J'ai besoin d'un verre {Nightwing]

Quelle journée...
Pour un retour sur Terre, on peut dire qu'il a été en fanfare. Et une fanfare jouant horriblement faux qui plus est.

A peine ai-je posé le pied sur terre que, déjà, les rumeurs sur les problèmes rencontrés par Clark et la destruction d'une partie de la ville de Métropolis enflent démesurément. Inquiète, sans information, sans certitude, je me suis donc hâtée de rejoindre la ville parmi les plus high-tech que porte le monde des humains. Et lorsque j'ai vu le chaos dans lequel elle était plongée... et constaté que notre ambassade y avait élu domicile, je me suis immédiatement rendue auprès de ma mère pour savoir de quoi il retournait et m'assurer qu'elle allait bien.

Puis je l'ai entendue. La complainte. Montant de la foule. Montant des peuples du monde. Parvenant à mes oreilles sur la vaste terrasse sur laquelle je me tenais avec ma Mère. Les pleurs de chagrin, de rage. L'incompréhension. La solidarité. La compassion. Martha Kent venait de rendre son dernier souffle.
Alors j'ai chamboulé mes plans. J'ai quitté ma propre Mère pour rendre un hommage à une autre, partie trop tôt. Pour lui, et globalement pour nous tous.
Les hommages se sont succédés. Même Silver Banshee était présente... entonnant une douce mélopée depuis les hauteurs de Gotham.

Et maintenant... je vais sans doute devoir faire entendre raison à ce général borné et repartir dans l'espace tenter d'apaiser des Kandoriens probablement prêts à tout saccager sur leur passage.
Donc oui... quelle journée.

Et là... j'ai besoin d'un verre. Ca n'arrive pas souvent. C'est même assez rare en définitive. Quoi qu'il en soit, ma constitution me permet d'absorber de grande quantité d'alcool si je le voulais. Alors parfois... même si c'est rare...

Mais là.
Oui, là.
J'ai besoin d'un verre.

Sous le regard éberlué des poivrots attablés au comptoir du bar sans doute le plus miteux du quartier, je n'ai pas marché beaucoup avant de jeter mon dévolu sur celui-ci. Un bar reste un bar, et dans le coin ils sont dans tous les cas tous aussi décrépis les uns que les autres.

J'y pénètre et je m'assois tout naturellement à une table, alors que le patron me dévisage comme si je tombais de la lune. A sa décharge, il faut reconnaitre que la grande toge blanche et or d'Amazone dont je suis parée n'aide vraiment pas à la discrétion. Mais qu'importe aujourd'hui.

Enfin, quoi qu'il en soit, lorsque l'on s'appelle Wonder Woman, on n'est que rarement prise à partie dans ce genre d'endroits, même malfamés. Et c'est tant mieux car... je ne suis vraiment pas d'humeur.

- Une téquila s'il vous plaît. Dit-je poliment à l'intention du barman.

Et bien quoi ? Diana aussi a le droit à un petit verre de temps en temps... Qu'imaginiez vous...
Et c'est à cet instant que je le vois passer d'un pas lent, fixant la rue sans vraiment la voir. Nightwing, l'un des derniers à s'être présenté au chevet de Martha et aux côtés de Kent.
Alors, lorsqu'il passe devant la baie vitrée, je lève la main dans sa direction et lui fais signe de me rejoindre. Me tournant brièvement vers le barman, je lève l'index en l'interpellant.

- Ajoutez une bière s'il vous plaît.

- Diana. Dis-je en reprenant son "Madame Prince" dans un sourire.

Il ne manquerait plus que l'un des fils de mon plus cher ami et allié de toujours, ne se mette à m'appeler madame maintenant...

Le barman nous apporte ce que je lui ai précédemment commandé et je pousse la bière en direction de Richard, avant de lui répondre.

- Toute la complexité de ce genre de situations, est de savoir quand il convient d'être présents pour ceux que l'on aime, et quand les laisser respirer pour leur permettre de se remettre en question, eux-mêmes ou la situation, si le besoin s'en fait sentir.

Et les Dieux seuls savent à quel point il va se remettre en question.
Ce n'est pas tant la question de savoir si, mais plutôt de savoir quand, comment et dans quelles circonstances. Et si je ne partagerai pas mon inquiétude avec le fils adoptif de Bruce, elle est pourtant belle et bien là. Je connais bien Clark. Très bien. Trop bien peut être... Il a trop cumulé ces derniers temps. L'attaque de Kandor, son identité révélée, sa famille, et maintenant... cette nouvelle tragédie qui le frappe. Il va avoir besoin d'évacuer, et ça risque de ne pas être beau à voir.

