[6ML] 5 & 1/2

Elle n'avait pas ressenti ça depuis une éternité. Le vide. La peur. La sensation qu'un truc incroyablement horrible allait se produire et que rien, rien de ce qu'elle pourrait faire ne lui permettrait d'y échapper.

Comme se retrouver nue dans la paume d'un Dieu vivant.

Pourtant tout cela avait commencé d'une manière beaucoup plus anecdotique...


Un courriel adressé par ses parents adoptifs, les Hayden, sur sa messagerie électronique. Un courriel qui lui forwardait un message qu'ils avaient reçus d'une vieille amie, habitant désormais la Virginie Occidentale avec son mari et ses deux enfants.

Cette dernière y parlait de sa maison, une jolie petite maison récemment achetée, pour y vivre avec ses deux enfants et son mari, Will, espérant que le changement de décor allait souder à nouveau un couple qui s'était quelque peu délité avec les années.

Car les professions de Karen et de Will les amenaient souvent à vivre loin, l'un de l'autre.

Jade avait parcouru la correspondance, se demandant bien en quoi tout cela la concernait. Il y avait là un long exposé - certes bien écrit et assez poignant - de la vie qu'avaient mené jusqu'à présent Karen et Will mais...

... tout cela n'indiquait pas pourquoi ils semblaient avoir besoin d'une héroïne verte ?

Jade était allée se servir un verre de vin et le buvait négligemment quand une phrase attira son attention.


Elle la relut plusieurs fois et essaya d'y trouver un sens mais n'y arriva point. Une erreur de frappe ? Mais pourtant le message était impeccablement rédigé, sans faute ni erreur de syntaxe. Un canular ? Une farce ? Mais pourquoi ? Dans quel but ?

Elle reprit sa lecture et tomba sur autre chose. Autre chose qui confirma sa première impression.

Pourtant tout cela n'était que de l'écrit. Un mail. Et par écrit et par la puissance de son imagination, on pouvait dire beaucoup de choses qui n'étaient pas vraies.

Mais au fond d'elle, elle savait que tout cela était la sinistre et terrible réalité. Comme si elle accédait à des souvenirs qui n'étaient plus les siens. Comme si le ciel s'était déchiré et qu'elle y avait vu le sourire rieur d'un Dieu facétieux. Comme si elle avait pu voyager dans le canal de Dieu et revenir.

Elle prit une longue inspiration. Ouvrit le tiroir de son bureau et en sortit une cigarette qu'elle alluma.

Puis, longtemps après que la flamme ait fini de consumer le tabac, elle prit son téléphone. Et l'appela.

"Allo, Karen ?"


Elle lui avait donné rendez-vous chez elle. Chez lui, ça n'aurait pas été possible. Entendre ce fichu répondeur une fois de plus, c'était déjà une épreuve. Mais en plus être dans la même pièce que Jessica ou que ses affaires à elle. C'était au-dessus de ses forces.

Chez elle. Ouais. Comme la fois où il était venu pour enlever Julian. C'était pas non plus l'idée du siècle mais bon...

Elle avait essayé de s'attifer correctement un minimum. Elle avait mal dormi et ses cauchemars, qu'elle n'arrivait pas à décrire autrement que par impressions et sensations, la perturbaient...

Quel était ce puits ? Et ces gens, gris, las, usés qu'attendaient-ils ?

Et, elle, qu'aurait-elle fait ?

Et cette phrase, en rêve... "Ceci n'est pas pour vous".

Elle entendit la porte sonner. Ray, surement. Elle lui avait juste dit, sur le répondeur : "Viens. Demain dans la matinée. C'est important. J'ai besoin de toi, Ray, par pitié viens. Je sens que tu dois être là".

Elle avait l'air d'une folle. Il avait du la prendre pour une folle. De jalousie, de dépit, tout cela. Mais tout cela n'avait plus d'importance et n'en aurait peut-être jamais plus.

Car ça venait de sonner. Elle enfila ses pantoufles, comme elle l'aurait fait avant, avant de lire le message de Karen, avant les cauchemars et ouvrit la porte...

"Salut" lança-t-elle, le regard un peu fou, un peu mort, de celle qui oscillait entre le sommeil et la démence.

Ray ne pouvait que remarquer que les gestes de Jennie étaient trop rapides, trop saccadés. Elle n'était pas seulement nerveuse : elle était en terreur panique. Et elle ne cherchait même pas à le dissimuler.

Elle alla s'asseoir sur un coin de son canapé et invita Ray à faire de même, tout à l'autre bout.

Elle se passa la main dans les cheveux et commença d'une manière un peu décousue.

"Je... C'est comme la dernière fois à Paris avec Question et..."

Elle avala sa salive, prit une grande inspiration, contempla un instant ses pieds et ajouta :

"Sauf qu'à Paris, je ne me souviens pas de comment ça c'est terminé. Je veux dire. Je n'ai aucun souvenir à partir du moment où on a glissé dans l'autre univers et... voilà, le rideau est tombé et je ne sais pas comment tout cela s'est terminé et je suis persuadée... Non. Je suis sure. Je suis sure qu'il en est de même pour toi et pour Question"

Jade soupira et attrapa la bouteille de vin rouge à moitié terminée qui traînait sur la table basse. Elle chercha un verre propre, se saisit d'un sale et se remplit nerveusement un verre.

Elle reprit plus doucement.

