Rust in the Blood [Post Unique]

Mosaic City.
Un petit monde dans le grand monde.
Des dizaines et des dizaines d'espèces de réfugiés extra-terrestres, toutes regroupées en un point précis du bush australien désormais dominé par une imposante architecture venue d'ailleurs. Câbles multicolores essentiels, panneaux holographiques aux langues presque inconnues, Forteresse d'Ouverture et labyrinthe urbain irréel sont le cadet des soucis des néophytes, ici. Et il y en a peu, car cette population étrange en bien des aspects aux yeux des habitants de la Terre est restée dans son coin, isolée de tout de gré... ou de force. Pour la sécurité de tous, l'ARGUS, agence gouvernementale américaine, formée pour répondre à ce genre de situation, est venue prêter main forte à la grande île océanienne; structures, traducteurs, militaires et gardiens de la paix ont ainsi été déployés.

Mais ils ne sont qu'humains, malgré tout. Parfois, souvent même ces dernières décennies, certaines menaces, certains mystères demandent d'être plus, bien plus. D'être doté de facultés extraordinaires. C'est bien pour cela qu'au dessus d'une famille de kangourous passe à très haute vitesse une silhouette jaune et bleue, filant droit vers la cité alien.

Avec, en contact via une oreillette hypertechnologique, le colonel Steven Trevor, agent éminent de l'ARGUS, figure référente en ce qui concerne les affaires exceptionnelles de Mosaic.

- Merci d'avoir répondu à mon appel, Animal Man.

- Animal Man, c'était mon père. Vous pouvez m'appeler Buddy, colonel Trevor.

Une réponse qui déstabilise un instant le militaire, bien plus habitué au sérieux de la "Trinité" de la Ligue de Justice qu'aux petites plaisanteries de héros au pedigree moins exceptionnel. Pourtant, c'est bien d'Animal Man dont il a besoin aujourd'hui, qu'il fasse des blagues nulles de papa ou pas.

- Hum. Ok. Buddy donc.

- Alors, c'est quoi l'affaire ?

Sur les lunettes connectées du héros, des informations transmises par son interlocuteur apparaissent d'un coup; des graphiques, des données mathématiques, topographiques, météorologiques et tout un tas d'autres adjectifs en "-gique" qui perdraient Buddy s'il ne venait pas d'activer une véritable mémoire d'éléphant. Encore incapable de parfaitement saisir le flux de données, il peut au moins en tirer quelques conclusions générales: quelque chose d'étrange s'est passé, quelque chose que le colonel Trevor s'empresse d'expliquer.

- Nos détecteurs ont repéré une hausse des ondes électromagnétiques à Mosaic City aux alentours de quatre heures du matin. En temps normal, cela ne nous aurait pas inquiété. Avec toutes ces technologies extra-terrestres, c'est le genre de chose qui arrive souvent... mais c'est différent, cette fois. Le pic a dépassé tout ce que nous avons pu analyser jusqu'ici.

Une touche d'incompréhension vient faire se froncer les sourcils d'Animal Man.
Electromagnétique, données technologiques, savoirs extra-terrestres... n'y a-t-il pas des gens formés à ça, déjà ?

- D'accord. Mais pourquoi moi, et pas Cyborg ? C'est lui le champion des câbles USB, d'habitude.

La réponse ne se fait pas attendre.

- Victor Stone a effectivement été notre premier choix...

Et elle est incisive... aux yeux de Buddy, en tous cas, qui se trouve... vexé.
Sans doute se dira-t-il que c'était bien idiot de se sentir comme ça une fois à tête reposée; en attendant, un petit volcan de jalousie se met à palpiter juste à côté de son coeur. Alors comme ça A-Man est pas assez bien pour être contacté en premier, hein !

- Ca fait plaisir.

Mais Steven Trevor termine sa phrase, en faisant mine de ne rien avoir entendu.
Car il a une annonce choc à faire, ici.

- ... jusqu'à ce que le Dr. William Magnus nous annonce avoir perdu tout contact avec ses Metal Men, après leur enquête préliminaire.

Les Metal Men ne sont pas les plus connus, ni les plus efficaces des figures héroïques du monde. Se chercher des noises entre membres de leur famille et sauver le Pr. Magnus de ses errances scientifiques leur prennent beaucoup de temps. Il n'empêche que cette bande de boîtes de conserve conscientes sont douées, fortes de nombreuses capacités, et aptes à se défendre, normalement.

Toujours biberonné à la puissance de l'éléphant, le cerveau de Buddy additionne un et un, et trouve que cela fait deux. Et ce deux, c'est la réponse à la question qu'il allait alors poser, à savoir: "Et alors, pourquoi pas Cyborg ?"

- Hrm. Ah. Oh. D'accord. On évite de se prendre un virus sur le coin du nez en gardant les moteurs au chaud, c'est ça ?

- Qui plus est, vous pouvez aisément échanger en langue native, avec les populations locales.

Un bon point.
Encore un.
Bon, il n'y a pas besoin de les compter, Mosaic City n'est plus très loin.
Mais quand même. Au moins, c'est clair, simple, compréhensible, même par un américain moyen. Faire du repérage, détecter la menace, et ramener les Metal Men en sécurité. Du tout cuit !

