Vertigo est réellement une grande collection, à mon sens. Peut-être même la seule - chez un éditeur mainstream - à avoir publié autant de joyaux empoisonnés, à l'instar de Sandman, des Invisibles, d'Hellblazer, de Preacher, de Fables ou... de ce "100 %" signé par l'immense et très particulier Paul Pope (Pope que l'on retrouvera dans les prochains mois chez Urban avec son "Batman - 1900").
Tout d'abord, qui est Paul Pope ? C'est ce jeune scénariste / dessinateur prodige (plus si jeune maintenant) qui s'est fait remarquer par le magnifique "The Ballad of Dr. Richardson" (objet de la prochaine chronique), le décalé et futuriste THB - autopublié - et "One Trick Rip-Off", un polar nerveux, publié dans le mag Dark Horse Presents (et objet de la chronique d'après la prochaine chronique).
Il y a chez Pope, une goût du dessin qui n'est pas qu'américain, loin s'en faut. Le bonhomme adore Alex Toth et Jack Kirby, mais sa véritable passion va au manga (il va même travailler plusieurs années au Japon, sur une version japonaise de THB) et à la Bédé européenne (notamment celle de Milo Manara et de Pratt, avec lequel il a une certaine affinité graphique...).
Pope nous vend quasiment toujours la même histoire : une histoire d'amour adolescente, idéalisée, à la Jarmusch (de Mystery Train ou de Stranger Than Paradise), au sein d'un monde complètement froid et sec, dans une mégalopole artificielle et déshumanisée.
Et 100 % est en quelque sorte un aboutissement dans la carrière de Pope. En plus un aboutissement traduit en français.
Mais je m'emballe. Décrivons d'abord de quoi parlent les 5 numéros de 100% (100% pour "vrais à 100%", dixit Pope ^^).
Nous sommes dans le futur. Quelque part dans les années 2030 / 2040. New York est plus que jamais une mégalopole déshumanisée. Nous sommes limite dans le Cyberpunk (un journaliste a tenté de rapprocher 100% d'une oeuvre à la William Gibson, ce en quoi je ne suis pas d'accord : il y a une chaleur humaine chez Pope que l'on ne trouve pas chez Gibson). Et dans ce monde pourri, froid et déshumanisé, naviguent nos 6 héros qui - deux à deux - vont se trouver ou se retrouver, vivre une histoire d'amour, qui finira bien ou pas. Comme pour montrer que même dans un Monde où l'amour est mort, celui-ci est tout de même la plus belle ressource que nous puissions avoir.
Il y a tout d'abord Strel, une femme qui élève son gosse toute seule depuis que le père du gosse, Haïssieu, l'a quittée pour poursuivre sa carrière de star de la Boxe. Elle, elle gère un établissement nocturne, où l'on boit et où les filles dansent à moitié nues, avec des électrodes sur elles qui permettent de projeter ce qui se passe à l'intérieur d'elles (le "Gastro Show" !), ce qui permet de voir leur cœur battre en projection 3D géante ou leurs entrailles frémir (flippant !). Mais elle préférerait tout plaquer et partir ouvrir un commerce de torréfaction.
Il y a ensuite, Kim, l'une des serveuses de Strel, qui veut acheter un flingue depuis qu'une de ses collègues danseuses a été retrouvée morte dans une poubelle. Qui se sent seule et qui a peur, tout le temps. Et qui n'ose plus marcher dehors sans avoir ce bout de métal sur elle.
Enfin, il y a John, un étudiant qui a lâché l'université pour vivre la vraie vie et qui se retrouve à faire la plonge dans la boîte de Strel. Et qui attend qu'un truc, n'importe quoi, se passe...
Ces trois solitaires (tout trois seuls et perdus dans une grande ville,
"Allein in einer grossen Stadt" ?) vont faire une rencontre.
Kim en se trimballant avec son gun va être mise au contact d'Eloy, un artiste qui essaye de composer une symphonie (sa symphonie) avec des bouilloires.
John, lui, va croiser le chemin de Daisy, une danseuse qui danse le Gastro mais qui méprise ceux qui la regarde. Et qui cherche à fuir quelque chose. Qui fuit tout le temps d'ailleurs.
Enfin, Strel va être recontactée par le père de son enfant, le boxeur qui est de passage à New-York pour le match du siècle.
Et en 250 pages bouleversantes, nous verrons le commencement (ou le recommencement) de ces histoires et leurs conclusions heureuses, ou non.
Un journaliste - le même que cité précédemment - a comparé, avec un peu plus de bonheur, ces histoires aux films de Wong Kar-Wai. C'est pas faux. Ça me rappelle furieusement le génialissime
"Les anges déchus" qui, là encore, ne parle que d'amour et de solitude dans une mégalopole. De même, 100%, je trouve, me rappelle le film de Thomas Vinterberg "It's all about Love" où dans un NY futuriste, les gens cessent de vivre car ils ont cessé d'aimer...
... c'est d'ailleurs tout le propos du comics : comment l'amour peut-il survivre dans un monde où le pied ultime est de regarder les entrailles des filles en train de danser ?
Et face à ce malfoutu monde, nous avons nos héros qui - même quand ils sont abîmés - sont purs, entiers et innocents : il y a une espèce d'idéalisme adolescent qui se dégage de cette oeuvre !
Niveau dessin, ça à la fois la grâce d'un Pratt et le dynamisme d'un bon manga. L'ambiance peut faire penser, par moments, à la Trilogie Nikopol d'Enki Bilal.
Bref, vous l'aurez compris, 100 % est un chef d'oeuvre. C'est même - à mon sens - l'aboutissement d'un travail commencé par Paul Pope avec la Ballade du Dr. Richardson.
A lire. A relire. A faire lire. Et à relire encore et encore.
Ce n'est pas un comics. C'est un film graphique.
Et ça parle d'amour.
Publié en France chez Dargaud.