœur battre plus vite. C’était une opportunité en or, non seulement pour montrer ses connaissances, mais aussi pour se rapprocher de quelqu’un d’aussi impressionnant que Cassandra Wayne. Elle hocha la tête vigoureusement, un sourire éclatant sur le visage.

"Suis-moi," dit-elle en se dirigeant vers la sortie de la salle principale, la tête pleine de plans et d’histoires à raconter.

Les deux filles sortirent sourires aux lèvres de la salle de réception, sous le regard médusé des invités. Elizabeth voulut intervenir, mais elle fut interrompue par son mari. Ce dernier, sourire au lèvres, lui fit comprendre que sa fille restait une aventurière et pas une mondaine, et que c’était sûrement aussi le cas de la fille Wayne.

Plus loin, dans la cour extérieure de l’Académie et à l'abri des regards, Mia retira sa robe rose, trop imposante. Elle était déjà habillée en dessous avec des vêtements bien plus pratiques.

“C’est ma règle numéro un. Toujours être prêtes à l’aventure ! Maintenant… tu savais qu’il y avait des tunnels qui relient l’ancien dortoir des filles à l’asile d’Arkham ? Même Batman le sait pas ! Celui qui a conçu les plans de l’asile et de l’académie, c’est la même personne.

Mia affiche un large sourire, ravie de susciter l’intérêt de Cassandra. Elle guida sa nouvelle complice vers un coin reculé de la cour, puis vers le bâtiment nord, l’ancien dortoir des filles, où une trappe cachée sous un vieux tapis poussiéreux menait à un escalier étroit. Elles descendirent prudemment, la lumière de la lampe torche que Mia avait réussi à sortir comme par magie de sa poche, révélant des murs de pierre recouverts de mousse et des gravures anciennes.

Finalement, c'était une réussite critique.

" Batman sait. " corrigea Cassandra, en sortant un tube blanchâtre de sous sa chemise, " Règle numéro un de Batman. Batman sait. "

Elle craqua le bâton en son milieu avant de le secouer. Il se mit à émettre une lumière verte particulièrement vive. Elle le jeta à ses pieds.

Procédure standard. Un bâton lumineux à chaque intersection, pour ne pas se perdre.

" J'espère pour lui qu'il sait. Quelque chose à Arkham qu'il ne sait pas ? " Elle dégaine son smartphone à son tour pour allumer la lumière, et en profiter pour vérifier le réseau et la connectivité, " Il le prendrait mal. "

D'une autre poche, elle sortit son masque, qu'elle enfila mais ne ferma pas, pour ne garder qu'un espèce de bandana dissimulant jusqu'à son nez. Elle sortit également une oreillette qu'elle enfila, et connecta à son téléphone.

Le réseau était inexistant, bloqué par la mousse et les vieilles pierres. Elle avait eu un léger briefing sur Mia Mizoguchi, mais il fallait dire que l'ancienne Batgirl ne s'était pas attendu à autant d'enthousiasme pour une séance d'exploration urbaine improvisée de la sorte. Encore plus pour un tunnel menant à l'asile d'Arkham.

" Donc. On va à Arkham, là ? "

La question était adressée innocemment, bien que Cassandra soit tout de même préoccupée. Elle suivait, patiemment, touchait les inscriptions sur les murs, se demandant bien quel espèce d'aberration ésotérique pouvait justifier de telles ... considérations esthétiques.

" Ils veulent dire quoi ces textes ? " questionna-t-elle à nouveau, après un nouveau bâton accroché à un rebord, " C'était de la magie, ici ? "

Bon, évidemment, Cassandra était mal placée pour avoir une opinion sur la question : elle était mauvaise avec les noms. Et puis avec la magie, aussi. Sauf, peut-être, si on acceptait la magie de se battre en se basant sur les ressources de son énergie intérieure. Là, elle pouvait se défendre, mais c'était plus les délires ésotériques de sa mère, avec ses histoires "d'art intérieur" et "d'art extérieur". Le Qi. Tout ça. Encore des trucs que Cassandra ne comprenait qu'à peine, et dont elle doutait quand même pas mal de la réalité.

Mais enfin, elle l'avait dit, on vivait une époque fascinante. Entre les sorciers, les dieux et les extraterrestres, qu'est qu'une force mystique de plus ?

" Si on tombe sur des Arkhams qui s'évadent, tu as un plan ? " s'enquit la combattante, au passage.

C'est-à-dire que Mia lui semblait prendre beaucoup, beaucoup de risques, en ce moment. Cassandra aurait Elizabeth, elle aurait eu peur pour sa progéniture.

Car bon, pour ce qu'elle en savait, Mia était parti à l'aventure avec une milliardaire fantasque tout juste aussi capable de se défendre qu'elle. On était pas dans une bat-expédition !

Mia et Cassandra avancèrent prudemment dans les tunnels sombres, leurs pas résonnant faiblement sur les dalles de pierre usées par le temps. La lumière de leurs lampes projetait des ombres inquiétantes sur les murs, révélant des détails qui auraient échappé à des yeux non avertis. Le style gothique des tunnels était évident, avec des arcs en ogive qui soutenaient le plafond bas et voûté.

Cassandra avait elle aussi changé de style. Elle était vraiment devenue hyper cool. Elle avait même un équipement d’aventurière tout prêt, comme Mia ! Sauf qu’il était plus sophistiqué. Elle avait même des habitudes d’exploratrice de labyrinthe, en laissant des bâtons lumineux à chaque intersection. Évidemment, ce n’était pas utile car Mia connaissait tous les recoins par cœur, et avait une carte des environs et une boussole.

