Sommes-nous Charlie ? [Libre] Jeu 8 Jan 2015 - 13:01 | |
| HRP: je ne souhaite pas par ce sujet tourner en dérision, réduire, ou détourner les événements du monde réel. Je souhaite simplement m'exprimer, comme chacun, devant l'horreur que nous avons vécue. Et nos personnages nous servent aussi à ça dans le monde du quotidien. J'espère ne choquer personne, quoique n'étant ni Voltaire ni Rousseau, en publiant ces quelques mots sous le couvert d'Alan. Qu'il en soit fait selon votre compréhension. Ce matin, le monde n'est pas encore redescendu. Le choc. La honte. La haine, aussi. Le soleil qui se lève sur Metropolis n'est ni rouge, ni noir. Il ne porte pas la marque du deuil ou du sang, l'univers continue sa course vers l'entropie apparemment infinie et aucun papillon ne bat différemment des ailes. Pourtant, le monde a mal.
Au kiosque situé devant le plus grand journal du monde, le jeune garçon ne crie pas les gros titres. Il porte simplement un T-shirt noir. Collé sur la poitrine, un autocollant. "Hello ! Je suis Charlie. ". C'est son choix. Il n'y a pas de message, pas de dogme, juste son sentiment et son besoin de communiquer. Il n'est ni journaliste, ni philosophe, ni soldat. Mais il a une douleur dans la poitrine, et comme ça une toute petite partie semble pouvoir s'exprimer.
Aujourd'hui, TCS publie une tribune. Ecrite, imprimée, pas parce que le temps est de retourner au passé ou à l'obscurantisme, mais pour rendre un hommage à ceux qui sont tombés, à leur métier. TCS ne fait pas de dessin, mais ils travaillent dans l'image, le message et la recherche de la vérité, et à chaque fois que c'est possible sa transmission. Mais voilà, cette fois l'encre ne peut se taire, l'encre doit couler pour ne pas que le sang soit la seule marque laissée par ce qui est déjà du passé, un moment irrévocable dans le temps. Voici les quelques mots qu'Alan Scott s'engage à taper et publier à tout citoyen vigilant et perceptif de ce pays :
Charlie est grand.
Dieu est grand. Voilà une phrase banale, une phrase transcendante, une phrase prononcée dans bien des langues, dans bien des religions, dans bien des esprits, et qui engage la spiritualité de celui qui la prononce. C'est un hommage culturel, spirituel et un message d'humilité devant quelque chose, quelqu'un peut-être, qui nous dépasse. Si Dieu nous veut semblables à lui, qui aurions été créés à son image, c'est parce qu'il est miséricorde. Il a pitié de nos faiblesses, il nous a donné la parole, l'écriture - qui que nous soyons, c'est notre droit de le penser, quoi qu'il en soit, nous avons l'écriture, nous avons la parole. Ces parce qu'il est loi, qu'il aurait édicté ce qui est bon pour l'humanité, regardée avec bienveillance par une figure qui transcende l'espace et le temps. Si Dieu est éternel, alors l'humanité, finie, percluse par la mort, le handicap, l'incompréhension et la maladie, l'imperfection en somme, ne peut-elle pas prétendre à son image, à la grandeur elle aussi. S'élever, au-dessus de nos décès, de nos meurtres, de nos assassinats... Et oui, de nos carnages et de nos génocides. Au-delà des tombes, des survivants, des vivants. A-t-on jamais été aussi vivants qu'en perpétuant le message de ceux qui nous ont précédé, ceux qui nous ont quitté prématurément. C'est peut-être l'une des questions dont la réponse est la plus douloureuse. C'est face à la mort que l'on trouve la fragilité de la vie, face au silence qui suit l'acte que bouillent en nous l'imprononçable colère et incompréhension, la compassion et la peur.
Nous ne sommes pas des Dieux. Si les hommes sont mortels, les idées, elles, sont éternelles. Elles ne sont pas à l'abri de la corruption, du détournement, ni de l'évolution. Elle ne sont et ne doivent pas être imperméables à la remise en question. Si nous sommes grands, c'est parce que nous étions des nains juchés sur les épaules de géants. Cette citation, attribuée à Bernard de Chartres, philosophe platonicien français du 12ème siècle, le détaille en quelques mots. « Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, de telle sorte que nous puissions voir plus de choses et de plus éloignées que n’en voyaient ces derniers. Et cela, non point parce que notre vue serait puissante ou notre taille avantageuse, mais parce que nous sommes portés et exhaussés par la haute stature des géants.» Cette formule a été reprise en 1676 par Isaac Newton. L'Histoire n'a pas été écrite que dans la myrrhe et l'encens, dans la réussite et la succession des avènements. Qu'ils soient salués ou conspués de leur temps, nombreux sont ceux qui ont péri pour apporter de nouvelles lumières à l'humanité. Pourtant jamais nous ne cesserons, ni ne le devons-nous, de nous horrifier devant de telles exactions.
