A new World's Finest ? [Superman]

Quel idiot.

Lassé de l'architecture gothique de Gotham, et des déconvenues derrière chacune de ses gargouilles, Garfield Lynns aka Firefly a décidé il y a peu de prendre le large. Une autre ville, un nouveau départ pour la luciole pyromane ! Et quelle merveilleuse idée que de se créer un petit nid à Metropolis, n’est-ce pas ? De grands buildings ne demandant qu’à être léchés par les flammes, un ciel d’azur sous lequel assister à de formidables incendies, quelques bas-fonds pour varier les plaisirs, et les ruines des récentes attaques kandoriennes pour se replier, à l’abri des regards. Parfait, non ?

Garfield Lynns est un idiot.

Peut-être enhardi par la disparition du Batman, puis quelque peu effrayé par sa réapparition, à aucun moment il n’envisage que les protecteurs de la Cité de Demain puissent lui poser de soucis. Et même si c’était le cas, une flambée devrait leur roussir la cape. Génie des effets spéciaux, oui. Maître planificateur, non. En même temps, quand il s’agit du feu, la raison prend le large pour laisser place à une fascination morbide.

Mais peut-être qu’il peut y arriver ? Peut-être que sous l’apparente folie se dissimule la vérité ; deux petites bâtisses ont déjà flambé dans les Suicide Slums, à sa plus grande joie. Et au désespoir du Metropolis Police Department, qui n’a retrouvé dans ces crimes aucun motif des monstres auxquels ils sont d’ordinaire confrontés. Leur seul indice : des traces de napalm artisanal, encore une fois pas le genre de sophistication à laquelle on les a habitués. De bric et de broc, comme souvent à Gotham, ce genre de matériel dénote, et pas qu’un peu.

Garfield Lynns est un idiot.


Une information qui n’est pas tombée dans l’oreille pointue d’un sourd. Depuis Gotham, et grâce à quelques recoupements entre les informations télévisuelles et une enquête approfondie dans les dossiers informatiques de la police locale, le nouveau Batman a compris de quoi il retournait. Se sentant responsable de la situation, ou en tous cas du départ de Garfield Lynns, il ne lui fallut pas longtemps pour se monter un petit « barda de voyage », tout le nécessaire à ce genre de mission.

S’il s’est montré discret le temps de repérer le psychopathe défiguré, le voilà maintenant dans les rues de Metropolis, à moto, en plein jour. Une surprise pour les quelques inconscients qui n’ont pas pris la peine de se cacher lorsque Firefly est passé au-dessus d’eux, larguant derrière lui des bombes enflammées. Le Batman, ici, sous le soleil de quinze heures, ça a de quoi attirer les caméras des curieux.


Zigzaguant entre les explosifs, avec l’impression de rouler au milieu d’un feu de joie, le héros plus habitué à la pluie de Gotham souffre de la chaleur, surtout sous son masque intégral. Mais sa concentration ne faillit pas. Fixé à la fois sur la route et sur les feintes aériennes du criminel, il assure tout ce qu’il doit assurer pour qu’aucun civil ne soit blessé. Quitte à se prendre lui-même un projectile destructeur.

- Mais bordel, tu pouvais pas me laisser tranquille, Batman ?!

Evidemment que non.

Si doute il y avait encore, le voilà dissipé : Garfield Lynns est un idiot.

- NON !

Mû par un réflexe extraordinaire, le Batman se jette vers Superman, alors que Firefly se libère de sa gangue de glace dans une formidable explosion gelée.

Le pyromane tente ensuite de décoller, en vain, et déverse autour de lui un déluge de flammes. Il se sait fichu (quoique,), et entend emporter un maximum de victimes dans son dernier flamboiement avant arrestation. Quitte à partir, autant partir en beauté.

Du côté de la route, soumise à l’ardeur de la technologie de Lynns, le goudron se met à briller, puis à bouillir. Des dégâts matériels ; Metropolis s’est habituée à pire, bien pire. Du côté du trottoir, en revanche, des innocents risquent de finir rôtis par la chaleur. Un drame à venir, dont la Cité de Demain n’a pas besoin.

Dans un même mouvement, le nouveau chevalier noir pivote sur lui-même, envoie de puissantes grenades glaciales glisser sous le flot infernal et vient couvrir les civils les plus proches de sa cape. Le feu est dévié, mais la chaleur le fait suer à l'intérieur de la bat-tenue. Sur une plus longue durée, une telle puissance pourrait impacter les matériaux modernes, et l’homme en dessous. Mais durant ces quelques secondes, la protection se révèle suffisante.

Les gadgets cryogéniques explosent enfin aux pieds du fou furieux, coupant net l’afflux brûlant.