“C’est vraiment trop cool ! Tu appliques les règles que j’essaye d’inculquer à mes groupes lors de l’exploration de donjon ! Règle numéro une, toujours dessiner une carte ! Je t’ai dit qu’on m'appelait Maps ? Règle numéro deux, gérer ses ressources. J’ai déjà déposé quelques caches de nourriture dans ces tunnels, au cas où. Il y a des chips pas loin si t’as faim. Parce que tout à l’heure, leur petit-four à l’ail… beurk ! Règle numéro trois, précaution et sécurité. Et ça implique de laisser des marques aux intersections, parce qu’en cas de fuite, on n'a pas le temps de consulter la carte. Règle numéro quatre…

Mia continua d’énumérer toutes les règles qu’elle s’imposait - elle en avait exactement 10 règles et quelques alinéas - à elle et ses coéquipiers de Serpents & Sortilèges, puis du Détective club. Tout le monde ne prenait pas au sérieux ces recommandations, et en général cela virait donc à la catastrophe.

Les deux exploratrices continuèrent leur avancée, leur chemin éclairé par les faisceaux vacillants de leurs lampes. Par endroits, des niches creusées dans les murs contenaient des objets mystérieux : des crânes d'animaux, des bougies éteintes depuis des lustres, et des parchemins roulés soigneusement attachés avec des rubans de soie.

“C’est vrai que Batman sait tout, d’habitude. C’est ce que je dis souvent à mes amis. Mais si Batman était au courant qu’un tunnel pouvait permettre à des gens d’Arkham de s’échapper vers une école d’enfant, il aurait fait au moins surveillé, et peut-être fermé les accès, non ? Alors ma théorie, c’est qu’il sait pas. Si un jour j’avais la chance de le rencontrer - et ce jour serait irrémédiablement dans mon top 3 des meilleurs jours de ma vie - je pourrais lui montrer mes cartes.

Les murs étaient ornés de gravures anciennes, des symboles ésotériques entrelacés avec des motifs floraux. Des inscriptions en latin et en vieux gothique couraient le long des pierres, leurs significations obscures évoquant des rites oubliés et des connaissances sûrement ésotériques. Mia s'arrêta devant une série de symboles particulièrement intrigants, passant ses doigts sur les gravures.




“Ce symbole là, les genres de deux A entrecroisés, c’est le symbole d’Arkham. A l’origine, le dortoir des filles était un sanatorium d’Arkham pour femmes. C’est là que Millie Jane Cobblepot a été enfermée et qu’elle est - soit-disant - morte. C’est grâce à son journal intime qu’on a pu découvrir tout ça. Le tunnel servait donc à relier le manoir des Arkham a ce sanatorium, et a d’autre lieu encore. Cela ne mène pas que à Arkham, mais aussi aux marais ou à d'autres endroits. Certains tunnels sont effondrés donc je ne peux que faire des suppositions par rapport aux directions de ma boussole et une approximation de ce qui se trouve au-dessus.

Le tunnel bifurqua soudainement, débouchant sur une petite salle voûtée. Les murs étaient couverts de fresques détaillées, représentant des scènes de rituels occultes et des figures encapuchonnées. Au centre de la salle, un autel de pierre ornée de runes anciennes se dressait, avec des chandeliers en fer forgé placés aux quatre coins.

“Tout ça, j’avoue pas trop savoir à quoi ça correspond. Mais si on savait déjà tout, on aurait plus rien à découvrir, pas vrai ? La famille Arkham a été mêlée à la sorcellerie. Peut-être vouait-il un culte aux démons ou quelque chose comme ça ?

L’ambiance était très différente de celle du début de soirée. Maps adorait se faire des nouveaux compagnons d’aventures, et clairement Cassandra serait sûrement davantage impressionnée par toutes ces découvertes que par des conversations mondaines à mourir d'ennui.

“J’ai un plan en trois étapes top secret au cas où un type d’Arkham s’échapperait en passant par ces tunnels. Mais normalement, peu d’entre eux sont au courant. A part l’homme-lézard géant, mais il est pas dangereux, et le type en scaphandre. Heureusement, sinon l’école serait en danger permanent.


Les deux jeunes exploratrices continuaient leur avancée dans les tunnels sombres, leurs pas résonnant faiblement sur les dalles de pierre. Alors qu'elles pénétraient plus profondément dans le réseau de tunnels, Mia et Cassandra commencèrent à remarquer des changements subtils dans l'environnement. Les fresques, auparavant intactes, montraient maintenant des signes de dégradation, comme si quelque chose avait récemment perturbé ce lieu ancien. Les chandeliers en fer forgé étaient renversés, et des traces de griffures étaient visibles sur les murs.

"C’est vraiment étrange," murmura Mia en passant sa lampe torche sur les griffures. "On dirait que quelque chose a été ici récemment."

Le tunnel se rétrécit, débouchant sur une vaste caverne souterraine. L'air était plus lourd, presque suffocant, et une étrange odeur de moisissure flottait dans l'air. Des toiles d'araignée géantes pendaient du plafond, créant une atmosphère encore plus oppressante. Alors qu'elles s'avançaient, un léger bruit attira leur attention. Un bruissement d’ailes, presque imperceptible, résonna dans l'obscurité. Mia arrêta net, son cœur battant à tout rompre.

Car plus loin, un rescapé d’Arkham avait élu domicile ici depuis plusieurs jours. Il avait passé un marché avec Killer Croc pour trouver cette combine, mais avait besoin de temps pour mener ses plans à bien. Et quoi de mieux pour une mite qu’un lieu sombre, calme et humide pour base secrète ?

Mia parlait. Elle parlait beaucoup. Elle parlait trop.

Cassandra écoutait peu. Elle était aux aguets. Mais surtout, elle savait que Mia était trop aspirée par son soliloque pour être parfaitement consciente de ce qu'il se tramait.

