Über (2013-2015)

Bonjour, et bienvenue !

Ces jours-ci, j'ai fait une découverte comics que je ne pourrais guère qualifier autrement que par un ... "effroyablement captivante"

Captivante, en effet, car j'ai dévoré l'intégralité de la collection en l'espace d'une journée, sans pauses, ce qui m'a fait finir vers 2 heures du matin, le lendemain.

Effroyable, car c'est un titre assez velu, qui n'est assurément pas à mettre entre toutes les mains.

Ce titre, c'est Über.


Über, c'est une uchronie qui commence le 30 Avril 1945, alors qu'il paraît évident pour tout le monde, et surtout pour le haut-commandement allemand, que la guerre est finie : Berlin est encerclée par l'Armée Rouge et ne tiendra plus que pour quelques heures. Les défenseurs ont tous perdu espoir et se cachent ou tentent le tout pour le tout en protégeant les civils qui essayent de se réfugier derrière les lignes américaines pour ne pas se faire massacrer par les Soviétiques ivres de vengeance.

Le postulat est simple, et paraîtra tout aussi cliché qu'intriguant : Les Übermenschen existent, et ils sont allemands.

Et ils ne font pas dans la finesse. Attention aux âmes sensibles, c'est une vraie boucherie:

En quelques heures, l'intégralité des troupes soviétiques autour de Berlin sont massacrées ou en déroute, avec des centaines de milliers de prisonniers faits par les Allemands. A partir de là, tous les efforts qu'entreprendront les Alliés se solderont par des échecs terribles et très coûteux en hommes et en matériel.

Et on aurait pu être tenté de s'arrêter là, en voyant les scènes de massacres absolument terribles que Caanan White aura pu dessiner en suivant un script probablement proche du snuff movie que Kieron Gillen aura concocté.

(Et, en annexe de l'un des numéros, Gillen nous offre le script de l'une de ses cases les plus graphiques. On peut alors comprendre comment les fulgurances offertes par ses collaborations avec Jamie McKelvie sur des titres comme The Wicked and the Divine ou leur run sur Young Avengers arrivent sur la page ... C'est génialement imaginé, mais j'en connais qui lui recommanderaient une thérapie psychiatrique. Moi ? Ça me donne encore plus envie d'écrire...)

Au fil des numéros, on en viendra à suivre principalement une poignée de personnages principaux : une agente du Secret Intelligence Service britannique du nom de Stephanie, Maria Adreevna, une tireuse d'élite soviétique qui a réussi à s'échapper du carnage de Berlin, et les "Cuirassés" Siegmund, Siegfried et Sieglinde allemands, les 3 pièces maîtresses de l'arsenal surhumain des nazis.

Et là, je peux comprendre ceux qui se sont arrêtés au début de Über, que ce soit à cause de son ultraviolence ou du temps passé à suivre le point de vue des allemands et des nazis sur les premiers numéros... Mais s'arrêter au début, ce serait se priver de l'une des œuvres les plus matures et intéressantes sur les impacts de la Seconde Guerre Mondiale (et des guerres en général) qu'il m'ait été donné de lire ces dernières années.

Il faut en être conscient, Kieron Gillen écrit quelque chose de choquant et il le sait. Rien n'est épargné : on voit les tests dans les camps de concentration, les pillages, les viols de civils et les tactiques "conventionnelles" les plus terribles et improbables, avant de finalement être confronté au "choc" de l'arrivée d'individus à super-pouvoirs dans la guerre ...


... Mais c'est là que réside un point majeur de ce comics et ce qui justifie l'utilisation d'individus à super-pouvoirs : le but est d'imprimer dans la tête du lecteur le choc qu'a pu causer la Seconde Guerre Mondiale dans son ensemble pour ceux qui y ont participé, car elle a "tout changé". Il y a de fortes chances que le lecteur lambda soit désensibilisé à la violence de ce conflit. Après tout, il y a eu des tonnes de films extrêmement violents sur le sujet.

