Les Aventures de Loïs & Clark - encore une fois [Loïs]

"Et voilà."

Un léger soupir s'échappe de ses lèvres semi-closes, alors que son regard azur se fixe sur l'immense bâtiment en face de lui. Il le connaît - il le connaît même par coeur, pas uniquement pour l'avoir scanné de fond en comble à de nombreuses reprises. Il le connaît par coeur, parce que ses pieds ont foulé chaque étage, chaque marche du building, à la recherche de Perry, d'un endroit calme ou d'un instant de détente durant les réunions de rédaction compliquées.

"Anxieux, m'sieur Kent ?"

"Un peu."

Clark esquisse un petit sourire en se tournant vers Jacob, le vendeur ambulant qui a fixé son étal devant les locaux du Daily Planet. Depuis des années, il fournit les journalistes et les techniciens en boissons, casse-croûtes, objets de première nécessité, mais surtout en petits discours remotivant et en bonne humeur constante.

"Ca ira, m'sieur Kent. Ca peut qu'aller. C'est chez vous. Ca l'a toujours été. V'rentrez chez vous, s'tout."

"C'est tout... mais j'ai déjà beaucoup."

Son sourire se fait un peu plus triste, alors que le journaliste fait un pas, s'avançant de plus en plus vers l'entrée du Daily Planet.
Quelques mois plus tôt, au coeur d'une crise terrible, Clark Kent a claqué la porte du journal quand ce dernier a été un peu trop sous la coupe du pouvoir présidentiel, encore détenu par Lex Luthor. Fragilisé par la présence de son ennemi au plus haut niveau, mais aussi par des problèmes intenses dans son couple avec Loïs, il a choisi de prendre ses distances avec sa vie habituelle. Il a fait une pause avec sa femme, il a monté un blog journalistique avec quelques collègues, et a tenté d'avancer dans la vie.

Ca n'a pas réellement fonctionné.

Loïs a toujours été un fantôme, rôdant dans son existence, hantant chaque jour, chaque heure par son absence. The Citizen Sentinel, le blog ouvert avec Alan Scott et Victor Stone, a été attaqué physiquement par Luthor, mais aussi juridiquement ; et s'ils ont pu repousser le Général Eilis, les mesures d'interdiction du pouvoir exécutif ont été trop fortes pour eux. Le blog a été fermé, et ils se sont retrouvés au chômage.

Ce qui n'est rien face aux difficultés subies par Superman lui-même : l'échec de la recréation d'une nouvelle Ligue de Justice n'a pas été lavée par l'humiliation, discrète, de voir que d'autres parvenaient là où il avait échoué. Pire encore, la lutte à distance avec Luthor n'a mené qu'à une terrible frustration, qui a été uniquement perturbée par sa disparition à l'intérieur de la Source, l'immense océan cosmique derrière le Mur, et qui abrite, bien logiquement, la source de toute Vie.

Renvoyé dans cet univers par la Source, Clark a décidé de reprendre son existence en main. Il a fait la paix avec Loïs, et entend désormais reprendre pied dans le Daily Planet, auquel il tient plus qu'il ne le pensait.

En prenant une grande inspiration, le journaliste s'avance définitivement à l'intérieur du bâtiment, retrouvant en quelques instants la chaleur et le plaisir du lieu. Il salue quelques vieilles connaissances, et se retrouve pleinement plongé dans cette atmosphère intense, active et terriblement dynamique.
Il s'apprête à prendre les escaliers pour rejoindre la rédaction, et faire sa présentation à Perry White, et donc à subir une de ses bonnes vieilles colères, quand ses super-sens l'avertissent d'une présence - elle.

Lentement, Clark se tourne et pose son regard sur la superbe silhouette de la jeune femme brune qui s'avance à l'intérieur de la salle d'entrée du Daily Planet. Magnifique, merveilleuse, elle fend la foule d'un air décidé, et son coeur bat un peu plus vite à chacun de ses pas.

"Loïs."

Elle est extraordinaire.
La situation va mieux, entre eux. Tout n'est pas encore réglé, mais il fera tout pour. Il est impossible de laisser partir une telle femme - il ne se laisserait pas faire.

Le fait qu'il se tienne là, de l'autre côté de la pièce, rend la jeune femme mal à l'aise.

Depuis le retour de Superman et malgré le fait qu'ils se soient réconciliés, le couple a conservé ses distances. Lois ne se sentait pas encore prête à reprendre leur relation. Les blessures émotionnelles étaient vives et elles le demeurent toujours. Elle a besoin de temps pour réfléchir mais, plus que tout, elle cherche à se préserver. Elle ne peut plus envisager de souffrir à nouveau comme elle a déjà souffert auparavant. Après avoir pris quelques secondes pour se ressaisir, elle s'est décidée à réduire la distance entre son époux et elle-même. La journaliste sait depuis un moment qu'ils finiraient bien par se retrouver face à face à un moment ou à un autre; cependant, elle aurait quand même préféré avoir un peu plus de temps. Tant pis. Ils verraient s'ils pouvaient réparer les pots cassés.

Les gens s'écartent naturellement de son chemin. Elle déteste quand les gens se mettent au travers de sa route et ne se gêne pas pour le leur dire. Lois Lane est Lois Lane, celle qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Or, ces temps-ci, il y a bien une personne qui peut se permettre de la taquiner et qui ne s'en prive pas.  

« Où comptes-tu aller, chérie?»