Elle avait eu raison, cela dit. Il y avait de fortes chances que Batman ne connaisse pas l'existence de ce lieu. S'il l'avait connu, ce qui se trouvait dans ces souterrains aurait déjà été contenu. Déjà renvoyé dans les boyaux d'Arkham ... Si seulement il était question d'Arkham. L'endroit était ancien, vétuste. Il avait été clairement construit avec d'autres préoccupations en tête. Il était perturbant, aussi. Dérangeant. Malaisant.

Cassandra ne prêtait pas attention au latin, au gothique ou à quelque autre script : tout cela aurait pu être des hiéroglyphes, du sumérien ou du chinois, pour ce qu'elle en savait ... Mais elle pouvait clairement identifier les intentions derrière tout cela ... Ainsi que les passages qu'il y avait eu, récemment, et qui n'étaient certainement pas ceux d'une adolescente comme Mia.

Est-ce qu'il y avait eu passage de cultistes démonistes comme Mia le prétendait ? Difficile à déterminer à Gotham, où cela ne serait clairement pas la chose la plus perturbante à s'être déroulé dans la semaine ... Non, ce qui inquiétait Cassandra, c'était les irrégularités dans la répartition de la poussière, des toiles d'araignée, ainsi que les tâches qui luisaient faiblement à la lumière de son smartphone. Tout cela, on pouvait l'identifier à hauteur d'homme, à leurs pieds ... Mais également plus haut, vers le plafond.

C'était cela qui inquiétait Cassandra. S'il était question de cultistes en quête d'invocation ... Il aurait été parfaitement possible qu'ils aient mis la main sur ce qu'ils cherchaient.

Mia cita ce qui devait être Killer Croc et Mister Freeze ... Mais ça ne collait pas avec leur modus operandi.

Non, ils n'étaient pas aussi ... Sauvages. Oui, c'était bien cela le terme, quand Mia découvrit de nouvelles traces moins subtiles. Des griffures, du mobilier renversé ...

Oui, c'était moins subtil que les tâches noirâtres laissées sur les fresques de plafond déjà couvertes de champignons. Moins subtil que ce que Cassandra supposait déjà être le sang de victimes sans pouvoir le confirmer.

Absorbée elle-même par ses préoccupations, l'ancienne Batgirl se rendit compte trop tard que le lieu ne se prêtait définitivement plus à l'exploration sauvage avec une civile.


" Plusieurs quelques choses " corrigea la Wayne, en braquant la lampe-torche vers un amas de fibres couvertes d'un fluide blanchâtre au sol.

Probablement un filet, selon son expérience. Ce qui corroborerait les quelques pièces de métal déformées plus loin dans le tunnel.

Quelque chose de bizarre rodait dans ces tunnels. Quelque chose dont l'extérieur avait connaissance. Quelque chose que l'extérieur cherchait déjà à arrêter... Et cela, le Batman n'en avait pas connaissance.

C'était le genre d'imprévus que Cassandra n'aimait pas avoir à caler dans ses soirées mondaines.

" Mia. Tu es sûre que personne n'est au courant d'ici ? " demanda l'ancienne justicière, alors qu'elle balayait de sa lumière de nouvelles traces d'activité : des bouts de tissus, de métal, un badge d'un agent de sécurité d'Arkham, des étuis en métal, ce qu'elle identifiait comme des charges de taser utilisées ...

Le plan de Mia avait intérêt à être particulièrement solide, car elle n'aurait certainement pas le droit à l'erreur avec un "type d'Arkham" comme ça...

Et puis soudain, l'activité se manifeste directement. Un bruit d'ailes. Subtil, mais suffisant pour faire complètement basculer Cassandra. Elle n'est plus l'héritière détachée et fantasque ... Elle est de nouveau cette ombre de la nuit porteuse de la chauve-souris. Cette combattante entraînée éduquée dans la violence, dépourvu de peurs et de sentiments.

Instinctivement, elle a agrippé Mia pour la plaquer contre le mur le plus proche, couvrant sa bouche d'une main et la forçant à braquer sa lampe-torche vers le sol de l'autre. Elle reste ainsi quelques secondes, les yeux dans les yeux avec la gamine, avec ce même regard distant et déterminé. Un regard malheureusement trop habitué à ce genre de situations.

Elle attend quelques secondes, pour s'être assurée que le bruit est passée et que la chose qui en était à l'origine n'était pas sur leur trace.

Calmement, elle la relâche, en venant poser un index sur ses lèvres.

Cassandra sent que Mia est préoccupée. Sûrement terrifiée.

Pas besoin d'avoir ses dons pour le savoir. C'était une gamine qui avait mis le pied au mauvais endroit, au mauvais moment.

" Mia. Reste derrière moi. " souffle-t-elle, en récupérant le téléphone qu'elle avait laissé tomber - et qui était bon pour un passage au SAV -.

Elle fait signe à l'exploratrice en herbe de se tenir baissée en longeant les murs, en lui proposant même de lui tenir la main, si ça pouvait la rassurer ... De son côté, Cassandra avait dégainé quelque chose d'un peu plus sérieux de sous ses vêtements.

Une lame épaisse d'une vingtaine de centimètres. Un couteau de combat qu'elle avait jusque-là dissimulée sous ses affaires.

" Au moindre signe de danger, cours à la sortie. Je couvrirais. " fit-elle, en avançant en garde, méthodiquement, enjambant au passage d'autres traces de luttes, et esquivant d'autres flaques étranges, au sol et sur les murs.

Elle arrive à une ouverture vers une caverne plus large, dans laquelle elle hasarde un regard, que le peu de luminosité suffit néanmoins à rendre effroyable.


Elle s'était demandée où étaient passés toutes les personnes qui avaient apporté les armes et le matériel qu'elles avaient croisé jusque-là ... Elle avait sa réponse.

" Mia. Ferme les yeux et ne lâche pas ma main ... Regarde pas surtout ... " Cela n'allait pas l'empêcher de sentir, mais Cassandra aimerait éviter à la jeune fille un traumatisme trop important ...