- Pfffff...

Il soupire, à la fois de fatigue et de soulagement.
Les métropolitains s’enfuient à toutes jambes, à raison. Finalement, la « science de la peur » des protecteurs de Gotham n’aura pas été nécessaire. Contrairement à leur usage très relativement modéré de la violence, quand les vociférations de Firefly se mettent à emplir l’air.

- Non, pas encore, putain ! J’vais vous faire frire ! Tous ! TOUS !

Sans plus de cérémonies, tant pour éviter une nouvelle catastrophe que se soulager les oreilles, Batman s'avance et abat son poing sur le visage déjà mille fois brûlé. Une fois. Cela ne suffit pas. Les hurlements de cochon redoublent. Deux fois. Le menton du criminel tombe mollement sur son torse armuré.

- Enfin.

Sans un mot, ni une attention pour le plus grand des héros, il traine le cocon de glace jusqu’à sa moto, et attache sa cible en travers. Mouvement classique, que l’on peut attendre du Chevalier noir. Distance, silence, raideur sociale. Mais au moment de repartir, son regard blanc glisse sur l’Homme d’Acier, et s’y arrête.

- On se parle ce soir, au sommet du Daily Planet ? Et… merci Superman.

Et la moto démarre en trombe, emportant justicier et criminel au loin.

Où es-tu, Bruce… ?
Une question que l’Homme d’Acier n’est pas le seul à se poser.
Nombre d’alliés et d’ennemis se demandent ou se demanderont bientôt où est passé leur ami, leur Némésis, l’ombre qui planait au-dessus de Gotham City. A cela, personne n’a de réponse à donner, pas même sa famille, qui ne sait si elle doit être en recherche ou endeuillée. Quoi qu’il en soit, son absence se fait douloureuse pour les bonnes âmes, qui sentent le mal jusqu’alors retenu essayer de s’étendre davantage.

Et ce nouveau Batman n’est pas là pour arranger les choses. Véritable mystère enrobé dans une énigme, il est apparu de nulle part, un jour. Ni un disciple connu de la chauve-souris, ni un ennemi désireux de nuire au travail d’une vie, il œuvre autant sous la lune que sous le soleil, sans se soucier des regards.

Tout aussi brutal avec ses adversaires, mais beaucoup plus sociable avec les citoyens de sa ville, il semble prendre un chemin différent, quoique parallèle à celui de son illustre prédécesseur. L’on pourrait dire que ce n’est pas un mal pour s’épanouir. Nombreux sont ceux à avoir essayé d’incarner ce même symbole, au prix d’efforts et de sacrifices parfois irréversibles. Personne ne peut être autant Batman que Bruce Wayne. Personne. Alors peut-être est-il temps de faire évoluer ce qu’est Batman ?

Cette volonté chevillée au cœur, le nouveau croisé masqué dévoile sa présence au sommet du Daily Planet, quelques secondes trop tard. Est-il possible de cacher quelque chose à l’ouïe de Superman ? Le doute est permis.

- Pour être lui, peut-être. Mais je ne suis pas lui. Même s’il faut encore que je m’améliore, oui.

Enfin, il sort des ombres naissantes du grand globe.

- Bonsoir Superman.


Dans sa voix, un fin sourire peut se faire entendre, sous la plaque faciale. Mêlée de molécules de plomb, bien sûr. Non pas qu’il se méfie des intentions du kryptonien, mais il s’agit d’une simple sécurité générale. Tout sérieux qu'il veut être, toute street que soit son attitude, rencontrer le vrai, l'unique grand S, ça fait quelque chose.

- Je ne suis pas en retard.

Il ne s’agit pas une question, mais d’une affirmation. Amusée, c'est certain. Si Superman est arrivé très en avance, lui n’est apparu sur ce toit qu’au moment où le soleil a passé la ligne d’horizon, baignant encore pour quelques instants le ciel de Metropolis de rayons orangés. Apparemment, le goût pour le théâtral va de paire avec le costume.

La nuit naissante est belle. Bleu profond. Rose mourant. Blanc lunaire.
Au-dessus de Metropolis, assez étonnamment, le ciel se couvre d'étoiles brillantes, comme si la pollution lumineuse n'avait guère d'effet. Un léger vent vient caresser les capes rouge et noire, leur donnant un souffle de vie au sommet de l'historique Daily Planet.

Le Batman reste d'abord impassible, face à cette humeur sombre à laquelle il s'habitue, de plus en plus depuis qu'il a commencé à revêtir ce masque. Il s'y fait, oui. En façade, tout du moins. L'échange progresse vite, passe à travers différentes phases. Ses émotions sont trahies par quelques accélérations cardiaques, lorsque la bascule se fait, que le ton change. En sa faveur, bien heureusement.

