Il faisait nuit.
Nuit noire, comme de l’encre versée sous ses paupières. Un noir de velours, doux, reposant, omniprésent. Quelques instants plus tôt, le monde se tordait de gris, de verts, de rouge et de pierre. Maintenant, quelqu’un avait effacé l’univers : il ne voyait plus rien que du noir, du noir à perte de vue, plus noir que ce qui dort entre les étoiles. L’obscurité avait chassé les silhouettes brisées, les murmures de rage et les cris de douleurs qui lui arrachaient les oreilles il y a quelques moments encore. Tout était silencieux. Tout. Même lui. Son cœur s’était tut et ne battait plus dans ses tempes. Ses poumons n’inspiraient plus rien. Le noir était venu drapé de silence, et c’était tant mieux.
John ferma les yeux. Du silence.
Du calme.
Il ne voulait rien de plus. La douleur était partie, elle aussi. Il se souvenait de ce qui lui avait crevé la poitrine, de la douleur brûlante qui avait tiré sur lui un voile noir et épais. Avant ça, il se souvenait de la morsure, dans son cou. Il se rappelait les coups de la murène – il ne savait plus combien. Il se rappelait le manque. L’abandon. L’ennui. La démence qui avait gratté son crâne jusqu’à glisser des doigts crochus dessous. Il se souvenait d’un visage orange et noir, d’un pub quelconque vu depuis les trottoirs mouillés de Londres, et de beaucoup de sang. Avant ça, il se rappelait des créatures qui n’avait rien d’humain, des coups qui pleuvaient sur lui.
Il se souvenait du jour où son corps avait été réduit en miettes et reconstruit à zéro. Il voyait, encore avant, ses veines tranchées. Les morceaux de poumons qu’il crachait dans l’évier, au milieu de la nuit, tiré de son lit par une quinte de toux brulante et rauque. Il se rappelait la maladie qui le rongeait à petit feu.
Avant encore, il voyait des visages. Sa douleur n’était pas que la sienne : Il se souvenait du visage muet et vieux de son père, mort avant trop de discussions qu’ils auraient dû avoir. Il se rappelait le visage effarée d’une enfant arrachée à son corps, prisonnière d’une cage de chair et de pulpe. Il entendait les hurlements d’une Marie et de sa famille résonner sous son crâne. L’odeur de Ritchie lorsqu’il avait pris feu. L’agonie de Gary. Les cris de Zee à Wintergates.
La sensation d’une main d’enfant dans la sienne, et celle de son cœur au bord des lèvres lorsqu’il avait compris qu’il n’avait réussi à tirer que son bras de la Fosse, et rien d’autre.
Ils étaient nombreux. Si foutrement nombreux. Plus nombreux encore, car il ne se rappelait pas de tous. Il était plus indifférent à certains qu’à d’autres, mais leurs présences avaient toujours pesé sur ses épaules, qu’il le sache ou non. Il n’avait jamais vraiment compris à quel point il s’en voulait. Il n’avait jamais compris à quel point il désirait se débarrasser de toutes cette honte, amassée en à peine une demi-vie sur terre.
Puis la nuit était venue, et avait tout pris.
Elle n’avait laissé que du silence et de l’oubli.
Il ferma les yeux, puisqu’il ne voyait rien. Il voulait rester dans ce néant, ce rien. Il se foutait bien que ce soit « trop tôt » ou pas : c’était trop tard pour vouloir vivre, maintenant. Il voulait juste dormir.
Il aurait peut-être pu.
- John Constantine.
Il connaissait cette voix. Il connaissait les mots, aussi, mais ils ne l’intéressaient pas – il ne voulait pas se rappeler ce qu’ils signifiaient, pas tout de suite. La voix. Elle était à qui, cette voix ?
- Il a besoin de toi.
Il ne voyait rien, et n’ouvrit pas les yeux. Il voulait retrouver le silence, que la voix parte, qu’on le laisse dans sa nuit.
Elle était à qui ?
- Il a besoin de toi.
Il se rappela des yeux pâles, morts. Des yeux vieillis, des yeux qui avaient trop vu sans jamais agir. D’une haute silhouette, de tissu d’un bleu couleur océan. D’un médaillon d’argent.
