Les Murmures du Lac Noir

La nuit était lourde et oppressante, le ciel des Highlands voilé de nuages épais, ne laissant aucun éclat d’étoile pour éclairer le chemin sinistre que Komannead'ra avait entrepris. La forêt semblait retenir son souffle, imprégnée de la tension de cette nuit fatidique. Koman marchait d’un pas décidé, sa cape sombre drapée sur ses épaules, ses longs cheveux noirs ondulant sous la brise froide. Mais c'était son regard qui trahissait la véritable nature de son cœur : froid, affamé, fixé sur une seule chose — le pouvoir.

Koman, fille aînée de Rí Miannad’ra mac Korith, du clan Túatha na Gréine, savait qu'elle était destinée à plus que l’ombre dans laquelle elle avait été confinée toute sa vie. Korin, sa sœur, avait toujours été la favorite. Celle marquée des signes divins, la descendante des étoiles. Mais Koman, malgré ses propres origines, avait été jugée « incomplète », « non révélée ». Trop longtemps, elle avait attendu que les anciens dons de leur lignée se manifestent en elle, mais la patience n'était pas dans sa nature. Elle avait su écarter l'ombre de sa sœur de son chemin, mais être simplement la fille d’un chef n’était pas suffisant pour elle.

Elle voulait plus. Elle désirait le pouvoir que la légendaire la Sorcière des Lochs, être occulte dont peu de gens de son peuple osait seulement évoquer le nom, pouvait lui offrir. Mais pour atteindre ce pouvoir, elle savait qu'il fallait sacrifier quelque chose de grand, de pur. Le prix du sang.

À ses côtés, Cailen, un jeune guerrier picte, marchait avec l’assurance naïve de la jeunesse. gé de seulement 18 ans, son corps, bien qu'encore en pleine construction, montrait déjà des signes de force. Il portait sur lui les premiers tatouages bleus, symboles de son initiation au monde des hommes, des guerriers. Cailen adorait Komannead'ra, bien plus que la simple admiration due à la fille du Rí. Il était tombé sous son charme, piégé dans la toile qu’elle avait tissée avec une précision calculée.

Koman, au courant de l’innocente fascination de Cailen, avait su comment l’attirer dans son filet. Il n’avait fallu que quelques mots mielleux, des promesses chuchotées au creux de la nuit, et finalement, son corps offert comme une caresse venimeuse. Elle l’avait invité dans sa couche quelques lunes auparavant, éveillant en lui non seulement une passion aveugle, mais aussi une loyauté indéfectible. Pour lui, Komannead'ra était une déesse, une incarnation des forces mystiques de leur peuple. Il croyait qu’en la suivant, en prouvant son dévouement, il deviendrait plus qu’un simple guerrier. Il deviendrait un élu, un protecteur des terres anciennes.

Mais Koman ne voyait en lui qu’un pion. Un outil de plus dans sa quête de pouvoir. Elle avait manipulé son esprit et son corps, tissant une illusion de passion et d’ambition commune. Chaque caresse, chaque mot doux qu’elle lui avait donné n’avait qu’un seul but : le préparer à ce moment.

Alors qu'ils marchaient vers le Lac Noir, une étendue d'eau calme et sinistre, imprégnée de légendes et de morts oubliées, Cailen croyait encore fermement qu'il vivait une aventure mystique. Pour lui, ce lac était l'aboutissement d'une quête sacrée, un lieu où il deviendrait enfin ce que Komannead'ra lui avait promis — un guerrier béni par les esprits. Il ne pouvait pas voir la noirceur derrière ses yeux froids, ni comprendre la profondeur du piège qui s'était refermé sur lui.

Ils atteignirent le lac, une étendue d’eau si noire et immobile qu'elle semblait défier même la lumière de la lune. Les arbres autour du lac, nus et torturés, se tordaient sous une force invisible, comme s'ils cherchaient à fuir ce lieu. Le silence était total, excepté pour le souffle léger du vent qui semblait murmurer des avertissements.

Komannead'ra s'arrêta au bord de l'eau, son regard impénétrable fixé sur la surface sombre. Cailen, à ses côtés, observa le lac avec fascination, ignorant le malaise croissant qui régnait autour d’eux. Il ne percevait pas les signes. Il ne sentait pas la froideur surnaturelle de l’air, ni l'énergie sinistre qui commençait à s'accumuler autour du lac. Il ne voyait que le reflet de ses espoirs, son avenir glorieux à venir.