"Des amis à mes parents ont besoin de mon aide. Pour démêler un problème... architectural"

Elle buta sur ce mot. Voulut glousser comme une démente mais se ravisa. Et avala son verre. Elle poursuivit entre deux rires nerveux :

"Tu... Tu sais, une fois que tu auras parlé à Karen, tu auras juste envie de boire et de te mettre en boule et de mourir, là, sur place..."

Elle posa le verre maladroitement. Tellement qu'il tomba sur le petit tapis de sol, faisant une belle tâche de vin rouge.

"Je... J'ai lu le courriel de Karen et de Will. J'ai... J'ai appelé Karen. Je... Elle ne ment pas. Et... cette phrase..."

Jade mima une sensation d'étouffement. Comme si des mots demeuraient bloqués au fond de sa gorge, à la manière d'un cri cherchant une bouche pour l'exprimer.

"Sans compter le rêve. Le rêve ou la vision d'un futur, je sais pas mais..."

Elle se rendait bien compte que tout cela n'avait aucun sens et que Ray, aussi gentil qu'il soit, allait finir par claquer la porte et laisser tomber mais...

"Je veux pas aller toute seule là-bas. Je... J'ai peur, Ray. J'ai peur comme je n'ai jamais eu peur. Et... là bas, ils ont emmené un scientifique, il y a même un explorateur, des types qui vont dans des grottes et tout et tout mais... Je le sens très, très mal"

Jade baissa les yeux et admit son impuissance.

"Tu es le type le plus courageux et le plus malin que je connaisse. Et même perdu au fin fond du temps tu as réussi à revenir alors..."

Elle leva à nouveau la tête et conclut :

"... tu sauras nous ramener de là-bas"

Le voyage dans les fils du téléphone, c'est une expérience à vivre. Quand on est réduite à une taille subatomique (ou seulement atomique ? Elle n'en savait rien...) et que l'on commence à adopter un comportement et des mouvements quantiens, quand les particules deviennent ondes et que les ondes sont particules, quand - soit même - on adopte une vitesse et une position non clairement définies...

... et que la pensée file comme du mercure à travers les câbles électriques alors tout peut arriver et advenir !

Mais Jade réalisa alors à quel point elle était nulle et peu héroïque face à un Atom dont l'assurance en de pareilles situations n'avait d'égale que sa modestie le reste du temps.

Car, clairement, pour démêler le problème de Will et de Karen une héroïne verdâtre ne suffirait pas.

Et pour le reste, "elle" "ferma" ses "yeux" et "se" laissa porter par l'influx électrique... se demandant bien quelle tête feraient les gens à l'autre bout du téléphone quand elle surgirait en compagnie du plus valeureux des micro-héros...


Quand Karen Navidson décrocha l'appareil et qu'elle n'entendit que de la friture, elle était loin de supposer que pourraient jaillir du combiné des versions réduites de Jade et d'Atom.


C'est pour cela d'ailleurs qu'elle poussa un cri strident.

Peut-être un peu trop strident, un peu trop effrayé. Et un peu déplacé par rapport à l'endroit où il avait été poussé. Car Atom et Jade étaient dans la cuisine d'une petite maison bourgeoise. Il ne manquait rien à ce tableau. Même pas les dessins des enfants fixés par des aimants sur la porte du frigo.

Mais Karen avait crié.

Et surtout quand les deux héros reprirent leur taille, Karen continuait à trembler. Comme une feuille. Les yeux terrorisés même si elle savait que le danger attendu - quel qu'il ait pu être - n'avait point survenu.

Car aussi fascinant et étonnant que puisse être un héros voyageant dans les fils du téléphone, ce n'était pas de ça dont Karen avait peur.

Jade voulut ouvrir la bouche et expliquer que tout cela était plus rapide, plus économique, que cela permettait d'être plus tôt sur place mais...

... Karen se contenta de se laisser choir sur son fauteuil, soupirant comme si sa vie n'était devenue plus qu'une suite de terreurs et de frayeurs, terreurs et frayeurs ne faisant qu'office d'amuse-gueule face à la véritable horreur qui allait bel et bien finir par arriver.

Atom et Jade, à ses yeux, n'étaient que des guignols en costume. Voilà tout. Tout juste bons à attraper d'autres types déguisés.

Ses longs doigts allèrent chercher dans un paquet entamé une cigarette que Karen alluma en tremblant.

"Bon, j'imagine que si Jennifer vous a ramené c'est que vous devez être le spécialiste de ces choses là..."

Elle se passa la main dans ses cheveux blonds et soupira à nouveau.

"Des spécialistes, tous des spécialistes... Dans la maison, hors de la maison, dans le couloir..."

Karen se mordit les lèvres et répéta, un peu désorientée.

"Dans le couloir, oui..."

Karen eut un sourire attristé, Jade ne disait rien.

"C'est vraiment un truc de garçons ça, d'être spécialistes... Mais j'imagine que vous pourrez en parler aux autres. J'veux dire... j'arrache la tête de Will s'il retourne là-dedans..."

La voix de la femme se fit plus cassante. Ce n'était pas des paroles en l'air.

"VOUS COMPRENEZ ? WILL N'IRA PAS. IL A PROMIS !"

Elle criait. Elle était fébrile. Elle...

... s'excusa en écrasant sa cigarette dans le cendrier.

"Je. Je dois vous sembler folle, M'sieur Atom. Je..."