Immobile, toujours, sa cape brouillant les formes de son corps, il écoute son interlocuteur, et prend quelques secondes avant de répondre:

- Pour être honnête... non. Non, je n'ai pas grand chose à demander.

Ou, en tous cas, rien qui ne puisse être demandé le soir d'une première rencontre. Si dans les jours, semaines, mois à venir une amitié naissait entre les deux hommes, ces réponses viendront. Si ce n'est pas le cas, il ne sert à rien de demander.

Mais il n'a pas fini de parler pour autant. Délaissant sa posture initiale, il croise les bras, mais fait un pas en avant. Protection puis ouverture, exprimés de manière assez paradoxale. Apparemment, souffler le chaud et le froid est un prérequis essentiel pour ceux capables d'endosser cette cape.

- Je... me contente d'essayer de bien faire, et de redonner un peu d'espoir aux gens. Ils ne sont pas idiots, ils ont bien compris que l'homme derrière le masque avait changé. Mais je pense que savoir le Batman dans les rues... les aide à se sentir mieux.

D'ordinaire, l'envie de s'expliquer ne lui viendrait pas. Les gens n'ont pas besoin de connaître le pourquoi du comment de ses motivations, ou la source de sa volonté, ou toute autre chose intime. La seule personne à qui ce nouveau Batman estime devoir quelque chose, estime devoir des comptes, ce serait son prédécesseur, cet homme que beaucoup, dont l'Homme d'Acier ici présent, regrettent la disparition. Mais Superman est Superman, et il est dur de ne pas chercher à parler avec lui. Ce doit être son aura qui fait se sentir en confiance, ainsi que les valeurs qu'il incarne.

Encore une fois, un sourire s'entend sous le masque, lorsqu'il sort un mot d'esprit:

- Même si c'est un Batman qui chasse aussi de jour.

Cela fait, pour le moment, il n'entend pas aller beaucoup plus loin. Ce qui se trouve au fond, tout au fond, près de la fournaise de sa détermination, cela n'appartient qu'à lui et à ceux qui sauront se montrer digne de l'entendre.


Au tour, désormais, du protecteur de Metropolis.
Mais il pourrait ne pas apprécier la retenue dont fait preuve le remplaçant de son ami.

- Je ne te promets pas de réponse satisfaisante, Superman.

Une mise en garde polie, propre et nette. Aucune agressivité ne vient émailler les propos du jeune Batman, qui prend juste le temps d'informer son interlocuteur. A nouveau, sous l'armure, son cœur accélère, dans l'attente des questions de l'Homme d'Acier. L'appréhension et l'excitation s'entremêlent sans que l'une ou l'autre parvienne à prendre le dessus.

L’échange suit de près le cours de la journée. A midi, il brûlait, même après que Firefly ait été appréhendé. Plus le temps passe, plus il s’approfondit, comme le bleu du ciel de Metropolis la grande. Et, avec lui vient le trouble d’être vu comme un imposteur. Honorable imposteur, pensée de façade, mais imposteur tout de même. L’homme jadis sous le masque manque, beaucoup. Son successeur ne pourra rien y faire, hormis trouver sa place.

- Nous ne sommes pas amis. Je ne suis pas lui. Je n'entends pas abuser de ton trouble. Donc non, je n'ai pas de questions.

Car si le Batman est troublé, Superman l'est aussi. Différemment, pour des raisons différentes. Mais bel et bien secoué par les pensées et émotions qui le traverse. Un Chevalier noir qui ne verrait pas cela manquerait assurément de ce qu'il faut pour assumer pareille mission.

Une mission qu’on lui demande de détailler. C’est un premier pas positif, par rapport à ses précédentes rencontres. Agréable ? Non, quand même pas. Devoir se justifier n’a jamais fait plaisir à personne.

- Je suis quelqu'un qui n'accepte pas la passivité, la corruption et le désespoir. Les solutions de facilité non plus. J'agis là où il faut agir, pour m'opposer au pouvoir malsain de l'argent-roi, qu'il vienne des bureaux de PDGs ou des bas-fonds. Seules quelques relations ténues me relient au Batman; l'une d'elle m'a encouragé à prendre sa suite. Mais définitivement pas ses fidèles. Robin a voulu me briser. Orphan aussi. Batgirl, la blonde, s'est montrée moins catégorique. Les autres me sont encore inconnus.

