(Crédits : Alex Ross/DC) Attention, c'est un gros bout.
Superman : Peace on Earth est une œuvre que j'aime tout particulièrement pour plusieurs raisons.
La première, la plus évidente, la plus frappante, ce sont les dessins d'
Alex Ross. Dans le paysage de la bande dessinée,
Alex Ross est un artiste tout particulier, qui attrape allègrement toutes les idées reçues sur la bande dessinée américaine et leur tord le cou. Ses œuvres sont tout bonnement fabuleuses, avec une minutie et une maîtrise de son sujet incroyable, qui vous fait rentrer du
Edward Hopper dans votre récit sur Superman sans pour autant nier son côté super-héroïque.
Ensuite, il y a l'histoire, d'
Alex Ross et
Paul Dini, simple mais pourtant terriblement intéressante : en sauvant par hasard une jeune sans-abri qu'il amène dans un refuge et qui allait mourir de faim, Superman en vient à s'interroger sur son rôle, et sur ce qu'il pourrait faire de plus pour améliorer le sort de l'Humanité dans son ensemble. Le sort de cette jeune femme le fait se pencher sur la question de la faim dans le Monde, et il se met alors à envisager d'utiliser non seulement ses pouvoirs mais également son image de Superman pour régler le problème. Évidemment, rien n'est aussi simple, pas même pour Superman, mais j'y reviendrais plus bas.
Le troisième point qui me fascine dans ce
Peace on Earth, c'est sa construction qui me rappelle beaucoup un livre de contes pour enfants, ou même, dans une moindre mesure, les recueils de fables ou de poèmes qui avaient pu être illustrés par
Gustave Doré. Ils donnent un ressenti tout particulier à cette œuvre, très accessible, très facile d'accès et très digeste, ce qui aurait pu être une sacrée gageure pour une œuvre qui s'affranchit des poncifs standards du genre super-héroïque et des "codes" de Superman : Superman affronte ici une menace contre laquelle aucun de ses pouvoirs ne peut véritablement agir, et derrière laquelle aucun super-méchant ne se cache. Dans
Peace on Earth, Superman n'est jamais en danger, non plus.
Et pourtant, c'est probablement mon œuvre préférée sur l'Homme d'Acier - en même temps que celle qui explique en partie pourquoi je ne l'incarnerais probablement jamais sur le forum -.
La beauté du graphisme se passe de commentaire. (Crédits : Alex Ross/DC) En effet, l'ultime point qui me fait particulièrement apprécier cette œuvre, ce sont ses thématiques sous-jacentes, et l'allégorie de la crise de sens qui tiraille la société américaine en cette fin de 20ème siècle.
Pour moi,
Peace on Earth représente un contrepoint nécessaire et bienvenue à l'approche cynique et désabusée que l'on peut voir chez d'autres,
Alan Moore et son
Watchmen en tête. Les auteurs anglais ont en effet une tendance assez appuyée à dépeindre les États-Unis sous leur jour le plus obscur. Ils ont cette approche toute britannique d'exploiter leur recul pour trouver des failles dans cette fille éloignée à la culture si proche et pourtant si différente. Néanmoins, la culture américaine n'est pas leur culture. Ils n'ont pas grandi sous elle et sous toutes ses certitudes qu'ils observent avec ironie, eux qui ont grandi dans une nation désillusionnée par la perte de son empire et de son statut de grande puissance.
Ce n'est pas le cas d'
Alex Ross et de
Paul Dini, qui sont des américains purs jus, fruits de cette insouciante époque de la Guerre Froide où les gentils et les méchants étaient clairement établis et où quelque soit la valeur intrinsèque des idéaux américains, ils étaient de toutes façons meilleurs que les idéaux soviétiques.
Et
Peace on Earth reflète cela. En un sens, il est tout aussi corrosif et acerbe qu'un
Watchmen, mais dans une optique différente. On est ici confronté à l'Amérique qui se réveille de l'ivresse post-Guerre Froide ; l'Amérique qui a gagné, et qui se cherche ; l'Amérique des thèses de Francis Fukuyama autant que celles de Samuel Huntington. Plus qu'une simple histoire sur Superman, c'est une réflexion allégorique sur l'interventionnisme et l'universalisme à l'américaine, autant que sur l'orgueil de la dernière superpuissance.
Parce que Superman, dans ce comic, représente plus que jamais ce "Boy Scout" ultime qui vient apporter son soutien à toutes les populations vulnérables du Monde, et qui se rend compte que, tout puissant qu'il soit, il ne peut forcément convaincre ceux qui ne veulent pas l'être, pas plus qu'il ne peut résoudre à lui seul tous les problèmes du monde en se substituant aux autorités locales, si corrompues et malfaisantes soient-elles. Difficile, dans ce contexte, de ne pas voir le parallèle entre l'intervention de Superman dans une république bananière et l'intervention onusienne menée par les Etats-Unis dans la Guerre Civile Somalienne.
La fin, de ce point de vue là, représente une leçon d'humilité intéressante ... Et vaudra tous les
Watchmen ou
Jupiter's Legacy du Monde pour montrer à quel point les Super-Héros (et s'imaginer leur interventionnisme), et le plus puissant d'entre eux en tête, restent finalement bien peu de chose face à la complexité du monde réel.
Superman, allégorie des aventures militaires de la présidence Clinton (Crédits : Alex Ross/DC) En conclusion, je vous invite donc très chaleureusement à lire ce
Superman : Peace on Earth qui est certainement pour moi l’œuvre la plus intéressante qui ait été faite sur le personnage, tout en étant une fenêtre tout aussi fascinante sur cette Amérique éphémère des années 1990, que le 11 Septembre n'a pas encore traumatisé.
Il se lit très facilement, et sera en mesure d'accrocher tout autant les petits avec ses graphismes, sa facilité de lecture et les fantastiques illustrations d'
Alex Ross, que les grands qui pourront y discerner sa douce mélancolie.