Elle aurait pu lui dire de partir, également ... Mais elle préférait la savoir en sûreté auprès d'elle, plutôt que seule à fuir dans les catacombes avec quelque chose d'inconnu aux trousses.

Quelque chose qui, d'ailleurs, n'avait pas chômé.

L'ambiance de la petite balade des deux jeunes femmes changea tout à coeur. Les instincts d'aventurière de Mia et ses règles de sécurité se confrontaient avec la dure réalité de ce que Cassandra venait de découvrir. Les couloirs sombres, les inscriptions ésotériques et l'atmosphère oppressante que l’adolescente avait autrefois trouvés fascinants étaient maintenant des éléments d'un cauchemar vivant. L'obscurité semblait peser sur ses épaules, et les ombres qui étaient projetées par la lumière de sa lampe devenaient désormais des menaces potentielles. Elle avait l'impression d'être dans l'un de ces films d'horreur que son amie Pomeline regardait, où des créatures inconnues rôdaient dans l'obscurité.

Lorsque Cassandra la plaqua contre le mur, Mia sentit son cœur s'emballer immédiatement. Elle avait peur, bien sûr, mais il y avait aussi une drôle de sensation, d’excitation. C'était le genre de situation dont elle avait souvent rêvé, mais la vivre était bien différent que de l'imaginer. Elle regarda Cassandra avec des yeux écarquillés, cherchant du réconfort et du courage dans le calme glacial de la fille adoptive de Bruce Wayne.

Quand Cassandra lui chuchota de rester derrière elle et de se préparer à fuir, Mia hocha la tête frénétiquement, essayant de se retenir tant bien que mal de dire quelque chose. Elle serra la main tendue de Cassandra, se sentant un peu plus en sécurité mais toujours sur le fil du rasoir. Dans une situation plus normale, elle aurait trouvé vraiment cool le couteau de combat que Cassandra brandissait, mais elle n’avait pas l’esprit à ce genre d’enfantillage : elles étaient en danger, et ce n'était pas un jeu.

Alors qu'elles avançaient lentement, Mia se concentrait sur ses pas, évitant les flaques suspectes et les débris qui jonchaient le sol. La vision d'horreur que Cassandra découvrit dans la caverne plus large la fit frémir. Elle ferma les yeux comme on le lui ordonna, mais l'odeur nauséabonde et l'air lourd de la caverne ne faisaient qu'intensifier son angoisse. Sa curiosité se fit cependant plus forte, et une fois que l’un de ses yeux voulus savoir d'où provenait cette odeur, elle se figea instantanément, comme si le choc psychologique avait figé le temps. Des corps, certainement en putréfaction, étaient suspendus par dizaines au plafond par des toiles gluantes et écoeurantes. C’était la première fois que Mia voyait la mort, et elle se souviendra sûrement de cet instant toute sa vie.



Mia se battait contre la panique montante. Elle se rappelait ses règles d'exploration, mais aucune d'entre elles ne semblait applicable face à cette menace invisible et inconnue. Elle avait toujours su que Gotham cachait des horreurs, mais être confrontée à elles de manière aussi brutale était bien plus terrible qu’elle ne l’imaginait. Elle tenta de se concentrer sur sa respiration, sur la main rassurante de Cassandra, et sur l'idée qu'elles pouvaient s'en sortir. Elle était courageuse. Malgré tout, un haut le cœur survint d’un coup, et elle ne put s'empêcher de vomir sur le sol. Qui était capable d’une telle horreur, a quelques pas d'une académie remplie d’adolescents ?

Caché par l’obscurité, accroché sur un mur humide et moite, Charaxes observait les proies qui avaient fait irruption dans son antre. Il était un être incarnant l'horreur et le grotesque. Une abomination biologique, une fusion cauchemardesque d'humain et d'insecte qui défie les lois de la nature. Sa silhouette massive et déformée était un spectacle répugnant, ses ailes membraneuses déployées avec une amplitude sinistre, laissant deviner leur envergure disproportionnée.

Son corps était recouvert d'une carapace chitineuse, d'un noir luisant, marquée de stries et de bosses irrégulières. Cette exosquelette était à la fois rigide et organique. Il était suffisamment résistant pour lutter contre les balles des agents de sécurité qui avaient tenté de l'arrêter. Ses membres étaient grotesquement allongés, terminés par des griffes acérées et tordues, adaptées à saisir et déchirer ses proies. Les mouvements de Charaxes étaient maladroits mais effroyablement efficaces, comme s'il luttait constamment contre sa propre nature monstrueuse.

De son abdomen, des sécrétions visqueuses suintaient continuellement, formant des toiles d'un blanc laiteux qui s'étirent et se collent aux surfaces, et rendant chaque endroit où il passe encore plus sordide et insalubre. L'odeur nauséabonde qui émane de lui était un mélange de décomposition et de substances chimiques toxiques, rendant l'air difficile à respirer.

Charaxes était bien plus qu'un simple monstre; il était la personnification de la dégénérescence et de la perversion de la nature. Chaque aspect de son existence semblait conçu pour semer le dégoût et la peur, comme Drury Walker en avait autrefois fait le vœu à un diable.



Il attendit le bon moment, le bon mouvement. Avant de fondre sur ses proies, et hurlant d’un son strident, à la limite de l’entendement humain... “Je suis Charaxes… Charaxes est la PEUR ! Charaxes est la FAIIIIM !”

On ne l'entendait pas. Bien, auraient pu penser certains.

Pas Cassandra, qui s'inquiétait.

Pas pour la situation - elle était catastrophique -.

Pour Mia. C'était une civile.

Et elle en avait déjà trop vu.

L'arrivée de la créature à l'origine de tout cela - "Charaxes" - n'était que le point d'orgue.

Cassandra l'espérait sincèrement.