Le discours est intense, motivé.
Tout dedans mobilise la foi qu'a le jeune homme en son combat.
Il est déjà Batman, qu’on le veuille ou non, qu’on l’apprécie ou non. Rien n’y fera, rien n’y changera, jusqu’à son trépas.

- Pour le moment, je me charge de Gotham et de ses ressortissants. D'où ma présence ici. Garfield Lynns n'a rien à faire à Metropolis. Vous avez déjà assez à faire comme ça.

Metropolis est encore très meurtrie, oui. L’invasion kandorienne a laissé des traces dans la ville et dans les cœurs. Les citoyens n’ont en plus pas besoin d’un pyromane fou furieux venu rajouter une cerise sur le chaos. Un chaos d’autant plus terrible que le Batman original n’est plus là pour aider à le régler.

- Hé, Superman.

Les flammes ont réduit pour ne plus former qu’un tapis de braises dans la voix du jeune justicier. La brûlure est toujours là, mais plus douce. Plus… empathique.

- Je suis désolé pour vous.

Vous, vous tous. Vous qui aimiez la figure sous le masque, vous qui la respectiez, l’estimiez, la voyiez essentielle au monde. Vous qui peinez à accepter un successeur venu de nulle part. Vous, vous tous oui.

De son côté, le nouveau Batman observe les réactions de cet Homme d'Acier dont il ne connaît encore rien, hormis peut-être ce qu'en disent les archives de son batordinateur. Et quelles archives ! Pléthore d'aventures ont été partagées avec l'ancien dépositaire du masque, et tout aussi nombreux sont les compliments adressés au protecteur de Metropolis. Une force de la nature, à la bonté époustouflante. Pourtant, s'il apprécie cette sincère sollicitude à son égard, cela ne lui plaît pas. Pour des raisons stratégiques.

- Superman.

Le ton se veut sûr, ferme, un tantinet autoritaire.
Pour couper Superman, moins que ça n'est pas envisageable.
Bras croisés, il laisse attendre ses mots, le temps d'être sûr qu'ils soient écoutés.

- Ce sont des affaires de chauve-souris. Ne va pas te les mettre à dos à cause de moi. Et ne va pas leur faire croire que je viens pleurer dans ta cape, s'il te plaît.

Ce serait la pire situation possible.
Le fragile équilibre des forces instauré depuis peu serait tout simplement balayé, et avec lui le peu de respect amassé jusque là. Qu'il est difficile de trouver sa place dans cette ville sombre, prompte à l'auto-destruction.

Si à l'origine du mythe, Batman avait pu opérer au-delà de toute acceptation de ses pairs, tant ils étaient alors peu nombreux, aujourd'hui Gotham est saturée de ses disciples. Il est impossible d'outrepasser leur avis, comme le successeur a pu s'en rendre compte. Il y a de quoi étouffer les bonnes volontés, avec ce genre de méthodes.

Ce qui n'est pas son cas. Il hoche la tête, lorsque Superman exprime sa surprise.
Non, porter le masque ne va pas de paire avec une dureté permanente.
L'ancien fonctionnait ainsi; l'ancien n'est plus là.

- Je te l'ai dit. Je ne suis pas lui, et je ne me ferai pas passer pour lui.

Il fait ce qu'il peut pour conserver une forme de sérieux, lorsque arrive la proposition finale: découvrir Metropolis, et la face cachée de la grande cité côtière. Mais de légères nuances dans le ton de sa réponse le trahissent; il se fiche d'elles, au final. Oui, cela l'amuse, oui, cela l'intéresse, et il n'entend pas s'en cacher.

Même s'il ne peut retenir une petite pique sans aucun fondement.

- Qu'est-ce qu'une ville constamment éclairée par le soleil pourrait me cacher ?

Sa curiosité prend bien sûr le dessus: il a ça dans le sang, après tout.

- Hrm.

Suicide Slum... c'est terrible, c'est dramatique, c'est déchirant... c'est ce contre quoi le Batman se bat. Pendant que les riches paradent, se plaisent et se complaisent dans des fêtes mondaines toutes plus délicates les unes que les autres, les démunis se battent pour de misérables miettes... quand ils ne doivent pas arracher aux leurs un semblant de subsistance. Ici. A Gotham. A Detroit. En Europe. En Asie. Partout ce genre d'endroit appelle à la révolte et à la justice, les mêmes qui brûlent au plus profond de ce nouveau Batman, que les inégalités touchent plus encore que l'ancien.

A peine est-il arrivé sur place que son souffle s'accélère imperceptiblement, en accord avec le rythme de son cœur. Un épuisement dû à la course depuis le centre-ville doré de Metropolis ? En aucun cas. Il est trop athlétique, trop formé pour être impacté par cette bagatelle.

