J'ai acheté, la semaine dernière, pour une bouchée de pain et par curiosité ce bel objet qu'est le premier volume de l'Intégrale des strips de "Dennis the Menace", publié en France chez Fetjaine (éditeur inconnu au bataillon) et aux USA par Fantagraphics Books (excellent éditeur connu pour avoir publié Love & Rockets, les œuvres oniriques de Jim Woodring, Daniel Clowes et son Eightball mais également beaucoup de rééditions de Robert Crumb ou de comic-strips, comme Snoopy ou ce Denis la Malice).
Si j'ai surtout lu - étant petite et ado - de la bédé de super-héros et de la ligne claire franco-belge (que je lisais dans les journaux Tintin et Spirou que mon père avait acheté par le passé et achète toujours, d'ailleurs, pour Spirou), j'ai également été en contact avec cet exercice moins connu du public français qu'est le comic-strips (que l'on pourrait traduire par...
bandes dessinés ? OMG je ne m'en étais jamais rendue compte !).
Il s'agit dans cet exercice, non pas de raconter une histoire en 24 ou 48 pages mais de faire un gag en trois cases ou - pour les strips d'aventure, par exemple - de faire avancer l'histoire en trois / quatre cases (sur une même ligne, d'où le nom de... bande ^^) en se gardant bien de laisser une situation à suspens dans la dernière case ! (comme pour Mandrake le Magicien, par exemple).
Dennis the Menace, c'est encore plus conceptuel ou rudimentaire (au choix) vu que "l'histoire" se "déroule" en une seule case, accompagnée d'une légende en bas !
Vous imaginez l'exercice pour nos auteurs contemporains : raconter un truc, quel qu'il soit, en une seule et unique image ?
Je dois admettre avoir bien apprécié la lecture de cette petite intégrale qui réédite l'ensemble des illustrations publiées sur l'année 1951 par Hank Ketcham, s'agissant de sa création, Dennis the Menace, née en mars de la même année.
Ketcham, à l'époque, n'est pas tout à fait un inconnu : il a surtout fait ses armes dans l'animation, notamment chez Disney, et a participé à Fantasia, à Bambi et à Pinocchio.
Et là, il est en train de travailler quand il entend un barouf de tous les diables venant de la chambre de son petit garçon de 4 ans, Dennis, qui est en train de faire une bêtise quelconque... et Dennis the Menace, le personnage de papier venait de naître !
Le concept est très simple et quasi-universel. Dennis est un petit garçon roublard, qui fait des bêtises. Il ne veut pas aller à l'école ou chez le dentiste ou chez le coiffeur. Il préfère jouer avec ses amis ou avec son chien, Ruff, un gros corniaud placide. Et il ne comprend pas vraiment le monde de ses parents (notamment, il passe son temps à gaffer... Ainsi quand il n'hésite pas à demander à une "amie" de sa mère qui rend visite à cette dernière si c'est bien elle la grosse dame enquiquineuse ; anecdote qui correspond à une réalité : les gosses disent n'importe quoi qui leur passe par la tête, sans censure préalable, une copine m'a raconté une histoire similaire au sujet de son gosse à elle pas plus tard qu'hier soir)...
D'ailleurs Ketcham n'est pas allé chercher ses personnages bien loin : son fils s'appelle en vrai Dennis, la mère de Dennis the Menace s'appelle Alice, tout comme son épouse de l'époque, Henry Mitchell, le père de Dennis the Menace, ressemble physiquement à Ketcham...
Le succès de la série, non démenti depuis 1951, toujours publiée à l'heure actuelle (elle a été dessinée, en partie, par Ketcham jusqu'à sa retraite en 1994), tient aussi de l'universalité de ce qu'elle "raconte" : bizarrement en lisant ces cases uniques, je me suis rappelée de tout un tas de souvenirs d'enfance. Comme quoi le quartier résidentiel où j'ai grandi me semblait être à la fois mon terrain de jeu (délimité néanmoins par le chemin de fer et la grande route que je n'avais pas le droit de traverser) et l'ensemble de mon univers. Je me suis rappelée aussi ce que c'est bon de grandir en ayant un chien, un bon gros corniaud, chez soi... Et puis les gaffes que l'on fait quand on est gamine et aussi que l'on a du mal à comprendre (et d'ailleurs, dès fois, il vaudrait mieux ne pas comprendre du tout) les adultes.
Bref, une bonne grosse bouchée de nostalgie enfantine que cet album !
A côté de ça, Dennis the Menace est aussi un reflet de la société américaine de l'époque : le héros des enfants de l'époque qui est John Wayne, les hommes qui passent leur temps à fumer même devant les gosses ou à l'intérieur, la mère de Dennis dont la place est le plus souvent à faire les magasins, les courses ou la cuisine, la vaisselle ou le ménage...
L'histoire de Ketcham sera bien plus sombre que ses belles pages qui en inspireront plus d'un (Jaime Hernandez, pour mettre en scène les aventures des héros de Love & Rockets quand ils sont enfants, a déclaré s'être inspiré de Ketcham. Et que d'ailleurs, l'analyse d'une case de Dennis the Menace en
"apprend plus sur le dessin que 6 mois de cours" ^^). En effet, la mère du vrai Dennis fera une overdose mortelle en 1959. Dennis, quant à lui, fera le Viet-Nam et en reviendra traumatisé, ne contactant son père qu'une fois l'an pour lui taper du fric...
... alors que pendant ce temps là, Henry, Alice et Dennis Mitchell continuaient à vivre des non-aventures dans l'univers de bande-dessinés de Ketcham.
Une plongée dans le monde de l'enfance qui, en un case seulement, en dit long sur ce que c'est d'avoir été enfant. Et qui laisse aussi au lecteur l'opportunité de se plonger dans ses propres souvenirs, en octroyant une belle part à l'imaginaire enfantin...
A lire. Et en plus, il y a une VF.