Face à l'horreur, il n'y a pas de mots. Il n'y a pas de maîtres ou d'esclaves. Il n'y a pas de sauveur unique et indivisible qui viendrait illuminer la voie. Il n'y a pas de Spartacus. Je ne suis pas Spartacus. Je ne suis pas un esclave. Ceux qui perpétuent de tels actes ne sont pas nos maîtres. Nous ne serons pas réduits par la terreur. Aujourd'hui, gaullistes, trotzkistes ou sarkozistes, cartésiens, keynésiens, chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes, athées, nous sommes Carolingiens. Nous ne nous appelons pas Charlie, pas plus que nous ne portons le nom d'Edison, Bell, Moïse ou Martin Luther King. Nous ne sommes pas tous des français, nés sur le sol ou descendants de la Gaule transalpine. Mais aujourd'hui, héritant de communicants, de professionnels de l'image, de la liberté, du recul et de l'impertinence, nous sommes élevés. Élevés plus hauts, toutes petites choses que nous sommes, être sensés, apprenants, traçant. S'il est des lignes à ne pas franchir, nous les franchirons, non par le meurtre et la provocation gratuite, mais pour la vérité et sa définition toujours changeantes qui ne doit jamais pour autant nous échapper. La vérité est unique, son essence ne change jamais. C'est à nous, juchés sur les épaules de géants, qu'ils soient chercheurs, philosophes, prêcheurs ou oui, dessinateurs, de prétendre à la grandeur, à la lumière de cette vérité qui, qu'elle porte le nom de Dieu ou un autre, est universelle.
Ne cédons pas à un sentimentalisme gratuit, à une émotion collective construite, à un regret entendu, à une connivence qui n'arriverait que trop tard. Nous avons le droit, le devoir, de remettre en cause les actions, les opinions, les messages de quiconque. Il ne s'agit pas de regarder avec mépris ceux qui peut-être, ont pu penser que la satire est un art qui ne fait pas que du bien, mais également du mal. Certains ne savent pas comprendre un message. Certains ne sont pas la cible. Certains font de nous tous des cibles, lorsque nous avons le courage, l'inconscience, l'arrogance de présenter une théorie, une vision qui n'est pas bien sous tous rapports. L'on peut détester les personnes, on peut mépriser leurs actes, qu'ils soient tueurs ou chroniqueurs. Mais on doit à chaque instant croire et questionner dans ce système de droit dans lequel nos prédécesseurs nous ont permis de vivre.
Quels que soit notre chagrin, notre souffrance personnelle, notre perception individuelle du problème et de l'horreur, nos émotions sont nous. Chacun, que nous ayons, aussi bien que les victimes prématurément arrachées à ce monde, tort ou raison, ne cessons jamais de remettre en question le monde. Sa violence, ses diktats, ses conventions. Ayons non pas un sentiment, mais une pensée pour tous ceux, inconscients ou courageux, qui ont bravé la censure et l'opinion pour essayer de montrer une facette de cette vérité qui est notre seul espoir. On ne nous imposera pas l'obscurantisme, parce que, depuis l'aube de l'humanité, nous sommes de plus en plus grands, tant les épaules de géants se sont succédées. Ne nous relâchons jamais. Ne nous contentons jamais. Si nous devons prétendre à la grandeur, nous mesurer à l'infiniment grand, que cela soit fait, sans jamais renoncer, sans jamais s'arrêter car l'infini nous a créés, et en l'accomplissement d'une vie rien n'est fait, sinon éveiller encore et toujours la conscience de nos contemporains, des générations futures.
Charlie est grand, et par eux nous le sommes chacun d'entre nous, d'autant plus.
HRP: si ma maladroite formulation n'a rien du talent d'un journaliste ou de la pertinence d'un vrai messager, veuillez m'en excuser. Si ce sujet heurte quelqu'un, j'en suis navré. Je ne souhaite pas prendre part à une quelconque hypocrisie, seulement coucher ces quelques mots qui font se rencontrer mes pensées et celles d'Alan, mes sentiments et ma culture, une partie de l'espoir et le désarroi qui nous habitent. |
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