Komannead'ra, toujours aussi impassible, se tourna enfin vers lui. "Cailen," murmura-t-elle, sa voix douce et caressante, comme un serpent qui s’enroule autour de sa proie. "Tu es sur le point de faire quelque chose de grand. Ta loyauté sera récompensée au-delà de tes rêves."

Cailen, les yeux brillants d’espoir et de fierté, la regarda avec une dévotion presque enfantine. "Je suis prêt, Koman. Pour notre peuple, pour toi."

Elle lui offrit un sourire, glacial et calculé, dissimulé derrière une apparence bienveillante. Elle posa une main sur son épaule, un geste qui se voulait réconfortant, mais qui était le prélude d’un acte bien plus sombre. Le jeune guerrier ne remarqua pas la froideur dans son regard, ni la lueur prédatrice qui brillait derrière ses pupilles.Il n'avait aucune idée que sa vie était sur le point de se terminer.

Komannead'ra s'approcha de lui avec une douceur calculée, ses yeux sombres cachant la froideur de ses intentions. Elle posa délicatement ses mains sur son torse, son souffle effleurant son visage. Elle commença à l’embrasser doucement, ses lèvres se pressant contre les siennes avec une tendresse inattendue, créant une illusion d’intimité et de confiance. Cailen, emporté par cet élan de passion, ferma les yeux, sentant son cœur battre plus vite, croyant qu’il vivait un moment unique, un moment sacré.

Ses mains glissèrent sur ses épaules, déliant les liens de sa tunique de cuir, la laissant tomber avec précaution. Son corps, encore marqué des entraînements et des batailles, se dévoila peu à peu sous les étoiles, et les gestes de Koman calculé pour lui donner l'impression qu'il était spécial, choisi pour quelque chose de grand. Elle murmura des mots doux à son oreille, des promesses voilées de gloire et de pouvoir, mais aussi des incantations subtiles qu’il ne comprenait pas.

Cailen, éperdu dans cet instant, ne voyait pas la véritable nature de la femme devant lui. Il sentait seulement la chaleur de son corps contre le sien, la confiance aveugle d’un jeune homme amoureux.

Mais Komannead'ra, tout en poursuivant ce jeu de séduction, gardait son esprit focalisé sur ce qui devait être fait. Son regard glissa un instant vers la dague noire posée non loin d’eux, son éclat sinistre semblant appeler le sang. Elle savait que chaque baiser, chaque geste, la rapprochait du moment final. Celui où elle devrait briser cette illusion de passion pour compléter son rituel.

Le jeune guerrier, aveuglé par la passion, ne vit pas la froideur dans ses yeux, ni ne perçut l'ombre sinistre qui planait sur lui. Il était complètement livré à cette femme qu'il vénérait, l’esprit obscurcie par une passion physique et émotionnelle.

A la fin de leurs ébats, Komannead'ra l’allongea doucement sur le sol, le regardant avec une fausse tendresse, ses doigts caressant son visage, ses lèvres effleurant à nouveau les siennes. Son esprit était déjà tourné vers la dague posée à quelques pas d'eux, l’éclat noir de la lame attendant le moment où elle percerait sa chair. Cailen, apaisé et vulnérable, n'offrit aucune résistance.

Elle se pencha sur lui, posant un dernier baiser sur ses lèvres avant de tendre la main vers la dague. Le rituel était prêt.

Lorsque le jeune homme fut emporté par sa passion, elle tira lentement une dague recourbée, un artefact ancien, forgé dans des temps oubliés. La lame noire semblait absorber la lumière du peu de lune qui perçait à travers les nuages, et des runes étranges, gravées le long de son bord, luisaient faiblement. Koman n’hésita pas. En un mouvement fluide, rapide et sans pitié, elle leva la lame et la plongea dans la gorge de Cailen.

Le jeune guerrier écarquilla les yeux, un mélange de douleur et d’incompréhension se reflétant dans son regard. Ses mains se portèrent instinctivement à sa gorge, mais le sang jaillissait déjà en flots rapides, impitoyables. Son regard, une dernière fois, chercha celui de Koman, implorant une explication, un pardon, une raison. Mais il n’y avait rien dans ses yeux. Aucune pitié.

Komannead'ra le regarda se débattre dans la boue avec une froide indifférence. Elle observa le sol se teindre de rouge, le sang s’infiltrant lentement dans les racines des arbres. Puis, sans une once de remords, elle traîna le cadavre inerte de Cailen jusqu’au bord du lac, laissant une traînée de sang derrière elle, comme une signature sinistre du sacrifice qu'elle venait d'accomplir.