Il se souvenait de la voix, mais il ne voulait pas s’en rappeler.
- Il a besoin de toi contre les Autres.
Il ne voulait pas savoir, il voulait être laissé tranquille. Que les yeux pâles aillent voir ailleurs : John avait assez donné. Il voulait la nuit, le silence, la paix. La mort. Il ne savait même pas de quoi parlait la voix, et il s’en fichait.
Il voulait rester mort.
- Rappelle t’en.
Alors, la voix s’en fut.
Mais après son passage, le silence n’était pas le même. Il avait une densité qu’il n’avait pas avant : le velours, le calme, le berceau d’obscurité s’étaient volatilisés. Il y avait quelque chose dans l’ombre, maintenant. Quelque chose qui approchait.
- Ça fait une paye, dis, murmurèrent les ombres.
Il connaissait cette voix là aussi. La nuit l’avait prise, avec ses souvenirs et sa douleur – et pourtant elle était là, fendant l’obscurité avec une intonation moqueuse. Elle sonnait comme le grondement d’un ours, mêlé au sifflement d’un serpent. Elle venait d’une direction difficile à délimiter, proche et lointaine à la fois.
Des choses remuèrent autour de lui, et il sentit qu’on l’effleurait, comme si plusieurs créatures passaient à toutes vitesse à un cheveux de sa peau. Comme si l’obscurité s’écartaient sur le chemin de quelque chose.
De quelqu’un, plutôt.
- Tu avais tout un squad de héros pour sauver ton cul, pourtant. Ils sont passés à ça, Johnny. A ça.Elle n’aurait pas dû être là. Il avait fait des arrangements, des pactes pour ne plus l’entendre. Il était protégé, normalement, il s’en souvenait : sa maladie, ses veines tranchées, les trois… comment… qu’est-ce qu…
John ouvrit les yeux. Il ne vit rien : l’encre stagnait toujours sous ses paupières, l’aveuglant, le coupant du monde, noyant sa vision. La voix d’ours et de serpent laissa échapper un bruit amusé, qui ressemblait au crissement des dents d’une fourchette contre de la porcelaine.
- Les autres Déchus sont morts. Ta protection a sauté avec eux.Satan. Le Premier Déchu. L’Adversaire. Incapable de le toucher, normalement, sous peine de devoir partir en guerre contre ses frères, qui avaient aussi revendiqué la possession de Constantine, et de pousser la Gehenne toute entière dans une guerre intestine dont personne ne pouvait sortir vainqueur. Sur le coup, ça paraissait très malin et parfait, comme protection – jusqu’à ce que les Enfers se lancent dans une guerre civile et que la hiérarchie infernale change tout à fait de visage. Dans sa quête pour le trône, Trigon s’était chargé de l’ancienne administration, et il avait gagné. Deux des Trois étaient morts. Tuer Satan était une autre paire de manche, mais qu’il ait réussi à se débarrasser du reste du triumvirat était déjà impressionnant en l’état.
- Bref. Quelque chose le saisit à la cheville, et un frisson remonta sa colonne vertébrale au contact : c’était froid, rugueux, et ça ne ressemblait ni à une griffe, ni à un tentacule. Puis la chose tira.
Il tenta de se débattre, donnant des coups de pieds à ce qui le tenait sa cheville, cherchant à s’accrocher à quelque chose – quelque chose, n’importe quoi. Il ne voyait toujours rien, mais l’obscurité se faisait un peu plus palpable autour de lui et ses doigts, qui grattaient furieusement dans tous les sens à la recherche d’une prise, ne trouvaient que de la poussière et un sol rugueux sur lesquels se ruiner les ongles.
- T’es un sale petit con, tu sais ? Réussir à nous bloquer tous les trois. Nous barrer l’accès à ton âme. A nous. Nous. C’est con que ça ait pas tenu, hein ?Le sol se déroba sous ses doigts abîmés. Il se sentit chuter, puis heurter quelque chose. Nouvelle chute, puis nouveau heurt : il avait l’impression de dégringoler dans une faille, de rebords en rebords, tiré par le pied vers les entrailles d’un monde qu’il ne voyait plus. Étonnamment, les coups ne lui faisaient pas mal.