Posé sur ce toit abimé de Southside, son attention reste concentrée sur les propos de Superman. Quartier délaissé. Banlieue pauvre. Le pile du face des quartiers favorisés. Là où s'entassent ou sont entassés ceux qui n'ont guère eu de chance dans la vie. Les marginaux. Les laissés pour compte. Les criminels. Comme le suggère la scène qui attire immédiatement les sens du Chevalier noir, au détriment du discours de l'Homme d'Acier.

- Un cas de conscience. Le jeune voleur sans défense, ou le spolié brutal ?

Son ton est pensif.
Avant de se durcir, soudainement.

- Aucun des deux n'est dans son bon droit.

Aux yeux de la loi, si. Le vol est puni, qu'il soit petit ou grand, important ou futile. Mais les forts bénéficient d'avantages dont les faibles ne peuvent même pas rêver. Soit physiques, lorsque les forces de l'ordre ne regardent pas, soit monétaires lorsqu'on se rapproche des centres-villes dorés. Lui-même en a fait l'expérience, au moment le plus sombre de sa vie. Lui, il sait comment aider cet endroit. Mais cela impliquerait de se mettre à dos beaucoup de monde puissant. De renverser ce qui se veut vissé aux fondations de la société. De remettre un peu de décence dans ce monde qui peine à en trouver.

- Alors allons calmer tout ce beau monde avant que la situation ne dégénère.

D'un bond, il quitte le toit pour glisser dans les airs, comme une immense chauve-souris. Dans la nuit naissante, sa silhouette prend des proportions monstrueuses, effrayantes, mythologiques. Tout se passe au soleil, ici.. jusqu'à ce qu'il se couche. Vient alors, lorsque les derniers rayons disparaissent derrière l'horizon, l'heure du Batman.

Perché sur ce rebord de bâtiment attrapé au dernier moment, lorsque Superman est venu s’interposer, il attend en silence. Il laisse son attention englober la scène, dans son entièreté. Les odeurs urbaines des blocks alentours, les halètements effrayés de l’enfant affamé, la respiration lourde du géant qui l’arrête… par bonté de cœur. Car ce Bibbo Bibbowski cache sous une apparence rustre de l’or pur, précisément celui qui manque tant au monde d’aujourd’hui.

Une fois passée la perplexité d’être stoppé en plein vol par son comparse, le Batman n’a pas été retourné par la conclusion de cette situation. Sous son regard bienveillant, aucun mal ne peut être permis, même pour montrer l’exemple, même pour servir de démonstration. Ce qui étonne le nouveau chevalier noir, c’est plutôt à quel point le moment a été choisi, contrôlé, et montré.

- Je ne pensais pas Superman amateur de théâtralité.

Surprenant, mais pas tant que ça. On ne construit pas un mythe pareil de nulle part. Si tant est qu’il a été construit, et n’a pas simplement émergé de cette humble grandeur qui le caractérise aux yeux de tous. Et puis... peut-être que l'ancienne chauve-souris a un peu déteint sur lui aussi ?

Attendri par la main tendue du restaurateur métropolitain, Batman reste encore quelques instants à profiter, jusqu’à ce que l’homme et l’enfant disparaissent dans la boutique, sûrement à la recherche d’un morceau de viande de choix et d’une bonne plâtrée de légumes.

- Il y a de belles âmes partout. L'argent, ou son manque, est souvent ce qui les corrompt.

Malheureusement, et cela se voit déjà d’ici, les Suicide Slums n’ont pas que des Bibbo pour veiller sur eux. La pauvreté mène au désespoir, et le désespoir à la criminalité. Une fois le pied dedans, la machine se lance et rares sont ceux capables de se sortir d’un tel marasme. D’autres facteurs sont à prendre en compte, bien sûr, mais celui des inégalités, qu’elles soient sociales, culturelles ou économiques jouent un rôle central.

Maintenant, l’inverse existe aussi. Être du bon côté de la barrière n’implique pas forcément d’avoir une moralité exemplaire. C’est même souvent l’inverse. Le pouvoir monte souvent à la tête, et peut transformer l’honorable en monstre sans cœur. Traverser à nouveau la ville se fait à un rythme moins intense. Il n’est pas question ici d’un manque de capacités physiques, mais de la marque de la réflexion du croisé encapé. Superman essaie de lui montrer quelque chose, de faire passer un message. Alors il le cherche. Il cherche à faire émerger la morale, volontaire ou non, de cette rencontre.

Arrivé devant l’immense structure de la LexCorp, aussi sombre et inquiétant que son fondateur, le Batman observe à quel point elle tranche avec le reste de la ville. Monument à la gloire d’un seul homme, elle anéantit à elle seule le charme des environs.