Alors... depuis que je l'ai laissé sur le perron de la porte de la maison.
Depuis que je me suis éloignée afin qu'il puisse faire son deuil comme il l'entend, après lui avoir assuré que je serais toujours là quoi qu'il advienne... J'ai éveillé tous mes sens à leur paroxysme.
Prête à percevoir la plus infime fluctuation, la plus petite perturbation que Superman pourrait engendrer, et foncer le rejoindre dans la seconde qui suivra si nécessaire.
Mais pour l'heure, tout est calme. Etrangement... calme.

- A Martha !

Je réponds à son toast en levant mon propre verre, alors que nos deux boissons s'entrechoquent en un dernier hommage à l'attention de la mère de Clark. Puis je porte le verre à mes lèvres pour en boire une grande gorgée. C'est vraiment... immonde en fait.

- Hum... non. Juste de passage pour venir soutenir mon ami. Dis-je sans rentrer plus dans le détail.

Si je dois vraiment aller sur Mars et que ça venait à mal se passer avec Kandor, si j'implique son fils, Bruce va me poursuivre jusqu'à l'autre bout de la terre et je n'ai pas le temps pour ça en ce moment.

- Comment va votre père ? Ca fait un moment que je ne l'ai pas croisé.

J'observe le jeune homme avec attention alors qu'il répond à ma question concernant son père adoptif. En effet, comme il le souligne avec justesse, les disparitions de Bruce sont rarement inquiétantes, la plupart du temps en tout cas, pour la simple raison qu'il en est plutôt coutumier. Il est comme ça, il a toujours été comme ça, et son entourage a bien du s'y acclimater, moi comme les autres.

- Je suppose qu'il n'a rien expliqué des raisons de sa soudaine disparition ni de ce qu'il s'est passé...

Question purement rhétorique. Il est peu probable qu'il l'ait fait et si c'était le cas, dans la mesure où Richard semble avoir envie, ou peut-être besoin de se confier, il m'en aurait sans doute fait part. Ou, s'il n'en a pas la possibilité, aurait-il au moins sous entendu qu'il en savait d'avantage, ce qui ne semble pas être le cas présentement.

Je pose un coude sur la table, avant que mon menton ne vienne se ficher au creux de ma paume. Je réfléchis quelques minutes avant de lui répondre. Quelques minutes qui laissent s'installer un silence entre nous, brisé par moment par les éclats de voix des hommes plus ou moins alcoolisés qui nous entourent.

- Je n'ai pas à vous conseiller si vous n'en faites pas la demande, alors je me contenterai d'exprimer un avis très personnel.

Je le dévisage attentivement quelques secondes avant de poursuivre.

- Le rôle qu'il a choisi d'endosser ne devrait jamais arborer l'aspect d'une contrainte. C'est quelque chose qui doit se ressentir au plus profond de l'être. Un peu comme un... appel.

En l'occurrence, quelles que soient nos différences et quelles que furent nos expériences passées ou l'environnement dans lequel nous avons grandi, c'est une chose que Bruce et moi avons en commun.
L'appel. Cet appel irrésistible, inaltérable. Celui qui m'a poussée à quitter mon île. Celui-là même qui a fait de moi celle que je suis et reste aujourd'hui, en quelques sortes.

- Le passé doit rester là où il est et ne devrait jamais conditionner nos choix d'aujourd'hui, ni même ceux de demain. C'est à vous qu'il convient de sonder votre coeur, en faisant abstraction des erreurs commises, pour décider si oui ou non vous aspirez à reprendre le flambeau.

J'esquisse un sourire engageant à ces mots. Devenir Batman... avec tout le poids que cela implique, tout autant en terme de rôle auprès du monde, de Gotham, que celui de la succession d'un titan tel que Bruce, ce n'est clairement pas une mince affaire, ni une petite décision.

- Donna ? Aux dernières nouvelles elle était retournée sur Themyscira pour s'entraîner. Mais je ne l'ai pas revue depuis un moment, donc je ne sais pas si elle y est toujours.

Bien que sa voix reste relativement égale à elle-même, il me semble percevoir une pointe de dépit dans ses propos. Et dans un sens je peux le comprendre, car j'inflige pareil supplice à ma propre mère... assez souvent. Sans doute trop souvent d'ailleurs. Alors si je peux difficilement me mettre à sa place, étant bien plus régulièrement à celle de Bruce, je conçois cependant sa lassitude face à un schéma qui se renouvelle sempiternellement, apportant son lot d'inquiétudes et d'interrogations.

- C'est très gentil de me dire ça, merci Richard. Lui dis-je dans un sourire avant de poursuivre. En effet, le symbole est fort. Si vous ne vous sentez pas prêt, ce n'est peut être pas la peine d'y songer pour le moment. Mais c'est à vous de voir...

Alors que le sujet de Donna intervient dans la discussion, le jeune homme semble soudainement pris d'un certain... mal aise ? Je le dévisage avec attention alors qu'il observe quelques minutes de silence.
Pourquoi ce sujet le mettrait dans un quelconque embarras ? Je finis par imaginer en comprendre la raison alors qu'il poursuit. Un léger sourire amusé se dessine sur mes lèvres à sa question.