Dans tous les cas, il fallait une distraction, vite, avant que la pauvre gamine ne devienne le prochain déjeuner de la blatte géante.

Instinctivement, elle s'était interposée entre Mia et Charaxes, lâchant la main de la jeune femme pour placer les siennes sur ses épaules, alors qu'elle se remettait tout juste de sa dernière vidange gastrique.

" Mia. Cours. "

Il fallait dire que Cassandra n'était pas particulièrement loquace. Elle espérait juste que l'odeur effroyable et le cauchemar morbide auquel elle avait exposé ses yeux suffiraient à lui faire comprendre les instructions. Il fallait qu'elle court.

Parce que Cassandra ne savait pas vraiment ce qu'elle affrontait, et si elle suffirait à l'arrêter ... Ou même juste à la tenir en place suffisamment longtemps pour assurer la fuite de Mia.



La remarque était culottée, venant d'une femme seule armée de couteaux en plein milieu du territoire de son ennemi. Néanmoins, ce n'était pas Charaxes qui allait refaire Batgirl. Ce n'était pas lui qui allait refaire la fille de Lady Shiva et de David Cain.

S'il y avait un cauchemar dans cette cave, il ne s'appelait pas nécessairement Charaxes.

Charaxes n'était qu'un monstre. Une créature malfaisante et malformée. Une aberration aux relents putrides et aux mouvements pitoyables. Il avait échappé à l'attention de l'assassine, avant de commettre l'erreur d'accaparer son attention ... Et si Cassandra savait une chose, c'était que l'arme la plus efficace dont elle disposait dans son arsenal face à une menace inconnue était son absence de peur quasiment irrationnelle.

La réaction humaine ordinaire aurait été la peur. La peur de l'inconnu, la peur face au dégout et au rejet de cette chose contrenature qui polluait l'air, les sols et jusqu'aux sons de ce lieu. La peur d'une mort abominable entre les crocs dont les mouvements erratiques ponctuait chaque syllabe de Charaxes. La peur de finir comme toutes les autres victimes, et de découvrir les sensations qu'ils avaient ressentis sous ses pattes chitineuses.

Pas Cassandra.

Elle avait porté la chauve-souris. Le symbole de la peur à Gotham.

Ce n'était pas ce soir que ça allait changer de camp ; ni pour les flagorneurs de bas-étage, ni pour les parodies de métahumanité.

Elle fit une vrille arrière en décochant une paire de couteaux qui rebondirent sur la carapace du monstre avec un écho visqueux. Elle avait dégainé dans sa cabriole une fusée éclairante dans sa main droite, qu'elle racla contre son autre lame pour l'allumer.

La fusée inonda l'ancienne cave de sa lumière rougeoyante, se réfléchissant dans toutes les mares et les filets blanchâtres laissés par l'horreur.

Il lui avait fallu esquiver plusieurs fois, souvent de bien trop peu à son goût ... Mais elle était maintenant en garde, à distance respectable, et tenant sa fusée comme une arme plutôt que de l'agiter comme d'autres auraient pu le faire pour effrayer la bête.

Elle était guerrière. Chasseresse. Elle étudiait sa cible, maintenant. Elle lui laissait l'initiative, tout en espérant que le feu aveuglant de la fusée l'incommoderait suffisamment, comme il devrait l'être pour une créature nocturne ordinaire.

Il lui faudrait encore quelques minutes à étudier ses mouvements, avant de pleinement pouvoir la comprendre ... Puis de passer définitivement à l'offensive.

Mia était figée, paralysée par la terreur pure et brute qui montait en elle comme une vague déferlante. Charaxes venait de surgir des ombres avec un bourdonnement sinistre, ses ailes noires battant lourdement dans l'air moite de la caverne. C'était une créature de cauchemar, une abomination vivante qui dépassait tout ce qu’elle avait pu imaginer. Le monstre, grotesque et immense, avançait vers elles, ses multiples yeux rouges la fixant avec une faim insatiable, et ses mandibules claquant dans un bruit écœurant.

Mia sentit ses jambes devenir molles sous elle, son cœur battant violemment dans sa poitrine, mais pas d’excitation cette fois. C’était la peur. La peur froide et implacable qui lui serrait les entrailles. Ses mains tremblaient alors qu'elle tentait de garder son calme, mais son esprit était en ébullition, incapable de se concentrer. L'horreur du charnier tout autour d'elle semblait s'enrouler autour de son esprit, la piégeant dans une angoisse incontrôlable. Elle n'arrivait pas à détourner les yeux du monstre, comme si quelque chose d’invisible la retenait, l’empêchant de bouger.

Cassandra, elle, n’avait pas perdu une seconde. Elle s’était déjà placée entre Mia et la créature, sa voix froide et ferme perçant à travers la panique.

"Mia. Cours."

L’ordre retentit comme un coup de tonnerre dans sa tête. Mia sentit une secousse parcourir son corps, son instinct de survie prenant enfin le dessus. Son cerveau semblait soudain débloqué, mais tout en elle criait que c'était impossible, qu’elle ne pouvait pas tout simplement fuir. Pas avec ce monstre juste devant elle, pas avec ce charnier qui la cernait, et pourtant…

"Je... Je peux pas..." murmura-t-elle, à peine capable de prononcer ces mots, sa voix tremblante d’une peur incontrôlable.

Mais le regard de Cassandra, dur et déterminé, la transperça. La fille de Bruce Wayne n'était pas du genre à répéter les choses. Elle protégeait Mia. Elle avait besoin que Mia fasse ce qu'il fallait pour survivre. Et soudain, tout devint clair dans l’esprit de la jeune fille : elle devait courir, pas réfléchir.

