Là où "Brat Pack" avait un côté grinçant et parodique, "The Maximortal" - bien qu'étant là encore une oeuvre sur le monde des comics en lui-même - est beaucoup plus abouti et tente de répondre à une seule et unique question : comment naît, grandit et se développe une idée ? L'idée en question étant un drôle de petit bonhomme, un jour inventé par deux jeunes artistes peu fortunés, que les gens ont d'abord confondu avec un avion ou un oiseau ^^
Vous l'aurez compris, le Maximortal en question est Superman... Ou plutôt sa version du Veitchverse "True-man" (dont on avait déjà entraperçu dans "Brat Pack" l'impact qu'il avait pu avoir sur tous les autres super-héros...) !
Tout commence le 1er juillet 1908, quelque part en Sibérie, en un endroit appelé Tugunska... La veille, une explosion avait détruit la Taïga sibérienne sur un rayon de 20 kilomètres autour du point d'impact. Un paysan russe, en se rendant à l'épicentre (pour y faire quoi ?), va croiser le chemin d'une créature surhumaine féminine (qui vole, qui a une vision laser, ...), qui va le connaître bibliquement et qui enfantera dans la foulée un œuf... Un œuf qu'elle propulsera dans l'atmosphère...
... jusqu'à ce que cet œuf retombe sur Terre, près de 10 ans plus tard, en 1918 en Californie où deux chercheurs d'or - George & Meryl Winston - sont témoins de son retour sur la terre ferme. Et dans cet œuf, ils découvrent un petit bonhomme (
la navette de Superman qui s'écrase sur Terre et est découverte par les Kent) !
Bien sur, le "gosse" n'est pas normal, a clairement des pouvoirs (force, vol, vision laser, ...) et se tape des crises de colère folle. Mais Meryl pense qu'un ange le lui a apporté et décide de le garder. Elle le baptise Wesley Winston, du prénom de son grand-père (
Superman se prénomme Clark car c'est le nom de jeune fille de Martha Kent).
Pourtant, il ne reste pas longtemps avec eux... préférant explorer le monde avec son père adoptif (qui succombera rapidement des mauvais traitements que lui fait subir le petit bonhomme).
Là, Wesley voudra jouer au fermier (en l'espèce en "récoltant" des têtes humaines, dans une séquence assez impressionnante). Son chemin croisera celui de Sidney Wallace, cascadeur à la noix qui rêve de percer au cinéma (plus ou moins inspiré par Walt Disney). Wesley commettra un gros massacre avant d'être stoppé par sa mère qui arrivera à le calmer en le mettant au contact de l’œuf dans lequel il est arrivé... L'armée réussira, enfin, à mettre la main sur l'enfant et l’œuf et les enfermeront tous les deux à double tour pendant des années...
A partir de là, nous suivrons l'évolution de deux trajectoires : d'une part celle de Wesley Winston, énigme de la nature et danger ambulant et, d'autre part, celle de deux auteurs de comics, Jerry Spiegal (Jerry Siegel) et Joe Schumacher (Joe Shuster) qui viennent voir le patron d'une maison d'édition, en l'espèce Sid Wallace, avec le concept de True-Man (Superman) dont Spiegal a rêvé et qui est calqué - ce qu'il ignore - sur Wesley Winston...
D'un côté avec l'histoire de Wesley Winston, on suit l'histoire de la tentative pour libérer une puissance dévastatrice sur l'humanité. Un certain nombre de figures connues - fictives ou non - sont interrogées par ce comics sur le mystère du surhomme : Sherlock Holmes en 1924, Robert Oppenheimer à Los Alamos en 1943 alors qu'il travaille sur la bombe atomique, Albert Einstein en 1954...
D'ailleurs, dans le comics, la bombe atomique n'a jamais été réellement inventée (Oppenheimer pense qu'elle serait capable de déclencher une réaction en chaîne et de détruire l'humanité toute entière) et le "Little Boy" largué sur Hiroshima n'est autre que... ce petit garçon qu'est Wesley Winston !
On se pose aussi la question de la réalité et de la matérialité d'une idée avec les réflexions d'Einstein sur la réalité (où il explique avoir vu, étant jeune, un leprechaun alors qu'il skiait... et que la réalité des choses est fonction de la réalité qu'on leur accorde ^^)
D'un autre côté, l'autre histoire... Celle des créateurs de True-Man qui vont céder leurs droits sur leur création pour une bouchée de pain à un éditeur peu scrupuleux... histoire qui va finir assez mal avec la mort dans le plus grand dénuement du dessinateur Schumacher (Shuster aura plus de chance, étant décédé dans sa vieillesse tout comme Siegel).
Bref, un pied de nez à comment les majors ont (mal)traité leurs auteurs ! Pour la petite histoire, si dans "The Maximortal" Wallace exige que les deux jeunes auteurs reconnaissent que c'est lui qui a créé True-Man, Siegel et Shuster ont du faire plusieurs procès avant de pouvoir être reconnus, non pas comme propriétaires de Superman (ils avaient vendu les droits lors de la création) mais comme créateurs de Supes !
D'ailleurs, Veitch - qui a un amour véritable des comics et de leurs créateurs - déverse tout son fiel contre les majors (et DC) qui, pour lui, n'ont jamais su partager les gains colossaux qu'elles ont pu faire grâce au travail des autres.
Il reprend des anecdotes authentiques en les modifiant (ainsi si Spiegal découvre alors qu'il est à l'armée que des films True-Man ont été tournés, ce qu'il ignorait, c'est Joe Simon qui a fait les frais de cette mésaventure pour les films sur Captain America ; Siegel n'a fait que menacer de se suicider en se jetant depuis le building de la DC déguisé en Superman, Spiegal tente de le faire dans "The Maximortal" !). Bref, on se rend compte qu'une idée qui a eu autant d'influence sur le plan culturel que Superman... n'a pas rapporté grand chose à ses créateurs...
Pour tout dire, après de nombreux procès, Siegel et Shuster ont pu obtenir une rente annuelle de DC de 20.000 dollars par an et de la même DC, contrainte et forcée, la reconnaissance de leur qualité de créateur de Superman.
Bienvenue dans le monde de l'édition ^^
Veitch va même en profiter pour nous expliquer la création du Comic Code Authority, ce régime de censure créé par des éditeurs "responsables" (dont DC) pour se distinguer des autres (et les faire disparaître, comme l'éditeur d'horreur EC Comics).
... et ce qui est génial avec Veitch, c'est que les deux fils conducteurs (le vrai True-Man et le True-Man de papier) vont s'influencer mutuellement (notamment ce sont les excréments de Spiegal qui seront la seule matière - en plus de l’œuf - à pouvoir affaiblir Wesley Winston, la "craptonite" [crap = caca, jeu de mot sur la kryptonite, mais aussi sur la qualité de la production qui ne pouvait que chuter quand on met les créateurs sur la touche]).
Bref, "The Maximortal" est un vibrant hommage aux créateurs de nos héros favoris, un grand bras d'honneur à l'encontre de tous ceux qui les ont exploités (on comprendra que Veitch est très content de s'auto-publier), un plaidoyer contre la censure et une réflexion sur le pouvoir des idées... le tout servi par un dessin somptueux !
Que demander de plus ? Une édition française qui fait cruellement défaut... En revanche, le tout a été compilé dans un TPB de près de 200 pages, accompagné d'un essai sur le mythe du Super-héros par Veitch...