[NY] Mr. James & Mrs. Zechlin

Cela faisait longtemps qu’elle n’était plus revenue en Amérique. D’abord à cause de son service auprès de Degaon, certes, mais même quand ce dernier avait précipitamment pris fin, plutôt que de retourner au bercail où probablement tous les services secrets Américains l’attendaient, Lori avait préféré rester en Irlande, à aider la Banshee dans son entreprise, une façon comme une autre pour elle de rattraper son erreur et d’essayer de faire amande honorable pour ses mauvais choix de vie et des forfaits qu’elle avait commis.

Ceci expliquant cela, il n’était pas difficile de comprendre pourquoi Lori n’était pas tranquille, assise à la table de cette fameuse pizzeria qu’avait choisi Derek, ses doigts allant et venant sur le bois de la table, tapotant un air qui ne reflétait rien d’autre que de l’anxiété et de l’angoisse. Et si elle avait été vue ? Et si on arrivait bientôt pour l’enfermer ? Il n’était pas hors de propos de penser que Lori était à la fois tendu et sur le qui-vive.
Malgré tout, elle avait attendu cette fameuse soirée avec un brin d’impatience, s’y étant préparé avec soin, ayant choisi sa mini-jupe préféré, ajouté à un haut semi-transparent aux manches longues qui lui donnait un style toujours aussi gothique, bien que toujours aussi sexy. À ses cheveux, toujours lâchés et teinté de vert, Alice avait rajouté une rose noire, dans un élan de coquetterie tout à fait amouraché, tandis qu’elle avait pris grand soin à se maquiller avec finesse, essayant de ne pas trop forcer sur le noir. Juste assez pour être elle-même, mais pas trop pour ne pas effrayer Derek. Tout le monde ne voyait pas d’un bon œil les gothiques, après tout…

« Vous désirez commande, Mademoiselle ?
- Ha heu… Nan pas encore, j’attends… Hem j’attends quelqu’un.
- Oh je vois. Réponds la serveuse d’un air entendue. Je vous apporte un verre d’eau pour patienter, alors. »

Alice lui sourit un instant, remerciant son attention, avant de retourner taper le rythme du bout de ses ongles noirs sur le bois de sa petite table pour deux. Il est en retard. Peut-être qu’il ne viendra pas finalement. Peut-être qu’elle s’est inventé toute une histoire avec un homme qui finalement s’est rendu compte qu’il allait à une date avec une femme qu’il n’avait jamais vu. Peut-être lui avait-il simplement posé un lapin. Soupirant lourdement face à toutes ces idées noires, Lori attrape son portable, regardant une fois encore l’heure. 20H15. L’éteignant et le remettant dans sa poche, elle décide cependant d’attendre encore un peu. Juste un peu. Elle lui laisse encore cinq minutes pour arriver, après quoi, elle retournera en Irlande. Tant pis pour cette histoire à laquelle elle avait pourtant cru...

Il ne viendra pas.
Cette certitude étreint le cœur de Lori alors que vingt heure dix-huit se laisse lire sur son téléphone. Elle n’a pas osé lui envoyer de message pour lui demander où il se trouve, grand prince, elle lui laisse lui poser un lapin sans faire de vague, quand bien même le sentiment d’abandon est tellement enraciné dans son cœur qu’il lui faut faire preuve d’une grande source de sang-froid pour ne pas éclater en sanglot, à l’instant. Pourquoi y avait-elle cru, idiote qu’elle était ? La voilà de nouveau avec le cœur à vif et seule, pour ne pas changer.

Se levant précipitamment de la table en attrapant son grand trench en cuir qu’elle enfile, laissant la serveuse qui lui rapportait son verre d’eau interloquée, Alice se dirige à toute vitesse vers la porte, priant pour la passer avant que ses larmes ne franchissent le cadre de ses yeux, à tel point qu’elle ne fait pas attention à la petite sonnette qui annonce que la porte de la pizzeria vient de s’ouvrir, ni a la stature, désormais entre elle et la porte, qu’elle se prend dans son élan, venant se cogner contre lui. Ce n’est vraiment pas le moment. Vu la pagaille émotionnelle dans laquelle elle se trouve, elle se sent bien de se prendre la tête avec la première personne qui aurait la mauvaise idée de passer devant son radar…

« Tu peux pas regarder ou tu vas espèce - » Mais la phrase se meurt dans sa bouche alors qu’elle lève les yeux et voit son bonnet rayé. C’est lui. C’est Derek. « Oh. » Trouve-t-elle seulement à dire, alors qu’elle essaie de faire disparaître l’humidité de ses yeux en clignant fort de ses cils recouverts de noirs qui battent l’air, laissant pourtant le bleu de ses yeux très brillant. « Tu es en retard. J’allais partir. » Le ton est un peu abrupt, beaucoup réprobateur, alors qu’elle hésite un instant, avant d’enlever son trench qu’elle avait déjà remis d’une manche, retournant vers la table qu’elle leur avait commandé. « J’espère que tu as une bonne raison d’être à ce point en retard. »