Cette constatation l’attriste, le dégoûte. Son regard glisse presque sans y penser le long de l’horizon, jusqu’à se poser sur la silhouette nocturne de Southside, plus terrible à vivre mais moins nocif à l’échelle de l’humanité. Où l’humanité, la vraie, subsiste encore, d’ailleurs.


Silencieux un instant, alors que le vert de la tour se reflète sur son costume, il lâche finalement:

- C'est exactement pour cela que je me bats. Pour des Bibbo, contre des Luthor.

Sans bouger, telle une grande gargouille de pierre, il continue, amer:

- Il ment, triche, manipule, détruit, tue, nous le savons tous... pourtant, Metropolis accepte toujours son retour. Comment fait-il ?

- Hrm.

Ainsi répond le Batman.

Au long discours de Superman sur la nature de l'humanité, la brutalité intrinsèque d'Alexander Luthor, le charme que cet homme singulier exerce sur les foules, et le fait qu'il s'en sorte toujours par d'habiles ruses et quelques ronds de jambe, quoi qu'il arrive. Cette pensée envahit l'esprit sous le masque de chauve-souris, et l'obsède un bref instant. Une telle injustice nourrit sans mal ses propres traumas, et donne du grain à moudre à sa propre quête... tout en la rendant soudainement désespérée. Qui peut lutter contre ce qui semble être l'essence profonde de l'Homme ? Pire réflexion encore: qui peut se vanter d'avoir triomphé face à pareil adversaire ?

C'est peine perdue, oui.
C'est peine perdue.

Pour une simple personne, oui.
Isolée, solitaire, il n'est pas possible pour elle de vaincre.
C'est de ce constat qu'émerge le besoin d'incarner un symbole.
C'est de là qu'est venue la décision d'endosser un héritage plus grand que lui, plus grand que n'importe qui. Sans la chauve-souris, sans cette force à même de déplacer des montagnes, d'inspirer les désespérés, se battre n'est alors qu'un moyen d'endiguer les symptômes. Alors qu'il faut frapper à la source. Un grand coup, si possible.

Ce "Hrm" est également employé pour répondre aux mots que Superman livre devant la statue de pierre, souvenir de sacrifices héroïques, symbole, elle aussi, d'une grandeur à atteindre. Même si parfois, l'objectif ultime se perd au profit d'un fanatisme aveugle dédié aux figures censées l'incarner. Une déviance difficile à éviter, mais si peu grave lorsqu’il s’agit de Superman.

Sans être totalement tombé sous le charme du boy scout à cape rouge, Batman ne peut que reconnaître que croire en lui, c’est croire en ses idéaux tant les deux se fondent l’un dans l’autre. Ce qui est on ne peut plus admirable. Autant que l’inquiétude dont cet Homme pourtant d’Acier fait preuve lorsque son regard croise la peau de son ami disparu, portée par un inconnu.

Réceptif à cela, le nouveau croisé masqué fait un pas vers son guide de Metropolis, juste un pour exprimer une franche sollicitude sans sacrifier de son espace vital.

- Hé, Superman. Il n’est peut-être pas tombé. Sans doute avait-il besoin de disparaître un temps pour mettre à exécution quelque plan secret. Du peu que j’ai vu des nombreux dossiers de Pap… Lucius Fox, dieu seul sait combien il en a…

Il va au bout de sa phrase, mais… aïe.
Une bourde. Une erreur. Quelques mots de trop.
Tout concentré qu’il était sur sa visite de la ville, il a perdu la maîtrise de ses mots, juste un peu, juste assez pour donner une information. Minuscule information, soit, mais information quand même. Rattrapée du bout des lèvres, mais quand même. Fais chier.

Bien sûr qu'il a compris. Bien sûr qu'il sait. Cet homme encapé, au rouge et au bleu iconiques, n'est autre que Clark Kent. Reporter de l'extrême, parmi les meilleurs détectives au monde, une sommité dans l’art de relever tous les petits détails pour les assembler ensemble en un tout cohérent. Et, tout au long de cette soirée, le nouveau Batman n’a pas manqué d’occasions d’en semer ci et là. Assez pour se rendre compte que son masque relève désormais du superflu.

C’est embêtant, c’est frustrant, cela le poussera à encore s’améliorer.
Mais ce n’est pas inquiétant. A défaut d’avoir profondément confiance en l’Homme d’Acier – en arriver à ce niveau de lien requerra plus qu’une soirée, si enrichissante soit-elle – il a foi en lui, ce qui est une chose bien différente. De toute façon, le mal est fait, et il n’entend pas se battre pour le rectifier. Pas celui-là, du moins.

