Rick Veitch, quand il ne met pas des gros coups de lattes dans le mythe du super-héros (Brat Pack) ou dans la façon dont les majors traitent les auteurs de comics (Maximortal), est fasciné par le monde des rêves ! Il l'avoue lui-même : les deux choses qu'il préférait étant petit étaient de lire (et de dessiner) des comics et de rêvasser...
... il était donc naturel pour ce curieux créateur d'allier les deux, en éditant dans le courant des années 90 (
de l'auto-édition, of course : les années 90 avaient fait de Dave Sim, le génial auteur / dessinateur / éditeur des 300 numéros du non moins génial Cerebus, une espèce de gourou que tous les jeunes créateurs [et les moins jeunes] voulaient imiter en choisissant [avec souvent beaucoup moins de succès] la voie de l'auto-édition [et de la faillite, des jobs alimentaires, des séries qui finissent pas...]) les 21 épisodes (compilés en 3 TPB) du très étrange "Roarin' Rick's Rare Bit Fiends" !
Cette "série" qui n'en est pas réellement une (plutôt une anthologie à la rigueur...), au titre hommage à Winsor McKay (le génial pionnier de Little Nemo !), s'occupe des rêves d'un seul rêveur... Rick Veitch lui-même !
Veitch a pris l'habitude de noter ses rêves pour en tirer des "histoires" (là encore, des gros guillemets sont de rigueur) d'une seule et unique page.
Alors, ça se lit ? Ça se lit pas ?
Le premier gros point positif de cette anthologie est que l'on a été rarement confronté à une oeuvre aussi intime : Veitch ouvre la porte au lecteur à ses fantasmes, ses phobies, ses obsessions, bref ce qui fait l'univers d'une personne !
Deuxième autre point positif (celui-ci est évident) : le dessin. Veitch s'en donne à cœur joie à dessiner ses visions personnelles, dans un délire tout à fait productif et marquant. Modeste, il rappelle que sur le thème du rêve, il a eu d'illustres prédécesseurs (en plus de W. McKay, déjà cité, le français Moebius ou Jim Woodring). Mais "Rare Bit Fiends" (RBF) a une ambiance toute particulière, indescriptible, onirique (ça tombe sous le sens), bref qui devrait plaire aux fans des films de David Lynch (d'ailleurs c'est pas réellement la peine de chercher un sens à tout cela ^^).
Troisième point positif : RBF est également peuplé de tout un tas de créateurs de comics, amis ou non de Rick Veitch, dont il rêve au gré de ses nuits. On retrouvera pèle-mêle Dave Sim (Cerebus), Gerhard (Cerebus), Alan Moore, Steve Bissette (Tyrant), Tom Veitch (le frère de Rick, connu pour son travail sur les comics de Star Wars), Neil Gaiman, Jeff Smith (Bone) ...
RBF est le seul autre comics avec Cerebus à mettre en scène régulièrement des auteurs de comics (d'ailleurs, Dave Sim rendra la pareille à Veitch dans un épisode de Cerebus en le mettant lui aussi en scène). Ça a un côté, certes Private Joke, mais ce n'est pas déplaisant ^^
Grosso modo, sur le contenu onirique, dans les 4 premiers numéros, on trouvera : des huîtres bouffeuses d'hommes, des tornades géantes en passe de ravager la maison de Veitch, une ballade en voiture avec Alan Moore et Steve Bissette, une visite surprise du Président des USA, la voix de Dieu, Dave Sim (misogyne notoire) en train de demander sa nouvelle copine en mariage, la visite d'un musée consacré à Bob Dylan, trois dessinateurs de comics livrés en pâture à un T-Rex de Jurassic Park, un rêve avec Superman & Lois Lane & Perry White, Dave Sim en serial-killer, Alan Moore chassant les démons du Marais, Rick Veitch en Superman, ...
Pis Rick invite aussi dans les dernières pages ses copains créateurs à partager leurs rêves, à l'instar de Dave Sim (#1) ou de Neil Gaiman (#2 et #3).
Bref, une curiosité, qui a eu son petit succès d'estime dans les années 90. Pour les amateurs de visions oniriques et / ou déréglées.