Alors, dans un effort désespéré, Mia fit demi-tour, ses jambes vacillantes se mettant en mouvement. Elle trébucha sur un os, le choc résonnant dans un grondement assourdissant. Ses pieds semblaient vouloir la trahir à chaque pas, mais elle se força à avancer, se frayant un chemin à travers la caverne sinistre. Derrière elle, le bourdonnement menaçant de Charaxes s’intensifiait, et tous ces horribles sons qui lui parvenait amplifiait la terreur qui montait en elle.

"Cours, cours, cours..." se répétait-elle sans cesse, le cœur battant à tout rompre, alors qu’elle s’enfonçait dans l’obscurité, sa respiration saccadée résonnant contre les parois.

Mia s’arrêta au bout de quelques secondes de course intense, essoufflée. Elle essaya de se calmer, respirant profondément, malgré la peur qui tordait son estomac. Les bruits de Charaxes résonnaient encore au loin, mais elle se savait à l’abri pour l’instant. Elle devait réfléchir. Cassandra avait besoin d’elle, et elle ne pouvait pas fuir éternellement. Il fallait qu'elle trouve une solution.

Elle se rappela d'une chose qu'elle avait lue dans un bestiaire Serpents & Sortilèges sur les créatures insectoïdes : elles étaient souvent très sensibles à la lumière. Une lumière vive pouvait désorienter, voire repousser des créatures comme Charaxes. Mais comment produire une lumière assez intense dans cet endroit sombre et oppressant ? Elle fouilla frénétiquement dans son sac à la recherche d'une solution.

Son regard tomba sur sa lampe torche. Certes, ce n'était pas suffisant, mais peut-être qu'elle pouvait l'améliorer... Puis elle aperçut un miroir brisé, tombé au sol non loin d'elle, probablement vestige des malheureux piégés ici avant elles. Elle se précipita pour ramasser les morceaux, une idée commençant à prendre forme dans son esprit.

Si elle pouvait concentrer la lumière de sa lampe avec les morceaux de verre et les diriger vers Charaxes, cela pourrait créer un flash suffisamment intense pour désorienter le monstre. Elle récupéra aussi un vieux câble électrique qui pendait d’un mur, coupé mais encore fonctionnel en apparence. S'il y avait un moyen de générer une surcharge électrique ou une étincelle...

Les idées se bousculaient dans sa tête. Elle devait trouver un endroit où elle pourrait raccorder le câble, provoquer un court-circuit et l'utiliser pour générer un éclat de lumière aveuglante. Elle chercha autour d’elle et aperçut un panneau électrique rouillé, caché sous des débris dans un recoin. C'était risqué, mais c'était leur meilleure chance.

"Je peux… je peux le faire… ," murmura-t-elle.

Elle se mit au travail, regroupant ses trouvailles et improvisant un plan pour transformer ce panneau en une bombe de lumière capable de stopper Charaxes. C'était fou, mais elle devait essayer.

Charaxes, de son côté, se déchaîna dans un tourbillon de griffes acérées et d'ailes bourdonnantes, frappant avec une vitesse inhumaine. Ses appendices chitineux s'abattaient sur Cassandra comme des lames, cherchant à l’entailler à chaque mouvement. Le monstre la harcelait, ses crocs dégoulinants de venin s'approchant dangereusement de sa gorge tandis que ses ailes produisaient un bruit assourdissant, créant un enfer de terreur autour d'elle. Chaque attaque de Charaxes devenait plus sauvage et frénétique, et cherchait à la piéger dans un filet de coups mortels.

Cassandra et Charaxes ne passèrent finalement que peu de temps à se jauger mutuellement. Le second était clairement plus entreprenant sur ce volet, cliquetant, bougeant ses cros et faisant vibrer ses ailes, face à une Cassandra stoïque brandissant son flambeau chimique avec la majesté du chevalier faisant face au dragon.

Elle bougeait moins, mais elle n'en perdait pas une seconde pour autant. Ses yeux étaient vifs et ses pupilles dilatées. Elle respirait calmement, posément, et étudiait chaque mouvement de son adversaire : chaque impulsion, chaque amplitude, chaque articulation et chaque muscle envisagé sous la carapace de chitine.

Et puis, les yeux de Cassandra vinrent se poser dans les deux tissus d'alvéoles ambrés qui couronnaient la mâchoire carnassière de Charaxes, sans le moindre mot.

Ses griffes fusèrent, comme des épées, vives et à peine perceptibles dans l'obscurité.

Elles tranchèrent quelques centimètres au-dessus de sa nouvelle victime.

Les crocs, ensuite, sans plus de succès. Puis les ailes. Puis les griffes et ailes de concert, à une vitesse inhumaine et dans une terrifiante démarche insectoïde. Il n'eût pas plus de succès.


Quelque soit le coup qu'il tentait ; malgré la vitesse et la force de cette nouvelle forme surnaturelle ... Il n'y avait rien à faire. Il était toujours trop lent, trop pataud ... C'était comme si son adversaire esquivait avant même qu'il n'esquisse son coup. C'était terrible. C'était dégradant. Rien n'y faisait. L'intelligence primale mais encore presque humaine de Charaxes tentait la ruse : si cette fille esquivait en se fiant à son regard, alors il se mettait à porter des coups désorganisés, à cracher son venin et ses fluides instinctivement, chaotiquement.

Rien. Il était trop lent, trop faible.

Il était hors de lui.

Il ne voyait que la moitié de la scène.

Cassandra esquivait, oui. Elle lisait en lui comme un livre ouvert.

Mais Cassandra ne pouvait faire guère plus.

Charaxes était rapide, mais il ne voyait pas toutes les manoeuvres expertes de Cassandra. Il ne sentait pas les coups qui lui étaient adressés, chaque fois. Il ne sentait pas les lames qui rippaient sur sa carapace, ni les coups de pieds ou de poing de plus en plus puissants. Des frappes précises à même de pénétrer des murs de briques fissuraient à peine sa chitine, faisant plus de mal à Cassandra qu'à sa cible.