Elle lui décocha un sourire. Un sourire irrésistible qui illuminait un visage bien fatigué.

"Je lui ait dit. Quand tout cela s'est confirmé. Qu'il faudrait foutre le feu à cet endroit et aller ailleurs. Mais... c'est un "spécialiste", comme vous tous et..."

Karen marqua une pause. Jade n'osait pas la regarder en face. La tension était palpable.

"A votre avis, comment une maison peut-elle être plus grande de l'intérieur que de l'extérieur ? Hum ? Et quand une porte qui n'était pas là apparaît à votre retour de vacances, vous en dites quoi ?"

La voix de Karen manqua de se briser. Elle était au bord de la crise de nerfs. Dans un dernier effort, elle lança :

"Je... Je suis sure que vous allez avoir des questions. Posez-les. Posez-les par pitié..."

"Je... A Seattle, pourquoi ? Je..."

Elle bafouillait. Elle ne savait plus trop où elle en était. Et... quoiqu'elle puisse en dire, elle avait besoin de remettre son sort dans les mains d'un autre qu'elle.

Karen prit une grande inspiration et ajouta d'une voix un brin cassante :

"Oui, c'était très bien. En fait, c'était nos plus belles vacances avec Will depuis... notre mariage, en fait. On s'était mis d'accord, ensemble, pour qu'il change sa façon de vivre et qu'il soit plus souvent présent ici, pour les enfants, pour moi"

Une larme se forma au coin de l’œil de la femme. Ce souvenir heureux était trop pour elle, pour là, pour maintenant.

Mais le plus dur avait été fait. Elle se moucha bruyamment et poursuivit :

"Et c'était là, à notre retour"

La voix était devenue lasse. Karen se redressa de son fauteuil et emmena Jade et Atom hors de la cuisine, dans le hall d'entrée.

Depuis, le hall d'entrée, Karen franchit une ouverture qui mena ses invités dans un petit salon. Ce salon comportait une baie vitrée dans le mur nord et qui donnait sur le jardin et trois portes.

L'une d'elle donnait sur un placard.

Une autre donnait sur la chambre d'amis.

La dernière était dans le mur nord.

Ce même mur qui donnait normalement sur le jardin.

Karen voulut approcher la main de la poignée de la porte mais renonça.

Elle tremblait.

"C'est... C'est cette porte qui n'était pas là"

Elle avala sa salive, péniblement, et ajouta :

"Et là, avec Will, on a cessé de comprendre... car comment une porte qui n'était pas là avant nos vacances pouvaient être là ? Une porte qui donnait, d'ailleurs, sur un placard ?"

Karen regarda d'un mauvais œil ladite porte. Et conclut :

"Will a mesuré la maison. Ça ne collait pas. Il a demandé à son frère, Tom, de venir la mesurer. Les mesures étaient également farfelues. Il a fait venir un expert d'une université qu'il connaissait, un ami... ça ne collait toujours pas"

Karen soupira et regarda les héros :

"La maison est plus grande de l'intérieur que de l'extérieur. Elle l'a - il semblerait - toujours été. Même sans compter cette porte qui ne contenait - d'ailleurs - dans un premier temps qu'un placard..."

On toqua à la porte, Karen sursauta de nouveau. Elle quitta le salon pour laisser Jade et Atom à leur contemplation de la porte du placard...

"T'as une idée de ce que ça peut être ? Au Pacte de l'Ombre, on connait le portail qui apparaît n'importe où pour nous amener à l'Oblivion Bar mais..."

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'un homme d'une cinquantaine d'année, barbu, au visage émacié et grave apparut.

"Je suis Will Navidson. Je vois que ma femme vous a appelé"

Il dévisagea de la tête aux pieds les aventuriers et ajouta :

"Nous n'avons pas besoin de votre aide. Nous..."

Il n'avait pas l'air ravi de la présence de Jade et Atom. Mais Karen le fusilla du regard et quitta la pièce en trombe. Visiblement leur couple n'était pas au beau fixe.

Will soupira et se détendit quelque peu. Il finit par admettre :

"Je... Je ne sais plus quoi faire. Et quand un homme n'est plus capable de comprendre les choses qui se passent dans sa propre maison, c'est que tout va mal. Je... J'essaye de monter une expédition mais... devoir en référer à des zozos costumés ?"

Nouveau soupir. Nouveau regard désolé.

"Je suis navré de ma saute d'humeur. Sincèrement"

Navidson parut méditer la réponse à donner aux propos d'Atom puis... se contenta de lui serrer la main en disant :

"Will Navidson. Photojournaliste. Enchanté, Monsieur Palmer"

Puis, il ajouta :

"Et appelez-moi Will. Ou Navy. Monsieur Navidson c'est pour mon éditeur et mon avocat uniquement"

Il se passa la main dans les cheveux et alla s'asseoir sur un fauteuil. Karen alla se positionner instinctivement derrière lui, comme inquiète de ce que son mari pourrait dire.

"Je... Je vous remercie. Effectivement, j'ai essayé de réunir un certain nombre d'experts pour tenter de réaliser une quatrième expédition dans..."

Will marqua une pause. Jade frissonna.

"... le couloir"

Il soupira. Jade se permit de questionner :

"Une quatrième ?"

Karen serra les dents, voulut dire quelque chose, mais s'excusa et partit s'allonger. Visiblement le sujet était sensible.