Steve Lombard l'empêche de poursuivre son chemin en lui enlaçant la taille par derrière. Il a conservé le physique intimidant d'un robuste quart arrière même s'il a quitté l'équipe de la ligue nationale de football de Métropolis il y a de cela une dizaine d'années afin de devenir le journaliste vedette de la rubrique sportive. Depuis les derniers mois, les deux se sont considérablement rapprochés. Contre toute attente, Lois a découvert en lui un ami sur qui elle peut compter, toujours prêt à l'aider à résoudre une enquête lorsqu'elle a besoin d'un coup de main. Après avoir appris à travailler en duo, le retour au mode opératoire solo s'est avéré pénible pour la jeune femme à la suite de sa séparation. Même si Lois n'a jamais apprécié l'arrogance de Lombard et encore moins ses avances, elle a toujours été consciente du succès de ce dernier en tant que journaliste. S'étant rendus compte qu'ils envisagent leur travail de manière identique, ils ont commencé à bosser ensemble sur certains dossiers, formant une nouvelle équipe.

Lois sourit plutôt que d'être en rogne. Malgré elle, se faire appeler chérie par Steve ne la dérange pas tant que ça. Elle est trop fière pour l'admettre, évidemment. Pour se venger, elle ne rate pas non plus une occasion d'interpeller son partenaire Stevy, sachant qu'il déteste cela tout autant.

« Salut, Stevy, » dit Lois. « Clark revient parmi nous, tu es au courant? »

« Il semble que oui, mais je t'interdis de me mettre de côté, » objecte Steve.

« Lâche-moi, gros bêta, » dit Lois, amusée. Elle n'a pas senti le changement d'attitude de son collègue lorsqu'elle a mentionné le nom de son mari, ni le sérieux de sa réplique. Elle esquisse un pas pour se dégager, mais n'y parvient pas. Rapidement, le sourire de la journaliste s'efface pour laisser place à une moue irritée.

« Je t'ai dit de me lâcher! » s'impatiente Lois. Parfois, Steve se comporte en crétin de première classe. Les bras de Steve l'emprisonnent dans un étau. Elle s'escrime contre lui sans succès, étant beaucoup plus petite et moins puissante que lui. S'il ne la relâche pas, il va regretter de ne pas l'avoir écoutée.

Soudain, elle sent un regard posé sur eux. Par le fait même, elle se rappelle au même moment de la personne vers qui elle se dirigeait avant d'être prise au piège. Elle croise les yeux bleus perçants d'un homme qu'elle connaît mieux que quiconque, voire mieux que lui-même. « Ne t'en mêle pas, » lui dit-elle silencieusement.

Loïs s'avance vers lui, fendant bien sûr la foule qui se disperse devant une femme aussi extraordinaire, et une journaliste aussi exceptionnelle.
En quelques pas, elle devrait être près de lui, et la conversation que tous deux attendent et redoutent en même temps devrait débuter - si le trop célèbre Steve Lombard ne décidait pas de se mêler à ces retrouvailles officielles.

Clark sait que son collègue sportif s'est rapproché de son épouse, durant leur pause et son absence du Daily Planet. Il n'est pas d'un naturel jaloux, mais n'a pas forcément apprécié que sa femme tisse des liens avec un autre homme ; bien entendu, il n'a rien dit, rien fait, respectant pleinement les choix de la jeune femme, et n'ayant de toute façon rien à lui dire là-dessus. Mais... fondamentalement, il doit bien avouer que ça ne le met pas en joie.
Encore moins quand il découvre Lombard passer son bras autour de la taille de son épouse, puis refuser de la laisser partir.

Kent ne dit rien. Son regard azur, derrière ses épaisses lunettes rondes, reste fixé sur la petite scène qui se joue devant lui. Il comprend, bien sûr, le message à pleine implicite de Loïs, qui lui intime l'ordre de rester à sa place, préférant gérer cette crise entièrement seule.

Il comprend. Il sait comment elle fonctionne, il connaît sa fierté, son ego, et surtout son besoin évident et naturel de s'occuper seule de ses problèmes.
Il comprend. Il a cependant du mal à l'accepter.

Ses poings se serrent. Sa respiration se fait saccadée. Ses paupières battent en cadence. Un léger filet de transpiration glisse sur ses tempes et le long de sa nuque. Il pousse de longs soupirs, pour essayer de rester calme - ça ne fonctionne pas.

Clark ferme les yeux. Sans rien dire, il se propulse en avant, usant de sa musculature puissante pour rejoindre rapidement Loïs et Steve. Sans un mot, encore, il s'empare des bras du journaliste, les fait lâcher son épouse, les retourne, les brise et sourit en entendant le cri de douleur de Lombard. Sans un bruit, toujours, il le relâche et le projette dans un coin de la pièce, heureux du travail du bien fait.
Clark rouvre les yeux, puis soupire longuement. Steve tient toujours Loïs, mais ses propres poings se sont desserrés. La crise est passée - pour le moment.

"Loïs."

Il ne bouge pas ; il n'avance pas, il ne fait aucun geste.
Mais sa voix est plus forte, plus puissante, plus autoritaire que d'habitude.

"Je crois que nous sommes en retard."

Il ne bouge pas : il obéit à sa demande, il la respecte.
Mais il réagit quand même.
Loïs ne peut pas trop en demander. Si elle veut gérer ça seule, il la laissera faire. Mais il refuse de l'abandonner, et il lui rappelle qu'il est là, qu'il sera toujours là. Au cas où.