Lentement, l’air sembla se réchauffer, et des murmures sifflants lui montèrent aux oreilles.
- Tu es à moi par toutes les lois de ce foutu univers – et je compte bien profiter de chacun de tes cris, de tes hurlements d’agonie quand je remplacerai ta moelle épinière par du métal fondu, et que j’arracherai ta langue pour te la fourrer dans le cul.
J’ai hâte, John.Le magicien tendit la main, cherchant à trouver une prise – n’importe quoi pour ralentir sa chute : il ne trouva que roche friable et pierre coupante. Ses coups de pieds n’aidaient pas plus, mais il se démenait avec l’énergie du désespoir.
- Att…- Attendre ? J’ai attendu pendant des années, pendant que tu te promenais sur Terre en pensant être libre pour l’éternité, à mariner dans mon humiliation. J’ai tellement attendu qu’une guerre civile à éclaté. Une putain de guerre civile. Sous mon nez, parce que les deux autres crétins étaient incapables de lâcher leurs droits sur ton âme.-… F-faut dire que c’ét-tait malin.- Oh oui, oui, très malin. Mais ça ne te sauve pas de moi. Tu es à moi, et tu auras beau te tortiller tu ne m’échappera jamais vraiment. Le monde est fait comme ça : les damnés sont mes putains, toi tout spécialement- Att-attends. Tu as besoin d-de m-moi…- Exactement. C’est pour ça que je te tire lentement mais sûrement vers mon palais, où je pourrai t’arracher les dents pour déterrer ta cage thoracique avec.Lentement mais sûrement, l’air se paraît d’odeurs étranges. Celle, métallique du sang, et celle plus lointaine du souffre.
- Les A-autres. Tu as besoin de moi.Le silence se fit instantanément. John resta un instant immobilisé dans les airs, brutalement arrêté dans sa chute comme si l’air était devenu solide. Les ombres semblaient s’être tues dans la seconde, et l’obscurité grondait silencieusement. John en profita pour prendre une longue inspiration. Si l’univers s’était arrêté de tourner, il n’aurait pas été plus immobile.
- Les Autres.Sa voix, exagérément articulée, raisonna dans l’air obscur. On n’entendait qu’elle, et John sentit clairement la colère du premier Déchu emplir le vide sans lumière qui l’entourait. Et visiblement, il s’en délectait.
- Ha. C’est quand même con, hein ?La chose le précipita contre un mur, et il sentit un souffle chaud lui caresser le visage, comme un souffle rageur à quelques millimètres seulement.
- Surveille ta langue, espèce de petit merdeux.- M’avoir à ta merci, et devoir me relâcher là-haut. Il doit bien s’éclater, à te niquer tout le temps comme ça.- Putain de mangeur de…- Tu as besoin de moi, princesse, du calme.L’air s’était soudainement fait plus chaud, et les ombres avaient rampé sur sa peau lorsque la chose avait serré sa cheville plus fort. L’air empestait de la magie du Premier Déchu, une odeur rance et suave, omniprésente et étouffante. John sentait qu’au moindre raté, l’obscurité le taillerait en pièce et Satan en personne briserait son crâne à coup de dents.
C’était précisément ce qui le faisait sourire comme un abruti, d’ailleurs.
- … Est-ce que tu me mens, Constantine ? Pour sauver ta peau ?- Nope. Un petit ange me l’a soufflé tout à l’heure.- Un ange ?- Tu sais qui.Il y eut un temps de latence, puis le Déchu comprit. Lorsque sa voix s'éleva, elle sifflait - elle crachait, promettait des insultes, du sang, des tripes, des yeux arrachés et une tête sur une pique, en haut d'un trône dominant un océan de flammes hurlantes.
- L’enfoiré de merde. La raclure de fond de chiotte. La petite saloperie de sa mère.- Quand je te dis qu’Il doit bien s’amuser.Le silence se fit à nouveau, et John se sentit observé – comme si un regard perçant, vorace autant que sanguinaire, perçait sa peau, écartait ses muscles et ses tendons pour aller jusqu’à fendre ses os. Il se sentait analysé, haché, découpé par un regard invisible, comme si le monde tout entier mourrait d’envie de se jeter sur ses viscères mais ne savait pas par quel bout commencer. John sentait le Déchu réfléchir, hésiter et calculer.