Chassant donc ce petit impair de son esprit, Jace Fox se place aux côtés d’un Superman manifestement ravi de lui présenter sa ville, son univers… et ses projets. Un puissant flash blanchâtre vient briser la pénombre, émanant d’un des buildings. A la manière d’un bat-signal inversé, ce qui fait naître un sourire sur les lèvres du justicier gothamite, un symbole se détache dans la lumière. A la fois blason alien et lettre de noblesse, le S merveilleux s’imprime avec une aisance remarquable dans le panorama de la cité de demain.


Le Batman croise les bras, prenant le temps d’assimiler ce qu’il voit, avant de pivoter légèrement vers son guide du jour.

Ce qu’il découvre est impressionnant, oui. C’est fort, c’est puissant, ça va remuer son petit monde.

Mais…

- J'ai beau ne pas être mon prédécesseur... c'est tout de même trop brillant pour moi.

Une touche d’humour, à laquelle se mêle tout de même beaucoup de vérité. Cette Maison Superman est une idée grandiose, encore plus mise ainsi en lumière, sans mauvais jeu de mot. Metropolis, et son célèbre résident à cape rouge, sont des phares. Et en tant que tels, ce S étincelant est parfait pour les représenter. Pour autant… non, ce n’est pas la forme que lui, Jace Fox, Batman, impulserait à ce projet s’il en avait les commandes.

- Mais je serai malhonnête de ne pas souligner que de telles initiatives ont de quoi inspirer. Bravo.

Les félicitations sont sincères, car l’ambition l’a touché. Lui qui parlait de justice sociale, de lutte contre les inégalités, de rendre de la dignité aux perdants du monde moderne ne peut qu’apprécier les moyens mis en œuvre pour y remédier.

Cela ne peut marcher à Gotham City, tant les deux villes s’opposent sur leur essence, mais ici… c’est juste parfait. Ou, en tout cas, ça a la vocation de tendre vers.

Cet étalage d’effets luminotechniques laisse cependant Jace quelque peu songeur, sous le masque.

- Ne viens-tu pas de vendre la mèche en allumant ce super-projecteur, qui plus est de nuit ?

Un choix voulu par son confrère en costume, sans aucun doute.
En revanche, le pourquoi du comment de cette révélation, hormis le plaisir de finir sur un peu de grandiose, reste beaucoup plus mystérieux. Quelques théories viennent à l’esprit du Batman, toutes un peu naïves il doit l’admettre. Alors plutôt que de prendre le risque de froisser, il préfère attendre une explication.

Une ombre sous la lune plonge à la suite de Superman.

Dans un claquement irréel, elle déploie ses ailes, et plane presque silencieusement vers le chaos qui se prépare. Un quartier entier de Métropolis, l’Homme d’Acier avait dit. Sur le point de sauter, par la faute de Toyman, l’adepte des jouets transformés en armes. Comme quoi, Gotham seule n’avait pas la primauté des criminels bizarroïdes.

Encore frais dans ce rôle, le nouveau Batman avait besoin de plus de matière pour appréhender la situation. Tout un ensemble de facteurs, tels que les origines, motivations, habitudes, modus operandi ou encore la qualité de la technologie employée pouvait avoir son importance.

- Vol. J’ai besoin d’infos, vite.

Dans son repaire de Gotham, sous la Tour Wayne, quelques secondes suffisent au hacker pour trouver, récupérer et transférer le flux de données jusqu’aux lentilles de son coéquipier. Mais ce dernier n’a pas le temps de les consulter. Une masse informe lui tombe soudainement dessus.

Quelque chose le stoppe, le bloque, l’arrête en plein vol. Ça grouille et s’écarte de lui, alors qu’il chute.

Une voiture se tord sous lui.

L’impact, en grande partie encaissé par les matériaux de haute qualité de l’armure, se fait tout de même ressentir jusque dans les os. L’atterrissage est douloureux, étouffant, mais pas assez pour arrêter le successeur à la chauve-souris.

Le Batman se redresse à toute allure, n’exprimant qu’un léger gémissement tandis qu’il sent naître des bleus sous sa peau. Il allait payer ces efforts. Plus tard. Quand il enlèvera le costume pour se reposer. S’il en a le temps. S’il en a le désir. Peut-être pas avant d’avoir fait ses preuves aux yeux de ceux qui le rejettent… car cela lui importe, plus qu’il ne l’avait pensé au préalable.

Un regard porté à son agresseur le fait cependant se figer, un bref instant. Ce n’est pas un agresseur, mais des agresseurs. Multiples, nombreux, minuscules, colorés. En plastique. De toutes les formes. Des formes qu’il reconnaît, pour la plupart.