Il ne voyait pas les couteaux perdus dans des contre-attaques ou dans des tentatives malheureuses d'atteindre les organes qu'elle identifiait comme "vitaux", mais qui étaient trop bien protégés entre son armure naturelle, ses pattes et ses mouvements aussi chaotiques que ses attaques.

Il n'avait pas vu les quelques secondes de panique de Cassandra lorsqu'il avait croqué la fusée éclairante, laissant l'ancienne Batgirl avec les reflets visqueux de ses émanations et deux sphères globuleuses comme seuls repères ... Et ragea d'autant plus lorsqu'elle se retrouva à fendre l'un de ses tubes lumineux contre ses griffes, pour l'asperger de liquide chimique fluorescent !

Charaxes ne parvenait pas à toucher Cassandra, malgré toutes ses tentatives ... Mais Charaxes était aussi effroyablement résistant : il n'était pas arrêté par les coups terrifiants de Cassandra qu'il ne semblait même pas sentir, ni par ses armes qu'elle ne pouvait glisser dans ses assauts constants, ni par les murs ou les obstacles vers lesquels elle le guidait ... Et qu'il détruisait comme de vulgaires maquettes en stuc, ne laissant derrière lui que des marques de griffes profondes et des petits trous fumants laissés par des giclées de venin acide.

Cassandra avait très vite réalisé qu'elle aurait besoin de renouer avec ses traditions, et d'amener un véritable matériel, à l'avenir, si elle voulait pouvoir lutter ...

Pour l'instant, il était surtout question de trouver un échappatoire : avec quelques minutes d'avance, Mia devait avoir retrouvé la sortie, non ?

Mia se battait contre la panique qui montait en elle comme une vague déferlante. Les bruits de la bataille entre Cassandra et Charaxes résonnaient toujours dans les tunnels, un mélange terrifiant de rugissements inhumains et de coups assénés dans l'obscurité. Ses pensées étaient en désordre, comme des morceaux de verre éparpillés qu'elle tentait de rassembler. Mais une chose était claire : elle devait agir.

Le monstre derrière elle, cette abomination insectoïde, n'était pas un ennemi ordinaire. Charaxes n'était pas une simple créature de cauchemar, il incarnait quelque chose de plus primal, de plus terrifiant. Sa faim, son besoin de destruction, étaient palpables dans chaque cri qu'il poussait, dans chaque battement frénétique de ses ailes. Et Cassandra était là-bas, seule, à se battre contre cette chose.



Le souvenir des corps suspendus au plafond lui revint en flash brutal, faisant remonter une vague de nausée. Elle tenta de l'ignorer, de ne pas penser à ces pauvres victimes, mais c'était inutile. L'image était gravée dans sa mémoire. Des carcasses vides, privées de vie, des regards figés dans une horreur éternelle. C’était une fin que Mia ne souhaitait jamais connaître.

Mia trébucha sur une pierre, se rattrapant de justesse contre un mur froid et visqueux. Elle respira profondément, cherchant à reprendre son souffle. Son cœur battait si fort qu'elle avait l'impression qu'il allait exploser dans sa poitrine. La peur lui mordait les entrailles, mais sous cette terreur palpitait un instinct plus profond. Un instinct de survie. Une détermination farouche qu'elle n’avait jamais éprouvée jusque-là. Si elle devait mourir, elle ne mourrait pas sans avoir tout tenté pour se battre.

Mia secoua la tête, essayant de chasser les images d’horreur de son esprit. Elle devait se concentrer. Se focaliser sur ce qu’elle savait faire. La lumière. Elle avait déjà eu cette idée – elle savait que certaines créatures insectoïdes étaient sensibles à la lumière intense. Cela pourrait être leur meilleure chance. Non... leur seule chance.

Sa lampe torche tremblait dans sa main, et elle observa les morceaux de miroir qu’elle avait ramassés plus tôt. Elle connaissait leur potentiel – si elle pouvait concentrer la lumière, en faire un faisceau suffisamment fort, peut-être pourrait-elle aveugler Charaxes, ne serait-ce que pour quelques précieuses secondes.

Mia réfléchissait vite. Ses pensées fusaient malgré la terreur qui lui nouait l’estomac. Les débris éparpillés autour d'elle – les câbles, les miroirs, le vieux panneau électrique – pouvaient être utilisés. Elle savait que le vieux câblage de l’Académie était loin d’être fiable, mais peut-être pouvait-elle créer un court-circuit, provoquer une surcharge de lumière, suffisamment forte pour aveugler Charaxes.

Elle se précipita vers le panneau électrique, forçant ses doigts tremblants à se calmer. Elle n’avait pas le droit à l’erreur. Pas cette fois. Cassandra comptait sur elle, et si elle échouait... Non, elle ne pouvait pas échouer. Pas maintenant.

Mia tira sur le câble, ses mains glissant légèrement à cause de la sueur froide qui perlait sur ses paumes. Des étincelles jaillirent, éclairant brièvement les murs suintants autour d'elle. Elle grimaça, mais continua, les morceaux de miroir dans l’autre main. Elle savait qu'elle n'avait pas beaucoup de temps.

"Allez, allez…" murmura-t-elle entre ses dents serrées, essayant de rester concentrée malgré l'angoisse qui montait en elle.

Le câble était enfin raccordé, provoquant une série d’étincelles plus vives cette fois. Le courant passait. Un éclair de lumière jaillit du panneau, illuminant brièvement les tunnels, projetant des ombres terrifiantes sur les murs. C'était une lumière puissante, mais pas encore suffisante.

Elle se mit à ajuster les morceaux de miroir, essayant de concentrer le faisceau lumineux pour le rendre plus intense. Sa respiration s’accélérait, son cœur battait à tout rompre, mais elle ne pouvait pas abandonner maintenant. Elle déplaça les éclats de verre, les inclina, les aligna avec précision.