"Ouais..."

Navidson se prit la tête entre les mains et poursuivit :

"La première fois, c'est quand on a découvert cette porte. Je l'ai ouverte et j'y suis entré. J'y suis resté quelques instants. C'était un couloir, voilà tout. Juste qu'il n'aurait pas du être dans cette maison"

Il toussa et observa de ses yeux fébriles les héros.

"La deuxième fois, j'y suis retourné seul, de nuit... Le couloir avait changé. Au fond de celui-ci, il y avait un autre couloir qui bifurquait sur la droite. Et une série de pièces. Et... quand j'ai fait demi-tour pour ressortir... je me suis heurté à un mur. Tout avait changé. J'ai paniqué. Appelé. Couru. Avant de finalement voir avec satisfaction - au bout d'un temps incertain - la sortie et derrière ma maison..."

Navy secoua la tête.

"Karen m'en veut énormément pour cette exploration là. Elle ne m'a plus du tout adressé la parole pendant quelques jours. Quant à la troisième expédition..."

Il soupira.

"Avec mon frère, Tom, et un ami ingénieur, Billy, nous avons tenté d'explorer méthodiquement le couloir. Force est de constater, en revanche, que pour aller plus loin, nous allions avoir besoin de matériel supplémentaire mais surtout de gens formés à la spéléologie. Billy a admis, également, être un peu juste scientifiquement parlant pour faire tous les tests et analyses nécessaires. Mais la troisième expédition nous a révélé que le couloir donne sur un labyrinthe de pièces plus ou moins identiques avant de donner sur un gigantesque vestibule donnant lui-même sur un immense escalier s'enfonçant dans les tréfonds de..."

Sa voix se voila. Il s'arrêta. Et ne reprit pas. Il ajouta seulement :

"Voilà pour les trois premières expéditions. Je ne compte pas les enfants ou le chat... Je..."

Il s'arrêta. Il était troublé. La situation était troublante. Et cet homme, aventurier-reporter de son état, semblait démuni par rapport à l'ampleur de la situation.

Démuni. Mais terriblement excité.

Il termina :

"La quatrième expédition est pour demain. J'ai promis de ne pas y aller et... je n'irai pas. Mais êtes-vous prêts à y aller avec Billy et les autres ?"

Pour Jade, c'était comme assister au tournage d'un film. Elle était assise et écoutait Karen puis Will puis Atom. En tant que spectatrice, en tant que figurante, en tant qu'actrice - éventuellement - au repos, dans l'attente de sa grande scène.

La porte débouchait sur un couloir qui débouchait sur des pièces qui débouchaient sur un vestibule qui débouchait sur un un escalier qui...

La maison dans la maison n'était pas l'Oblivion Bar. Jade le précisa pour Atom.

"Le passage vers l'Oblivion est toujours instantané et n'est ouvert qu'un court moment, pour permettre celui qui y a été invité de s'y rendre. Et l'Oblivion est... pour le moins, animé"

Elle parlait à voix basse comme pour ne pas réveiller la Maison, elle-même... car si, comme elle le pensait, tout cela résultait du rêve de la maison, qu'est ce que cela pourrait être si celle-ci venait à se réveiller ?

Jade frissonna et se leva. La porte l'attirait. La porte l'hypnotisait. Elle comprenait comment un baroudeur comme Will Navidson avait pu se laisser fasciner par cette énigme. Même attaché à une famille et à un terrain, Will avait voulu revivre la grande aventure, c'était dans son ADN...

Elle soupira. Et acquiesça aux paroles d'Atom.

"On y va cette nuit quand ils dormiront. On y va avant leur petite expédition et... on fait notre boulot"

Mais clairement, Jade racontait ça comme elle aurait pu le faire si, condamnée à mort au moment de marcher vers son rendez-vous avec une injection létale, elle avait voulu se donner du courage.

Ceci n'est clairement pas pour elle.


Chez les Navidson, on s'est couchés assez tôt et relativement fâchés. Les enfants - Daisy et Chad, âgés d'un peu moins de 10 ans - ayant fait l'essentiel de la conversation à table, surtout Daisy qui ne semble jamais s'arrêter de parler, essentiellement pour répéter les fins de phrase des autres... Chad, plus taciturne, semblait également aller mal : refusant de manger son assiette, crispant son poing autour de sa fourchette, bref...

Les Navidson allaient mal, très mal.

Karen et Navy, d'ailleurs, n'avaient du s'échanger qu'une dizaine de mots, conversant essentiellement avec leurs invités.

Ce moment pénible passé les adultes s'étaient retirés dans leur chambre ainsi que les enfants. Puis, la maisonnée devint rapidement inerte, les lumières s'éteignirent et...

... il était temps d'agir.

Finalement, ils se retrouvèrent devant le petit salon dont la façade nord contenait... la fameuse porte.

Jade avait préféré garder sa tenue civile pour traverser la maison. Et plus exactement son pyjama, ses mules et une robe de chambre. Il était inutile d'alerter inutilement les autres sur leur projet s'ils venaient à se réveiller et à les surprendre marcher en direction de la porte...

Au seuil de cette dernière, elle eut comme un moment de flottement. Elle regarda Atom et lui lança un regard qui voulait dire... On y va.

Et elle posa sa main sur la poignée, la fit tourner et ouvrit la porte...


