[Californie] Va voir ailleurs si j'y suis, chef !!!

A la lueur du petit jour et de ses doigts rosés, San Francisco, cité prospère de la côte ouest, s'éveillait tranquillement. Lieu emblématique de la ville, le Golden Gate Bridge se voyait enveloppé d'une douce couverture de brume, dissimulant sous ses épaisseurs le clapotis de la grande baie. Au milieu de cette mer nacrée, dorée par un soleil levant, émergeait la très fameuse île d'Alcatraz, sinistre rappel d'une époque beaucoup plus troublée.
En face de la belle "Frisco", de l'autre côté du grand pont rouge brique, se trouvait une localité importante, bien que moindre face à la quatrième plus importante cité du pays. Sausalito, car c'était son nom, abritait jadis, durant la Prohibition, de nombreux tripots clandestins, et une forte contrebande à destination de sa grande voisine. Aujourd'hui, beaucoup de nouveaux riches quelques peu excentriques s'y étaient installés, profitant ainsi d'une proximité avec SF sans souffrir de l'urbanisation trop envahissante.

Au sommet d'une petite butte, à l'abri des regards, mais bien en vue du Golden Gate Bridge, une espèce de tour bus était stationné, face à la grande baie. Il n'abritait clairement pas de touristes, sans quoi ces derniers auraient déjà été en train d'ensmoguer le coin avec leurs cigarettes ou bombarder de flashs le panorama. Ce n'était pas non plus une rockstar; un paparazzi (bien que l'on devrait dire paparazzo, mais passons, les mystères de l'adaptation linguistique sont trop insondables pour un RP de cette envergure) aurait déjà, à l'odorat, découvert l'endroit. La porte du grand véhicule s'ouvrit enfin, laissant sortir un jeune homme dans la fin de vingtaine, aux cheveux noirs barrés d'une mèche blanche, torse nu, musclé comme pas permis.
Il semblerait que Jason Todd avait bien suivi les paroles de Jacques Plante pour se retrouver là, en plein territoire des Titans: "Tiens bon la barre et tiens bon le vent/Hisse et ho, Santiano/Si Dieu veut, toujours droit devant/Nous irons jusqu'à San Francisco.". Il sillonnait les États-Unis de fond en comble pour rendre justice, éradiquer le mal, œuvrer à rendre Batman Inc, pour ce que ça valait, plus fort. Bien qu'il ait plus ou moins abandonné ce dernier point, reprenant certaines de ses méthodes les plus expéditives -généralement, la balle dans la tête, ça calmait son homme-, il n'hésitait pas à donner un coup de main aux héritiers de la chauve-souris, et, de manière générale, à tous ceux qui pouvaient allonger un peu de monnaie. Bien qu'il ne soit pas tueur à gages, Jason aimait recevoir une compensation pour ses missions. Elle lui servait le plus souvent à se préparer pour des missions plus spécifiques. La technologie avait un prix, et le Red Hood tenait à avoir un matériel adéquat, efficace, parfait.

Justement, Todd était actuellement à San Francisco pour une mission. Enfin, plus précisément sur la route d'une mission. Son but, Sacramento, se trouvait plus au nord, mais il n'avait pas pu s'empêcher de s'arrêter à SF. La ville lui rappelait un passé à la fois douloureux et plaisant, un ensemble de souvenirs confus, une mélasse émotionnelle dans laquelle il plongeait parfois. Il s'était dit: "Pourquoi pas ? Un petit détour, ça n'avait jamais tué personne." Techniquement, cela devait être faux, mais dans le cas présent, à moins d'une attaque nucléaire sur la cité, il ne craignait rien. Ceci dit, vu l'inconstance des humains et les millions de menaces potentielles sur Terre, une frappe atomique passait pour un pet étouffé dans un bus bondé.

Ainsi, Jason émergeait de son véhicule, l’œil vif, la truffe humide. Il venait d'accomplir de nombreux exercices d'assouplissement et de renforcement musculaire, pour ne pas perdre la main, et cherchait maintenant à se détendre. Il tourna la tête à droite, puis à gauche, et se dirigea vers un arbre. Son tronc, droit, se dressait sans aucun doute ici depuis plusieurs centaines d'années tant il était épais et impressionnant. A côté de lui, le chêne et le roseau de la fable faisaient pâle figure. Ses racines profondément enfouies dans le sol, perçaient par endroit la terre tendre, laissant envisager une ramification titanesque dans les souterrains. Ce géant de bois et de feuilles trônait là, devant un jeune humain d'à peine trente ans qui s'arrêta à à peine vingt centimètres de lui, déboutonna son pantalon et commença à soulager sa vessie dessus. Si quelqu'un avait pu voir la scène, il aurait soit eu l'air choqué, soit complètement amusé.
Une fois ses besoins primaires assouvis, Jason retourna à son bus et profita cette fois-ci pleinement du panorama qui s'offrait à lui. Voilà un chose qu'il aimait dans le fait de voyager sans cesse: il se réveillait tout le temps dans un nouvel endroit choisi par ses soins, sans restrictions, sans limites. Un petit notaire, lui, ouvrait les yeux dans un lit étriqué, à côté d'une femme toute aussi étriquée, dans une chambre étriquée, avant d'aller prendre un petit déjeuner étriqué dans une cuisine/salle à manger/cuisine-salle à manger étriquée avant de prendre sa voiture étriquée pour aller à son cabinet étriqué. Lui, Jason Todd, avait pour seules limites la voûte céleste azuréenne, les frontières des états trop dictatoriaux et les héros un peu trop saintes nitouches.

Il attrapa ensuite un pain au raisin au quart dévoré, et le déchira entre ses dents, se faisant un petit plaisir matinal. Il allait bientôt devoir se ravitailler, mais ce n'était pas bien grave, avec les sommes astronomiques qu'il possédait sur ses divers comptes privés, gonflés avec le temps et les missions.
La liberté, quoi.