- Colonel, il faudrait que je vous embauche pour mettre autant d'ordre dans ma vie personnelle que dans cette opération. Bon, je vous recontacte dès qu'il y a du nouveau. Buddy, terminé.

D'une petite pression sur l'oreillette, le contact se coupe, pile au moment où les limites de la cité extra-terrestre sont franchies. Ce n'est pas la première fois qu'Animal Man survole ce lieu: dans le cadre de recherches personnelles sur les espèces cosmiques, il est venu observer la mort et la résurrection d'un des derniers colosses de feu de l'univers, capable de se régénérer à partir de la cendre de son trépas. Un phénix. Un foutu phénix spatial, quoi.
Mais il ne s'était encore jamais aventuré dans ce coin là de la ville; malfamé, sale, inquiétant. Comme dans les grandes métropoles américaines, en somme. Comme quoi, vivre sur d'autres planètes n'empêche pas de voir l'émergence de riches, de pauvres et d'inégalités sociales.

Le signal du GPS indique au héros un brin méfiant une volée de marches grossièrement taillées dans la rue, au bout desquelles la noirceur d'une petite bâtisse semble aspirer tout le peu de confiance que pouvait encore avoir Buddy pour cet endroit.

Impossible d'y couper.
Faisant fi de ses réticences, A-Man s'avance alors, avec prudence. Ses yeux s'habituent immédiatement à la faible luminosité quand le chat vient à la rescousse de ses pupilles. Pas à pas, il s'enfonce, jusqu'à ce qu'une terrible odeur vienne lui saisir le nez.

Celle de la chair et du sang gâchés, souillés, pourris de dizaines d'êtres.

Et du métal, rouillé, attaqué, corrompu, résidus d'échec de fusion avec les cadavres entassés.

- Pouah ! Mais qu'est-ce qui s'est passé ici ?

Une interrogation légitime, baignée dans un écœurement total.
Et qui trouve sa réponse de manière extrêmement douloureuse.
On le frappe un grand coup derrière la tête, jusqu'à ce que sol et plafond ne soient plus distinguables l'un de l'autre. Etourdi, il faut quelques secondes à Buddy pour reprendre ses esprits, et contempler son agresseur:


Un être alien, similaire à beaucoup d'autres dans la cité, à ceci près que tout son corps est amélioré par des plaques au chrome passé, et l'entièreté de son crâne fusionné avec une espèce de coque brillante. Ce p'tit gars encore couvert d'hémoglobine est le responsable de cette tuerie, cela ne fait aucun doute désormais. Mais comment ? Pourquoi ?

Encore une fois, une partie de la réponse n'est pas bien loin. Alors que Buddy tente l'âne pour ruer dans les brancards, littéralement, quelque chose l'arrête, quelque chose le stoppe. Une sensation, une perception, infime d'abord, puis allant grandissante. Le chant harmonieux qui émane de toute vie liée au Red pulse d'ordinaire autour de lui, de plus en plus lorsqu'un de ses enfants s'approche. Mais ici, alors que l'étrange tueur en série fait pas après pas, seul un tictac d'horloge répété à l'infini touche l'esprit de Buddy. Un cliquètement sonore qui ne devrait pas avoir sa place dans un esprit conscient.

A moins que...

- C'est pas bon... pas bon du tout.

Oh ça, non.

Libéré de ses limites, Animal Man reprend tant bien que mal le contrôle de la situation, malgré son trouble, malgré le coup. Même seul, l'adversaire oppose une farouche résistance: boosté à bloc par les différents composants cybernétiques, le cyborg se bat bien. Très bien, même. Chacun de ses coups placés fait se demander à Buddy s'il ne vient pas de se casser quelque chose. Les murs sont éraflés, les meubles épars brisés, la destruction de la petite pièce assurée. Tant mieux, quelque part: cela assurera une sépulture un peu plus décente pour toutes les âmes fauchées ici.

Enfin, avec la férocité de l'ours et les griffes du carcajou, Baker parvient à décapiter son adversaire, au prix de bien nombreuses plaies, coupures et contusions. Essoufflé, à moitié KO, A-Man ne prend pas le temps de fouiller davantage; il remonte à la surface, convaincu de ce qu'il a vu, sûr de ce qu'il a ressenti, certain de ce qu'il a compris. Là-haut, au calme il l'espère, il active son communicateur.

- Colonel Trevor, les Metal Men ont bel et bien disparu, et c'est un vrai charnier ici. Pouah ! J'aurais beaucoup aimé ne pas être un oiseau de mauvais augure... mais si c'est bien ce que ça semble être, on est mal barré. Vraiment mal barré.

Buddy hésite un dernier instant, avant de lâcher:

- Et il va nous falloir la Justice League.

Son regard se fixe un instant sur les ruines du petit bâtiment, dans lequel tant de vies ont été prises, au nom d'un conflit qui n'a pas encore commencé, qui n'a pas lieu d'être quand on regarde la toile de l'univers dans sa globalité, mais qui devra être mené pour la survie de l'humanité: le Metal a avancé ses pions. Au tour des héros de jouer.