... elle fit quelques pas et se rendit bien compte que Will Navidson avait parlé juste : il s'agissait bien d'un couloir. D'un couloir qui semblait s'avancer sur quelques mètres mais en l'absence de toute lumière il était peu évident de se rendre compte, la nuit était claire et par les fenêtres de la maison la pleine Lune permettait d'y voir à peu près bien... mais passé quelques mètres, dans le couloir, on y voyait rien...

Jade tenta d'utiliser la phosphorescence de son pouvoir mais... rien.

Elle plissa les yeux et essaya de se concentrer un peu plus mais... toujours rien.

Jade paniqua. Puis, elle ne sut trop pourquoi, elle avança sa main de son visage.

Sa paume était rose. Couleur chair. Pas verte. Elle n'était plus verte. Ses cheveux étaient bizarres au toucher mais elle aurait pu parier qu'ils... étaient en fait redevenus comme avant.

Elle n'avait plus ses pouvoirs dans le couloir.

Et Atom non plus. Si ce dernier essayait de sortir du couloir et de retourner dans la maison, il pourra réaliser que ses pouvoirs reviendront instantanément (comme ceux de Jade ainsi que la couleur verdâtre de sa peau et de ses cheveux).

"Mais quel est cet endroit ?"

Les murs du couloir étaient tapissés d'une papier peint usé, qui se décollait par endroits. Sous leurs pieds... du plancher ancien dont le craquement était comme... estompé.

D'ailleurs, les paroles de Jade prononcées dans le couloir avait résonné de manière bizarre. Comme si tous les bruits étaient de même... estompés.

Jade voulut utiliser la lumière de son portable mais... ce dernier s'était éteint alors qu'elle était persuadée de l'avoir chargé. En revanche, la montre à son poignet - qui était une vieille montre à pile, sans une once d'électronique, fonctionnait... peut-être la petite aiguille semblait quelque peu asthmatique mais elle fonctionnait.

Et puis... il faisait un peu froid ! Comme s'ils avaient perdu 10 bons degrés d'un coup !

"Ray... ça signifie quoi tout ça ?"

Le couloir éclairé par la lampe est inquiétant. Et paraît être infini. Il ne s'agit pas seulement d'une erreur de menuiserie - comme aurait pu le suspecter au début Navidson - mais bel et bien d'un monde s'étirant de manière illimité (du moins le paraît-il)...

... mais un monde vide, froid et usé. Car le motif au sol ne semble jamais changer, parce que le papier-peint sale est toujours le même... car la réalité de ce couloir est qu'il représente un vide infini...

Jade a eu comme une absence. Elle ne sait quoi dire. Elle ne sait trop sur quoi se focaliser. Il fait froid. Sa peau est blanche. Atom donne des conclusions qui ne sont la verbalisation que de ce qu'elle sait déjà au plus profond de son âme.

Ceci n'est clairement pas pour elle.

Spontanément, sans y réfléchir, elle attrape la main de Ray. Bien qu'elle n'a pas encore tout à fait digérer leur relation, aujourd'hui - dans cet endroit étrange et désolé - cela n'a plus d'importance.

Elle ouvre la bouche et se rend compte que les sons se propagent différemment. Ils sont plus étouffés. Elle a du mal à reconnaître sa propre voix quand elle dit :

"Navidson a parlé d'une série de pièces au bout du couloir. Puis, après ces pièces, d'un vestibule et d'un grand escalier..."

Elle s'arrête, peu habituée à parler de cette manière. Peu habituée à être dépossédée de ses pouvoirs. Peu habituée d'être aussi exposée.

Elle prend la main de Ray et le tire vers l'avant. Elle est décidée à explorer les lieux. Même si son absence de plan équivaut à un suicide, elle sent au fond d'elle même qu'elle est attirée par cet endroit comme la phalène par la lumière...

Après avoir avancé d'une dizaine de mètres et avoir bifurqué une fois sur la gauche (mais Navidson n'avait-il pas parlé d'une bifurcation à droite ? Sauf que le couloir n'a jamais permis de tourner sur la droite...), Ray et Jade se retrouvent devant une porte. Fermée. En posant sa main sur la poignée, Jade va pour l'ouvrir mais un truc la retint...

... une sorte de gémissement, de plainte... Des pleurs d'enfants ? Un grognement d'animal ?

Le son est lointain et étouffé mais il y a une telle distorsion en ces lieux que ce pourrait être n'importe quoi. Sauf que le bruit fait peur : ils ne sont pas seul et la présence est menaçante.

"On ne devrait pas être là. On..."

Jade se sent nue dans la paume de Dieu. Sous un regard scrutateur qui révèle les tréfonds de son âme, les secrets les plus moches qu'elle s'est toujours tue à elle-même...

Elle sent monter des larmes à ses yeux. Elle sent. Qu'elle ne s'en sortira. Pas. Vivante.

Toujours la main sur la poignée, Jade lance :

"Tu sais... J'ai vraiment rien fait pour ma mère. Ni pour mon frère. Ni pour mes coéquipiers. Je... J'aurai du me battre. J'aurais du..."

Elle se sent nulle. Petite et nulle. La culpabilité est comme une cloche de détresse au-dessus d'elle. Elle...

... ouvre la porte.

Une première pièce. Sombre. Vide. Du papier peint usé. Pas de meuble. Personne. Et au bout de la pièce... une autre porte.

Comme une poupée russe, cette maison dans la maison recèle des secrets qui n'en sont pas... mais jusqu'à quand ?

