L’amour était une émotion étrange. Dans le spectre émotionnel, elle était différente des autres. Elle était extrême, positive ou négative, créatrice ou destructrice. Koriand’r ne l’avait que trop bien appris. Elle avait appris cela à ses dépens, tout comme elle avait appris que le destin avait un humour cruel. Elle avait aimé un homme plus que tout. Plus qu’une planète, plus que sa propre vie. Elle avait été à quelques instants d’être unie par des liens sacrés à cet homme. Et puis tout s’écroula. Et puis, des années plus tard, elle avait dû assister au mariage de cet homme avec une autre. Une autre qu’il avait toujours aimé, encore plus qu’il ne l’avait aimé. Il s’était connu avant que Kory n’arrive sur terre, à une époque où elle était encore une esclave, qu’elle subissait des choses innommables. Avait-elle eu la moindre chance d’être heureuse, un jour ? Ou le destin ne lui avait-il pas seulement fait goûter à ce bonheur pour qu’elle sache ce qu’on lui refusait ?

L'amour était ainsi une force complexe et indomptable pour Koriand'r, un flux constant d'émotions qui l'avait tour à tour élevée et brisée. Ce qu'elle avait vécu avec Dick Grayson n'était pas simplement une romance passagère ou une idylle terrestre. C'était bien plus profond, plus vaste que tout ce qu'elle avait imaginé en posant le pied sur cette planète. Elle avait découvert l'amour sous une forme qu'elle ne connaissait pas, mais qui l'avait bouleversée, et cela avait tout changé.

Les mois qui avaient suivi le mariage entre Dick et Barbara Grayson avait été difficile. Pas les plus durs de la vie de Koriand’r, certes. Elle laissa la tristesse la submerger, comme elle laissait toujours ses émotions l'envahir. Elle n'avait jamais eu peur de ses sentiments ; ils faisaient partie intégrante de qui elle était. Mais peu à peu, elle se laissait également envahir par l'acceptation. Elle se rappelait qu'elle était faite de lumière, même dans les moments les plus sombres. Et même si son cœur continuerait à porter cette cicatrice, elle savait qu'un jour, il pourrait aussi trouver la paix. Koriand'r était forte. Elle avait traversé des épreuves bien plus difficiles que celle-ci, des moments où elle avait pensé ne jamais revoir la lumière du jour. Et malgré tout, elle se releva toujours. L'amour qu'elle avait pour Dick ne disparaîtrait jamais. Il ferait partie d'elle pour l'éternité.

Le mariage l’avait donc blessé profondément. Et pourtant, elle n'en voulait à personne. Elle comprenait que les chemins de la vie étaient souvent tordus, et que parfois, peu importe la force de ses sentiments, ils ne pouvaient changer ce qui devait être. L'amour que Dick et Barbara partageaient était authentique, et elle respectait cela. Mais cela n'effaçait pas la peine qu'elle ressentait. Elle se demandait parfois si elle avait réellement eu une chance d'être heureuse avec lui, ou si leur relation n'était qu'une brève lueur dans l'obscurité, destinée à s'éteindre avant même de véritablement briller.

Puis, Kory avait entendu la nouvelle. La disparition de Dick résonnait en elle comme une cloche lointaine qui vibrait au plus profond de son être. Elle n'avait pas hésité un instant. Dick... Maintenant, il était parti, sans laisser de trace. Et Barbara... Barbara, sa femme, devait traverser cette épreuve bien plus difficile encore. Kory savait que Barbara n'avait peut-être pas envie de voir qui que ce soit. Après tout, la perte, même temporaire, pouvait rendre les cœurs fermés, inaccessibles. Mais cela n'avait pas d'importance. Kory ressentait cette douleur de manière si viscérale qu'elle ne pouvait pas rester à distance. Si elle ne pouvait pas trouver Dick, elle pouvait au moins être là pour celle qui partageait sa vie avec lui.

Elle décida alors de se présenter au manoir sans prévenir. Kory n'avait jamais vraiment été douée pour les protocoles humains comme ceux de la Terre, mais elle avait le sentiment que, dans ce cas, elle n'avait pas besoin d'une invitation. Barbara aurait peut-être voulu être seule, mais la solitude, dans ces moments-là, pouvait être aussi cruelle que la perte elle-même.

Koriand'r planait doucement dans le ciel nocturne, ses cheveux rougeoyants flottant autour d'elle comme une aura de flammes apaisées. Le manoir Wayne apparaissait devant elle, sombre et imposant, mais elle ne se laissait pas intimider par son austérité. Son cœur, pourtant, battait un peu plus fort. Elle savait qu'elle n'était pas invitée et que Barbara aurait probablement préféré être seule dans un moment comme celui-ci. Mais Kory ne pouvait pas l'ignorer. La douleur qu'elle ressentait pour Dick était aussi un fardeau pour Barbara, peut-être plus lourd encore.

Elle se posa délicatement devant une fenêtre du manoir, prenant une profonde inspiration. La lumière dans la pièce qu'elle avait repérée était faible, presque inexistante, mais Kory pouvait percevoir la présence de Barbara à l'intérieur. Sans hésiter, elle frappa doucement à la fenêtre avec les jointures de ses doigts, trois coups discrets mais bien audibles dans le silence de la nuit.

Elle attendit, son regard fixé sur la fenêtre, ses pensées tourbillonnant. Ce n'était pas la première fois qu'elle venait ici, mais jamais elle n'avait ressenti cette hésitation. Le mariage de Dick et Barbara avait été une étape difficile à traverser pour elle, mais Kory savait que ce n'était pas son rôle de laisser ses émotions la détourner de ce qui était juste. Barbara souffrait, tout comme elle. Mais contrairement à Kory, Barbara n'avait pas la capacité d'échapper à sa douleur en volant vers les étoiles.