Et soudain, la lumière éclata. Un flash violent, aveuglant, inonda la caverne. Les ombres dansantes se figèrent dans une explosion lumineuse, repoussant l’obscurité, ne laissant derrière elles que la rémanence de l’éclat dans les yeux de Mia.

Elle recula en titubant, mais son plan fonctionnait. La lumière intense se réfractait parfaitement, créant un faisceau suffisamment puissant pour frapper directement là où elle savait que Cassandra se battait encore.

"Cassandra !" cria Mia, la voix cassée mais emplie de détermination. "Tiens bon !"

Elle attendit, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. L'éclat de lumière pulsait, illuminant tout autour d’elle, projetant ses reflets aveuglants à travers les tunnels. Elle espérait que cela désorienterait Charaxes, qu'il baisserait sa garde, même si ce n'était que pour quelques instants.

Mais chaque seconde semblait durer une éternité. Et dans cette éternité, elle se demanda si son plan serait suffisant. Si la lumière aveuglerait véritablement la créature. Si elles auraient vraiment une chance de s’en sortir toutes les deux. L’incertitude l’écrasait.

"Ça doit marcher... Ça doit marcher…" murmura-t-elle, les poings serrés sur la lampe torche.

Elle ne pouvait qu’espérer. Espérer que Cassandra soit suffisamment rapide, suffisamment forte, pour en finir.

Alors qu'elle se redressait un peu, les mains encore tremblantes, les jambes prêtes à fuir si nécessaire, elle fixait la lumière, cherchant un signe. N’importe quoi. Un cri de Charaxes, un mouvement de Cassandra. Quelque chose qui lui indiquerait que tout cela n’était pas vain.

Les secondes passèrent, et le silence après le flash lui sembla encore plus oppressant que les cris et les rugissements. Mia se tenait là, les doigts crispés sur sa lampe, son souffle suspendu dans l'attente d'une réponse de l'obscurité... ou de la lumière.

De l'extérieur, le combat pouvait paraître assez surréaliste. Une femme seule, avec une tenue de soirée en charpie, couverte de liquides nauséabonds, était aux prises avec une créature de cauchemar. Elle bondissait, rebondissait, s'agenouillait, esquivait. Elle faisait des pointes et des roues. Elle se risquait même par moment à rendre des coups. Elle faisait cela dans un noir d'encre, seulement orientée par des éclaboussures luminescentes, des bâtons lumineux et sa connaissance du terrain, retenue instinctivement.

On aurait pu la croire chasseuse de monstres, personnage insolite d'un quelconque thriller d'épouvante.

Sauf que ce n'était pas le cas. C'était Cassandra Cain, supposée être ici la fille de Bruce Wayne, une simple fille de bonne famille lancée dans une confrontation qu'elle n'avait pas véritablement cherché. Une simple exploration qui avait mal tourné, dans un lieu mal fréquenté. Une annexe de l'Asile d'Arkham.

Une annexe qui avait maintenant reçu la visite d'une entité clairement surnaturelle ... Ou bien d'un laborantin fou empruntant les traces d'un Kirk Langstrom.

Une aberration kafkaïenne, pour succéder à la chauve-souris humaine.

Et un combat épique dans une obscurité presque totale, qui n'était pas pour autant mené à armes égales, car Cassandra n'était tout simplement pas en mesure de blesser son adversaire, quand celui-ci menaçait de l'abattre à chaque coup.

Elle fit une roue en arrière pour esquiver un nouveau coup, qui l'amena à une intersection poisseuse.

Et soudain, la lumière, aveuglante.

Cassandra leva une main pour se protéger, instinctivement... Quand en face, ce fut un cri de douleur. Effroyable. Inhumain. Quelque chose qui n'appréciait pas une décharge de plus de 1000 lumens en direct.

Elle se mit dos à la lumière, pour ne pas souffrir ... Ou connaître le sort de Charaxes.

Avant de passer à l'action, rapidement et fermement, en profitant de la luminosité.

Il y eût de nouveaux cris de la bête. D'autres cris de douleurs. Et des bruits de craquements, et de crissements. Et puis le silence, enfin.

Charaxes gisait par terre, ses propres pattes ayant servi à perforer sa carapace et à clouer ses ailes par terre.

Il respirait. Faiblement.

Et il ne pourrait plus les chasser à pied. Pas avec l'état de ses pattes arrières fracturées.

Cassandra, elle, était dans un état plus pitoyable encore qu'avant, recouverte de trop de liquides pour que ses mouvements destinés à l'éponger suffise.

C'était à croire qu'elle sortait des entrailles du monstre lui-même. Et ce n'était pas loin de la vérité, finalement.

Elle remonta ce qu'il restait de la décharge lumineuse, une main en couverture, pour y trouver Mia.

Mia, qui était terrorisée.

" Ça a marché. Il ne bougera plus.

Pas avant du temps. "


" Tu écoutes pas quand on te parle. Je me trompe ? "

Elle retira l'un de ses gants pour se libérer une main propre et la tendit vers Mia ... Elle se voulait rassurante, malgré la remontrance qu'elle venait de lui adresser.

Cassandra était plus efficace pour s'exprimer avec son corps, de toutes façons, même si son état actuel l'empêcherait de faire quoique ce soit de très significatif pour la réconforter.

" Joli coup, avec la lampe. Tu m'as l'air maligne et courageuse. "

Cassandra se posa à la faible lueur de la lampe, pour inspecter ses blessures. Rien de grave, heureusement. Juste des bleus et des éraflures légères, liées au combat dans le noir. Impressionnant pour le badaud non habitué, mais tout juste un début de soirée pour elle.

Elle s'arrêta, puis se retourna finalement vers Mia, pour lui lâcher nonchalamment une remarque étonnante :

" Continue comme ça. Tu pourrais finir Batgirl. "