C'est à ce moment là qu'Atom se rendit compte que la pile de sa lampe était en train de faiblir. C'est à ce moment là que Jade lui dit :

"Je crois que ma montre déconne. L'aiguille des secondes est ralentie mais..."

Elle montre son poignet à Ray, sous le jet de lumière débile projetée par la lampe. Pour qu'il voit. Sur sa peau blanche, la montre. Sur la montre, l'heure. Et l'heure...

"... il est dit que ça fait déjà 2 heures que nous sommes là ! Comment est-ce possible ?"

Ceci n'est clairement pas pour elle. Ni pour lui.

De la pénombre presque claustrophobique à la folie et au vertige des grands espaces, il n'y avait - en psychologie - dès fois qu'un seul pas...

... mais celui-ci était normalement strictement mental. Aujourd'hui, il était devenu physique.

Après avoir franchi la seconde porte qui - Jade l'aurait parié - aurait du donner sur une autre pièce identique à la précédente, ils s'étaient en fait retrouvé...

... dans ce désert dévorant et surréel où ils étaient.

Jade n'osa regarder sa montre, ni sa peau, ni quoique ce soit.

Il y avait un truc, gigantesque, gémissant, frémissant, devant eux. Un truc qui violait toutes les règles de la logique et de la physique. Un truc énorme qui était tenu dans les airs à l'aide de bien maigres bâtons (ou bien étaient-ce des entraves pour l'empêcher de s'envoler ?). Un truc qui...

... était vivant et aurait préféré ne pas l'être.

Jade sursauta en voyant le nain à la figure abstraite. Elle sursauta d'autant plus que Ray était en train de flancher. Il était plus blanc qu'un cachet et ça ne signifiait rien de beau quand un super-héros était en train de défaillir...

... mais étaient-ils encore des super-héros privés de leurs pouvoirs qu'ils étaient.

Jade demeura interdite un instant. Le nain leur avait parlé. Le nain au visage flou et indistinct s'était adressé à eux. Le Maître. Vinz (mais qui était Vinz ? Avant d'être une chose torturée et suppliciée ?). La voix du nain étrangement affable et normale. Une invitation qui n'en était pas une.

Elle demeura interdite mais comprit qu'il n'y avait aucun choix. Vraiment aucun. De ce labyrinthe sans issue dans lequel ils étaient entrés, ils avaient été - contre leur gré - convoqués - elle l'imaginait - devant le Maître de ce jeu pervers.

Navidson aurait pu explorer les couloirs changeants des entrailles fictifs de la maison que jamais il ne serait arrivé jusque là...

... alors pourquoi eux ?

Jade voulut poser la question mais se retint. Elle ne connaissait pas les règles du jeu. Elle savait juste que l'échec était impitoyablement sanctionné. Elle passa près de Vinz et lui chuchota doucement :

"Je reviendrais pour toi. Pas comme avec Todd ou mère ou tous les autres. Pour toi, je reviendrais t'aider..."

Puis elle remua ses pieds dans ses mules tant pour chasser la poussière du désert que pour tenter de se reconnecter avec une quelconque réalité. Une réalité où l'on ne suivait pas des nains monstrueux dans un désert en apparence infini. Une réalité où l'on ne faisait pas des promesses que l'on ne pourrait peut-être pas tenir à des créatures que l'on n'imaginait pas un seul instant pouvoir exister.

Le sable. Les mules. Le désert. Un pied après l'autre. Pour le reste, elle aviserait au moment de voir le Maître...

Elle fit signe à Atom de l'attendre. Puis elle lui saisit à nouveau la main. Comme si cette dernière était un abri contre la folie. Un truc encore plus concret et rassurant que la sensation de son propre corps. Comme le dernier rempart de la réalité contre la folie furieuse de ce monde inconnu.

[HJ : Sympa les tableaux ! Je ne connaissais absolument pas le deuxième [mais je suis allée voir sur son site et sur internet] mais c'est vraiment pas mal. Au début, j'avais pensé que ça pouvait être un Francis Bacon que je ne connaîtrais pas, bien que sur les coups de pinceau à l'intérieur de la figure humaine ça me faisait penser à Jackson Pollock... Quoiqu'il en soit, j'ai hâte de voir la suite !

Devant le Maître, devant le robot, aux confins de la raison, mouillant gentiment sur les rivages de la folie furieuse, Jade - une Jade en pyjama et à la peau blanche - et Atom, Jennie et Ray, sommés de s'expliquer...

"Ceci n'est pas pour moi" lança-t-elle, presque machinalement.

"Je..."

Elle demeura interdite un instant. Ne comprenant pas quelles paroles pourraient la sauver, lesquelles pourraient la damner. Elle...

... se lança à la manière dont on se jetterait dans le vide, sa prière faite, son souffle retenu...

"Que faites-vous dans la maison des Navidson ? Pourquoi ce couloir qui n'existait pas ? Pourquoi ce monde est-il connecté avec le notre ? Pourquoi..."

Elle serra un peu plus fort la main de Ray, comme si elle puisait dans ce contact un quelconque courage.

"Je... J'ai compris que vous n'êtes pas patient. J'ai compris que vous étiez quelqu'un de terrifiant et d'implacable... comme une sorte de... Dieu"

Jennie pensait à ce malheureux Vinz et à son non moins malheureux cousin, perdu quelque part dans les entrailles du Maître, attendant de renaître sous la forme indistincte d'un nain effrayant.