Très peu néanmoins réussissent à communiquer le choc d'un conflit aussi évolutif, à toutes les échelles, que ne l'a fait Über. L'arrivée de surhommes insensibles aux armes, capables de vaporiser d'un regard des soldats et de détruire des chars à mains nues peut (et est, sous la plume des critiques de l’œuvre) apparaître comme un fantasme pour néo-nazis ...
Pour les autres, c'est dégueulasse, c'est stupide, c'est malsain... et c'est probablement ce qu'ont dû penser les premiers soldats à être tombés sur les fameux "Tigres Royaux", capables de décapsuler à peu près n'importe quoi impunément, alors qu'ils étaient incapables de les arrêter.

Et à la fin, pourtant, malgré toute l'ultraviolence qui ne va que dans un sens, ça ne sert à rien.

Car il est quelque chose qui est établi très rapidement dans l'histoire et qui ne changera pas : l'Allemagne, avec ou sans "super-soldats", ne peut pas gagner.

C'est militairement, logistiquement, matériellement, diplomatiquement et humainement impossible.

Über adopte en effet une narration très factuelle et presque documentaire dans son approche, explorant l'impact de ce "nouveau type de guerre" à différentes échelles, en montrant notamment les leaders militaires et politiques de l'époque confrontés à une redistribution relative des cartes. Si les allemands peuvent ainsi exploiter l'avantage de leurs nouvelles armes pour libérer très rapidement le Reich, celui-ci est de toutes façons en ruine tandis que, comme dans la réalité, toute avancée technologique est rapidement récupérée par l'adversaire.


Car plus que des super-héros ou des super-soldats, il est plus question d'"armes" produites en série, ce que la classification inspirée des navires de guerre résume bien : les individus importent peu, et les individualités n'ont pas leur place, ce qui fait tout l'intérêt de la narration qui suit les "Cuirassés" aux ordres des nazis : ils ne sont traités dans les faits que comme des bombes atomiques sur pattes qui n'ont pas voix au chapitre ... mais n'en restent pas moins des personnes avec un passé et des raisons qui justifient leur engagement et leur place "subalterne", quand il aurait été très facile d'en faire des clichés sans profondeurs façon Captain Nazi que rien n'empêcherait de prendre le pouvoir (littéralement) d'un claquement de doigts. Ce ne sont certainement pas des êtres sympathiques, mais ils permettent d'explorer des facettes assez intéressantes de la psyché humaine, de l'histoire et de ce qui pourrait pousser quelqu'un à suivre l'idéologie nazie.

(Mention spéciale pour Siegfried, qui doit avoir la palme de l'origin story à la fois la plus affreuse, tragique et kafkaïenne qu'il m'ait été donné de voir dans une œuvre récente. On dirait du Zola.)


Évidemment, tout n'est pas parfait, et on pourra ainsi trouver à redire dans la gestion de la temporalité ou la gestion de certains aspects du contexte (qu'en est-il des Alliés en dehors des Anglais et des Américains, par exemple ? La France notamment, n'apparaît que comme champ de bataille... Qu'en est-il de la question des zones occupées et des résistants/partisans, aussi ?) ...

Les travers "normaux" de Kieron Gillen commencent également à pointer le bout de leur nez vers la fin des 27 premiers numéros, et il pourra lui arriver de se perdre ... Heureusement, contrairement à d'autres de ses œuvres comme DIE ou The Wicked and the Divine, l'ésotérisme est encore loin et l'univers plus "réaliste" le cloisonne encore ... Ce défaut se retrouvera un peu plus dans la suite, Über: Invasion.


Par certains côtés, Über me rappelle Watchmen, notamment dans sa manière de mettre en relation le surhomme et la "société" : il est difficile de ne pas dresser un parallèle entre les "Cuirassés" et le Dr. Manhattan dans les capacités, surtout au début, tant qu'il est encore question de "nouveauté". On y retrouve également le questionnement sur l'utilité réelle de tels pouvoirs et cette ambiance de fin du Monde, de futilité, de fatalisme et de résignation face à l'escalade certaine d'un conflit qui ne peut plus avoir que des perdants...

Vraiment, c'est peut-être pour moi la meilleure œuvre de Kieron Gillen, qui est sublimée par le dessin finalement très terre-à-terre de Caanan White (pour les premiers numéros) puis de Daniel Gete (pour la fin), malgré un léger passage en-deçà sur la paire de numéros signés Gabriel Andrade au milieu.

En conclusion, je ne pourrais donc que vous recommander cette lecture, en vous accrochant surtout aux premiers numéros.