Sait-elle qui il est ? Non, pas encore. Trop concentrée sur ses émotions et surtout sur le meilleur moyen de les cacher, Alice n’a pas scanné les alentours et leurs sources magiques. Elle ne sait pas encore alors qu’elle se trouve dans un vieil ennemi, un presque allié. Lui en revanche n’a pas pu ne pas la reconnaître, quoi que leur dernière rencontre remontre à plusieurs moins… Ou moins que cela, si on considère celle ou elle était en Dragon, bien que Lori n’en garde que des brides de souvenirs… « Alors, tu viens ? » Lui demande-t-elle, se retournant vers lui.
Black Alice est Lori. Comment vas-tu accepter cette idée, Derek ?

Il a l’air… Gêné. Ou nerveux ? Alice a du mal à faire la différence, alors qu’elle le sent encore plus gigotant qu’un ver-de-terre, qu’elle observe en reprenant place, posant de nouveau son manteau sur le dossier de sa chaise pour laisse apparaître son haut à demi-transparent. Elle n’a pas lésiné sur les détails, et c’est probablement le signe le plus flagrant que tout cela la touche, plus que son émotionnelle ou que son calme apparent ne le laissent croire, maintenant qu’elle a su faire disparaître l’humidité autour de ses yeux contourés de noir.

S’appuyant sur le dos de sa chaise, elle le regarde avec intérêt, alors qu’il propose de parler, un peu, avant de commander. Lori hésite, pas hoche de la tête, toujours sans l’ombre d’un sourire. « Pourquoi pas, on peut se prendre des boissons si tu veux, le temps de patienter. Tu veux papoter de quoi ? » Dit-elle après un petit silence, se montrant conciliante, alors qu’elle continue de l’observer avec intérêt, étant presque certaine d’oublier quelque chose. Et plus elle le voit paniquer sur lui-même, plus elle est certaine qu’elle oublie quelque chose… Quelque chose d’important.

Rah ça suffit Lori, pour une fois que tu peux te détendre après des mois de galère, pourquoi ne pas profiter ? Posant ses avants bras sur la table, elle s’avance un peu vers lui, laissant plus ou moins volontairement une vision de son décolletée, alors qu’elle se déride enfin, laissant un rictus apparaître sur ses lèvres peinte d’un rouge sombre. « t’étais plus loquace en texto, j’vais commencer à me demander ou est le tigre qu’on m’a vendu. Serait-ce encore une fois de la pub mensongère ? Car c’est plus un petit chaton que j’ai l’impression de voir, pour le moment. » Même si les mots sont dit d’un ton légèrement narquois, ils ne sont pas méchants, alors qu’un bref sourire né sur ses lèvres, alors qu’elle lui tire un peu la langue, moqueuse, mais pas durement, pas encore. « Finalement il semblerait qu’on se soit trompé sur qui de nous deux est le chat de l’histoire. » Rajout-elle en ricanant un peu, alors que la serveuse arrive, pour prendre leurs commandes. « On va commencer par des boissons. Un thé pour moi, ça ira bien. Et toi, Derek ? » Touchant la fleur dans ses cheveux pour surveiller qu’elle est toujours en place, elle sourit, alors que ses yeux se détournent un peu de Derek pour regarder à travers la vitre contre laquelle ils sont placés. C’est amusant quand on y pense, la dernière fois qu’elle en portait une, c’était justement la dernière fois qu’ils s’étaient vu, même si pour le moment encore, la jeune fille reste dans l’ignorance.

Profitons du calme avant la tempête.

« Tu n’es pas le premier à me dire ça… » À sous-entendre qu’elle n’était pas aussi méchante qu’elle voulait bien le laisser paraître. A une époque Lori aurait sûrement été d’accord avec cela, mais aujourd’hui elle ne savait plus vraiment où s’arrêtait la mascarade du crapaud essayant de se faire passer pour un buffle, et où commençait vraiment le mal. Parce que du mal, elle en avait fait. Beaucoup, beaucoup de mal, et à beaucoup de gens différents. Elle avait servi en Europe, et n’avait finalement fait demi-tour qu’après un tour en enfer et une discussion avec Constantine puis Banshee, mais sans ça, aurait-elle vraiment changé de ligne de conduite ? L’espoir de pouvoir retrouver ses parents avait été si fort qu’il avait complétement brouillé ses limites entre ce qu’il était acceptable de faire et ce qui révélait de l’horreur. Alors elle s’était livrée à des horreurs. Oh, oui, bien sûr, elle essayait désormais de faire amende honorable en aidant la résistance, mais quand bien même… Cela ne changeait rien à ce qui avait déjà eu lieu, et cela n’enlevait rien du sang qu’elle avait sur les mains.
Non, décidément, il n’y avait rien de bon en elle.