Des figurines de collection à l’effigie de grands héros et vilains de leur monde, animées par on ne sait quelle machinerie géniale qui aurait valu à son créateur la reconnaissance éternelle de quelque jolie entreprise de jouets. A la place, les voilà prêtes à préparer un attentat. A quel moment les choses avaient-elles merdé aussi fort ?

- Hrm.

Bien évidemment, le premier des jouets à l’atteindre n’est autre que Batman. LE Batman. Sans la moindre vergogne, il l’écarte d’un revers du bras, avant d’envoyer deux batarangs explosifs dans cette mêlée plastique, afin de réduire la menace. Il faut faire vite, car le vrai danger réside ailleurs, il le sait.

Comme il sait avoir confiance en Superman pour gérer, de son côté.

Superman fait face à Toyman.
L'Homme d'Acier venu d'ailleurs contre l'Inventeur Fou de Metropolis
Les pouvoirs d'un kryptonien opposés à l'esprit génial d'un fabricant de jouets dément.

Dément au point de jouer avec la vie de centaines, de milliers de personnes, avec cette télécommande maudite. Une pression et tout le pâté de maison partait en fumée, arraché de terre par l'explosion de bombes au style sûrement très enfantin. Une situation à laquelle personne ne souhaitait arriver... mais qui n'était pas encore tout à fait exclue. Les motivations nébuleuses de Winslow Schott, s'il s'agissait bien de lui dans le rôle, se révélaient aussi enfantines que ses réactions. Impossible de laisser passer cela, alors que la Ville de Demain peinait encore à se relever de l'attaque des Kandoriens.

Superman s'élança, donc. Mais pas assez vite, surprenamment. De derrière lui vola une petite sphère grise, un peu grossière, qui roula jusqu'aux pieds de Toyman. L'objet, sans aucun doute un gadget, demanda au criminel de l'observer par deux fois avant de comprendre, avant de saisir. De précieuses secondes perdues, qui ne sauraient être rattrapées. A peine le génie des jouets avait-il compris la nature de l'objet qu'un arc électrique jaillit de ce dernier, avec un crépitement de tous les tonnerres.


Toute la zone fut soudain baignée dans une lueur bleutée irréelle, massive. Une onde de choc électrique passa au travers des êtres de chair et de sang, avant de finalement gagner son diamètre maximal. Des éclairs se tordaient ça-et-là, en une danse affolante... surtout pour les outils technologiques à portée.


Les machines de Winslow Schott tressautèrent, immobilisées pendant un temps, et plus particulièrement le déclencheur des explosifs.

Enfin, profitant de cette ouverture, le nouveau Batman jaillit de sa cachette !

Des fragments mécaniques, de l'huile chaude, plusieurs choses tombaient du ciel, comme des offrandes lâchées au fur et à mesure pour ralentir la course du prédateur. Mais elles étaient surtout le fait de son action. Les figurines, déjà en partie fondues par la vision chaude de Superman, avaient été dûment détruites par l'autre, le successeur, le prétendant.

Un tir de grappin permit au sombre encapé de prendre un peu de hauteur et de vitesse, assez pour descendre à toute allure vers Toyman et...


... appuyer la rencontre de sa botte avec le visage artificiellement poupin. Avec un grognement de douleur, le criminel tomba durement au sol, son masque se fissurant quelque peu.

- ASSEZ !

Accompagnant les mots de gestes, le Batman saisit d'une main le petit bonhomme aux terribles intentions, avant de le plaquer contre un mur proche. L'autre main vint méthodiquement fouiller les poches du pantalon, tâter le rembourrage du pull, à la recherche d'un autre dispositif pour les explosifs, ou d'une arme mortelle qui faisait "couic-couic". Cela ne faisait jamais de mal d'être trop prudent dans ce genre de situation, quand des vies étaient en jeu. Les leurs ? Un peu, bien sûr, mais surtout celles des citoyens de Metropolis, qui n'avaient rien demandé à personne.

Rien. L'homme-enfant n'avait plus de carte dans sa manche, plus de jouet au fond de la hotte. Dans l'immédiat, du moins. Après la charge IEM et la destruction de ses précieux automates, il allait lui falloir bien du courage pour se sortir des griffes de ses ennemis. Bien. Une bonne chose. Après réception d'un dernier regard terrible, Schott fut jeté aux pieds de Superman.

- Il est à toi.

La ville de Superman, les criminels de Superman.
C'était, quelque part, une question de respect et de bon sens.
Personne ne connaissait mieux ses adversaires que celui qui les combattait depuis des années.