"Je... Je veux que tout cela cesse. Je veux que... le couloir disparaisse et que vous quittiez notre dimension. A tout jamais. Je veux... la paix pour les Navidson et pour notre monde. Je veux... que Vinz et son cousin puissent repartir librement et sans qu'il leur soit fait le moindre mal à l'endroit où ils voudront aller. Je veux... Je veux un sauf-conduit pour Ray et pour moi en direction de notre monde à nous. Je veux... tout ça"

Elle était comme possédée. Elle jouait un jeu dangereux. Mais quand on était une divinité omnipotente, le jeu c'était le seul truc qui pimentait la vie...

"Je suis prête à parier ce que vous voulez pour gagner tout cela. Et à le gagner à la loyale, au jeu que vous voudrez !"

Jennie sourit timidement à Ray. Il avait fallu qu'elle le fasse. Maintenant, ils étaient sérieusement dans le pétrin...

"Désolée..." lança-t-elle à Ray. "C'était idiot mais nécessaire. Même si je ne sais absolument pas ce que je fais..."

C'était la faute à Paul Simon et Art Garfunkel, voilà ce qu'on pourrait écrire sur la tombe de Jade, le moment venu.

La folie à l'état pure ou tout simplement... l'a-raison ? Ce malfichu monde où les Maîtres se punissaient sévèrement des erreurs de leurs laquais disposaient de codes et de signes que Jade ne pouvait comprendre.

Elle n'osait d'ailleurs plus rien toucher, se sentant comme une particule à proximité de son anti-particule, craignant de disparaître dans une grande explosion d'énergie si elle ne faisait que frôler de ses doigts l'apparition de l'a-monde.

Les doigts de Ray dans les siens, voilà ce qui la raccrochait encore à sa propre existence. Ses orteils qui se crispaient dans ses mules, voilà un contact rassurant.

Tout cela pour oublier que c'était à elle de sauver ou de détruire tout le monde.

A elle et à Simon & Garfunkel.

Elle tenta de se remémorer la chanson, tentant d'y trouver un indice qui permettra de la libérer et de libérer le monde de toute cette déraison et de ce passage pour le moins terrifiant...

Elle se la fredonna et la fredonna également à Ray et au Maître, comme pour se donner de la consistance dans ce monde qui n'en avait aucun. Cela lui revenait un peu. Des bouts, des bribes. On y parlait de Joe diMaggio sans qu'elle ait jamais trop su le rapport entre le baseball et cette Mrs. Robinson que "Jésus aime plus qu'elle ne le saura jamais"...

"Le Ciel garde une place pour tous ceux qui prient" cita-t-elle. "Et euh... même si elle a caché son secret dans son placard, comme le dit la chanson, elle est certainement au Ciel..."

Après tout, si cela pouvait éviter à d'autres personnes de se retrouver avec un placard qui n'existe pas et qui fout les chocottes ça ne pouvait pas être plus mal.

Mais était-ce cela le mot ? Ou bien... était-ce quelque chose de beaucoup plus simple ?

Elle serra fortement la main de Ray, ne souhaitant pas être ingérée par le Maître ou transformer en naine psychédélique et tenta :

"S'il vous plait ?"

L'expérience cosmico-métaphysique de Jade ne l'avait pas laissée indifférente. Si face aux hurlements de Ray, elle ne put qu'opposer la crispation de ses doigts contre ceux de son ami, elle se sentait comme un cri cherchant une bouche sans succès...

... oui, le traumatisme allait être durable. Oui, les paroles du Maître, sinistres à souhait allaient hanter ses nuits et ses heures de veille. Oui.

Il y aurait toujours une part en elle du Maître et de la folie qu'il dégage. Elle ne pourra plus jamais regarder un placard à balais ou un recoin sombre sans se demander si elle n'allait pas être ramenée à cet endroit, à cet instant.

Avec les cœurs, les fleurs, le cosmos et ses mains jointes en une prière terrifiante.

Dans les ténèbres, elle sentit à nouveau le sol sous son corps. Dans les ténèbres, elle réalisa qu'elle était encore dans l'un de ces passages entre les mondes, l'un de ces couloirs abominables qui violaient toutes les règles de la physique connue.

Avec Ray. Qui la cherchait. Qui cherchait à s'enfuir.

Rampant et sentant bouger quelque chose elle s'y accrocha comme s'il s'agissait de la bouée lancée à une femme se noyant.

Ray. La jambe de Ray. Elle l'agrippa et la serra très fort.

Devant eux, la porte. La porte qui donnait sur l'espace. Le Maître espérait-il trouver dans nos lointains cieux la fameuse Mrs. Robinson ? Ou bien était-il le Dieu créateur qui avait fait toutes choses et admirait par ses couloirs et ses placards - par le petit bout de la lorgnette - sa création pour s'en réjouir et s'en désoler ?

Les convictions les plus profondes de Jade avaient été ébranlées. Et cela, c'était le début de la contamination de ce monde sur elle. Marquée, elle porterait durablement la souillure de ce malfichu monde. Et... quelque part... en elle... il y aurait toujours un petit air d'a-monde !

Ray voulait passer. Bondir à travers la porte. Elle lui lança :

"Me laisse pas seule... On le fait ensemble et..."

Elle avala péniblement sa salive.