« Tu te trompes. J’suis pas une gentille fille, faudra faire avec. » Le ton était catégorique, non pas froid, mais un peu rêche, alors qu’elle se braque légèrement, son dos retournant contre sa chaise. Ce n’était pas un débat qu’elle avait envie d’avoir, car quand bien même Derek aurait sûrement être à cœur de lui démontrer le contraire – elle avait plus que remarquée sa nature bonne et optimiste lors de leurs échanges -, il ne connaissait pas toute l’horreur de sa situation, et ce n’était pas quelque chose qu’elle comptait lui dire. Ce n’était rien de plus que du flirt et un simple date dans une pizzeria, pourquoi donc vouloir voir aussi loin ?

Se mordant la lèvre, cependant, elle semble hésiter, avant de retrouver timidement le chemin jusqu’à son regard. « Désolée... Je peux être un peu garce quand je m’y mets, mais je crois que je te l’avais déjà dit. C’ci dit, j’ai aussi envie de te connaître, un peu plus que par SMS… Et même si t’aimes les Rubik’s Cube, ces machines de torture colorée, j’pense que j’pourrai faire avec ta monopolisation de la parole et ton goût pour le ridicule, disons que c’est distrayant. Pour le moment, tu ne pars pas perdant. » Dire que Lori avait du mal à se montrer aimable ou sincère était un comble, et même ces compliments détournés lui demandaient de grands efforts pour être prononcés, tant le fait de montrer la moindre part de faiblesse ou de sensiblerie la mettait sur la défensive. Il faut dire qu’elle ne gardait pas un très bon souvenir de la dernière relation sentimentale qu’elle avait eu…

« Ça fait un moment que je n’étais pas venu dans un lieu public, à vrai dire, ça doit être le stress qui me met un peu à cran. » Un peu, ce n'était rien de le dire, alors que ses yeux allaient continuellement vers la porte et vers la petite caméra accrochée entre l’entrée et le comptoir, tandis qu’elle essayait de calmer sa paranoïa qui lui disait de scanner la zone pour s’assurer qu’aucune menace magique n’approchait, quand bien même elle se disait qu’en toute logique, si l’on venait pour l’arrêter, l’équipe serait composé de tout sauf de magiciens… Mais quand bien même. Il y avait bien assez de magiciens pour la tenir responsables de la mort de leurs proches pour qu’elle ne se sente plus en sécurité nulle part, et surtout pas en Amérique.

Bon, elle peut bien juste un peu éveiller son sens magique, juste un peu, pour scanner la zone, vérifier qu’il n’y a pas de clients qui ne sont pas ce qu’ils disent être. Cela ne prend qu’un instant, à peine le temps d'un claquement de doigts, et la première chose qu’elle remarque n’est pas du tout celle qu’elle attendait, tandis que ses yeux s’ouvrent grand, et se retournent vers le jeune homme assis en face d’elle. Derek possède de la magie. Ce n’est pas de la magie comme elle a l’habitude d’en voir, et cette signature très particulière, elle ne l’a lu que chez une personne. Une très agaçante personne, à vrai dire.
Soudainement, les pièces du puzzle se mettent en place.

Derek sait qui elle est. Il le sait et il n’a rien dit. Est-ce un piège ? Voulait-il abuser de sa confiance ? La paranoïa d’Alice revient gratter aux portes de ses insécurités, tandis que l’impression d’avoir été trahie exacerbe sa colère. Et si depuis le début tout cela n’avait été qu’un piège à son encontre. Cette histoire de faux numéros, leurs échanges, leurs discussions ? Si tout cela n’avait été qu’un plan à grande échelle ?
Perdue dans son effroi, Alice n’écoute plus les réponses de Derek, dont elle voit les lèvres bouger sans réagir, placide, tandis qu’elle l’observe d’un œil nouveau, la colère commençant doucement et lentement à monter en elle, le héros qui lui fait face. Il lui avait menti. Tout n’était probablement que mensonge et supercherie. Que pouvait-elle croire encore, au fond ?

« Et donc, sinon, tu pensais me dire quand que tu étais Sideways, du coup ? Au déssert ou après les apéritifs ? » Sa voix se fait sombre, alors que la colère vibre dangereusement dans les tréfonds de cette dernière, Alice sentant déjà son pouvoir faire des sienne, ses mains commençant dangereusement à luire d’un léger rougeoiement, tandis que la nappe sous ces dernières se mit à fumer doucement… « Ou peut-être que tu pensais le garder pour toi histoire d’avoir un avantage sur moi... » Dans l’air, une subtile odeur de soufre se fait sentir, signe avant-coureur d’une transformation démoniaque à venir…