10 ans avant "100%", chroniqué dans la section Comics / Vertigo, Paul Pope auto-éditait sous son label Horse Press (qui a publié également Sin Titulo mais aussi toute la série des THB, oeuvre délirante s'il en est, sur laquelle malheureusement je n'ai pu mettre la main que sur deux numéros ^^) cette Ballade du Docteur Richardson, bel album en noir & blanc de 90 pages.
C'est l'oeuvre d'un jeune homme de 22 ans qui n'a pas envie de traîner car, dixit Pope, la mort peut le prendre à tout moment (un grand optimiste ^^ Rassurez-vous, Paul Pope poursuit encore à l'heure actuelle sa très belle carrière !) et que s'il faut partir, autant que ce soit sans regret et non sans avoir publié une grande oeuvre... Peut être pas un "Citizen Kane", mais au moins un truc dont il pourra être fier, un truc personnel, sans compromis...
D'ailleurs, les personnages de Pope ne sont jamais dans le compromis. Eloy de 100% ne veut pas trahir son art. Tubby dans "One Trick Rip Off" est prêt à tout par amour. Et notre brave Richardson est de ceux-là...
Tout commence le dernier jour de classe dans une université d'une mégalopole légèrement futuriste (quelques gadgets comme les chaînes Hi-Fi qui font apparaître un hologramme du groupe ou de l'ensemble musical qui joue ; une ambiance de sale et de délabré, comme le NY de l'Armée des 12 singes, ambiance que l'on retrouve aussi dans 100% et dans One Trick...). Le Dr. Richardson, prof d'histoire de l'art, spécialiste de la Renaissance, ramasse les copies des étudiants. Ce sont les vacances d'hiver et il va encore se retrouver tout seul pour Noël.
Sa proposition d'article de recherche a encore été refusée par le Journal de l'Université. Ses collègues le méprisent. Lui et ses idées tordus. Il ne veut pas se plier aux règles de la recherche. Il ne veut pas faire de compromis (tiens, tiens ^^). Et du coup ça fait 10 ans qu'il vivote dans ses enseignements, perdant toute chance de faire une belle carrière universitaire...
Chez lui, personne ne l'attend à part son chat et ses livres. Ce qui le ronge, c'est qu'il n'a personne pour partager tout ce qu'il aime, tout ce qu'il est, tout ce qu'il a dans la tête. Personne.
Aussi, plutôt que de se morfondre, il décide de sortir, zoner au hasard... jusqu'au moment où il est abordé par l'une de ses anciennes étudiantes dans le métro, Noel (une nuit de Noël justement ^^) qui, elle, a plaqué l'école car on y pratiquait de l'élevage et du gavage des étudiants. Et qui détestait tout et tout le monde sauf... Richardson.
Bien sur, ils doivent rapidement se quitter, Richardson ne souhaitant pas sortir de sa petite vie étriquée et solitaire mais... Au dernier moment, il se lance. C'est la chance de sa vie et il veut la saisir : il veut retrouver la fille et vivre quelque chose, pour une fois. Et pour ce faire, il va écumer plusieurs clubs, rencontrer des artistes (notamment un trompettiste qui a le rôle du passeur dans cette histoire) et se dépayser de sa niche écologique !
En plus, il y a une happy end !
Tout cela est terriblement naïf et met en scène l'idéalisme adolescent sous la plume et le script d'un Pope encore pur et entier : c'est terriblement mignon et prenant ! Là encore, le trait - moins travaillé que dans 100% - a une dynamique propre. Là encore, l'histoire prend un tour cinématographique. Ça me rappelle de très bons souvenirs de cinéma, le "Louise (Take 2)" de Siegfried, pour l'aspect histoire endiablée d'amour dans le métro (et l'aspect jazz qui est prégnant dans ce comics), mais aussi le "After Hours" de Scorsese pour le côté ballade hallucinée à NY, la nuit, pour un type qui - justement - n'a pas la tête de l'emploi (et notre Richardson est le bon vieil universitaire avec pipe et veston ^^).
C'est terriblement rafraîchissant. Et en plus c'est une bédé qui peut parler à toute personne qui, un jour, a été amoureuse pour la première fois ^^ Universelle donc !
Dans le tirage de 1998 (la seule qui peut se trouver), il y a en bonus une jolie adaptation en bédé du poème de Rimbaud "Fêtes de la faim"... D'ailleurs, Pope nous explique dans le petit mot accompagnant le poème que si Rimbaud avait vécu au 20ème siècle et avait eu le coup de trait de Jack Kirby, il nous aurait fait des comics renversants !
Pas faux. La bédé est un art comme les autres.
Pas d'édition française, mais la version américaine de 1998 peut se trouver sans trop de difficultés et à un prix raisonnable sur les sites marchands.