Elle se pencha alors au-dessus du corps et, d’un geste méthodique, plongea la dague dans l’eau noire du lac. Elle murmura des incantations dans une langue ancienne, des mots appris de femmes bannies, des sorcières qui avaient disparu dans l'ombre des légendes. Le sang de Cailen se répandit dans l’eau, créant des volutes rouges qui tourbillonnaient et s'étiraient dans les profondeurs sombres du lac.

Le silence lourd se rompit soudain. L’air autour d’elle devint plus lourd, chargé d’une énergie palpable et maléfique. L’eau commença à bouillonner, et une brume épaisse et glacée s’éleva lentement de la surface, enveloppant la silhouette de Komannead'ra dans une étreinte éthérée.

Elle avait réussi. Le sacrifice avait été accepté. Le sang de Cailen avait ouvert la porte. Et maintenant, Mera, la Sorcière du Lac, pouvait apparaître.

La nuit autour du Lac Noir était devenue d’un calme inquiétant. Komannead'ra regardait les volutes de sang tourbillonner à la surface de l’eau sombre, sentant l’énergie étrange qui émanait de son sacrifice. Le corps nu et sans vie de Cailen, gisant à ses pieds, semblait n’être qu’un souvenir lointain alors que l'air se chargeait d'une lourde aura mystique.

L’obscurité enveloppait le lac comme une ombre mouvante, et une brume dense s’éleva soudainement des profondeurs. Koman sentait le poids du moment, la tension d’une rencontre qu’elle avait espérée, mais redoutée. Son cœur battait plus vite, et ses mains, encore tâchées du sang de Cailen, tremblaient légèrement malgré la froideur de son esprit. Elle savait que cette apparition marquait un tournant irréversible.

La silhouette émergea des eaux, une figure éthérée qui semblait fusionner avec la brume. L'atmosphère devint glaciale, et chaque souffle semblait suspendu, comme si la nature elle-même se pliait devant cette entité venue des abysses du lac. La Sorcière des Lochs, une créature à l'apparence presque irréelle, apparut devant Koman. Sa peau ressemblait à l'écorce d’un arbre ancien, tordue et noueuse, avec des fissures profondes comme les racines d’un chêne millénaire. Ses cheveux blancs flottaient autour d’elle, tels des fils argentés, se mêlant au brouillard. Ses yeux, blafards et aveugles, fixaient pourtant Komannead'ra avec une intensité déconcertante.

Un silence lourd s'installa, comme si le monde entier retenait son souffle. Koman, malgré sa force, ressentait la pression de cette présence ancestrale. La sorcière ne parlait pas, mais son essence exigeait une réponse. Le prix à payer pour ce qu’elle allait demander pesait déjà sur elle, même avant que les mots ne soient prononcés.

Enfin, une voix, qui ne semblait pas tout à fait appartenir à ce monde, résonna dans son esprit. Koman savait que la question était posée, même sans qu’un seul mot ne soit prononcé à haute voix.

Le moment était venu. Komannead'ra avait sacrifié tout ce qu'elle possédait pour en arriver là. Mais elle savait aussi, au plus profond d’elle-même, que chaque vœu avait un prix. Un prix qu’elle était prête à payer, aussi terrifiant soit-il.

Son regard froid et déterminé se leva pour rencontrer les yeux blafards de la Sorcière, mais une lueur de vulnérabilité traversa son visage. Pendant une fraction de seconde, le souvenir de sa sœur, Korin, celle qui avait été bénie par l'héritage céleste, envahit son esprit. L'ombre de cette sœur, si aimée de tous, qui portait en elle la puissance du soleil, alors qu'elle-même, Koman, était restée dans l'ombre.

"Je désire le pouvoir," murmura-t-elle, sa voix rauque d’émotion, mais ferme. Ses poings se serrèrent alors qu'elle rassemblait son courage. "Le pouvoir qui m’a été refusé. Celui que ma sœur a reçu, mais pas moi." Les mots franchirent ses lèvres avec une amertume palpable. "Je veux ce qui m’appartient par droit de naissance."

La haine, la jalousie, tout ce qu’elle avait enfoui pendant tant d'années bouillonnait maintenant à la surface. Elle ne désirait pas seulement du pouvoir. Elle voulait l’égalité, l'équilibre entre elle et Korin. Si sa sœur était le soleil, elle serait la nuit. Si Korin portait en elle la lumière, Koman porterait les ténèbres.