- Ouais, je me doute que tu pourrais juste m’emmener, hein. Me torturer là maintenant tout de suite, pendant quelques millénaires. Au mieux. Ça serait un plaisir de courte durée, non ?Il ne savait pas ce qu’était les Autres, mais il pouvait deviner que c’était quelque chose de bien plus important que la simple vendetta du Déchu envers lui. Et il sentait aussi clairement que l’emmener maintenant n’était pas vraiment une option que Satan pouvait se permettre.
Ce qui semblait le mettre dans une colère noire, ce qui mettait John d’excellente humeur.
- … - … C’est pas comme si j’étais condamné à devoir te retomber sur les genoux de toutes façons, et que je me proposais de te retirer une épine du pied. J’dis ça, j’dis rien, pas de pression. Prend ton temps pour faire un choix. Il a l’air compliqué.- C’est plutôt une hallebarde, dans mon pied, répondit lentement le démon.
- Et je te propose diligemment de l’enlever si tu me ramène là-haut.Il y eut un nouveau silence. Puis le Déchu parla lentement, comme si chaque mot lui écorchait les lèvres ou comme si il lui fallait mobiliser toute sa volonté pour ne pas étrangler John avec sa propre trachée.
- Soyons clair, petit merdeux. C’est un aller simple. Si jamais tu re-clamses, Autres ou pas, tu ne ressortiras pas d’ici. Clair ?- Limpide, patron.- Ça a pas l’air.- Si si, c’est très clair. Je me rends compte avec une incroyable lucidité de la situation actuelle : je t’ai niqué pour la 4e fois d’affilée.- Espèce de sale…- Bat-les-pattes. Tu l’as admis toi même, frustration ou pas, t’as besoin de moi, vivant, là-haut. Plus vite j’y serais, plus vite je te serais utile. Mais si ça t’aide à te sentir moins con, je t’en prie : menace moi autant que tu veux. On est entre potes, ici, y a pas de problèmes.Les ténèbres se turent à nouveau, pour la dernière fois. Le Déchu était pieds et poings liés : il savait très bien que mettre la main sur Constantine maintenant, c’était tout bonnement suicidaire. La petite merde avait raison : il lui était trop indispensable pour mourir tout de suite. Il était dos au mur, obligé de libérer John sous peine de déchaîner quelque chose de beaucoup plus emmerdant qu’un Anglais avec un problème de tabac. Encore.
Lorsque le Déchu libéra l’âme du Britannique, il ne put se défaire de la désagréable impression d’avoir passé un marché qu’il regretterait amèrement plus tard. Ce qui était plutôt le genre de sensation que les autres (
presque tous les autres) ressentaient après un marché avec lui.
Cette pensée le faisait tellement grincer des dents que c’est à peine si il ne s’en brisa pas trois d’un coup.
***
Il sentit l’air frais en premier. Cette étrange sensation d’une caresse un peu humide sur la peau, dans les cheveux, caractéristique d’un temps plutôt nuageux et froid. John se réveilla brutalement, ouvrant grand les yeux et la bouche comme dans un sursaut. Ses pupilles contractèrent presque douloureusement, minuscule point noir perdu au milieu d’iris bleu glace. Les lèvres grandes ouvertes, il cherchait de l’air ouvrant et fermant la bouche comme un poisson hors de l'eau. Il n'en trouva pas.
La seconde chose qu’il sentit, ce fut l’épaisse corde de chanvre autour de son cou qui l’empêchait de respirer. Il battit des paupières, et ses pieds s’agitèrent dans le vide, par réflexe, cherchant instinctivement un support qui était trop bas pour être atteint. Il porta les mains à la corde, les yeux écarquillés, pour chercher à s’en défaire. Ses gestes étaient raides, ses doigts gourds, et son corps tremblait autant du manque d’oxygène que de la panique qui le gagnait progressivement.
