Le vieil homme soupira dans son fauteuil qui donnait sur une large cheminée désuette où brûlaient d'imposantes bûches de bois. L'air était chaud, dépourvu de toute humidité pourtant de saison, et parfois l'on entendait craquer le bois qui se consumait dans de larges flamboiements. A côté de l'homme trônait un guéridon sur lequel reposait un coffret soigneusement ouvragé, une main noueuse sur son couvercle fermé.
La double porte qui menait à la bibliothèque s'ouvrit, laissant échapper le rire d'enfants qui découvraient un sapin lourdement décoré. Un jeune homme entra et ferma la porte, étouffant tous les joyeux bruits d'une vie qui s'émerveille de la beauté d'une fête immortelle. L'homme avait une trentaine d'année tout au plus, les cheveux d'un rouge flamboyant. Le vieil homme tourna son visage fatigué vers lui et lui lança un léger sourire.
A chaque Noël, son père était ainsi. Il s'isolait à une heure très précise avec sa boîte, devant un feu de bois et du haut de ses cheveux gris dont la couleur rouquine de jadis était définitivement passé, il se remémorait quelque souvenir qu'il ne partageait pas ou très peu. Un jour de Noël, où, à cette heure précise, il avait reçu le cadeau le plus impromptu de son existence.
- Fin de la méditation ? lui lança-t-il avec humour.
- As-tu lu les journaux de 2019 fiston ? répondit le paternel avec une mine sombre.
La question surprit. Le vieil homme tendit un journal, jauni et usé. Froissements dans la quiétude des lieux tandis que le fils regardait la une et lisait quelques paragraphes au hasard.
- Papa... soupira le jeune homme.
Tu n'y es pour rien.- Au contraire. Cet homme dont tu lis les... les horreurs, c'est... c'était moi ! se lamenta-t-il.
- On en a déjà parlé et... tu as fait amende honorable. Depuis combien de réincarnation essaies-tu de corriger tes...- Tu ne comprends pas fils ? Ce... Rien ne rachète tant de vies, tant de chaos, tant d'exactions ! Je... chaque Noël j'essaie fils, j'essaie de croire que j'ai réussi à m'amender. Mais quelque part dans le Temps, il reste ce monstre qui a servi les Nazis, qui a mis l'Europe à feu et à sang, qui après cela va... je... tu n'imagines pas ce qu'il va faire, ce qu'il a prévu et... Soudainement, l'horloge de la bibliothèque sonne et la porte s'ouvre immédiatement. Les deux petits-enfants de Degaton viennent courir et se battre pour une place sur les genoux de papy. La vision de ces enfants souriants, de la vue de son fils qui prend ente ses bras son épouse et le cadre photographique de la femme qui a accepté de l'aider dans sa rédemption jusqu'à sa mort lui arrachent quelques larmes de joies, mais aussi de culpabilité. N'était-il pas un vil imposteur d'ainsi profiter d'un calme et d'une sérénité dont il avait privé tant de gens ? De quel droit pouvait-il vivre ces temps de bonheur ? Certes, il avait alimenté des œuvres caritatives, certes il avait joué les bons samaritains au travers du monde pendant ces nombreuses années qui lui avait été offertes. Mais et après ?
Son fils, conscient de son état, fit sortir sa famille et laissa encore son père seul en annonçant qu'il y avait des chocolats à trouver dans le salon.
Degaton, de nouveau seul, porta une main au coffret qui trônait encore près de lui, réfléchit, longuement et se décida à l'ouvrir.
Il avait peur. Peur de cet étrange masque, peur de ce qu'il allait lui révéler. Et si, en mettant ce présent qu'il conservait depuis de longues années et de nombreuses réincarnations il ne voyait pas ce qu'il espérait. Et s'il lui montrait tout ce qu'il haïssait, s'il lui faisait comprendre que la mort, les meurtres et la destructions formaient ses "bons souvenirs" ? Et s'il savait qu'à sa mort, il se réveillerait en 1944 et sombrerait de nouveau dans une vie de crime ? Et si, en réalité, cette pause de quiétude n'était qu'un indicent dans la trame de son existence ?
Mais il avait trop attendu. Depuis trop d'années il essayait de vivre dans le déni et chaque Noël n'était qu'une tentative désespérée de fuir une réalité trop lourde à porter. Une profonde inspiration lui donna la force de soulever ce masque... et de le porter...
Lorsqu'il l'enleva. De sincères larmes de joie inondaient son visage. L'espoir lui était offert. Il se leva, s'aidant de sa canne, alla jusqu'à un secrétaire et sortit une lettre préparée depuis de longues années dans laquelle il glissa finalement des coupures de journaux soigneusement sélectionnées.
