Comics d'abord auto-publié (sous le label Penny Dreadful Press) avant d'atterrir chez le micro-éditeur "Black Eye", "Jar of Fools" ("Double fond" dans l'édition française publiée chez Delcourt) est un chef d'oeuvre absolu d'un auteur / dessinateur bien trop rare !
En effet, Jason Lutes, outre le comics objet de cette review, n'a fait depuis cette période qu'essentiellement les 19 épisodes publiés à ce jour de son exceptionnelle série "Berlin" (objet d'une future review, d'ailleurs).
Pourtant les qualités de Lutes, notamment graphiques (avec un dessin très proche de la ligne claire franco-belge... ce qui n'est pas étonnant : Lutes est fan de Tintin ^^), font de cet artiste quelqu'un de précieux dans le domaine des comics. Il a aussi un talent, je trouve, pour dessiner les paysages urbains et les bâtiments, ce qui pourrait le rapprocher (de ce point de vue là) d'un Chris Ware (Jimmy Corrigan, Building Stories), autre auteur d'exception !
Bon et ce "Jar of Fools" ? Il s'agit d'une mini-série de deux épisodes, de 70 pages chacun, dans laquelle nous suivons 5 personnages dans leurs tentatives respectives pour s'évader de leurs problèmes...
Nous avons tout d'abord Ernie Weiss, un prestidigitateur qui essaye d'oublier le suicide de son frère (qui le hantera tout le long du comics, jusqu'à la libération finale) en se réfugiant dans l'alcool... Il rate ses tours, ne peut plus payer son loyer et se retrouve condamné à animer (médiocrement) des goûters d'anniversaire.
Ensuite, Flosso, le mentor d'Ernie. Vieux petit bonhomme, un poil sénile, il s'évade de la maison de retraite pour oublier qu'il vit déjà dans le passé.
Nathan Lender, quant à lui, est un malfrat qui escroque les gens (par des arnaques relevant presque de la prestidigitation)... pour nourrir sa fille, Claire... Ils vivent tous les deux dans leur voiture, sous un pont autoroutier.
Enfin, Esther est une serveuse qui s'emmerde dans son boulot, qui s'ennuie avec son copain et qui ne comprend toujours pas pourquoi son ex l'a larguée... Il s'agissait d'Ernie ^^
Tout au long de "Jar of Fools", nous allons assister aux différentes tentatives (toutes placées sous le signe de la magie) de nos héros pour s'évader.
"Jar of Fools" #1 commencera avec l'évasion de Flosso de sa maison de retraite. Il ira chez Ernie, qui ne va pas fort, et l'aidera à travailler ses tours de magie. Il est toujours hanté par la mort de son frère. Tout comme Esther qui a une longue conversation (particulièrement touchante) avec un potentiel candidat au suicide (mais on n'en saura pas plus) sur le pont duquel le frère d'Ernie s'est jeté.
Esther ne comprend pas pourquoi Ernie ne veut plus la voir et Ernie lui manque terriblement.
Aussi quand son chemin croise celui de Nathan Lender qui, à l'aide d'un tour de passe-passe, l'arnaque sur le rendu de la monnaie (Esther est serveuse), elle pète un câble et, à défaut de pouvoir taper sur Lender, frappe un passant dans la rue ^^
C'est à ce moment où elle décide de s'évader de son quotidien et de prendre la poudre d'escampette.
Enfin, quand les infirmiers de la maison de retraite dont Flosso s'est évadé cherchent à le récupérer, Ernie s'enfuit en compagnie du vieux dans la voiture de Lender qui passait par là par "hasard" (il sait qu'Ernie est magicien pour l'avoir rencontré en début d'épisode).
Dans "Jar of Fools" #2, nos héros vivent tous sous un auto-pont (même Esther qui finira par les rejoindre) et tandis que Claire s'entraîne à devenir magicienne avec le vieux Flosso, Nathan prépare une arnaque pour régler définitivement ses problèmes et Ernie doit lutter contre ses vieux démons et exorciser la mort de son frère, le tout pour récupérer Esther.
On aura une fin douce-amère où chacun des héros, à sa manière, va mettre un terme à sa fuite de la réalité.
Cette mini-série a eu un fort succès critique et un petit succès commercial. Graphiquement c'est parfait. Il y a d'ailleurs un véritable sens de la mise en scène dans l'agencement des planches qui fait bien penser à celui d'un film.
Les personnages sont tous touchants, dans leurs faiblesses comme dans leurs forces, et l'histoire, somme toute banale, est mise en valeur par la magie de la prestidigitation (d'ailleurs la magie est une obsession chez Lutes : dans "Berlin" le petit David collectionne les affiches de Harry Houdini et veut devenir magicien & Lutes a écrit une biographie de Houdini).
Que dire d'autre ? Il existe une édition française publiée chez Delcourt qui se trouve assez facilement à vil prix. C'est un must-read (tout comme le "Berlin" de Lutes) absolu.
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