"Barbara..." murmura Kory, sa voix douce et empreinte de chaleur. "Je sais que je ne suis pas attendue. Mais... je ne pouvais pas rester à l'écart. Pas maintenant."

Kory resta un moment immobile derrière la fenêtre, ses yeux verts brillant doucement dans l’obscurité de la pièce. Elle pouvait sentir la souffrance de Barbara, même à travers la barrière de verre qui les séparait. Les paroles froides et dures qu'elle entendit ne la firent pas reculer. Barbara était dans un océan de douleur, et Kory comprenait cela mieux que personne. Elle savait que, parfois, dans ces moments-là, on pouvait rejeter ceux qui voulaient aider, pas par manque de besoin, mais par peur d'exposer une vulnérabilité trop profonde.

Doucement, elle ouvrit la fenêtre, sentant le froid de la nuit s’infiltrer dans la pièce. Elle savait que Babs n'avait pas vraiment besoin de rester seule ; ce qu'elle ressentait, c'était un gouffre, un vide que la solitude ne comblerait jamais. Kory entra avec une lenteur respectueuse, ses pas presque silencieux, mais elle ne détourna pas le regard de Barbara, qui était assise au sol, tentant de se libérer des liens qui l’avaient maintenue au bord de l’effondrement.

"Barbara..." murmura-t-elle d’une voix douce mais ferme. Elle n'approcha pas davantage, respectant toujours cette barrière invisible entre elles. Elle se tenait là, présente, un phare dans l'obscurité. "Je sais que tu veux être seule... mais je ne peux pas te laisser dans cette douleur."

Elle s’agenouilla lentement, posant un genou sur le tapis. Sa posture était détendue, mais chaque mouvement exprimait une compréhension intime. Elle ne venait pas imposer sa présence, elle ne venait pas avec des solutions ou des conseils. Elle était juste là, offrant un espace de calme au milieu de la tempête.

"Tu n’as pas à être forte pour moi. Pas maintenant." Kory plongea son regard dans celui de Barbara, une chaleur sincère et douce dans ses yeux. "Si tu as besoin de crier, de pleurer, de frapper, je serai là. Mais je ne partirai pas... parce que tu ne devrais pas avoir à porter tout ça seule."

Elle fit une pause, cherchant les mots justes dans cette langue humaine parfois si délicate à manier pour elle. Mais l’essentiel, elle le savait, ne résidait pas dans les mots. Il était dans sa présence, dans sa manière d’être là, sans jugement, sans attentes.

"Je ne suis pas là pour te réparer," ajouta-t-elle doucement. "Je suis ici parce que je tiens à toi... et que je ne laisserai pas l'obscurité te prendre, pas tant que je peux faire quelque chose pour t'aider à la traverser."

Elle garda sa distance, respectant le besoin de Barbara de protéger son espace. Mais Kory était prête à rester aussi longtemps que nécessaire, même si c'était en silence, juste pour s'assurer que, dans cette nuit de douleur, Barbara ne soit jamais vraiment seule. Ce n’était pas dans ses habitudes de partager son propre chagrin, mais elle sentait que peut-être cela pourrait aider, même un peu.

"Il y a longtemps," commença-t-elle doucement, la voix presque murmurée, "j'étais sur le point de me marier. Pas par amour, mais par devoir… pour mon peuple, pour sauver ce qui restait de ma planète." Elle baissa les yeux un moment, revivant cette douleur qui, malgré les années, n’avait jamais totalement disparu. "Et l'homme que j'aimais... celui qui avait été mon refuge dans ce chaos... il est parti. Il ne pouvait pas rester. Je savais qu’il n’était pas à blâmer, mais cela n’a pas empêché la douleur. Ni le sentiment d’abandon."

Elle leva les yeux vers Barbara, des étincelles d'émotion brillant dans ses pupilles vertes. "Je me souviens d’avoir pleuré, seule. Je me souviens d’avoir frappé, comme toi, voulant expulser cette colère et cette peine, mais chaque coup ne faisait que renforcer ce vide en moi."

Kory sourit faiblement, un sourire empli de tristesse et de nostalgie. "Je me suis sentie perdue. Et ce sentiment que, d’une manière ou d’une autre, tout cela était de ma faute... il m’a hantée pendant longtemps."

Elle laissa échapper un léger soupir, ses doigts jouant distraitement avec le tissu de sa robe. "Mais... ce que j’ai appris, c’est que nous ne sommes jamais totalement responsables des choix des autres. Peu importe à quel point nous essayons de les retenir, parfois ils doivent partir... parfois, ce n’est pas parce que nous avons échoué, mais parce que c’est ce qu’ils croient devoir faire."

Kory se tut un instant, laissant ces paroles flotter dans l’air entre elles. Elle ne prononça pas son nom, ni celui de l’homme qu’elle aimait encore, mais l’allusion était là, ancrée dans chaque mot, chaque souvenir douloureux. Elle espérait que Barbara puisse comprendre qu’elle connaissait cette douleur, qu’elle l’avait vécue. Et que, même si cette douleur ne s'effaçait jamais totalement, il était possible de trouver un chemin à travers elle.

"Je suis restée là, sur Tamaran, et je me suis relevée," poursuivit-elle, sa voix se faisant un peu plus forte. "Et toi aussi, tu t’en remettras. Pas parce que c'est facile... mais parce que tu en es capable. Parce que, malgré tout ce que tu crois en ce moment, tu n’es pas aussi seule que tu le penses."