La colline était tranquille. Le ciel était couvert de larges zébrures anthracites, laissant transparaître ici et là un bleu azuré. L’herbe était verte, autour de lui, et un vent un peu frais soufflait dans les branches du vieil arbre au-dessus de sa tête. Il ne faisait ni vraiment beau, ni vraiment moche, mais John s’en foutait royalement. Il faisait, et c’était un excellent début : toute les couleurs lui étaient revenus en même temps (le vert du gazon, le bleu du ciel, le gris des cailloux, le brun noueux du bois, celui, plus clair, d’un oiseau qu’il ne reconnaissait pas, plus loin), puis les sons (le murmure du vent, le craquement des branches, le grincement de la corde) et les sensations (le frais contre sa peau, le chanvre sous ses doigts, contre son cou, le chanvre qui l’étouffait, qui l’étranglait, qui -
Il ne voulait pas mourir. Pas encore. Pas maintenant. Il se démena un peu plus.
La corde céda avec un claquement sec.
John Constantine tomba de tout son poids sur ses pieds. La violence du choc le fit trébucher, et il termina sur ses genoux. Il se courba brutalement, pris d’une très violente quinte de toux lorsque ses poumons se remplirent d'une énorme bouffée d'air. Un son rauque sortait de sa gorge en un croassement qui n’avait plus grand-chose d’humain. Lorsqu’il se calma, le magicien se pencha sur le côté et cracha un mélange de sang séché et de salive avant de se redresser lentement. Il resta là, sur ses genoux, à regarder fixement devant lui. Ses traits étaient émaciés, ses vêtements usés. Son regard un peu hagard se portait, ici et là, regardant sans voir, hésitant. Il se tut, pendant quelques instants.
Le vent souffla à nouveau dans ses mèches blondes et chassa tranquillement un bout de nuage de devant le soleil – juste un petit bout, mais se fut assez pour que John ferme les yeux. Sa silhouette se décontracta sensiblement, et il prit une longue inspiration.
Un vague sourire pointa sur ses lèvres, timidement, comme si son visage avait oublié comment faire. Puis il pouffa, avant d’éclater franchement de rire. Il était vivant. Son rire monta, emplissant l'air, sa gorge et sa tête, se déversant de ses lèvres comme pour la première fois depuis des lustres. Il était vivant. Vivant ! Ça lui paraissait tout bonnement improbable, pour pas dire carrément impossible au vu des derniers mois. Il revenait de cinq mois de tortures, d’une tentative d’assassinat réussie et d’un pacte avec le Diable en personne, et le premier truc qu’il trouvait à faire c’était se vautrer dans l’herbe comme un hippie et rire comme un idiot. Lorsqu’il rouvrit les yeux, un nouveau nuage passait devant le soleil, mais il s’en moquait.
Précautionneusement, il se remit debout. Il avait le teint livide, et ses mains tremblaient, mais son sourire s'étendait d'une oreille à l'autre. Il prit une inspiration, puis scruta la plaine verte en bas de la colline. Là. Quelqu’un y avait construit une maison de bois, pas loin, montant sur un étage et une sorte de tourelle. Elle ne payait pas de mine, comme ça, avec ses vieilles planches et son architecture à mi-chemin entre le victorien, l’édouardien et le style Queen Anne, mais il sentit son cœur rater un battement. Après tout, la Maison n'était pas là une seconde auparavant.
John claudiqua jusqu’au perron, et posa la main sur la clenche avec une longue inspiration. Sous ses doigts, le métal lustré de la poignée semblait chaud, presque accueillant. Ce fut comme si toute la force qui l’avait tenue depuis la colline s’était soudainement volatilisée, lorsqu’il arriva devant ces portes : ses jambes manquèrent de se dérober sous son poids, son cœur s’accéléra et il cligna deux fois des yeux. Sentir ce métal sous sa main, suivre les moulures de la porte de ses doigts, ça ne voulait pas seulement dire qu’il était à nouveau vivant, ou qu’il était libre.
Ça voulait dire qu’il était de retour chez lui – et c’était une pensée qui lui mettait autant des papillons dans le ventre que des larmes aux yeux.
Lorsqu'il ferma le battant derrière lui, il ne resta de sa présence qu'une épaisse corde de chanvre déchirée par le milieu, accrochée par un bout à un arbre solitaire, perdue dans l'herbe et nouée en un nœud coulant par l'autre.