"Si on meurt que ce soit ensemble... Je... Je suis contente d'avoir vécu ça avec toi..."

Et se redressant, elle poussa Ray à travers la porte et elle-même à sa suite...

Quelques heures plus tard, Ray se réveilla dans le lit qu'il aurait du occuper cette fameuse nuit, plutôt que d'aller explorer le sujet de préoccupation des Navidson.

Quand il ouvrit les yeux, Jade se tenait debout, portant le même pyjama qu'elle portait au moment de traverser la porte du placard. Elle avait à la main une tasse de café chaud et sa peau était redevenue verte.

Ils étaient rentrés chez eux. Clairement.

Jade lui fit un sourire timide. Elle lui tendit la tasse et dit :

"Je... Je me demandais si tu allais encore dormir longtemps. Je viens de me le faire et - euh - t'as qu'à boire le mien, j'ai pas trop soif, en fait..."

Elle posa la tasse sur la table de chevet et poursuivit :

"Karen et Will sont dans le salon. Je crois qu'ils ne réalisent pas bien, encore. Les gens qui devaient participer à l'expédition non plus. Bien sur, je leur ai pas tout raconté mais..."

Jade baissa la voix et alla s'asseoir à côté de Ray, sur le lit :

"Disons qu'EUX ne seront plus tourmentés par les choses qui se trouvaient de l'autre côté"

Elle sourit une fois de plus à Ray et lança :

"Je crois que sans toi, je serai encore là-bas... Je..."

Elle baissa les yeux avant de conclure :

"On forme une bonne équipe, non ? Déjà Paris et puis ici. Toi avec ta science, moi avec... ma chance"

Un sourire franc aux lèvres, Jade se redressa pour ouvrir les rideaux et faire entrer un peu de soleil dans la chambre.

"Dehors, les enfants Navidson jouent. Je crois que nous avons fait ce qu'il... fallait. Et pour le reste..."

Elle se retourna, frissonnant de manière presque imperceptible.

"Pour le reste... tu crois qu'ils vont revenir ? Le Maître et ce monde qui sortait de nulle part ? Je..."

La voix de Jade eut une légère altération. Comme si son excès de confiance en l'avenir, telle une armure imparfaite venait de se craqueler.

Avant de terminer sur une note plus positive. Dans un dernier effort pour tenir la note.

"Mais, on sera là, hein ?"

[HJ : A priori ce sera mon dernier message dans le sujet. Mais j'espère bien que ce ne sera pas notre dernier sujet ! J'attends avec impatience de pouvoir remettre ça ^^ J'adore nos RP ^^]

Ray Palmer ouvre les yeux ; d'un coup.
Comme ça.
Comme s'il s'éveillait, soudain. Comme s'il était sorti de son sommeil en un instant ; un choc.
Comme s'il sortait d'un long rêve.
Un long... cauchemar.

 « Hrm. »

Il grogne, en se redressant. Son visage forme une grimace, alors qu'il sent plusieurs douleurs dans ses muscles ; il ne rajeunit pas.
Mais il se fige, ensuite.
Quand il la voit ; elle. Jade.
Jennie-Lynn Hayden.

 « Humf. »

Atom souffle, alors ; il soupire.
De soulagement.

Il ne dit rien, ensuite. Il reste silencieux, calme ; assis sur le bord du lit.
Suivant du regard la jeune femme.
L'écoutant pleinement ; suivant entièrement son discours, ses mots. Ses éclaircissements.
Ses aveux. Ses peurs.
Ses espoirs.

Le scientifique la regarde toujours, quand elle quitte le lit où elle l'avait rejoint pour aller vers la fenêtre ; où elle ouvre les rideaux.
Il grimace légèrement, quand le soleil agresse ses yeux ; mais il apprécie quand même.
Et il la regarde, ensuite.

Jade.
Son alliée. Sa coéquipière.
Son amie.
Qui a failli être plus ; qui aurait dû être plus. Qui ne le sera pas.

Mais... ça ne veut pas dire que ça doit s'arrêter là.

 « Hey. »

Ray se lève. Il s'approche d'elle.

 « Ouais. »

Il pose ses mains sur les épaules de Jade.

 « On sera là. »

Il hoche lentement la tête.

 « On... forme une bonne équipe. »

Un sourire sincère glisse sur son visage.

 « Mais... on le savait déjà, nan ? »

Il s'approche encore.

 « T'as beau me dire que, sans moi, tu serais encore là-bas... moi, je sais que sans toi, je n'aurais jamais réussi à m'en sortir.
Vraiment. »

Il acquiesce, encore.

 « On... va s'en sortir, Jennie. Ouais.
On va s'en sortir ; ensemble. »

Il rougit, légèrement.

 « On sera là quand ils reviendront... autant de fois qu'ils reviendront.
Ensemble.
Les... amis sont là pour ça. Nan ? »

Ray sourit ; et soupire.
Heureux de s'être échappé. Soulagé d'avoir survécu.
Terrifié à l'idée d'y retourner.
Mais... conscient de ce qu'il doit faire ; de ce qu'ils doivent faire.
Ils sont des Héros. Ils sont les Héros.
Pour le meilleur et pour le pire.
Et jusqu'à ce que la Mort les emporte – ou ce monde dément, pour le coup !

(HJ/ Je conclue aussi. Merci pour ce formidable sujet, j'ai adoré !  /HJ)