Il profita d'un bon et copieux repas avec sa famille, dans la chaleur d'un salon et l'amour de ses proches, avant d'aller dans son grenier, retrouver dans un vieux coffre cet abomination qu'il avait gardé. C'était un mauvais souvenir malgré toutes les bonnes choses qu'il avait tenté de faire avec, cela restait un objet de ses errements qui lui auraient normalement valu un procès pour Crime contre l'Humanité, mais c'était avant bien des évènements.
Il grimpa difficilement sur ce disque métallique, équipé d'un lourd manteau rembourré, de sa canne et de sa lettre et s'en alla dans le Time Stream.
Pour apparaître devant une tombe. Celle du Docteur "Fate" Kent, pour y déposer son pli, à l'adresse d'un jeune prodige qui en ce décembre 2019 allait lui faire un cadeau qui allait le bouleverser plus qu'il ne l'admettrait avant un bon bout de temps.
Dans cette enveloppe, une lettre, rédigée de la main même de Degaton.
- Spoiler:
"
Monsieur Nassour, ou plutôt Docteur Fate,
Je vous rassure de suite, mon homologue de 2019 ignore tout de votre identité et continuera de l'ignorer pendant encore des décennies. Ce n'est qu'au terme d'un bouleversement sans pareil que vous aurez révélé cette identité et je prie le Ciel que vous n'ayez pas à le faire prématurément.
Je m'adresse à vous, pas en tant que criminel, pas en tant qu'ennemi, mais en tant que débiteur. Vous m'avez sauvé docteur, d'une façon que peu de personne peuvent imaginer, et encore moins mes anciens adversaires de la J.S.A. Je ne puis trop vous en dire sans bouleverser de façon irréparable la chaine de causalité, mais je tenais, par ce simple billet, à vous remercier et à vous prier, instamment de ne pas abandonner ce monstre que j'étais, que vous côtoierez sans doute plus qu'il n'est raisonnable de le penser et vous aurez envie de tuer, comme moi-même parfois j'ai eu envie de le faire.
Mais ç'eut été priver un temps l'Humanité de mon sincère repentir et de l'image qu'un monstre peut être sauvé des ténèbres par la force de Justiciers qui ont foi en une cause plus grande que la vengeance et la violence.
Vous en faites partie et continuerez à en faire partie.
Je joins à cette lettre quelques photographies de votre avenir. Celles-ci vous montreront certains de vos exploits - parfois mineurs - mais aussi et surtout ceux qui ont forgé une destinée héroïque et qui ont poussé les générations futures à vous appeler à juste titre "Docteur Fate". Je me suis permis d'en extraire les éléments trop dangereux pour la causalité de notre flux temporel.
Croyez en vous, monsieur Nassour. J'ai pour ma part foi en ce que l'Humanité peut devenir si elle a des héros de votre trempe.
Degaton du futur.
"
Puis, remontant sur son disque, il retourna dans son grenier où il n'y avait plus rien.
Fronçant les sourcils, le vieil homme descendit dans le salon où tout était en ruine. Son fils, son épouse, ses petits-enfants, plus rien n'était là. Il se dirigea mécaniquement vers la bibliothèque poussiéreuse, puis vers le petit salon où se tenait un homme, tout de noir vêtu, deux bottes luisantes, un brassard au bras.
- Degaton, salua le vieil homme.
- Degaton, répondit le plus jeune en se tournant vers lui, le regard plein de cette hauteur épouvantable qu'il haïssait.
- Je devrais disparaître... s'étonna le premier.
- Seulement si un paradoxe est causé par notre rencontre. Et ce n'est pas le cas, répondit le second.
- Je vois, fit l'homme dont le visage se recouvrait de larmes.
Tu m'as déjà tué mais le Time Stream ne m'a pas encore rattrapé...- Exact.Il regarda ses mains aux travers desquelles il pouvait voir. Relevant son regard noyée, il lui lança en sanglotant.
- Tu as toujours été ma malédiction...Puis son corps disparut, avec lui la vie d'exception qu'il s'était forgé dans son martyr. Le jeune Degaton poussa un soupir de mépris.
- Indigne d'être un Degaton...Et il se transporta dans le flux temporel, retournant à sa vie inhumaine.
Pour certaines âmes forgées dans les flammes de l'enfer, il n'y avait aucune issue, aucune fin heureuse. Le poids de l'Histoire comme ultime fardeau, saurait-il seulement un jour se libérer de lui-même ?
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Merci pour ce magnifique cadeau, j'espère que le mien te plaira même s'il est plus classique !
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