Mais dans le silence glacial qui suivit sa déclaration, Koman sentit le poids de l'avertissement, celui que la Sorcière n’avait pas besoin de formuler : il y aurait un prix.

Komannead'ra sentit le poids de la main de Mera sur son épaule, froide et pourtant étrangement apaisante, comme si ce simple contact fermait la porte derrière elle. Il n’y aurait pas de retour en arrière. Le souffle chaud de la sorcière glissant contre son oreille, accompagné de cette question insidieuse, la plongea dans un silence lourd. Les brumes du lac s'épaississaient autour d'elles, tissant une toile de noirceur, comme si le monde lui-même retenait son souffle.

Les paroles de la sorcière résonnaient encore en elle, amplifiant chaque battement de son cœur, chaque pulsation de pouvoir latent qu'elle sentait grandir sous sa peau. Komannead'ra fixait le vide, les yeux mi-clos, comme si elle cherchait quelque chose dans cette brume. En vérité, elle n'avait pas besoin de chercher très loin. La réponse brûlait déjà en elle, depuis bien longtemps.

Elle se souvenait de chaque instant passé à l’ombre de sa sœur, cette lumière éclatante que tout le monde vénérait, qui avait tout reçu sans avoir à le demander. Korin, la bénie, celle qui possédait le pouvoir du soleil, celui que Koman avait attendu en vain. Cette jalousie, cette rage, avait commencé comme une simple étincelle, mais elle avait enflammé son âme, la dévorant peu à peu. Aujourd'hui, elle ne ressentait plus que cette flamme insatiable. Et cette flamme, Mera venait de l’attiser, la nourrissant de ses mots, de sa présence sinistre et séduisante.

Komannead'ra baissa les yeux vers le cadavre de Cailen, ou ce qu'il en restait. Le jeune guerrier, si loyal, si naïf, avait été le dernier lien qui la rattachait à une humanité qu’elle avait déjà rejetée. Elle avait connu sa passion, son adoration, et elle l’avait trahi sans une hésitation. Le prix du pouvoir avait déjà commencé à se payer, elle en avait conscience. Elle n'était plus celle qu’elle était autrefois. Ce qu'il restait d'elle, c'était cette ambition dévorante, ce désir brut de dominer, de briller dans l’obscurité là où sa sœur brillait dans la lumière.

Elle serra les poings, le regard froid, et tourna légèrement la tête pour croiser le regard de Mera, sentant encore la chaleur de son souffle contre sa peau. Elle savait maintenant qu'elle était prête. Plus que prête.

"Je suis prête à tout," murmura-t-elle, sa voix basse mais résonnant comme un écho dans la brume. "Je donnerai tout, peu importe le prix."

Les mots franchirent ses lèvres avec une froideur qui la surprit elle-même, mais c'était la vérité. Le prix de l’âme, de la compassion, de l'humanité, tout cela n'avait plus d'importance face à ce qu'elle désirait. Korin avait le soleil, elle aurait l'ombre. Sa lumière serait différente, plus sombre, plus dangereuse, mais tout aussi éclatante. Elle serait celle que les légendes craindraient, non pour sa bonté, mais pour son pouvoir absolu.

Elle se redressa légèrement, sentant le poids de sa décision tomber sur elle, mais sans crainte. Elle n'avait plus peur. Mera, avec son regard perçant, savait. Koman savait aussi. Elles étaient semblables, deux créatures prêtes à tout pour obtenir ce qu'elles voulaient.

"Je ne veux plus rester dans l'ombre," continua-t-elle, sa voix devenant plus forte, plus assurée. "Le pouvoir que ma sœur a reçu, je le veux. Je veux plus que ce qu’elle a. Je veux être celle que l’on craint, celle que l’on respecte, celle que même les dieux n’osent défier."

Elle tourna enfin la tête, plongeant son regard dans celui de Mera, des flammes de détermination brûlant dans ses yeux. Il n’y avait plus d’hésitation, plus de doute. Elle savait que ce qu'elle demandait avait un prix, un prix terrible. Mais qu'était une vie, un sacrifice, comparé à la grandeur ?

"Dis-moi quel est ce prix," dit-elle enfin, son regard défiant et sans peur. "J'ai déjà sacrifié ma propre soeur aux pires des souffrances, déjà sacrifié mon amant à l'appel du pouvoir. Je le paierai, quoi qu’il soit. Je suis prête."