La dernière de mes 5 reviews consacrées à l'oeuvre de Clowes traitera de l'album "Pussey !" et de la destinée de Daniel Pussey, dessinateur (fictif) de comic-books, et de sa trajectoire en forme de comète (ou d'étoile filante), emportant le cœur (et les billets) de ses lecteurs, avant de sombrer à nouveau dans l'anonymat.
Dans sa petite préface dessinée, Daniel Clowes, fan de comics (de super-héros, d'elfes et de ninjas, comme il le dit lui-même) dans sa jeunesse mais désirant - en tant qu'adulte - percer dans la bédé plus réaliste a créé le personnage de Pussey, à un moment où sa carrière ne démarrait pas (et où il n'avait pas la reconnaissance de la critique américaine, européenne, ni un film adapté de l'une de ses œuvres...) : et c'est de cette frustration (renforcée par le fait que les mêmes super-héros, elfes et ninjas continuaient à rafler la mise) qu'est née cette série satirique sur le monde des comics, des conventions de comics, des artistes de comics (mais pas que) et (surtout) du business des comics...
Dan Pussey est, en effet, un jeune dessinateur inconnu qui est recruté (avec d'autres inconnus talentueux) par le Dr. Infinity (vieux type à la mine perverse qui est, en fait, l'incarnation de toutes les pratiques dégueulasses qui ont été infligées à des types comme Jerry Siegel ou Jack Kirby depuis la création des super-héros, jusqu'à nos jours [cf. ma review sur le Maximortal de Rick Veitch]) pour lancer une nouvelle collection super-héroïque, sous le label Infinity Comics.
Les comics que l'on propose à Pussey et à ses collègues de fabriquer n'ont pas l'air enthousiasmants : Army-Bots, Infinity Hombre, Muscle-Master, Marionette Squad (peut-être mon préféré ^^)... et en plus ils vivent, dorment et travaillent dans les studios d'Infinity Comics, pour faire face aux cadences infernales imposées par le Dr. Infinity...
... le succès est au rendez-vous et à l'aide d'un pot-de-vin, le Dr. Infinity obtient qu'un quelconque journal de comics (Wizard ?) fasse une review élogieuse des premières sorties (et notamment des dessins de Pussey !). Du coup, du jour au lendemain, Infinity Comics et Pussey deviennent des super-stars ! Leur stand à la Convention de Comics est pris d'assaut par les fans (qui délaissent celui de l'équivalent de Fantagraphics, le propre éditeur d'Eightball et de Daniel Clowes ^^). Pussey commence à devenir super-prétentieux et super-puant. Ben ouais, tout le monde dit qu'il est génial et que ce qu'il fait est de l'or, alors pourquoi s'en priver ?
Bien évidemment, comme dans toutes les histoires satiriques de réussite spectaculaire, le vieux principe selon lequel "plus on monte, plus la chute va être dure" va être respecté.
D'abord Pussey voudra devenir plus qu'un dessinateur et scénariser ses propres histoires (comme Rob Liefeld ? YURK ! [D'ailleurs, c'est pas l'idée de Pussey lui-même, Pussey n'ayant jamais aucune idée, mais celle de ses fans qui seraient certainement prêts à voter pour lui s'il se présentait à la Présidence des USA]). Comme il ne sait pas quoi écrire, il s'inscrit à un cours d'écriture. Là, sa prof (qui ne le connait pas... Ben ouais, star des comics c'est pas non plus star de la musique ^^), apprenant qu'il fait de la bédé, lui prête des albums dessinés par son artiste de bédé préféré - un tchèque qui a l'air de faire des trucs conceptuels - ainsi que des exemplaires du magasine Raw de Spiegelman (du moins son équivalent dans Pussey) et de la revue Love & Rockets (qui devient Affection & Torpedoes)... Notre Pussey (qui a un béguin pour sa prof) n'y comprend bien évidemment rien mais voit qu'on peut se faire du fric avec...
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... du coup, il plaque Infinity Comics pour aller travailler dans la bédé d'art & d'essai : bon, ça marchera pas, parce que Pussey essaiera de fourguer le même genre de trucs sur lesquels il travaillait chez Infinity (d'ailleurs l'homologue de Spiegelman pensera que c'est génial, une satire puissante de l'industrie du comics super-héroïque avant de comprendre que Pussey... n'est pas dans le second degré mais est bien sérieux et de le virer manu militari de son studio !). Finalement, Pussey - qui n'a aucune histoire à raconter en fait - reviendra chez Infinity.
On s'intéresse aussi à la passion de Pussey pour les conventions de comics et de la spéculation sur les #1 des séries qui viennent de sortir (ben ouais, t'achète pas un seul exemplaire d'une bédé pour la lire mais 10 [ou 100] exemplaires d'un numéro #1 d'une bédé quelconque pour les garder sous blisters et les revendre en faisant une marge bénéficiaire [ou les conserver sous ton lit]), tandis que le Dr. Infinity raconte la grande histoire des comics (comment il a volé le personnage de Superman à son créateur, comment il se contentait de juste mettre son nom sur les planches que d'autres dessinaient, comment il humiliait et maltraitait les artistes qui bossaient pour lui ^^)...
Et puis, on a la chute et la fin de Pussey, star éphémère des comics, remplacé par un plus jeune talent (qui sera tout aussi éphémère que lui) qui admet "tout lui devoir"... Notre héros finira dans un emploi subalterne (sans caractère artistique) chez Infinity (genre il est relecteur...) !
Enfin, tout cela n'a guère d'importance, vu que les dernières pages de l'album montre le futur : un futur où la bédé a disparu et où personne ne se rappelle du phénomène des comic-books ^^ (et encore moins de Pussey !)
Cet album est très drôle, très méchant (et tout le monde en prend plein les dents : l'industrie du comics mainstream & également le circuit indépendant... Clowes se moque AUSSI de son éditeur) et à la fois non dénué d'une certaine tendresse : Pour Pussey qui, au fond, est tout de même un pauvre petit gars, arraché à son milieu naturel, pour en faire une star pendant - genre une année - avant d'être renvoyé à l'anonymat le plus total...
... c'est surtout très méchant pour le Dr. Infinity et, derrière lui, toutes les pratiques dégueulasses du marché.
Et puis, il y a quand même une certaine tendresse (tordue, on est chez Clowes) vis à vis des comics eux-mêmes : après tout, Clowes a eu la même trajectoire de base que Pussey (peut être pour ça que Pussey est prénommé Daniel, comme Clowes), du moins jusqu'à la fin de l'adolescence... Se dit-il qu'il aurait pu bosser chez Image, s'il n'avait pas publié Eightball ?
Une édition française existe chez Rackham (54 pages, noir & blanc).
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