- Il y a quelque chose entre vous ?

Je ne fais pas toujours preuve de tact, contrairement à ce que l'on pourrait penser, et surtout sur ce genre de sujets précis. J'ai beau être désormais bien habituée à côtoyer les humains, je n'ai jamais réellement compris cette étrange et fausse pudeur dont ils aiment parfois s'entourer et qui les encombre d'ailleurs plus qu'autre chose... la plupart du temps.

Je réfléchis quelques secondes avant de lui répondre.

- Sur le principe ce n'est pas inenvisageable je pense, mais il faudra effectivement l'accord de ma Mère. Cependant... je ne suis pas sûre que la période soit très indiquée... L'ambassade est actuellement stationnée à Métropolis et après la crise récente ma Mère l'a transformée en hôpital pour accueillir les blessés suite à l'attaque de Kandor.

Le sujet étant autrement plus sensible en ce moment, je me penche vers lui tout en murmurant presque ma dernière phrase. Evitons que les terriens qui nous entourent ne perçoivent notre discussion. La quasi destruction de la ville a secoué le monde entier et peu sont les âmes à ne pas en avoir entendu parlé.

Soudain, mes sens se mettent en alerte. C'est léger, pour l'heure c'est encore très... subtil. Mais c'est bien là. Mon regard se porte loin, très loin, mais pas assez loin vue la distance. Clark.
Mais pour l'instant je n'ai pas besoin de me déplacer jusqu'à lui.
Pour l'instant, oui.

- Si ça peut vous aider à y voir plus clair... Dis-je dans un sourire.

Avant qu'il ne reprenne la parole, le barman revient vers notre table pour récupérer mon verre vide, et me demande si je souhaite autre chose. Lui répondant par la négative tout en lui glissant un billet dans la main, j'adresse un léger clin d'oeil en direction du jeune homme.

- C'est pour moi.

Ce n'est qu'une fois qu'il s'est éloigné et que nous sommes de nouveau hors de portée des oreilles indiscrètes, que je pose "la" question que j'aurais visiblement mieux fait de taire. Du moins... si j'en juge par la réaction instantanée du fils adoptif de mon allié et ami de longue date.
Un sourire amusé illumine mon visage tandis qu'il tousse pour évacuer une gorgée visiblement passée de travers.

- J'ai été indiscrète, désolé. Dis-je dans une moue gênée.

J'agite les mains devant mon visage en riant.

- Tout va bien Richard, vous n'avez rien à me dire sur le sujet. Mais je suis ravie que vous ayez quelqu'un dans votre vie. Dans nos quotidiens plus que n'importe quels autres, nous avons besoin de soutien et d'amour.

Un léger voile de tristesse passe sur mes traits à ces mots. Il est fugace. Presque éphémère. Mais je l'ai senti. Je sais qu'il était là. J'en ai conscience... car mes pensées se sont échappées l'espace d'un bref instant. Quelques secondes volées au détour d'un bar à l'ambiance miteuse, avec le fils extraordinaire d'un être tout aussi extraordinaire. Quelques émotions enfouies depuis longtemps. Depuis si longtemps... que j'ai arrêté de compter il y a plusieurs années.

- Oui oui... bien sûr. Je le lui dirai.

Je me râcle la gorge brièvement, pour revenir à l'instant présent, et je repose les yeux sur lui dans un sourire. Un sourire qui se fige quand je perçois encore une sensation qui devient de plus en plus désagréable au fil des minutes qui s'écoulent.

J'entends sa question, mais je n'y réagis pas tout de suite. Mon attention est focalisée ailleurs. Loin, plus loin, bien plus loin que l'endroit où nous nous trouvons tous les deux.
D'un coup je me lève, manquant de renverser la chaise sur le sol, alors que mon visage arbore une mine soudainement crispée. Sans crier gare, ma tenue de cérémonie diaphane disparait, pour laisser place à des vêtements bien différents... Des vêtements qui sentent le combat. Une tenue que je n'arbore que lorsque les évènements m'y contraignent. Ce qui est malheureusement bien souvent le cas.

Croisés l'un contre l'autre, mon bouclier et mon épée de métal tirent un regard surpris aux clients du bar. Certains reconnaissent immédiatement ma tenue et restent bouche bée, tandis que d'autres reculent, voire sortent directement du bar. Question d'habitude, je ne m'en formalise plus depuis fort longtemps et, à vrai dire, je n'y prête pas la moindre attention.

- Excusez-moi Richard, une urgence. Rien de grave.

Du moins... c'est à espérer.

- Pardon de partir comme une voleuse, mais je n'ai pas le temps de m'attarder. Saluez votre père pour moi si vous le voyez. Je transmettrai votre message à Donna, c'est promis.

Et sans perdre une minute de plus, je m'élance au dehors et décolle assez brutalement vers le ciel sombre, un fin nuage de poussière s'élevant du sol pour toute preuve de mon récent passage.